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Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe

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par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI
Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012
  

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§3. Appartenance politique et juridique comme sentiment de la durée au sein des poèmes

L'importance du bétail bovin dans l'échelle des valeurs sociales de la civilisation tutsie peut être évaluée à partir de ce que A. Kagame nomme droit coutumier rwandais consigné dans l'ainsi nommé « Code des institutions politiques du Rwanda précolonial » (Inst. Roy. Col. Belge, Sect. Des Sc. Morales et polit., Coll. In 80, tome XXVI, 1, 1952). Les Tutsi n'ont pas de pensée sous forme géométrique telle que nous le rencontrons dans l'ainsi nommé « Code des institutions politiques du Ruanda précolonial »(568(*)). Cette codification vient très mal à propos comme formule d'exposition d'un droit coutumier parce qu'elle en dénature le caractère en le faisant apparaître sous une forme de pensée géométrique c'est-à-dire synthétique, tenu pour ordre juste et nécessaire, une fois pensée arrivée à la pleine possession d'elle-même qu'elle n'a pas(569(*)) comme chez les Bantu et Aristote.

A l'impossibilité de séparer l'homme « cet animal politique » de la vie de la société, Aristote ajoute l'influence du climat sur la psychologie sociale. Si Platon n'avait pas reconnu à la famille le rôle social élémentaire (y voyant un élément destructeur de la solidarité parfaite), Aristote, au contraire, la tient pour base de l'organisme social qu'il assimile à un véritable corps vivant.

Opposé à l'élaboration d'une constitution immuable, idéale, telle que la concevait Platon, Aristote affirme que les sociétés se diffèrent et doivent se transformer suivant le temps et le milieu et que la même constitution ne saurait convenir à tous les peuples. De même a-t-il parfaitement réalisé l'idée de la « complémentarité » des éléments hétérogènes des parties constituant la société qui implique, inévitablement, « une division du travail coordonné par le gouvernement et fonctionnant grâce à une hiérarchie ». Cette hiérarchie conditionne naturellement les rapports de subordination et d'autorité. La philosophie aristotélicienne rejoint, d'une manière frappante, le freudisme moderne du côté de Mutuza dans son entendement du moi idéal et le concept de la conscience collective de Gudijiga.

D'après Aristote, l'homme ne s'explique pas seul. Cet animal social est désemparé et en danger de mort s'il se trouve isolé. Il confie donc son moi à une « assemblée » qui doit être le reflet de sa propre image consciente, mais agrandie, perfectionnée. Cette assemblée peut être complètement soumise à un chef omnipotent reconnu qui enveloppe toutes les consciences individuelles en les assimilant au grand « Etre social » qui vit lui-même. Mais si, selon les usages démocratiques grecs, une multitude d'hommes délibèrent ensemble sur les affaires de leurs cités, la résultante de leurs décisions les fait agir comme s'ils étaient le corps d'une même conscience, d'une même raison. Et cela se traduit soit en chansons ou en récitations poétiques, soit en proverbes et dictons. Cela a valeur communicationnelle.

Les poèmes dynastiques expriment la conscience collective. Le sentiment de la durée est aussi intimement lié au facteur de retentissement ou « séjonctivité » qui forme l'une des composantes fondamentales des caractères.

La conscience collective d'une société peut être qualifiée comme possédant un caractère propre, celui d'une « mentalité collective » qui serait la résultante de l'interaction de tous les tempéraments individuels qui collaborent à la vie du groupement. Entre Hutu et Hima-Tutsi, il existe un retentissement primaire ou secondaire des événements historiques qui conditionnent la trame qui encadre cette collectivité. Ces événements historiques, selon leur importance, selon les répercussions affectives qu'ils déterminent au sein des populations, seront enregistrés avec des sentiments de durée extrêmement variables.

Ainsi une tragédie sensationnelle imprégnera longtemps les structures sociales et les sentiments populaires qui la renouvelleront indéfiniment dans la littérature et les cérémonies commémoratives ou les reconstitutions théâtrales à travers les générations. Les problèmes que connaît ces populations sont plus d'origine sociale et politique qu'ethnique, les Banyarwanda (« gens du Rwanda »), dominés par la même culture, vivant en complémentarité économique et sociale depuis des siècles, vivent, en ce qui concerne la communication, dans une asymétrie fondamentale. Cette asymétrie consiste en ce que les Tutsi arrivent facilement aux désaccords des contrats qu'ils concluent à cause des conflits pour la survie. Chaque Tutsi cherche à plaire au Roi et ne considère sa subsistance qu'à la seule condition de la destruction et disparition d'autres.

Une donnée sociologique constitue le fin fond de cette situation, dit C. M. Overdulve : « Akari mu nda y'ingoma Kamenywa n'umwiru na nyirayo », littéralement : ce qui est dans le ventre du tambour est connu du ritualiste et de son propriétaire, c'est-à-dire nul ne connaît le secret d'une personne si ce n'est elle-même et son confident(570(*)). La société ruandaise traditionnelle était extrêmement complexe. Mais le droit coutumier, tel que. A. Kagame nous le présente sous une forme moderne et géométrique ne coïncide pas avec la réalité. Dans cette codification l'auteur se représente la société comme un certain nombre de colonnes (au moins trois, à savoir une colonne politico-administrative, une colonne militaire et une colonne sociale), qui sont traversées par des couches hiérarchiques. A la base se trouve le peuple.

Cette présentation de la société n'est pas correcte. L'auteur des poèmes dynastiques oublie qu'entre le peuple et le Roi il n'y a pas d'intermédiaire, selon la poésie dynastique. Mais dans le droit coutumier qu'il codifie, il nous montre comme si dans chaque colonne il y avait progression ascendante de fonctionnaires, de sous-chefs et de chefs.

Au sommet se trouvant le Roi et sa cour. Chaque Ruandais trouvait sa propre place dans chacune des colonnes, différente dans chaque colonne. Dans chaque colonne, il y avait toujours un ou deux chefs au-dessus de lui, de sorte qu'il devait tenir compte d'au moins trois chefs. Afin de se maintenir et de survivre, il devait rester en bon terme avec chacun de ses chefs.

Cette vision de A. Kagame est fausse. La première raison est que dans les poèmes dynastiques le Roi est seul au-dessus de tout le peuple. La deuxième confirme la première en montrant que tout est au Roi et le peuple se doit au Roi et à lui seul. Et l'importance du bétail bovin dans l'échelle des valeurs sociales de la civilisation ruandaise peut être évaluée à partir des données du droit coutumier ruandais consignées en premier lieu dans l'ainsi nommé « Code des Institutions politiques du Ruanda Précolonial ».

Les matières du Code sont classées en trois rubriques que nous appelions colonnes. Ce que C. M. Overdulve considère comme hiérarchie n'est que l'ensemble de différentes activités supplémentaires de la population que le droit coutumier divise en droit militaire, droit pastorale, et le droit administratif qu'il serait plus approprié de qualifier de droit politique. Ce Code est de 381 articles dont 197 pour le code militaire, 133 pour le code pastorale, et 51 pour l'administration.

Un peu plus du tiers des règles coutumières se rapportent donc à la valeur sociale représentée par le bétail bovin, ce qui nous donne la mesure de l'importance que cette valeur revêt dans le système social ruandais. Pour mieux comprendre ce droit coutumier, deux autres études nous permettent de comprendre que souvent ici le bétail bovin intervient comme matière causale de la règle coutumière.

L'exposition du droit coutumier des bovidés doit être suppléée par les travaux portant sur l'ethnographie ruandaise, ainsi que par les travaux spéciaux traitant du droit coutumier ruandais. Le travail de J. VANHOVE(571(*)) traite la réalité coutumière à travers les notions juridiques modernes, mais il est assez intéressant de nous y référer parce que le bovidé y est traité en tant que droit de propriété et d'exploitation économique.

Nous ne sommes pas d'accord avec J. VANHOVE quand il parle de propriété. La raison en est que le Mwami est le seul propriétaire de tout le bétail ruandais. La détention du bétail par les sujets du royaume est réduite à un droit d'exploitation ou d'usufruit et non pas de propriété. Il s'ensuit aussi que le sujet ne peut disposer de son bétail, en le vendant par exemple, sans l'autorisation des chefs de « province ». Et quand on interroge le Père PAGES(572(*)), il nous donne une nomenclature des bovidés sans systématisation comme celle de J. VAN HOVE(573(*)).

R. BOURGEOIS(574(*)) expose aussi cette matière dans sa grande monographie des pays ruandais et urundais.

Quant à Mutuza, tout son système donne une idée claire de la politique ruandaise. Il affirme que, les chefs terriens, les Hutu, ont été réellement dominés par les Tutsi. Mais il se demande comment ce phénomène a-t-il pu avoir réussi. C'est à ce stade qu'il est arrivé à compliquer son système à cause de doute dans la correspondance des faits : sont-ce les Tutsi qui compliquèrent la communication d'avec les Hutu ou plutôt l'inverse qui fut possible ?

Les proverbes ruandais sont tous en Kinyarwanda ; on peut alors réduire que Aloys Rukebesha a eu raison dans son ouvrage paru en 1985 en l'intitulant Esotérisme et communication sociale(575(*)) illustrant que les traces de métallurgie du fer mises au jour dans la région permettent d'établir que les premiers agriculteurs bantous, en provenance du bassin du Congo, étaient installés dans la région, dont l'environnement était propice à l'établissement humain, au IIIe siècle de notre ère. Lorsque les Tutsi s'établirent à leur tour dans les collines de l'est du Rwanda, entre le Xe et le XVe siècle, les Hutu avaient déjà formé de petits royaumes.

L'image -- déformée -- habituellement donnée de la société qui s'élabora alors montre les Hutu placés dans une situation de dépendance et de soumission totale à l'égard des Tutsi, seuls détenteurs du pouvoir et de la richesse. Le système politico-religieux extrêmement hiérarchisé qui fondait le royaume tutsi au Rwanda était en fait moins rigide : parmi les chefs qui, sous l'autorité suprême du mwami (roi) tutsi, géraient les affaires, les chefs de sol étaient le plus souvent choisis parmi les Hutu de même que les chefs d'armée pouvaient également être hutu.

Et les mariages mixtes étaient relativement fréquents. Au Burundi, dans le royaume baganwa, la souplesse du système était plus grande encore. Si l'on considère la masse de la population, Tutsi et Hutu partageaient le même sort, vivant les uns et les autres de l'agriculture comme de l'élevage. Ils parlaient la même langue, Le Kinyarwanda ou le kirundi, et avaient la même religion, le roi étant l'image d'Imama, le dieu suprême.

La politique menée par les colonisateurs européens, allemands d'abord, puis belges après la Première Guerre mondiale, allait dresser la majorité hutu contre la minorité tutsi. L'administration coloniale, en effet, s'appuya, pour assurer son pouvoir, sur l'aristocratie tutsie et figea les rôles de chacun au nom d'analyses ethnologiques rapides. En 1926, les fonctions de chef devinrent ainsi héréditaires(576(*)). En 1934 et 1935, l'administration coloniale procéda à un recensement de la population du Ruanda-Urundi et délivra des livrets d'identité sur lesquels devait figurer obligatoirement l'appartenance « ethnique ».

Les clivages ainsi institutionnalisés se renforcèrent encore au Rwanda dans les années 1950. Après la mort mystérieuse, en 1959, du mwami Mutara, qui s'était fait le porte-parole des aspirations indépendantistes de son peuple, éclata le premier conflit meurtrier entre Hutu et Tutsi. L'Église catholique, puissance incontournable au « pays des mille collines », a joué un rôle imminent et la majorité des Hutu avait pris conscience. L'administration coloniale favorisa désormais défavorablement les Hutu.

Dans ces populations où le conteur se permet d'une grande liberté : «on pouvait retrancher ou ajouter, colorer et même inventer du tout au tout »(577(*)), l'information transmise de personne à personne était donc défigurée consciemment ou inconsciemment, de sorte que, pour finir, nul ne savait plus ce qui s'était réellement passé. Mais, puisqu'il s'agissait ici d'affaires de la vie quotidienne, nul ne s'en souciait.

Toutefois, la chose était différente dès qu'il s'agissait d'affaires plus importantes. On communiquait alors les informations avec grande circonspection : « ne raconter que ce qu'on pouvait répéter devant toute autorité était une règle d'or »(578(*)). Cette ruse est si claire que Mutuza du déclarer que c'est un peuple amoral et immoral(579(*)). La méfiance fait partie de la vie d'un ruandais. Pierre Crépeau a attesté la conclusion de Mutuza sur l'immoralité et l'amoralité des Ruandais : « La valeur morale de la parole ne dépend pas de sa correspondance à la réalité ou à l'idée qu'on s'en fait ; elle dépend avant tout de son utilité. La parole moralement bonne, c'est celle qui est profitable ; la parole moralement mauvaise, celle qui est nuisible. Vérité et mensonge n'ont donc pas la connotation morale que leur reconnaît la tradition judéo-chrétien »(580(*)).

Ce qui veut dire que le code de droit tel que A. Kagame nous l'a transcrit est entaché de beaucoup de corruptions puisque ce n'est pas du tout ce que le Mwami déclarait qui nous était parvenu. Car, si l'on veut comprendre ce qu'un Ruandais dit, on ne devra pas perdre de vue qu'il parle sur deux niveaux. Ce qui compte pour lui, ce n'est pas, en premier lieu, la concordance entre parole et réalité, ou encore ce qu'il dit et ce qu'il pense sur tel sujet. Mais ce qui compte avant tout, c'est la relation entre deux partenaires de l'entretien, qui doit être servi par la parole ; la réalité sociologique l'exige, comme nous l'avons dit.

Mutuza nous place  « devant deux conceptions du monde qui ne sont pas faites pour vivre harmonieusement ensemble. L'Occident impérialiste et hégémoniste l'a, non seulement compris, mais il l'a cultivé et entretenu et s'avise aujourd'hui de s'en servir pour assurer ses intérêts en Afrique centrale, en commençant par la région des Grands-lacs »(581(*)).

Cela nait de l'exigence de survie pour ce peuple pasteur que les troupeaux condamnent au nomadisme, en condition normale, et à l'expansionnisme en cas de sédentarisme. C'est là le mythe cultivé, encouragé et entretenu par le colonialisme, conformément à l'adage impérialiste bien connu « Divide ut imperas » et sont-ce ces populations sans patrie ni terre, du moins dans l'aspect ethnologique et anthropologique, que l'impérialisme a encore besoin pour assurer sa domination sur les peuples bantu de l'Afrique Centrale.

* 568 Inst. Roy. Col. Belge, Sect. Des Sc. Morales et polit., Coll. In-8°, tome XXVI, 1, 1952.

* 569 Cfr. La Préface composée par Louis Meyer de Principes de la philosophie de Descartes, vol. I, p. 230.

* 570 L'auteur est né en 1929 ; pasteur des Eglises Réformées aux Pays-Bas depuis 1957, et pasteur-missionnaire de l'Eglise Presbytérienne au Ruanda de 1961 à 1971 et de 1982 à 1988, de 1987 à 1994 professeur de théologie pratique à la Faculté de Théologie Protestante de Butare au Rwanda.

* 571 Essai de droit coutumier du Ruanda, Institut Roy . Col. Belge, tome X, 1, 1941.

* 572 Un royaume hamite au centre de l'Afrique, 1933, pp. 55-509.

* 573 VANHOVE, J., Op. Cit, pp. 48-59.

* 574 Banyarwanda et Barundi, Institut Roy . Col. Belge, Section des sciences morales et politiques. Tome I, Ethnographie, 1957. Tome II, La coutume, 1954. Tome III, Religion et Magie, 1954. Voir tome II, pp. 266-335.

* 575 RUKEBESHA, A., Esotérisme et communication, sociale, Kigali, 1985. L'auteur commence son livre en citant le proverbe que nous venons de rapporter ci-haut :: « Akari mu nda y'ingoma Kamenywa n'umwiru na nyirayo », littéralement : ce qui est dans le ventre du tambour est connu du ritualiste et de son propriétaire, c'est-à-dire nul ne connaît le secret d'une personne si ce n'est elle-même et son confident. Il s'agit là d'un tambour royal, dont le roi était le propriétaire, qui symbolisait son autorité et dont les secrets rituels n'étaient connus que du roi lui-même et du ritualiste-gardien des rites roayaux.

* 576 Cfr. 1ère note du §2 de la sect.1 du premier chapitre de la première partie.

* 577 RUKEBESHA, A., Op. Cit., p. 167.

* 578 Ibidem, p. 168. L'on peut dire que cela valait à plus forte raison dans le contexte politico-administratif. Le roi et les chefs disposaient de sujets, qui étaient chargés de l'information de tout ce qui se passait dans le pays et dans la société, en vue du maintien de leur pouvoir. Lors de ce genre de communication, la position de l'informateur était directement mis en cause. La nature et le contenu de l'information étaient directement définis par la relation de l'informateur avec le destinataire de l'information et étaient donc une fonction de stratégie de survie.

* 579 L'on peut affirmer que le jeune ruandais était éduqué dans une ambiance de méfiance et d'extrême prudence. Quand une information était sollicitée, on la donnait avec beaucoup de réserve et on essayait, autant que possible, d'éviter des réponses pertinentes, du moins tant qu'on ne savait pas quelles pourraient en être les conséquences.

* 580 CREPEAU, P., Bizimana, p. 224.

* 581 MUTUZA KABE, La problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 43.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery