I.1.e Approches sociales : l'anthropologie
médicale
L'anthropologie médicale repose sur le postulat que la
maladie est un fait universel mais qui est gérée et
traitée suivant des modalités différentes selon les
sociétés, elles-mêmes liées à des
systèmes de croyances et de représentations propres à leur
culture.
La théorie des rites de passage en
réanimation a été étudiée sur le
terrain avec une méthode ethnologique demandant l'implication du
chercheur sur une longue période de temps afin de comprendre les
théories sous-jacentes aux pratiques comme la possibilité de
pouvoir guérir les malades par la maîtrise scientifique des
aspects purement biologiques de la vie. Ces théories négligent
souvent l'aspect psychologique du malade, ce qui fait de la réanimation
une « désanimation » (POUCHELLE, 1996). Elles
révèlent une logique du sacrifice, de la punition, du silence, de
la lutte contre la maladie, la nécessité de la violence qui
entraîne l'abandon du malade à l'institution, traumatisante pour
le malade comme pour les familles. (POUCHELLE, 2003)
I.1.f Que retenir de ces recherches ?
Concernant la théorie choisie pour
étudier les effets psychiques de la réanimation
Toutes les études sont unanimes pour associer le
vécu des malades de réanimation à une expérience
traumatique qui va entraîner des séquelles psychiques et d'origine
psychique, se superposant aux séquelles neurologiques d'origine
lésionnelle.
Seules les études d'orientation psychanalytiques
s'intéressent aux facteurs personnels de résistance ou de
résilience au traumatisme psychique, et insistent sur la relation entre
le corps et l'esprit, dont les expériences sont intimement liées.
Néanmoins, ces modèles
théoriques psychanalytiques possèdent une limitation
culturelle : le postulat d'une Pulsion de Mort qui s'oppose à une
Pulsion de Vie est sous-tendu par une vision de la vie comme activité en
termes d'opposition avec un état de stase, d'immobilité, à
la fois dans les pulsions à l'origine de la vie psychique comme de la
vie biologique (FREUD, 1920). Cette vision s'appuie sur une philosophie
dualiste et manichéenne du rapport entre la vie et la mort par analogie
à l'opposition Bien et Mal, « où l'Ange de la vie
et l'Ange de la mort enlacés l'un à l'autre luttent corps
à corps l'un contre l'autre et pour l'éternité dans le
moindre brin de matière comme dans les plus sophistiquées des
créations humaines » et « cette cosmogonie
freudienne est présentée par son auteur comme la théorie
même de la clinique psychanalytique ... vient se substituer aux
théories précédentes. » (MENDEL, 1998, p.
48)
Ce choix philosophique est un des sujets de débat
épistémologique au sein même des écoles de
psychanalyse qui tentent chacune à leurs manières de faire
évoluer les concepts métapsychologiques tout en maintenant une
base commune à la psychanalyse.
L'emploi des théories psychanalytiques demande donc de
bien connaître ces questions et c'est la raison pour laquelle nous
n'avons pas retenu la théorie psychanalytique pour cette
étude.
Toutefois, parmi les travaux récents, nous pouvons
citer le concept de « Violence défensive primitive »
(BERGERET, 1994) dont l'objet est indifférencié et la
finalité ni bonne, ni mauvaise, mais défensive afin de
protéger un narcissisme primaire. Ce concept répondrait mieux aux
observations cliniques des situations de violence chez l'enfant et
l'adolescent. Il semble également proche de la situation du malade de
réanimation.
Nous verrons dans la partie I.2 comment une démarche
ethnopsychiatrique, inspirée des démarches ethnologiques et
anthropologiques, permet aussi de surmonter les a priori contenus dans les
théories.
Concernant la population
étudiée
Les études citées précédemment se
sont intéressées surtout aux cas de comas prolongés
liés à des traumatismes crâniens et ou à la
neurochirurgie. Les malades passent par des états lents et progressifs
de récupération de la conscience qui laissent des traces
témoignant d'un fonctionnement psychique proche de celui supposé
à la part inconsciente du psychisme par les théories
psychanalytiques, avec des états proches de ceux de la régression
psychique observée dans certaines psychoses.
Dans le service de réanimation médicale sur
lequel s'appuie la présente étude, les malades ne souffrent pas
de lésions neurologiques, ni de traumatismes physiques d'origine
accidentelles et les malades survivants ne restent pas longtemps dans le coma
(pas plus de quelques jours). Ils reprennent conscience relativement vite et
restent conscients pendant tout le séjour en réanimation,
témoins de tous les soins. Ils sont en mesure, une fois la
capacité de parole restaurée, de témoigner, d'expliquer
leur vécu, et parfois même, avec beaucoup d'efforts,
réussissent à communiquer par gestes ou en écrivant sur
une ardoise, quand la parole est impossible pour eux. Pourtant, nous avons
relevés dans un premier temps d'observation des réactions
agressives, des vécus de persécution, des refus de soin et actes
de retraits des éléments de soins nécessaires à la
survie, des attitudes apathiques, des états extrêmes d'angoisse,
des délires, etc... Toutes ces observations évoquent des
états traumatiques liés à des situations extrêmes.
La partie suivante approfondira la situation de réanimation
observée.
|