V INTERPRETATION DES RESULATS
V.1
HYPOTHÈSE 1 : UNE PLUS GRANDE TECHNICITÉ MÉDICALE
GÉNÈRERAIT DES SOUFFRANCES PSYCHIQUES PLUS PROFONDES
Nous avons bien vérifié que plus la
défaillance des fonctions vitales organiques était grave, plus
invasives étaient les techniques de soutien vital et de soins, et plus
profonde était la souffrance psychique correspondante. Le moment
d'effraction corporelle correspond à une période de souffrance
qui relève d'un processus traumatique de déstructuration
psychique. Il est décrit par les signes cliniques de l'état de
stress aigu et expliqué par la mise en échec des défenses
psychiques habituelles contre l'angoisse.
L'état confusionnel peut donc s'expliquer à deux
niveaux :
· Au niveau biologique, les défaillances des
fonctions cardiorespiratoires entraînent une diminution du taux
d'oxygène dans le sang et par conséquent dans toutes les cellules
de l'organisme, notamment celles du système cérébral.
· Au niveau psychique, l'angoisse extrême au moment
de l'événement de mort imminente et de danger vital,
prolongé lors des soins de soutien, dépasse les capacités
psychiques de défense. Les sujets vivent une « double
angoisse » liée à la fois à la crainte de mourir
et de devenir fou. Cette « double angoisse »
d'anéantissement, se situe sur le plan de l'existence au monde et sur le
plan du sentiment d'intégrité personnelle. L'état
confusionnel est aussi le témoin du débordement de cette
« double angoisse », avec laquelle débute le
processus traumatique.
La réanimation comporte un paradoxe inhérent aux
pratiques de soins même : alors qu'elle tente de pallier la
défaillance des fonctions vitales, elle supporte aussi un processus
traumatique sur le plan psychique. Ce paradoxe exprime un clivage entre les
pratiques des équipes de soins du corps et les professionnels du soin
psychique, entre théories médicales centrées uniquement
sur le corps et théories psychiques reléguées à
l'étude de l'esprit. L'origine de ce clivage remonte à
l'application et à la diffusion en Occident d'un certain esprit
cartésien, notamment le dualisme corps-esprit qui localise le psychisme
dans le cerveau et place la raison au-dessus des émotions et des
perceptions provenant du corps.
La limite de cette vision a été soulevée
en neurologie (DAMASIO, 1994) par des recherches qui démontrent que le
corps, plus particulièrement toutes les sensations corporelles,
traitées au niveau du lobe frontal, sont essentielles aux
capacités de jugement.
Le courant de la psychosomatie s'intéresse
également aux relations entre certaines maladies du corps et le
psychisme du malade.
Si on applique un raisonnement réunissant les processus
biologiques et psychiques, pour les sujets de cette étude, il semble que
le soin de soutien de la fonction respiratoire, fait effraction dans un lieu
corporel qui correspond au lieu du Souffle Vital. S'appuyant sur l'étude
de cette notion vue en partie théorique, l'effraction de ce lieu, non
seulement perturberait la part sensible du psychisme, mais également la
part fondatrice du sentiment d'appartenance au monde de l'humanité,
condition de la vie humaine. Cette effraction augmente chez ces malades, le
risque mortel.
Il semble donc que le fait d'éliminer la part psychique
dans la logique purement rationnelle et scientifique de la médecine,
produise le paradoxe de la réanimation.
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