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Le statut des vérités analytiques dans l'épistémologie praxéologique de Ludwig Von Mises

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par Grégoire CANLORBE
Université Paris 1 - Master 1 LoPhiSC (Logique, Philosophie des sciences et de la connaissance) 2012
  

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II. L'analyticité, mise au service de la justification de la méthodologie aprioriste

Nous pouvons donner un échantillon des lois praxéologiques et économiques que la méthodologie aprioriste tient pour vraies a priori, i.e. indépendamment du donné empirique.

- A chaque fois qu'un échange n'est pas volontaire mais contraint sous la menace physique, cet échange est inégalitaire: l'une des parties profite au détriment de l'autre.

- Le salaire minimum est une interdiction de travailler pour moins d'un certain salaire. Trop élevé, il cause un chômage involontaire de masse.

- Chaque fois que la quantité de monnaie est accrue, alors que la demande de monnaie reste inchangée, son pouvoir d'achat baissera.

- N'importe quelle quantité de monnaie est capable de rendre les mêmes services, de sorte qu'une quantité accrue ne peut pas augmenter le niveau de vie en général.

- La possession collective des moyens de production rend tout à fait impossible la comptabilité des coûts, et conduit par conséquent à une production plus faible au sens des évaluations du consommateur.

- L'imposition du revenu des producteurs accroît leur taux effectif de préférence temporelle, et conduit par conséquent à une moindre production.

Pourquoi ces diverses lois seraient-elles vraies a priori, i.e. indépendamment du donné sensible? La réponse de Von Mises est en

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substance la suivante: ces lois sont incluses dans le concept d'action humaine. Il suffit de le décomposer pour arriver à ces lois.

Von Mises met à son profit la conception kantienne de l'analyticité : les lois praxéologiques sont vraies a priori, i.e. indépendamment du donné empirique, en ce sens qu'elles sont vraies analytiquement, i.e. en vertu de leur signification; et elles sont analytiques en ce sens qu'elles sont tautologiques : elles décomposent le concept d'action humaine.

Von Mises ne se contente pas de promouvoir le traitement kantien du clivage analytique/synthétique. Il pourfend explicitement, et avec insistance, les idées du positivisme logique, en ce qui concerne la double notion d'analyticité et de synthèse. Le paradoxe apparent est qu'au-delà des divergences certaines entre Von Mises et le Cercle de Vienne, foyer du positivisme logique, tous deux ont en partage une similitude surprenante sur certains aspects de leurs pensées. Nous verrons dans quelle mesure cette affinité apporte un éclairage décisif sur l'épistémologie de Von Mises, quoiqu'il ne faille pas exagérer pareille similitude. Nous garderons à l'esprit et soulignerons les points d'achoppement considérables entre Von Mises et le Cercle de Vienne.

Pour rentrer dans le vif du détail, il nous paraît judicieux d'ouvrir cette analyse avec la restitution des thèses du Cercle de Vienne, concernant la dichotomie analytique/synthétique. Nous serons d'autant plus à même de proposer une comparaison précise des deux points de vue épistémologiques.

1. Le positivisme logique face au clivage analytique/synthétique

Au sens faible, l'empirisme englobe très généralement les diverses théories méthodologiques d'après lesquelles l'expérience joue un certain rôle pour connaître la réalité. A cet égard, on peut dire que le « faillibilisme » de Popper est une doctrine empiriste.

Au sens fort, l'empirisme désigne une philosophie de la connaissance qui remonte au moins à Aristote et qui affirme l'origine sensorielle de

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toute connaissance. Cependant, l'empirisme classique, celui de Locke et Hume, reste relatif: il affirme l'existence de propositions qui sont vraies a priori, i.e. indépendamment du donné sensoriel; et ce, en vertu de leur caractère analytique, i.e. vrai en vertu de la signification des termes (et non pas en vertu de leur confirmation par le donné empirique).

Au XIXème siècle, James Stuart Mill tentera de démontrer qu'il n'y a pas de proposition analytique et que les vérités mathématiques et logiques, décrites comme analytiques par l'empirisme classique, constituent une induction obtenue à partir de quelques faits d'expérience simples. Le positivisme, ou empirisme, logique réaffirmera l'existence des propositions analytiques, ce en quoi il constitue finalement un empirisme relatif.

L'analyticité dans la philosophie humienne

L'empirisme classique de Locke et Hume reconnaît, donc, un statut « analytique » aux mathématiques et à la logique formelle; mais la caractérisation de l'analyticité reste floue.

Dans la terminologie humienne, les vérités logiques et mathématiques sont des « relations d'idées » et non pas des « matières de faits ». En d'autres termes, elles exposent les relations qui sont intrinsèques aux idées envisagées, et non point les relations que les objets décrits par ces idées entretiennent dans la réalité. Par exemple, « le soleil chauffe la pierre » est une « matière de fait » : l'expérience atteste que le soleil, en ce moment, chauffe la terre et nous généralisons cet état de fait. Mais il n'y a pas de relation intrinsèque entre l'idée du « soleil » et celle de « chauffer la pierre ». Une proposition mathématique telle que « 2 et 2 font 4 » constitue, à l'opposé, une « relation d'idée » ; il y a entre « deux plus deux » et « 4 » un rapport d'égalité inhérent à ces idées.

Dans les termes de Hume: « Tous les objets sur lesquels s'exerce la raison humaine ou qui sollicitent nos recherches se répartissent naturellement en deux genres: les relations d'idées et les choses de fait. Au

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premier genre appartiennent les propositions de la géométrie, de l'algèbre et de l'arithmétique, et, en un mot, toutes les affirmations qui sont intuitivement ou démonstrativement certaines. Cette proposition : le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés, exprime une relation entre ces éléments géométriques. Cette autre: trois fois cinq égalent la moitié de trente, exprime une relation entre ces nombres. On peut découvrir les propositions de ce genre par la simple activité de la pensée et sans tenir compte de ce qui peut exister dans l'univers. N'y eûtil jamais eu dans la nature de cercle ou de triangle, les propositions démontrées par Euclide n'en garderaient pas moins pour toujours leur certitude et leur évidence.

Les choses de fait, qui constituent la seconde classe d'objets sur lesquels s'exerce la raison humaine, ne donnent point lieu au même genre de certitude ; et quelque évidence que soit pour nous leur vérité, cette évidence n'est pas de même nature que la précédente. Le contraire d'une chose de fait ne laisse point d'être possible, puisqu'il ne peut impliquer contradiction, et qu'il est conçu par l'esprit avec la même facilité et la même distinction que s'il était aussi conforme qu'il se pût à la réalité. Une proposition comme celleci : le soleil ne se lèvera pas demain, n'est pas moins intelligible et n'implique pas d'avantage contradiction que cette autre affirmation : il se lèvera. C'est donc en vain que nous tenterions d'en démontrer la fausseté. Si elle était fausse démonstrativement, elle impliquerait contradiction, et jamais l'esprit ne pourrait la concevoir distinctement. »9

L'empirisme moderne, celui du Cercle de Vienne, allait caractériser avec plus de précision les propositions analytiques.

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L'analyticité pour le Cercle de Vienne

Le Cercle de Vienne, au sein duquel le positivisme logique a pris forme, était un groupe de discussion constitué en 1923 par le philosophe Moritz Schlick et formé principalement de physiciens, logiciens et mathématiciens intéressés par la philosophie. Carnap, philosophe ayant reçu une formation de physicien, et Otto Neurath, sociologue marxiste, étaient avec Schlick les représentants les plus éminents du Cercle. Le Cercle fut dissous en 1938, quand la plupart des membres durent trouver une terre d'exil après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne.

Une thèse forte du positivisme logique est qu'il existe deux classes d'énoncés: les énoncés analytiques et vides de tout contenu factuel/les énoncés synthétiques, lesquels rassemblent des énoncés « doués de sens », i.e. porteurs d'une information, vraie ou fausse, sur les faits de la réalité, ainsi que des énoncés « insensés », i.e. prétendant en vain informer sur les faits de la réalité. Les énoncés analytiques sont vides de tout contenu factuel et ils sont vrais a priori, i.e. indépendamment de leur conformité avec l'expérience sensible; et ce, parce qu'ils sont vrais en vertu de leur signification. Les énoncés synthétiques prétendent informer sur les faits de la réalité et - du moins, quand ils ne sont pas « insensés » - sont vrais ou faux a posteriori, i.e. selon qu'ils sont confirmés ou infirmés par l'expérience sensible.

Les énoncés analytiques se subdivisent eux-mêmes en trois classes: les vérités logiques, les vérités mathématiques et les définitions. Les énoncés logiques tirent de leur dimension tautologique leur caractère de vérité analytique, i.e. exclusivement relative à la signification des termes. Tautologie est à prendre ici au sens wittgensteinien du terme: un énoncé tautologique est un énoncé qui est vrai pour toute distribution des valeurs de vérité. Les énoncés mathématiques et les définitions sont réductibles à la logique, moyennant le remplacement de certaines expressions par des synonymes; et en ce sens, ils héritent du caractère de vérité analytique des énoncés logiques.

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La logique, figurative de « l'échafaudage du monde » : l'héritage wittgensteinien

Sous l'influence de Wittgenstein, les positivistes logiques reconnaissent à la logique la qualité d'être non pas « signifiante », i.e. porteuse d'un contenu factuel, mais « figurative », i.e. isomorphe avec la structure du monde, qui se trouve ainsi exhibée au sein des énoncés logiques, puisque la structure intrinsèque des énoncés logiques est identique avec la structure du monde. La logique n'a pas de contenu factuel; cependant elle n'est pas vaine: elle est « figurative », à défaut d'être « signifiante ». Elle exhibe la forme de notre langage, laquelle se trouve isomorphe avec la forme du monde.

Dans les termes de l'aphorisme 6.124 du Tractatus10 de Wittgenstein: « Les propositions de la logique décrivent l'échafaudage du monde, ou plutôt elles le figurent. Elles ne «traitent» de rien. »

Dans la philosophie du Tractatus, un énoncé synthétique est un énoncé à prétention factuelle, i.e. qui prétend informer sur les faits de la réalité. Pour qu'il puisse être vrai ou faux, il faut qu'il soit sensé (et non pas absurde). Pour qu'il soit sensé, il faut qu'on puisse imaginer un fait qui vérifie l'énoncé, i.e. ait le même contenu que l'énoncé et soit structuré de la même façon que le contenu de l'énoncé. En d'autres termes, il faut qu'on puisse imaginer un état de fait qui aurait lieu si l'énoncé était vrai: il faut que cet énoncé soit un « tableau de fait ». Une telle clause n'est pas respectée dans le cas des énoncés métaphysiques, éthiques et esthétiques. A cet égard, ils sont « insensés ». Ils ont une prétention à dire les faits de la réalité; mais en réalité, ils ne disent aucun fait; ils n'ont pas de contenu factuel à proprement parler.

Les énoncés de la logique sont « vides de sens » mais ils exhibent la forme de notre langage et la forme du monde. Les énoncés éthiques, métaphysiques et esthétiques prétendent avoir du sens mais sans être

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« vides de sens », ils sont « insensés ». Le positivisme logique récupère cette distinction à son profit.

Le Tractatus, mis au service de la thèse fondationnaliste du positivisme

De 1924 à 1926, le Cercle de Vienne consacre ses réunions hebdomadaires à la lecture et à la discussion du Tractatus. C'est à cette occasion que l'influence de Wittgenstein sur les positivistes devient prépondérante, tandis qu'ils opèrent, en retour, un véritable forçage dans l'interprétation de certaines thèses de Wittgenstein.

La condition de vérifiabilité introduite par Wittgenstein pour délimiter le champ des énoncés synthétiques qui soient sensés plutôt qu'absurdes, est à prendre en un sens faible : un énoncé synthétique est sensé pour autant que je puis concevoir un fait qui se produirait sous condition que cet énoncé soit vérace, mais ce fait ne requiert pas d'être constatable. Les positivistes vont donner une acception plus restrictive de cette clause de vérifiabilité : un énoncé synthétique est sensé pour autant qu'il y a un fait qu'il m'est effectivement possible de constater pour confirmer ou infirmer la vérité de cet énoncé. Cette relecture a partie liée avec ce qu'il convient d'appeler le fondationnalisme du Cercle de Vienne, à savoir la conception qu'un énoncé, pour être sensé et vérace, doit être réductible à un certain donné d'observation qui appartient à ce que je puis effectivement constater.

Pour Wittgenstein comme pour le Cercle de Vienne, un énoncé est sensé, i.e. effectivement signifiant, si un fait se produit sous condition de la véracité de cet énoncé. En retour, un énoncé insensé prétend être pourvu de sens mais il n'est pas effectivement porteur de sens; et ce, dans la mesure où il n'y a rien qui se produit sous condition de la véracité de cet énoncé. Le Cercle de Vienne précise davantage: un énoncé est sensé, i.e. effectivement porteur de sens, si un fait se produit sous condition de la véracité de cet énoncé et que ce fait est en mesure d'être confirmé ou infirmé par l'observation. Par conséquent, un énoncé

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est à la fois sensé et vérace si un fait se produit sous condition de la véracité de cet énoncé et que ce fait est en mesure d'être observé. Un énoncé insensé se reconnaît à ce qu'on ne peut le confirmer ni l'infirmer au moyen d'une observation. Cela vaut pour la métaphysique, entre autres choses.

Dès lors, la connaissance factuelle requiert nécessairement un fondement empirique, soit qu'elle décrive directement l'expérience soit qu'elle se trouve induite sur la base de l'expérience. Le positivisme logique introduit le concept d'énoncés protocolaires pour désigner une classe d'énoncés synthétiques décrivant l'expérience directe et privée de chaque sujet. Les théories universelles de la science, autant la physique que la sociologie et l'économie, constituent des énoncés synthétiques inférés sur la base des énoncés synthétiques protocolaires: elles résultent d'une démarche d'induction, i.e. qui infère le général du particulier.

« Les deux dogmes »

Dès La Construction logique du monde11 de Carnap, parue en 1928, soit un an avant le Manifeste du Cercle de Vienne12, qui reprendra essentiellement les positions de Carnap, les thèses fortes de l'empirisme logique sont explicitées. Dans cet ouvrage, Carnap s'efforce d'élaborer un système hiérarchique des concepts scientifiques; et ce, en vue de démontrer d'une part, l'unité de la science et la réductibilité des sciences sociales à la physique, d'autre part, la base empirique sur laquelle est inféré tout concept scientifique. Un objectif corollaire est de démontrer le caractère insensé de la métaphysique, puisque celle-ci est non réductible au donné sensoriel.

Dès cet ouvrage, puis le Manifeste un an plus tard, on cerne « les deux dogmes de l'empirisme moderne », fustigés par Quine. De ces deux dogmes, le premier est celui qu'il existe une classe d'énoncés vrais en vertu de leur signification: à savoir, les énoncés analytiques. Rappelons

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qu'il s'agit plus précisément des énoncés de la logique formelle; et ce, en vertu de leur caractère tautologique, tautologie étant à prendre au sens d'un énoncé vrai pour toute distribution des valeurs de vérité. Les énoncés mathématiques, ainsi que les définitions, sont réductibles à la logique, moyennant le remplacement de certaines expressions par des synonymes.

Le second dogme est qu'un énoncé synthétique, i.e. non analytique, est pourvu de sens, et non point insensé, dans la mesure où il existe au moins un donné d'observation qui permet de confirmer ou d'infirmer cet énoncé. Les théories universelles de la science sont réductibles à une classe d'énoncés dits protocolaires, qui décrivent l'expérience privée de chaque sujet, et en ce sens constituent le support pour l'induction dont est issu le corpus des théories universelles.

Ces deux thèses pivot du Cercle de Vienne pouvaient difficilement s'accorder avec les positions de Von Mises relatives aux mêmes objets: l'analyticité, l'induction et le caractère sensé/insensé d'un énoncé.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry