1.1.2. La LFP profite du contexte pour engager des
réformes au sein du football français
La Fédération Française de Football (FFF)
occupe une place centrale dans le football français puisqu'elle touche
l'ensemble des citoyens entre ses activités de gestion du football
amateur et de l'équipe de France. La Ligue de Football Professionnel
(LFP) est une association créée par la FFF spécialement
conçue pour veiller au développement du sport professionnel.
Il existe une séparation des pouvoirs qui permet
à chaque entité de disposer d'un territoire propre de
compétences. Mais la LFP semble depuis peu dicter ses règles
à la FFF, certainement parce qu'elle a su remplir son rôle de
gestion du football professionnel en étroite collaboration avec la DNCG
alors que la FFF entre dans une période de turbulences du fait d'une
gestion peu orthodoxe.
a. La FFF perd sa crédibilité après
des dérapages financiers
> La FFF participe à l'exécution d'une mission
de service public
La FFF, association loi 1901 agréée par l'Etat
et placée sous la tutelle du ministre chargé des sports a pour
objet l'organisation de la pratique du football en France. Concrètement,
elle est chargée de superviser l'ensemble de l `activité du
football amateur en France, de la délivrance des licences en passant par
la gestion du million de matches orchestrés chaque année par ses
différentes branches. Parallèlement, c'est elle qui gère
l'environnement de l'équipe de France, de la nomination du
sélectionneur jusqu'aux contrats de cession des droits audiovisuels des
matchs des Bleus.
La FFF, qui occupe une place entre football de masse et football
d'élite, exerce donc une mission de service public et
bénéficie à cet égard d'un soutien de l'Etat.
Conformément à l'article 16 de la loi du 16
juillet 1984, la FFF bien que placée sous la tutelle du Ministre des
Sports, exerce son activité en toute indépendance. Elle
bénéficie à cet effet d'un agrément
délivré par l'Etat qui vaut à elle seule «
reconnaissance de sa participation dans l'exercice d'une mission de service
public ».134
En outre, la FFF reçoit chaque année une aide de
l'Etat en contrepartie de son adhésion à une convention
d'objectifs fixée avec le ministère des sports. Selon la Cour des
Comptes, cette aide s'élevait à 1,7 millions d'euros en
2003.135
> La Cour des Comptes pointe un fonctionnement
irrégulier
Déjà dans les années 80, un
contrôle de la Cour des Comptes avait mis en évidence une gestion
défaillante, une organisation inadaptée, un contrôle de
l'Etat illusoire, des fonctionnaires mis à la disposition de la FFF en
infraction avec les règles de cumul de rémunération et
surtout le non respect des règles de mise en concurrence au profit du
groupe Darmon, avec la particularité toutefois que deux des dirigeants
de ce groupe siégeaient aussi au sein de l'organe de décision de
la FFF.136
Dans son rapport annuel publié en 2001, la Cour des
Comptes a décidé de s'intéresser pour la seconde fois
à la Fédération Française de Football afin de se
rendre compte des évolutions par rapport au comportement de cette
association. Elle a ainsi constaté des améliorations, comme la
mise en conformité de ses statuts-types, l'adoption d'une
comptabilité analytique et une meilleure gestion de sa
trésorerie.
Mais elle a relevé que de nombreux problèmes
demeuraient : ainsi, le Conseil fédéral n'a pas été
nécessairement mis en mesure d'apprécier la validité
d'importantes décisions en matière de marketing et de cession des
droits de retransmission télévisée alors qu'il lui
revenait en principe de réaliser et d'autoriser les opérations de
ce type.
En outre, la Cour faisait remarquer un mode de gestion original
: tout d'abord, « le processus de décision [était]
demeuré très centralisé au niveau de la présidence
et de la direction
134 Rapport public annuel de la Cour des comptes 2001,
Fédération Française de Football, p. 533.
135 Rapport public annuel de la Cour des comptes 2003, Sports, p.
573.
136 Le groupe Darmon a été créé
par l'homme du même nom aussi surnommé le « grand
argentier du football français » et qui tient, dit-on, une
place très importante dans la milieux du football français. Il
aurait ainsi favorisé l'élection de Monsieur Bourgoin à la
présidence de la LFP en 2000.
générale, qui [géraient] les dossiers
importants. » De plus, alors que la FFF était signataire d'une
convention collective spécialement applicable aux personnels
administratifs et assimilés au football, elle appliquait à ses
salariés un accord d'entreprise qui reprenait les dispositions beaucoup
plus favorables de la convention collective des employés de la presse
quotidienne parisienne.
Par ailleurs, le train de vie des dirigeants était
montré du doigt : au titre des frais de transport, 100.000 euros ont
été dépensés en deux ans pour la location d'avions
privés. De même, pendant la Coupe du monde 2002 en Corée,
le Président de l'époque aurait laissé une note de
près de 55.000 euros, dont l'achat d'une bouteille de Romané
Conti d'une valeur de 4.800 euros.
Enfin, les auditeurs rendaient compte
d'irrégularités déjà constatées en 1988
concernant les rémunérations versées aux
fonctionnaires137 et les relations avec le groupe Darmon. Ainsi, le
contrat de mandat exclusif confié à la société
France Football Promotion (FFP), filiale du groupe Darmon pour «
négocier et conclure tous contrats ayant pour objet l'utilisation
l'exploitation ou la reproduction du sigle de la FFF et de l'image collective
de l'équipe de France » n'aurait jamais été
conforme aux règles régissant le droit de la concurrence
malgré les engagements répétés de son
Président en 1989 et 1990 et même parfois défavorable
à la FFF.
> Les commissaires aux comptes de la FFF émettent des
réserves à leur certification
Dans le cadre de leur mission exercée
collégialement, Messieurs Génot et Burette ont refusé de
certifier en l'état les comptes de la FFF pour l'exercice 2003/2004. Ils
ont en effet émis une réserve concernant le rattachement d'un
produit de 10 millions d'euros issus de la cession de droits
d'exclusivité à l'exercice 2003/2004. Selon eux, ces
opérations auraient du faire l'objet d'un enregistrement lors
d'exercices futurs.138
Alors que le Président la FFF se défendait
d'avoir consulté le Cabinet d'experts Villemot, certains
commentateurs avancent la thèse de manoeuvres visant à masquer
les mauvais résultats de la FFF, plongée dans une crise
financière sans précédent. Au lieu de présenter
un
137 Un des entraîneurs de l'équipe de France
aurait cumulé pendant huit ans un traitement correspondant à son
grade de professeur de sport et une rémunération qui
excédait très largement ce traitement (plus de dix fois
supérieure en 1996 et 1997).
138 Assemblée fédérale de la FFF du 12
févier 2004, intervention de Monsieur Génot, commissaire aux
comptes.
déficit de 62.000 euros, celle-ci a du se
résoudre à annoncer une perte de 2,6 millions d'euros. Et la
situation n'irait pas en s'arrangeant : l'exercice 2004/2005 s'est soldé
par un déficit de 9,7 millions d'euros (au lieu de 5 millions
prévus) alors que les comptes prévisionnels votés en juin
2005 pour l'exercice 2005/2006 étaient déficitaires à
hauteur de 4,6 millions d'euros.139
Par ailleurs, devant l'assemblée Monsieur Burette
soutenait : « le bilan arrêté le 30 juin 2003 (soit
pour l'exercice 2002/2003) ne reflète pas l'image fidèle du
patrimoine de votre fédération ». Pour justifier sa
position, il citait notamment la non présentation d'une facture de
4.295.479 euros, la non présentation d'un compte rendu qui aurait du
leur être fourni concernant une facturation de 6,5 millions d'euros
versés à un mandataire et le non respect de la procédure
de mise en concurrence lors de la conclusion d'importants contrats.
> Les autorités judiciaires et administratives
s'intéressent de près à la Fédération
En mars 2005, l'Equipe rendait publique une ordonnance du
Tribunal de Grande Instance de Paris de mai 2004 remettant en cause «
les contrats de mandat exclusifs souscrits par la FFF au profit de la
Société Football Promotion pour les périodes 1994-1998 et
1998-2002 » en les sanctionnant de nullité « faute
d'appel à la concurrence ».140 Cette
décision qui pouvait paraître inéluctable tant la Cour des
comptes avait prévenu la FFF, pourrait la plonger dans une crise plus
grave encore si elle venait à être confirmée par la cour
d'appel.141
Par ailleurs, le parquet de Paris a ouvert au printemps 2005
une enquête préliminaire sur les comptes de la
Fédération Française de Football à la suite des
dénonciations de ses commissaires aux comptes concernant les bilans des
exercices 2002/2003 et 2003/2004.
Enfin, le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office le
1er juin 2004 « de la situation de la concurrence dans le
secteur de la gestion des droits dans le football professionnel et de la
publicité dans les stades de football et a fait procéder à
des enquêtes pour établir l'existence et l'étendue des
pratiques recherchées ».142
139 « Nouveau déficit en vue », de Marc
Chévrier, L'Equipe du 26 juin 2005.
140 La Société Football Promotion est une filiale
de Sportfive, société mère du groupe Darmon.
141 Mais aussi la société Advent International qui
a acquis 48,85% des actions de la société Sportive aux termes
d'un accord en date du 19 mars 2004...
142 Communiqué du conseil de la concurrence du 18
février 2005 : « enquête dans le milieu du football
».
> L'entrée dans une ère de rigueur ?
En février 2005, Claude Simonet a quitté la FFF
après 10 années passées à sa tête, laissant
derrière lui une fédération stigmatisée par une
gestion mal contrôlée mais aussi un bilan sportif unique avec une
Coupe du monde et une Coupe d'Europe.
Son nouveau Président, Jean-Pierre Escalette
prônait dès son entrée une politique de rigueur, tout en
nuançant les mauvais résultats comptables enregistrés
depuis 2002, même s'il admettait que les procédures en cours
faisaient planer au dessus de sa tête une « épée
de Damoclès ». 143
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