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Le statut des vérités analytiques dans l'épistémologie praxéologique de Ludwig Von Mises

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par Grégoire CANLORBE
Université Paris 1 - Master 1 LoPhiSC (Logique, Philosophie des sciences et de la connaissance) 2012
  

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2. La loi praxéologique, sa nature et ses avantages

Mais alors, comment Von Mises peut-il défendre, sans se contredire, la possibilité de connaître des lois de l'action humaine? Qu'est-ce qu'un effort pour connaître a priori les régularités universelles de l'action humaine peut-il avoir de plus légitime qu'une démarche a posteriori, si à la fin des fins il n'y a pas de régularité universelle de l'action humaine?

Von Mises propose de résoudre la tension en distinguant entre théorie et histoire. La théorie formule ce qui doit nécessairement se produire

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sous réserve que certaines conditions soient remplies au préalable. L'histoire décrit ce qui s'est produit effectivement. Nous allons rentrer dans le détail de cette distinction.

La praxéologie porte sur la forme de l'action humaine

La démarche praxéologique traite de la forme et non pas du contenu de l'action humaine. « La praxéologie n'est pas concernée par le contenu changeant de l'agir, mais par sa forme pure » tandis que « l'étude des caractères accidentels et circonstanciels de l'agir humain est l'objet de l'histoire. »6 La collecte et l'analyse des sources historiques peut bien nous informer sur le contenu de l'action humaine à tel moment et en tel lieu; c'est à la praxéologie, en tant que science a priori, qu'il faut s'en remettre, si on veut connaître la forme universelle du contenu multiple et variant de l'action humaine.

L'action humaine consiste à poursuivre certaines fins et à mobiliser des moyens en vue de ces fins. La praxéologie prétend décrire les caractéristiques formelles de l'agir, ce qu'elle identifie avec nos raisons générales de choisir certains moyens plutôt que d'autres, la forme générale de ces moyens et notre façon générale d'essayer de mettre en oeuvre ces moyens.

A propos de l'objet de la praxéologie, ainsi formulé, les contresens sont faciles.

- Premièrement, Von Mises ne dit pas que tout le monde poursuit les mêmes fins et adopte les mêmes moyens. Deux ou plusieurs agents distincts ne poursuivent pas nécessairement une fin similaire. D'autre part, et surtout, lorsque deux ou plusieurs agents distincts poursuivent une fin similaire, ils n'adoptent pas nécessairement les mêmes moyens; cependant, ils procèdent de la même façon pour définir ces moyens, c'est une même forme de raisonnement qui dicte le choix de leurs moyens.

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- Deuxièmement, Von Mises en tant que praxéologue rejette certes toute considération de la nature des mobiles mais il s'attache à définir la nature des moyens envisagés par les sujets. Cependant, c'est la nature générale des moyens qui l'intéresse: le travail, le troc, la monnaie, l'entrepreneuriat, et ainsi de suite. Von Mises ne prend pas en considération le travail concret des agents, par exemple petit comptable de province pour Tartempion, chanteur de rock pour Mick Jagger ou économiste universitaire pour Rothbard.

C'est ce mode universel de l'agir qui constitue l'objet de la praxéologie et que Von Mises appelle « la forme de l'action humaine », tandis que la praxéologie reste indifférente à la nature des mobiles. « Son champ d'observation est l'agir des hommes en soi, indépendamment de toutes les circonstances de l'acte concret, qu'il s'agisse de cadre, de temps ou d'acteur. Son mode de cognition est purement formel et général, sans référence au contenu matériel ni aux aspects particuliers du cas qui se présente. »7

Le raisonnement praxéologique procède a priori et ses conclusions sont vraies a priori

Dire d'une démarche déductive qu'elle est a priori peut signifier deux choses:

- cette démarche consiste en un raisonnement qui est indifférent au donné empirique, i.e. qui ne se préoccupe pas de tester empiriquement les conclusions auxquelles il parvient;

- les conclusions de cette démarche déductive sont effectivement vraies a priori, i.e. vraies indépendamment du donné empirique.

La prémisse de la praxéologie, en tant que démarche déductive, s'énonce comme suit: les hommes agissent. Pareille prémisse est évidente par elle-même, nous dit Von Mises. Nous expliquerons plus

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loin cette évaluation. Ce qui importe, pour l'heure, est que tout ce qui se déduit de cette prémisse certaine est certain également, pourvu que le raisonnement ait été rigoureux. Il n'y a aucune utilité à tester la théorie: celle-ci est vraie a priori, i.e. vraie indépendamment de toute confirmation empirique. La vérité certaine des prémisses et la rigueur du raisonnement constituent une preuve suffisante pour la vérité des conclusions.

Le raisonnement déductif constitutif de la praxéologie est donc a priori dans les deux sens du terme « a priori ». Il procède a priori en ce sens qu'il ne se soucie pas du donné empirique. Il est vrai a priori en ce sens que ses conclusions n'ont pas besoin d'être testées, si on veut s'assurer de leur vérité.

Murray Rothbard a qualifié d' « axiome de l'action humaine » l'énoncé qui sert de fondation à la praxéologie, en ce sens que les théories praxéologiques sont (a) déduites directement de cet énoncé ou bien (b) déduites directement ou indirectement de théories qui sont la déduction directe de cet énoncé.

Au rang des théories déduites directement de cet énoncé, on compte trois propositions :

- le sujet agissant est dans un état de gêne,

- il se représente une situation fictive où il n'éprouve pas cette insatisfaction,

- il pense pouvoir agir en sorte de rendre effectif ce cas de figure où il est satisfait; et donc, il pense que son action aura une conséquence dans le monde. En d'autres termes, l'agent doit croire en l'existence dans le monde du principe de causalité, sinon il n'agit pas.

L'action requiert ces trois conditions: elle y souscrit ou elle n'a pas lieu. Progressivement, en déduisant de ces premières théories d'autres théories, et en déduisant de ces nouvelles théories encore d'autres théories, et ainsi de suite, on arrive au corpus des théories économiques, i.e. concernant les rapports marchands et la production. En vertu du caractère certain de la prémisse et de la rigueur du

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raisonnement déductif constitutif de la praxéologie, les théories économiques sont vraies a priori.

La loi praxéologique est à caractère nécessaire et non tendanciel

Cette vérité a priori est d'autant plus avantageuse que la théorie praxéologique décrit une régularité nécessaire et non pas tendancielle.

Toute loi, i.e. tout énoncé d'une régularité, est de la forme « si A alors B ».

- Une loi nécessaire décrit une régularité universelle, i.e. valant pour chaque unité de la classe d'objets considérés, quelles que soient les circonstances. Une loi nécessaire est de la forme « si A alors nécessairement B ».

- Une loi tendancielle décrit une régularité relative, i.e. valant pour la plupart des unités d'une classe d'objets et dépendant des circonstances. Elle est de la forme « si A alors éventuellement B ».

La loi praxéologique, i.e. décrivant une régularité de l'action humaine, est universelle: elle décrit une régularité proprement uniforme. Cependant, ce caractère universel de la loi n'implique pas que la régularité doive nécessairement se manifester dans la réalité. Toute loi étant de la forme « Si A alors B », il faudra d'abord que A se produise pour que B puisse se manifester. Mais si la loi est tendancielle, alors B ne s'ensuit pas nécessairement de A ; tandis que si la loi est universelle, alors B s'ensuit nécessairement de A. La loi praxéologique est universelle : donc, le conséquent suit nécessairement l'antécédent.

Seule l'expérience nous informe sur l'existence de l'antécédent. Une loi praxéologique nous permet de conclure avec certitude à l'existence du conséquent au cas où l'antécédent est observé; mais elle ne dit rien sur l'existence de l'antécédent. L'expérience est précieuse pour le

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praxéologue en ce sens qu'elle le met au courant des problèmes économiques de son temps et qu'elle lui assigne un programme de recherche. « Toutefois, cette référence à l'expérience n'affaiblit pas le caractère aprioriste de la praxéologie et de l'économie », i.e. son caractère d'indifférence au donné empirique pour tester la véracité des conclusions. « L'expérience oriente simplement notre réflexion vers certains problèmes et la détourne de certains autres. Elle nous dit ce que nous devrions explorer, mais elle ne nous dit pas comment nous devons procéder dans notre recherche de connaissance. »8

L'avantage prédictif de la loi praxéologique

Sur la base d'une loi praxéologique, je puis formuler certaines prédictions relatives à une situation précise; en d'autres termes, je puis prédire que certains événements précis devront nécessairement se produire car ils seront la simple manifestation d'une régularité nécessaire.

Nous avons écrit plus haut que Von Mises insiste sur le caractère non régulier de l'action humaine. Mais ce qui est non régulier concerne l'antécédent des lois praxéologiques : le rapport de cause à effet qu'une loi praxéologique décrit est éminemment régulier, il ne tolère aucune exception. Certes, je ne puis pas prédire que l'antécédent aura lieu; mais ce que je puis prédire avec certitude, si l'expérience m'informe que l'antécédent est/sera bel et bien présent, c'est que le conséquent va avoir lieu.

L'action humaine n'est pas régulière au sens où l'antécédent des lois praxéologiques se manifesterait de façon régulière. Mais elle est régulière au sens où le conséquent des lois praxéologiques doit nécessairement se manifester sous condition que l'antécédent se produise. Le caractère de vérité a priori de la loi praxéologique permet qu'on en tire des déductions absolument certaines; c'est ce qui fait qu'elle soit doublement avantageuse:

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- avantageuse sur un plan théorique, au sens où elle est certaine a priori,

- avantageuse sur un plan pratique, au sens où elle permet une prédiction indubitablement certaine.

En résumé, la méthodologie déductive aprioriste de Von Mises, qu'on peut appeler « méthodologie aprioriste » par abréviation, conçoit l'économie comme une branche de la praxéologie et conçoit la praxéologie comme un raisonnement déductif a priori, i.e. un raisonnement déductif qui (1) se montre indifférent à tout test empirique des conclusions et surtout (2) peut légitimement s'en passer. En effet, la vérité certaine des prémisses et la rigueur du raisonnement suffisent à ce que les conclusions soient vraies. Les lois praxéologiques, et notamment économiques, sont nécessaires et non pas tendancielles. Mais l'action humaine étant irrégulière, l'antécédent des lois praxéologiques n'est pas un donné nécessaire: le conséquent s'ensuit nécessairement de l'antécédent mais l'antécédent ne se manifeste pas nécessairement.

Cet état de fait invaliderait, selon Von Mises, toute entreprise inductive et tout test empirique des théories. D'où l'avantage d'autant plus considérable de la méthodologie aprioriste.

Il reste à établir que pareille méthodologie répond effectivement à ses promesses et qu'on est en droit d'attendre d'elle cet avantage cognitif et pratique qu'elle nous laisse espérer.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld