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Quelle place pour la poésie dans l'édition de littérature pour la jeunesse en France (1992 - 2012) ?

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par Agnès Girard
Université du Maine - Master 1 Littérature Jeunesse 2013
  

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B - Spécificité et enjeux de la production poétique en France

Dans un colloque de 1993, Jean Perrot (universitaire spécialiste de la littérature de jeunesse), nourrissant le débat visant à définir la littérature pour la jeunesse, en faisait une approche stricto sensu : « La seule définition réaliste d'un livre d'enfant, aussi absurde que cela semble, est la suivante : c'est un livre qui apparaît dans le catalogue d'un éditeur pour la jeunesse. ». Cette définition nous conduit à nous interroger sur les ouvrages que les éditeurs de jeunesse ont publiés ces vingt dernières années dans la catégorie « poésie ». Nous effectuerons un premier zoom sur les supports choisis, les formes poétiques dominantes publiées et les enjeux de ces choix.

1SIMEON Jean-Pierre, La Vitamine P. La poésie, pourquoi, pour qui, comment ? Rue du Monde, Paris, 2012, p.8.

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1 - Les anthologies

Longtemps, les manuels scolaires ont proposé à la lecture des enfants des auteurs inscrits au panthéon de la poésie : Pierre de Ronsard, Victor Hugo, Jean de La Fontaine et tant d'autres encore appartiennent à cette culture commune que l'école a perpétuée. Tous les enfants scolarisés ont pu, à un moment de leur vie scolaire, se familiariser avec les « classiques », c'est-à-dire des textes reconnus, voire sacralisés, souvent édifiants, déclarés appropriés à l'étude en classe. En ce sens, l'école remplit sa mission de donner à tous les enfants une culture commune. Cette dernière se construit par l'étude des grands textes littéraires, des auteurs, des styles, des courants, et celle des ruptures littéraires constatées. Baudelaire, Verlaine, Prévert, Charpentreau, Desnos, Queneau sont à présent devenus des classiques d'une poésie destinée à la jeunesse, découverte à l'école et étudiée dans le but de faire découvrir et apprécier la poésie aux enfants, de l'étudier dans sa forme et sa fonction. A l'école primaire, dans les manuels scolaires, les poèmes choisis se présentent souvent comme une « récréation » poétique et marquent la fin d'une période d'apprentissage découpée en semaines de cours. Ils peuvent aussi servir d'illustration, au même titre qu'une gravure, un dessin, une photographie, ornementant un thème, une période, un courant. Ils deviennent alors un « plus », une récompense, un « supplément d'âme » non nécessaire. Dans un livre de lecture de CP1, par exemple, on trouve en pleine page un extrait de « Soyez polis » de Prévert. Quelquefois, écrite par des pédagogues, à des fins d'accompagnement des programmes, le texte poétique prend des fonctions didactiques et s'éloigne de toute poésie. Dans la méthode citée plus haut on peut trouver cette poésie : « Relire sa lecture, / c'est vraiment pas dur. / Redire tous les mots, / c'est très rigolo. / Lis et relis encore. / Les mots , ça se dévore ! »2 C'est souvent dans ces manuels que l'on retrouve cette poésie « gnangnan » qui n'a d'autre fonction que de divertir, de ménager une pause au cours des processus d'apprentissage. Dans les manuels scolaires, ces poésies « faciles » instrumentalisent la poésie à des fins pédagogiques, soit pour servir l'apprentissage de la lecture (on fait rimer des sons pour imprégner l'oreille de l'enfant au moment de la découverte de ce son), soit pour travailler sur la forme poétique rapidement, par exemple en expliquant le principe de la métaphore à un enfant. Le danger est grand de passer à côté de la vraie poésie, certes, et les habitudes prises, « qu'il faudra avec difficulté corriger ensuite »3, n'amèneront sans doute pas à une ouverture à la poésie . De fait,

1CROCOLIVRE, Lecture CP-CE1, sous la direction de Jean-Emile Gombert, Paris, Nathan, 2001, p.71. 2CROCOLIVRE, Lecture CP, livret 1, sous la direction de Jean-Emile Gombert, Paris, Nathan, 2001, p.25. 3MAULPOIX Jean-Michel, Echange de mails du 9 janvier 2013, avec son aimable autorisation.

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les manuels scolaires ne font pas appel à des écrivains pour rédiger leurs textes, mais à des pédagogues, qui ne sont ni poètes ni spécialistes de la poésie. Si l"ambition de la poésie à l'école existe bel et bien, elle ne trouve pas sa place, paradoxalement, dans les manuels scolaires. On le sait, l'enfant ne retourne pas par plaisir dans les manuels scolaires afin d'occuper son temps libre. Un autre support est alors à sa portée pour combler sa curiosité en matière de poésie : l'anthologie.

Les anthologies présentent d'autres intérêts mais poursuivent elles aussi l'objectif d'établir une culture commune. En proposant un groupement de textes poétiques, l'anthologie s'inscrit, bien plus que d'autres genres « jeunesse », dans le devoir de pérenniser une mémoire culturelle. Les classiques sont publiés, réédités, compilés et se retrouvent encore utilisés dans des anthologies, plus ou moins modernisées, réactualisées en fonction de critères de mode, de sujets sociétaux, à l'occasion du décès d'un poète ou d'une exposition sur son oeuvre. Les thèmes des anthologies sont divers. Les plus intéressantes du point de vue d'un amateur de poésie sont celles qui rassemblent les textes d'un poète unique, sans forcément tenir compte des publications de son vivant, assemblage défiant la chronologie, mais permettant, somme toute, de communiquer une vision de son univers à travers différents textes. Les préfaces de ces anthologies explicitent souvent les choix fait et justifient le thème retenu. C'est cependant toujours la fonction de « transmetteur » que revendiquent ces « passeurs » d'un patrimoine, : « leur objectif est de faire découvrir des textes de tous temps et de tous horizons, et de transmettre, par la poésie, des instants de questionnement, de surprise et, surtout, de plaisir. »1, « Tous les grands noms qui se sont imposés [...] pour devenir des « classiques », [...] sont ici présents. »2 La plupart de ces anthologies mettent en valeur des auteurs de renom, des thèmes conventionnels comme la nature, les animaux, le temps, les sentiments ou l'enfance, comme : Mon premier Baudelaire3 chez Milan, Les grands moments de la vie4 chez Gautier Languereau ou Fées, fantômes, farfadets en poésie chez Gallimard5. Quelques anthologies s'éloignent de ces aspects « classiques » et une évolution est notable dans le choix des thèmes, la forme des anthologies, les supports qui eux-mêmes évoluent. En 2003, une anthologie

1Si je donne ma langue au chat est-ce qu'il me la rendra ? Anthologies de poèmes choisis par Célia GALICE et Emmanuelle LEROYER, Ill.ORELI, Bayard jeunesse, Coll. Demande aux poèmes, 2010, p.2.

2PIQUEMAL Michel, préface de Mes premiers poètes, Milan Poche junior, coll.poésies, 2007 p.7. 3Mon premier Baudelaire, textes choisis par Michel Piquemal, Paris, Milan, coll.Milan Poche Poésies, 2002. 4OFFREDO Eva, Les grands moments de la vie, Ill. Eva Offredo, Paris, Gautier-Languereau, 2001. 5Fées, fantômes, farfadets en poésie, présenté par Féret-Fleury Christine, Paris, Gallimard jeunesse, 2000.

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différente voit le jour. Georges Jean1 propose son Nouveau Trésor de la poésie pour enfants2 qui regroupe des poèmes d'auteurs contemporains. Cette revendication de renouveau, justifiée dans la préface, affirme la nécessité d'une poésie destinée à la jeunesse et fait entrer une poésie contemporaine dans les écoles. Munie d'une postface destinée aux enseignants, cet ouvrage, en corrélation avec les nouveaux programmes de l'école primaire de 2002, se veut délibérément novateur. « Les poèmes réunis dans cette anthologie ont été écrits à l'usage des enfants par des poètes contemporains. »3. Dans les choix thématiques opérés, quelques initiatives sont aussi à souligner. S'il subsiste les sempiternels chapitres sur les animaux et la nature, deux chapitres, cependant, s'intitulent : « Découverte du pouvoir des mots » et « Découverte des autres ». Nous y retrouvons la volonté de proposer aux enfants une autre poésie que celle traditionnellement limitée aux thèmes classiques et neutres, mais l'aspect matériel du livre (225 pages, un péritexte de 12 pages) semble le destiner davantage aux adultes qu'aux enfants, même si les illustrations sont des dessins d'enfants (non signés).

Treize ans auparavant, avait été édité Demain dès l'aube,4, ouvrage intéressant en raison de sa démarche novatrice : Jacques Charpentreau, initiateur de ce projet, avait demandé alors à des poètes contemporains de sélectionner les plus beaux poèmes destinés à la jeunesse. La question d'une poésie « pour » la jeunesse faisait déjà débat, se manifestant par le refus d'inclure dans la liste des poèmes proposés une poésie « ...d'une mièvrerie, d'un infantilisme... » que souvent la poésie « Pour (sic) les enfants » proposait. A l'exception de Robert Desnos à qui, seul, on reconnaît « la plus belle réussite dans un genre difficile entre tous »5, point d'auteur pour la jeunesse dans la sélection établie. Seuls cinquante-six poètes sur cent soixante-huit proposés sont vivants (soit 33,33%). Le choix reste donc très classique, voire traditionnel : parmi les cinquante premiers poètes retenus, quarante-quatre sont de la tradition (soit 88%), six poètes sont vivants (soit 12%). Les dix premiers poètes les plus cités sont, par ordre de préférence, Victor Hugo, Guillaume Apollinaire, Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Jacques Prévert, François Villon, Pierre Ronsard, Jean de La Fontaine, Paul Eluard. Le premier poète vivant (Norge) arrive en vingtième position. Il semble que les choix effectués par les poètes contemporains l'ont été dans une visée de

1JEAN Georges (1920 - 2011), professeur de linguistique et de sémiologie à l'université du Maine, a publié de

nombreux recueils de poèmes, essais sur la théorie poétique, la pédagogie et des anthologies poétiques.

2JEAN Georges, Nouveau trésor de la poésie pour enfants, Le cherche midi, Paris, 2003.

3op.cit. p.7.

4CHARPENTREAU Jacques, Demain dès l'aube, les cent plus beaux poèmes pour la jeunesse, choisis par les

poètes d'aujourd'hui, Ill. CHARRIER Michel, Le Livre de Poche jeunesse, Paris, 1990, 2002.

5Ibid. p. 273.

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transmission. La revendication fréquente de « classique » revient souvent pour expliquer leur choix, « classique » dans le sens où « ce sont bien des poèmes à faire vivre dans les classes que les contemporains ont sélectionnés.»1. Pourquoi les instances scolaires et même les auteurs contemporains choisissent-ils des textes patrimoniaux ou classiques pour les enfants ? Quelles sont les particularités de ces textes et quel intérêt présentent-ils pour l'enfant ? Il convient dès lors de définir le patrimoine littéraire et les oeuvres classiques et d'en dégager les particularités. Selon le Robert, dictionnaire historique de la langue française, le patrimoine se définit par « les biens matériels et intellectuels hérités par une communauté. ». Les oeuvres du patrimoine écrit sont celles qui transmettent, au cours des siècles, les récits, les contes, les fables, les mythes qui fondent une culture. Ces récits sont des tentatives de réponse aux grandes questions qui préoccupent l'espèce humaine et sont communes à diverses civilisations. Ces dernières se structurant au fil du temps, les oeuvres du patrimoine, propres à chacune, se diversifient. Il faudra encore nuancer la masse de ces oeuvres entre textes fondateurs, et patrimoine français ou patrimoine régional, ou patrimoine générique (littérature de jeunesse). Les oeuvres « classiques », toujours selon Le Robert, sont celles des « écrivains qui font autorité, considérés comme des modèles à imiter (1611) et par conséquent dignes d'être étudiés en classe (1880).Par extension, au XIXe siècle, qualifiant avec une nuance péjorative ce qui ne s 'écarte pas des règles établies ». Socle commun, représentations partagées au travers de références communes, ces oeuvres rendent compte des aspirations, des valeurs de la société dans laquelle l'élève est appelé à s'insérer. L'ensemble de ces oeuvres patrimoniales et classiques constitue en quelque sorte une histoire du patrimoine culturel, dans ses continuités et ses ruptures. Elles ont pour fonction de nourrir et de continuer d'inspirer les créateurs contemporains. Elles doivent être dès lors connues de tous les enfants qui ne peuvent s'approprier un texte contemporain sans avoir connaissance des oeuvres du passé qui le font vibrer et résonner. Ces textes donnent une mémoire commune qui permet aux enfants de lire le monde, et les aide à construire des familiarités et des connivences dans leur culture littéraire, grâce à un aller-retour entre passé et présent.

Dans les démarches éditoriales d'anthologies actuelles, réside encore un peu ce classicisme répétitif : les éditions Milan, Gallimard ou Flammarion possèdent toutes une collection de poésie qui reprend les noms des grands poètes, classés par tranche d'âge du lectorat. C'est surtout dans la forme des supports que le renouveau se fait sentir, et dans le choix des thèmes.

1Ibid. p. 271.

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Certains éditeurs tentent une ouverture intéressante vers la poésie étrangère ou vers une forme de poésie spécifique que peu de lecteurs liraient si elle n'était proposée sous forme d'anthologie. C'est le cas, par exemple de La poésie arabe, Petite anthologie1, ou Mon livre de haïkus2. Les thématiques envisagées peuvent aussi révéler une poésie engagée telle La cour couleur, Anthologie de poèmes contre le racisme3. L'anthologie, dans son sens originel (du grec : anthos « fleur » et légô « choisir »), est souvent l'occasion pour le lecteur de choisir un texte dans une collection. Il devient alors seul maître de ses choix. L'anthologie se trouve alors renouvelée par ses thèmes nouveaux et contemporains et s'y côtoient des poètes d'univers et d'époques différents. Cette forme a l'avantage de proposer un éventail varié, si elle réussit à éviter la répétition de thèmes rebattus, ou la continuelle sollicitation de poètes classiques. Elle peut devenir un outil formidable pour le lecteur de poésie en devenir qui la feuillette au gré de ses envies et part à la rencontre d'univers insoupçonnés. Ancrée dans son rôle didactique, elle s'adresse aux enfants eux-mêmes et moins aux adultes prescripteurs : cette forme de publication développe des informations sur la vie de l'auteur, sur son oeuvre, placées au début ou à la fin de l'ouvrage. Ces indications sont réellement destinées aux enfants. Les textes sont adaptés à leur niveau de compréhension et les biographies simplifiées. La plupart de ces anthologies donnent aussi des renseignements sur la provenance du poème (Pierre Albert-Birot, Deux cent dix gouttes de poésie (CXXVII) in Poésies 1945-19674) ou des références sur les oeuvres principales dans les biographies. Toutes ces informations paratextuelles constituent aussi une invitation à lire d'autres textes de l'auteur, à entreprendre un parcours autonome de lecteur de poésie. L'anthologie, indéniablement didactique, est en passe de devenir le moyen idéal de mettre les poètes à la portée des enfants. L'enjeu est de taille : rendre la poésie accessible à un lectorat spécifique ; l'entreprise est d'envergure, et semble en bonne voie de réussite.

La publication la plus importante en terme de volumes semble être celle des anthologies de comptines.

1MARDAN-REY Farouk, La poésie arabe, petite anthologie, Ill. KORAICHI Rachid ; AKKAR Abdallah, Mango, Dada, 1999.

2MALINEAU Jean-Hugues, Mon livre de haïkus, Ill. COAT Janik, Albin Michel Jeunesse, Paris, 2012.

3HENRY Jean-Marie, La cour couleur, Anthologie de poèmes contre le racisme, Ill. ZAU, Rue Du Monde, Paris, 1998.

4COLLECTIFC, Les enfants en poésie, Paris, Gallimard jeunesse, 2012, p.89.

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