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Le statut des vérités analytiques dans l'épistémologie praxéologique de Ludwig Von Mises

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par Grégoire CANLORBE
Université Paris 1 - Master 1 LoPhiSC (Logique, Philosophie des sciences et de la connaissance) 2012
  

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2. L'analyticité mise au service de l'épistémologie aprioriste

Jusque là, nous avons appelé a priori les énoncés qui sont vrais indépendamment du donné empirique. Pour apprécier à sa juste mesure l'épistémologie de Von Mises, et plus précisément sa conception du fondement de la science praxéologique, nous devons introduire un nouveau sens du terme a priori. Nous continuerons à parler d'un caractère de vérité a priori, pour les énoncés qui sont vrais indépendamment du donné empirique ; mais nous évoquerons désormais ce qu'il convient d'appeler le caractère indubitable a priori de ces mêmes énoncés.

1. Cette distinction conceptuelle est implicite dans le texte de Von Mises, qui use indifféremment du qualificatif d'a priori. Elle n'en demeure pas moins cruciale. La théorie praxéologique est vraie a priori

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et indubitable a priori. Qu'elle soit indubitable a priori signifie trois choses, à savoir:

(1) qu'elle ne peut pas être inférée sur la base du donné empirique et qu'elle a donc une origine non empirique;

(2) qu'elle ne peut pas être réfutée par l'expérience;

et (3) qu'il est de toute façon impossible de concevoir qu'elle puisse être fausse. L'opposé d'une théorie praxéologique, en ce sens qu'elle est indubitable a priori, implique nécessairement contradiction : on ne peut nier cette théorie sans se contredire.

2. Une théorie praxéologique peut recouvrir soit la conclusion d'un raisonnement praxéologique, soit ce raisonnement pris en son ensemble, selon le point de vue d'où on se situe. Nous emploierons le terme de théorie praxéologique pour désigner le raisonnement pris en son entier, i.e. le procès déductif par lequel les conclusions sont censées s'ensuivre des prémisses en toute cohérence.

Prenons l'exemple, déjà évoqué, de ce raisonnement praxéologique : « La possession collective des moyens de production rend tout à fait impossible la comptabilité des coûts, et conduit par conséquent à une production plus faible au sens des évaluations du consommateur. »

En parlant de théorie praxéologique à propos de ce raisonnement, nous n'avons pas seulement les conclusions en vue: nous parlons du raisonnement pris en son entier. Que celui-ci soit vrai a priori et indubitable a priori revient à dire que ce qui est vrai a priori et indubitable a priori, c'est le chemin qui mène des prémisses aux conclusions.

Ces précisions apportées, nous pouvons sereinement rentrer dans le vif de l'épistémologie de Von Mises. Le concept fondamental de cette épistémologie est celui des « catégories a priori de l'action », a priori étant à prendre ici au sens d'indubitable a priori. Le concept d'action humaine englobe la totalité de ces catégories, et la tâche du praxéologue

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est de décomposer le concept d'action humaine pour mettre au jour progressivement ces « catégories de l'action ». A cet égard, le raisonnement constitutif de la praxéologie est éminemment analytique, pourvu qu'on se réfère à l'acception kantienne de l'analyticité et qu'on propose une certaine réinterprétation de l'acception kantienne.

Cependant, on ne peut apprécier la portée de cette revalorisation et de cette réinterprétation proprement misésiennes de l'analycité au sens kantien, sans développer sa thèse psychologique de l'existence d'un « jeu d'outils a priori » de la pensée: thèse elle-même influencée par Kant.

A. La thèse psychologique de Von Mises : le « jeu d'outils a priori » de la pensée

Von Mises reprend à Kant le vocable de « catégories a priori » et l'idée qu'il existe des concepts que la pensée produit spontanément, sans qu'elle ne puisse les inférer ni les mettre en cause sur la base de l'expérience: ce que tous deux, Kant comme Von Mises, appellent « catégories a priori ».

Leurs divergences sont cependant bien plus fortes que ce point de similitude. La thèse de Von Mises a son originalité propre et elle ne saurait être considérée comme une simple resucée de la philosophie kantienne.

- Kant réduit les catégories a priori aux concepts métaphysiques, qui ont pour utilité, selon lui, de constituer le cadre formel de la perception du donné sensible. Von Mises partage avec Kant cette conception que les concepts métaphysiques sont des catégories a priori et qu'ils confèrent au donné empirique son cadre formel. Mais il ne résume pas les catégories a priori aux concepts métaphysiques.

Dans l'épistémologie de Von Mises, celles-ci englobent également les propositions de la logique et les raisonnements généraux que nous

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mettons en oeuvre dans notre conduite pour statuer sur les moyens les mieux appropriés en vue de nos mobiles divers.

- D'autre part, Von Mises reconnaît aux concepts métaphysiques un contenu factuel, i.e. relatif aux faits de la réalité. Ils ne sont pas seulement un cadre formel pour le contenu de l'expérience: ils dispensent une certaine information, plus ou moins approximative, sur le réel.

- La raison en est que comme toute catégorie a priori, les concepts métaphysiques ont fait l'objet d'une « sélection darwinienne » qui a favorisé les groupes sociaux dont la pensée était conditionnée par les concepts métaphysiques qui sont les nôtres.

Le mieux est de laisser Von Mises expliciter avec ses propres termes cet aspect très important de sa pensée: puisque les concepts métaphysiques « ont permis à l'homme de développer les théories dont l'application pratique l'a aidé dans ses efforts pour s'en sortir dans la lutte pour la survie et pour atteindre les différentes fins poursuivies, ces catégories fournissent certaines informations sur la réalité de l'univers. Elles ne sont pas simplement des hypothèses arbitraires sans aucune valeur informative, de simples conventions qui pourraient indifféremment être remplacées par d'autres. Elles sont l'outil mental nécessaire pour assembler les données issues de nos sens d'une manière systématique, les transformer en faits d'expérience, puis transformer ces faits en briques pour la construction de théories, et finalement ces théories en techniques pour atteindre les fins poursuivies. »14

Qu'estce qu'une catégorie de l'action?

Penchons-nous de plus près sur ce que Von Mises entend par ces catégories a priori de la pensée: celles-ci, en réalité, peuvent être décrites, selon le point de vue d'où on se situe, aussi bien comme des

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catégories de la pensée que comme des catégories de l'action: l'action n'est que la mise en oeuvre de la pensée et la pensée est toujours orientée en vue de l'action.

Une catégorie de l'action consiste en une forme générale de raisonnement de la part du sujet. Une fois de plus, selon le point de vue d'où on situe, une catégorie peut s'entendre indifféremment comme une pensée (un raisonnement) de l'agent ou comme un concept qui désigne cette pensée. Par exemple, le concept de causalité exprime une certaine forme de pensée de l'agent, d'après laquelle son action va avoir des effets dans le monde. Le concept de l'utilité marginale décroissante exprime lui aussi une forme de raisonnement, à savoir une évaluation par le sujet d'un bien de consommation sur la base du stock disponible de ce bien.

Une catégorie de l'action est à chaque fois une forme de raisonnement: ce qui signifie qu'elle recouvre les caractéristiques générales d'un même raisonnement qui peut prendre par ailleurs des modalités diverses, en ce sens qu'il s'applique dans des situations diverses, pour des acteurs divers et en vue de satisfaire des fins diverses.

Les catégories de l'agir se divisent en deux groupes

Une catégorie de l'action s'applique avec des modalités différentes:

- selon que sa mise en oeuvre par l'agent s'ensuit nécessairement de sa nature d'être agissant;

- selon que sa mise en oeuvre est nécessaire par hypothèse: s'ensuit nécessairement de certaines conditions préalables, dont l'existence n'est pas garantie de façon absolue. Il n'est pas nécessaire de prendre en considération ces données, sauf si cela révèle un problème pratique vers la résolution duquel il est judicieux d'orienter la recherche théorique. Ces conditions peuvent être la nature des mobiles divers et variés des agents; mais également le cadre de leurs actions, i.e. temps,

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lieu, ressources disponibles, système économique, entre autres exemples.

A la première classe de catégories correspondent les théories praxéologiques dont l'antécédent est absolument garanti, parce qu'il s'agit du fait même d'agir; à la seconde classe de catégories correspondent les théories praxéologiques dont l'antécédent n'est pas garanti de façon absolue, parce que cet antécédent décrit une certaine modalité contingente et non nécessaire de l'action humaine.

Par exemple, prenons cet énoncé : « deux individus prennent part à un échange direct parce que chaque partie a préalablement reconnu qu'elle accorde une préférence moindre à ce qu'elle cède par rapport à ce qu'elle obtient en retour. » On peut appeler cet énoncé loi de la double inégalité des valeurs. L'antécédent, à savoir que chaque partie accorde à ce qu'elle possède moins de valeur qu'à ce que l'autre partie possède, n'est pas nécessaire mais contingent; en revanche, le conséquent s'ensuit nécessairement de cet antécédent, pourvu qu'il n'y ait pas d'obstacle physique ou législatif à l'échange.

L'action humaine est la catégorie ultime, en ce sens qu'elle englobe toutes les autres catégories

Il y a un raisonnement d'une part omniprésent d'autre sous-jacent à tout autre raisonnement: c'est celui qui consiste à statuer sur les moyens en vue d'une fin. Ce raisonnement est préalable à tout autre raisonnement: il se prolonge à travers lui.

La catégorie, i.e. le concept, qui lui correspond est la « catégorie de l'agir humain », laquelle englobe toutes les autres catégories. Par conséquent, nous dit Von Mises, le concept d'action humaine englobe lui même toutes les catégories de l'action humaine. Nous pouvons, par la décomposition du concept d'action humaine, mettre au jour toutes ces catégories.

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Les catégories sont a priori au sens d'indubitables psychologiquement

Les catégories de l'agir, outre qu'elles ont en partage cette hiérarchie, sont a priori au sens d'indubitables psychologiquement: il nous est impossible pour des raisons psychologiques de penser sans ces catégories et de concevoir qu'elles soient fausses ou inappropriées.

Nous sommes conditionnés psychologiquement à disposer de ces catégories. Non seulement nous les présupposons à chaque fois que nous agissons mais nous ne pouvons tout simplement pas concevoir une autre forme de raisonnement que ces catégories.

Von Mises précise en ces termes la nature de cet a priori: « Si on qualifie un concept ou une proposition d'a priori, on veut dire : tout d'abord, que la négation de ce qu'il affirme est impensable pour l'esprit humain et lui apparaît comme absurde; deuxièmement, que ce concept ou cette proposition a priori est nécessairement implicite dans notre approche mentale de tous les problèmes concernés, c'estàdire dans notre façon de penser et d'agir en ce qui concerne ces problèmes. »15

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand