c. Conclusion sur la création de la SASP
Le bilan des nouveautés apportées par la SASP
semblait donc convaincant. Il paraissait en tout cas plus à même
d'attirer de nouveaux investisseurs. Cependant, ce modèle ne
répondait que partiellement aux attentes des plus grands clubs : par
exemple, alors que la majeur partie des modifications devait permettre aux
clubs de lever plus facilement des fonds et que la SA est une entité
vouée à faire appel public à l'épargne, le
législateur interdisait une entrée des clubs de football
professionnels sur un marché réglementé.
Par ailleurs, d'autres revendications destinées
principalement à asseoir les actifs des clubs se sont greffées au
débat.
87 Mémento Francis Lefebvre, droit des affaires
2004, n° 9464.
2.2. La prise en compte des attentes des clubs
2.2.1. La correction des insatisfactions laissées
par la loi de 1999
a. Le numéro d'affiliation ne relève plus de
l'association
La loi prévoyait depuis 1984, pour des raisons
d'éthique, << que la participation de la société
commerciale aux compétitions inscrites aux calendriers de la
fédération relevait de la compétence de
l'association. >>88
Cette disposition a finalement été annulée
car elle traduisait << une attitude de méfiance à
l'égard d'organismes fonctionnant sous contrainte financière
>>.89
b. La multipropriété est permise dans
certaines limites
Le législateur a d'abord interdit << à
toute personne privée, directement ou indirectement, d'être
porteur de titres donnant accès au capital ou conférant un droit
de vote dans plus d'une société sportive [...J dont l'objet
social porte sur une même discipline sportive >>.90
Cela avait pour objectif << d'empêcher des manoeuvres qui
pourraient modifier le comportement d'une équipe au cours d'une
rencontre ou d'un championnat, ce qui aurait pour conséquence de
contrarier la glorieuse incertitude du sport >>.91
Il a été jugé que cette
législation excédait << les normes indispensables pour
préserver l'indépendance des clubs et l'intégrité
des résultats sportifs >>. En outre, << le champ de
l'interdiction absolue de la multipropriété ne paraissait plus
adapté aux réalités économiques auxquelles
étaient confrontées les sociétés sportives
>>.92
Le législateur a donc décidé d'assouplir
les dispositions de cet article par une loi du 15 décembre 2004. Cela
s'est traduit par la possibilité de détenir des actions ou parts
sociales
88 « Les aspects de la gestion économique des
clubs sportifs professionnels : l'adoption d'une nouvelle loi » de
Gérard Auneau in La semaine juridique Edition générale
n°13, 29 mars 2000, I 216.
89 Rapport du sénat sur la proposition de loi
portant diverse dispositions relatives au sport professionnel.
90 Article 15-1 de la loi du 16 juillet 1984.
91 « Les aspects de la gestion économique des
clubs sportifs professionnels : l'adoption d'une nouvelle loi » de
Gérard Auneau in La semaine juridique Edition générale
n°13, 29 mars 2000, I 216.
92 Rapport du sénat sur la proposition de loi
portant diverse dispositions relatives au sport professionnel.
dans une autre société sportive, dès lors
qu'il n'y avait pas contrôle au sens de l'article L. 233- 16 du code de
commerce.
Pour mémoire, l'article L. 233-16 prévoit certaines
obligations pour les sociétés qui en contrôlent une autre
dans les cas suivants :
- contrôle exclusif ; - contrôle conjoint ; -
influence notable.
> Le contrôle exclusif
Il existe un contrôle exclusif dès lors qu'une
société détient un :
- contrôle de droit : la société
dispose directement ou indirectement la majorité des droits de vote du
club;
- contrôle de fait : la société
désigne pendant 2 exercices successifs la majorité des membres du
conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance (cela est
présumé lorsque la société dispose, directement ou
indirectement de plus de 40 % des droits de vote pendant cette période
et qu'aucune société ne détient plus que cette fraction,
que ce soit directement ou indirectement) ;
- contrôle contractuel : lorsque la
société exerce une influence dominante sur le club en vertu d'un
contrat ou d'une clause statutaire (mais cette seconde hypothèse n'est
pas applicable en l'espèce car les statuts types des
sociétés sportives sont imposés par décrets).
> Le contrôle conjoint
Il existe un contrôle conjoint lorsque le club est
exploité par un nombre limité d'associés ou actionnaires,
de sorte que les décisions résultent de leur accord.
> L'influence notable
Enfin, l'influence notable sur la gestion du club est
présumée lorsqu'une société dispose, directement ou
indirectement, de plus de 20% des droits de vote de ce club.
La notion de contrôle au sens de l'article L. 233-16 du
code de commerce doit donc être perçue comme le contrôle
effectif d'un club de football professionnel. Cependant, son champ
d'application est vaste et il convient d'être particulièrement
vigilant, bien que la loi ne prévoie aucune sanction en cas de non
respect.
En outre, il convient de rappeler que l'article 15-1 contient
aussi d'autres dispositions visant les actes qui permettent de détourner
de manière indirecte cette disposition : il est interdit à toute
personne privée actionnaire d'une autre société sportive
de lui consentir un prêt ou de se porter caution pour cette
société, dès lors que leur activité porte sur le
même sport. Le non respect de ces dispositions est susceptible
d'entraîner la nullité de l'opération et la condamnation
des dirigeants ou administrateurs à une amende de 45.000 Euros ainsi
qu'à une peine d'un an d'emprisonnement.
c. Les clubs acquièrent la pleine
propriété des droits audiovisuels
> La loi permet de conférer la propriété
des droits audiovisuels aux clubs
Alors que les droits télé sont en passe de
représenter près de 50% du budget des clubs français,
ceux-ci ne pouvaient pas être inscrits dans leur bilan car ils
étaient la propriété exclusive des
fédérations.93
Face à cette incohérence qui handicapait les
sociétés sportives, le législateur a modifié en
2003 la rédaction de la loi du 16 juillet 1984.94 L'article
18-1 II permet désormais aux fédérations sportives de
« céder aux sociétés mentionnées à
l'article 1195, à titre gratuit, la propriété
de tout ou partie des droits d'exploitation audiovisuelle des
compétitions ou manifestations sportives organisées chaque saison
sportive par la ligue professionnelle qu'elle a créée [...J,
dès lors que ces sociétés participent à ces
compétitions ou manifestations sportives. »
Cependant, le système prévu est assez complexe :
la cession des droits d'exploitation audiovisuelle est facultative pour la
fédération. Si celle-ci exerce le droit de cession qui lui est
93 Article 18-1 I de la loi du 16 juillet 1984
modifiée.
94 Loi n° 2003-708 du 1er août
2003, article 4 (JORF 2 août 2003)
95 La SAOS, la SEURL, la SEML et la SASP.
accordé, alors la ligue professionnelle est seule
compétente pour commercialiser ces droits, dont le produit devra
être réparti selon certains critères entre les clubs.
Ce nouveau régime a des avantages mais aussi des
inconvénients : alors qu'il permet aux clubs d'inscrire à l'actif
de leur bilan comptable cet élément (permettant d'attirer plus
facilement les investisseurs), ceux-ci n'en ont pas la libre disposition et ne
peuvent pas exploiter les images de leurs matches comme bon leur semble car il
existe des critères de répartition des droits
télévisés.
> Les nouveaux critères de répartition des
droits télévisés
Le principe de solidarité est particulièrement
présent dans le domaine du football : il existe entre sport
professionnel et amateur mais aussi entre clubs professionnels eux-mêmes
grâce à un système de répartition solidaire des
droits télévisés. Les produits de la cession des droits
d'exploitation sont d'abord redistribués entre Ligue 1 et Ligue 2
(respectivement 81% et 19% après avoir retranché 100 millions
d'euros réservés à la seule Ligue 1), puis au sein de
chaque ligue selon certains critères. La LFP a récemment
modifié ces critères, lesquels se présentent
désormais selon le mode de répartition suivant.
En ligue 1, une part fixe doit être répartie
équitablement entre chaque club (50%), une autre est fonction du
classement du club au cours de la saison (25%) et sur les 5 saisons
précédentes (5%). Enfin, la dernière part est
répartie selon la notoriété du club, qui se traduit
concrètement par le nombre de diffusions télévisées
sue les trois matchs décalés par journée de championnat au
cours de la saison (15%) et au cours des 5 dernières saisons (5%). Cela
permet d'assurer pour les saisons 2005/06 à 2007/08 qu'un club de Ligue
1 touchera au minimum 13 millions d'euros et au maximum 44 millions d'euros (ce
qui est peu probable car il est difficile qu'un club soit simultanément
le dernier ou le premier sur les critères de performance sportive et de
diffusion télévisée).
En Ligue 2, 90% des sommes reçues sont
redistribuées à parts égales entre les clubs et 10% selon
d'autres critères qui englobent les performances sportives (5%) et la
formation selon un classement établi par la Direction Technique
Nationale (5%), ce qui est une première mondiale.96
96 Situation du football professionnel
français, saison 2004/2005
d. Les clubs entrent dans l'ère du
merchandising
Avant la loi du 28 décembre 1999, l'article 11-2 de la
loi du 16 juillet 1984 interdisait la pratique du merchandising et de la
commercialisation de la marque des clubs alors que, dans le même temps,
un club comme Manchester United avait engrangé près de 35
millions d'Euros grâce à différents produits et services
portant sa marque (hôtels, boutiques...).
Cette interdiction a été levée mais il
était prévu que l'association reste propriétaire de la
marque, ce qui amputait les sociétés d'un élément
potentiel de l'actif de leur bilan, contrairement à leurs voisins
anglais, espagnols ou italiens.
La forte demande des clubs, confortée par une
suggestion du rapport Denis a poussé le législateur à
supprimer « la disposition dérogatoire au droit commun des
marques qui faisait automatiquement de l'association la propriétaire de
celles-ci ».97 La loi du 1er août 2003
précise que l'association peut désormais céder la
dénomination, marque ou autres signes distinctifs de
l'association.98 Cependant, celle-ci conserve logiquement la
disposition à titre gratuit des signes distinctifs utilisés par
la société ou cédés à elle.99
Le possible accès des clubs de football à leur
marque est un véritable tournant dans la politique de gestion des clubs,
qui vont pouvoir bénéficier du rayonnement de leur marque. A
l'heure actuelle, le club français le plus engagé de ce point de
vue est certainement l'Olympique lyonnais : après avoir
créé OL Taxi, OL Music, OL Boissons, OL Café, OL Conduite,
OL Voyages, OL Beauté, OL Mobile, OL Phone, Planet'OL, OL Store, OL
Forme et Performance et le magazine officiel de l'OL, le Président
Jean-Michel Aulas a décidé de lancer les OL lunettes,
déjà déclinées en trois coloris !
Thierry Sauvage, directeur général de l'OL
groupe, estimait ainsi qu'en 2005, la marque OL rapporterait 20 millions
d'Euros, en dehors des activités exercées par la SASP Olympique
lyonnais, soit 20% du budget de l'OL groupe.
97 LFP magazine n°19.
98 Sur la saison 2004/2005, les clubs ont ainsi
versé 4,8 millions d'euros aux associations pour l'utilisation des
marques, logos et signes distinctifs (Source LFP)
99 Loi n°2003-708 du 1er août
2003 et décret n°2004-550 du 14 juin 2004.
On peut s'étonner cependant que l'Olympique Lyonnais
occupe la première place en matière de gestion de produits
dérivés dans la mesure où sa notoriété est
moindre que celle enregistrée par d'autres clubs tels le Paris Saint
Germain ou l'Olympique de Marseille. En effet, selon une étude
réalisée par la société Sportlab en février
2004, ces deux clubs occupaient la tête devant l'OL.
Cela s'explique en fait parce que ces clubs n'ont pensé
à exploiter leur marque que très tard, notamment à cause
d'un manque de connaissance de leurs clients. Une étude
réalisée par CSC sur la politique marketing à mettre en
place au Paris Saint Germain en 2001 révélait ainsi que <<
les dirigeants n'étaient pas en mesure jusqu'alors de tracer
l'historique des achats ou d'analyser le comportement des supporters
>>, et un dirigeant d'avouer que la majorité des supporters
restait pour eux des << anonymes >>.100
Or, les recettes nées de l'exploitation de la marque
peuvent permettre de sécuriser le budget des clubs. Ainsi, Fabrice
Favetto, directeur marketing du PSG, pointait la difficulté << de
gérer une vraie croissance, à l'instar des entreprises
classiques, avec cette trop importante composante fluctuante et
imprévisible, directement liée aux résultats sportifs
>>.
En juin 2001, le PSG a donc signé un accord avec
Oracle, HP et CSC Peat Marwick dans le but de capitaliser sur ses
activités commerciales en développant la connaissance du client
et sa fidélisation, pour augmenter la part maîtrisable de son
chiffre d'affaire. A l'issue de ce programme, Fabrice Favetto déclarait
: << avec Oracle CRM, nous avons transformé nos supporters en
clients. Et nous pouvons capitaliser sur ce vivier de plusieurs centaines de
milliers de personnes attachées à notre marque pour
développer nos activités commerciales et stabiliser notre chiffre
d'affaires >>.101
Cette politique marketing se caractérise notamment par
la création d'une carte << esprit club >> qui
devrait permettre de mener des actions marketing mieux ciblées car il
s'agit d'un outil d'analyse efficace. L'Express annonçait d'ailleurs en
mai 2005 que la bière PSG serait bientôt disponible en
supermarché !102
100 (( Etude de cas, Paris Saint Germain, CSC aide le PSG
à fidéliser ses supporters et à développer son
capital clients ».
101 (( Comment le Paris Saint Germain appris à mieux
connaître et à fidéliser ses supporters grâce
à Oracle CRM. »
102 (( Le foot sort ses griffes », L'Express du 16
mai 2005, par Paul Miquel.
Ce long développement avait pour objectif de pointer
les apports concrets liés à l'utilisation puis à
l'acquisition de la propriété de la marque par les
sociétés, et l'entrée de ces derniers dans le «
foot-business » grâce à des politiques de gestion
efficientes. Cette évolution aurait logiquement pu s'accompagner d'une
cotation des clubs en Bourse mais le Gouvernement a
préféré laisser en suspend cette demande des grands clubs
français.
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