WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le politique et l'écriture a travers La vie et demie de Sony Labou Tansi sous la supervision de prof. Josias Semujanga

( Télécharger le fichier original )
par Emmanuel NDUNGUTSE
Université Nationale du Rwanda - Licence en Langue et Litterature francaise 2001
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I.4 La vie et demie et le thème du désenchantement

Dès la période des indépendances, les romanciers africains d'expression française, dits de la deuxième génération, se sont orientés vers une thématique bien claire : il s'agit du désenchantement. Dans ces romans, ce n'est plus le colonisateur qui est attaqué comme c'était le cas dans ceux de la première génération, mais les nouveaux maîtres de l'Afrique. La production romanesque est donc marquée par la protestation mais celle-ci ne s'adressant plus au colonisateur, mais à l'homme africain qui a pris le relais de l'ex-colonisateur ne se montrant d'ailleurs pas meilleur que lui, mais parfois pire que lui. Cette thématique gagne du terrain chez les romanciers de cette période, car, comme l'affirme Célestin Bizimungu, toutes les critiques

« s'accordent pour reconnaître une thématique récurrente et dominante dans la production romanesque des écrivains négro-africains de la période post-coloniale : il s'agit du thème de désenchantement. L'attitude des nouveaux dirigeants déçoit le peuple. Au lieu de répondre positivement à ses attentes, ceux qui détiennent le pouvoir recherchent avant tout leurs intérêts. Les indépendances acquises après un dur combat profitent à une poignée de gens qui prennent la place de l'ancien colonisateur et oppriment scandaleusement leurs frères »19(*).

Ainsi, les romanciers de la deuxième génération prennent pour cible la classe dirigeante et ses abus dans différents états issus des indépendances, comme le résume Bernard Mouralis :

« Un des traits les plus marquants dans l'évolution littéraire de la production littéraire africaine est sans aucun doute l'intérêt croissant que les écrivains et notamment les romanciers portent, depuis le début des années 60, à la question des nouveaux pouvoirs indépendants [...] Cette évolution a abouti à un renouvellement significatif du cadre spatio-temporel qui caractérisait jusqu'alors la vision du monde des écrivains. A un regard qui opposait l'Afrique d'avant la colonisation s'est substituée une perspective opposant désormais l'Afrique d'après l'indépendance et qui cherche à cerner la genèse et la signification de ce phénomène politique complexe qui se développe à partir de 1960 »20(*).

Nous sommes donc devant les romanciers politiquement engagés qui veulent se faire des porte-parole du peuple et qui accusent la nouvelle bourgeoisie d'abuser de la confiance de ses compatriotes.

Ces écrivains abondent, en effet, dans l'idée d'Aimé Césaire lorsqu'il disait : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de boucle, ma voix la liberté de ceux qui s'affaissent au cachot du désespoir »21(*).

En somme, par une lecture profonde et attentive, La vie et demie, prolonge le roman du désenchantement. Il décrit et dénonce les multiples abus qui caractérisent quelques Etats africains en général, et la Katalamanasie, en particulier. Les thèmes qui y sont développés montrent clairement qu'il s'agit du roman de désenchantement. Il décrit les méfaits causés en grande partie par la médiocrité et la tyrannie de certains chefs d'Etat. C'est ce que nous allons essayer de démontrer tout au long de cette étude. Nous commençons par montrer les avatars de la dynastie des guides, entre autres la cruauté des guides, leur immoralité, la corruption, le détournement des fonds publics et leur fantaisie. Par après nous allons voir comment le peuple se révolte contre ce pouvoir dictatorial et oppressif des guides providentiels en jetant aussi un coup d'oeil sur sa fin.

I.4.1 Les avatars de la dynastie des guides

A lire attentivement le roman, La vie et demie expose au lecteur une société remplie d'abus et d'avatars d'un pouvoir tyrannique. Tout au long du roman, ces avatars se résument en une sorte de cruauté des guides, d'immoralité, de corruption, de détournement de fonds publics, de fantaisie. A côté de tout cela, on assiste à une description du peuple déçu par ses guides qui est d'ailleurs, comme nous l'avons dit, l'allégorie de tous les peuples africains.

I.4.1.1 La cruauté des guides

La tyrannie ou le pouvoir politique de la Katalamanasie est marquée par la succession des guides caractérisés non seulement par le pouvoir totalitaire, mais aussi par la terreur, la cruauté souvent remplie de cynisme exacerbé. A travers ce roman, la cruauté cynique des guides réside dans leur façon de ne pas donner directement la mort à leurs victimes. Ils les soumettent d'abord à une souffrance lente et excessive avant de les envoyer à une mort atroce. La vie et demie s'ouvre sur un de ce cynisme exagéré, exercé sur Martial.

« Le Guide providentiel enfonça le couteau de table dans l'un puis dans l'autre oeil, il en sortit une gelée noirâtre qui coulait sur les joues et dont les deux larmes rejoignirent dans la plaie de la gorge, la loque-père continuait à respirer comme l'homme qui vient de finir l'acte.

Maintenant qu'est-ce que tu attends ? [...]

Je ne veux pas mourir cette mort [...]

Alors le Guide Providentiel s'empara du revolver [...] l'arma et en porta le canon à l'oreille gauche de la loque-père, les balles sortirent toutes par l'oreille droite avant d'aller se fracasser contre le mur [...].

La colère du Guide Providentiel monta [...] puis revint vers l'homme [...] Quelle mort veut-tu mourir, Martial [...] Celle-ci Martial ? Il tira un chargeur en répétant nerveusement « celle-ci » ? Il tira un deuxième chargeur à l'endroit exact où il devinait le coeur de la loque-père » (V.D. : 13-14).

Ce sadisme du Guide Providentiel qui éprouve d'une grande joie en tuant Martial, s'accompagne de l'obligation exercée sur la famille de son opposant de manger sa chair : « vous allez me bouffer ça, dit-il [...] il ordonna qu'on vînt prendre la termitière et qu'on en fit moitié pâté et moitié daube bien cuisiné pour le repas du lendemain midi » (V.D. : 16). Martial n'est pas le seul à subir ce coup sadique parce que toute sa famille est éliminée c'est-à-dire ses sept enfants et sa femme ; il ne reste que Chaïdana, âgée de quinze ans.

La cruauté des guides ne frappe pas seulement leur opposant car le guide Obramousando Mbi tue son cartomancien Pueblo quand il lui interdit de se coucher avec Chaïdana de peur que son père Martial ne puisse revenir : « Le Guide Providentiel lui sauta à la gorge, il serra tellement fort que les os se brisèrent, les yeux de Kassar Pueblo sortirent entièrement des orbites et pleuraient rouge » (V.D. : 25).

Tout au long du roman, les guides se montrent injustes, cruelles, déraisonnables, immorales, tyranniques. Ils exécutent sans merci leurs sujets, qu'ils soient coupables ou non. Les scènes de torture et de cruauté sont nombreuses. Le Guide Providentiel part d'une petite chose, d'un moindre soupçon pour tuer, pour torturer. Le temps qu'a duré la dynastie des guides providentiels permet de dresser un long bilan de pertes en vies humaines. Le guide providentiel se sert de plusieurs moyens pour faire souffrir ses victimes. Avec son couteau de table, son revolver, et divers poisons, il se joue de ses victimes et les tue après leur avoir fait endurer plusieurs épreuves. Le martyre de tous ceux qui comparaissent devant le guide providentiel dans son palais présidentiel rappelle celui du Christ. En effet, chaque fois qu'un des condamnés est introduit chez lui, nous attendons dire par la personne qui l'accompagne « Voici l'homme », le fameux ecce homo prononcé par Pilate.

Dans la République Katalamanasienne, le Guide Providentiel revêt un caractère de cannibale, car c'est avec le couteau utilisé pour couper sa viande achetée aux « Quatre saisons » qu'il torture ses victimes.

« S'approchant des neuf loques humaines que le lieutenant avait poussées devant lui en criant son « voici l'homme », le guide providentiel eut un sourire très simple avant de venir enfoncer le couteau de table qui lui servait à déchirer un grand morceau de la viande vendue aux quatre saisons, le plus grand magasin de la capitale, d'ailleurs réservée aux gouvernements. La loque-père sourcillait tandis que le fer disparaissait lentement dans sa gorge. Le guide providentiel retira le couteau de table et s'en retourna à sa viande de « quatre saisons » qu'il coupa et mangea avec le même couteau ensanglante. Le sang coulait à flots silencieux de la gorge de la loque-père, les quatre loques-filles, les trois loques-fils et la loque-mère n'eurent aucun geste, parce qu'on les avait liés comme la paille, mais aussi et surtout parce que la douleur avait tué leurs serfs » (V.D. : 12).

Une lecture encore poussée de La Vie et demie montre que le guide providentiel n'est jamais fatigué dans son acte ignoble d'exterminer son peuple. Sa tyrannie absurde transforme le territoire en un véritable abattoir. A cause de son sadisme poussé à l'extrême, il n'hésite même pas à tuer ceux qui sont chargés de sa sécurité personnelle. En effet, au cours de multiples apparitions de Martial, le Guide Providentiel saisi d'une peur prenait son pistolet mitrailleur et balayait tout ce qui était à sa portée, hommes et objets confondus. Comme cette scène où il tua ses propres gardes provoquait toujours des querelles, il donna des explications vaines et mensongères comme quoi c'était Martial qui était l'auteur du meurtre. Après la mort de Kassar Pueblo, le cartomancien du guide et celle du docteur Tchi qui avait aidé Chaïdana à s'évader, le Guide Providentiel se retournait vers les autorités gouvernementales. C'est ainsi qu'il fit fusiller le ministre de la défense accusé injustement de haute trahison.

Le Guide Providentiel Obramousando Mbi est remplacé par plusieurs autres guides qui se succèdent à un rythme rapide mais qui n'apportent aucun changement. Ils continuent eux aussi à exercer la dictature, la tyrannie, la violence et beaucoup d'autres actes inhumains.

En somme, la société Katalamanasienne est un monde où la vie ne vaut pas la peine d'être vécue et où la loi du plus fort, qui est toujours la meilleure, est en pratique. Le peuple est une proie du guide et d'autres personnalités influentes du régime et vit dans une perpétuelle terreur. Ceux qui réclament leurs droits sont exécutés comme ce fut le cas des étudiants de l'Université de Yourma qui protestaient contre les politisations inconditionnelles des diplômes. Tous les trois mille quatre-vingt-douze étudiants sont tués sur l'ordre du guide Henri-au-coeur-tendre. La vie et demie met devant nous une société où le sadisme des guides dépasse la mesure et où le peuple se demande le sens de la vie dans le pays où les hommes s'entretuent. A côté de ces cruautés des guides s'ajoute une autre préoccupation seulement sur les femmes que nous qualifierons d'immoralité.

* 19 BIZIMUNGU, C., L'oeuvre romanesque de Sony Labou Tansi, mémoire, Ruhengeri, 1987, p. 6.

* 20 MOURALIS, B., « Pays réels, pays d'Utopie », in Notre librairie, n° 84, juillet - septembre 1986, p. 48.

* 21 CHEVRIER, J., Op. cit., p. 183.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984