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Identité et appartenance: temps et comput anthropologique chez R. E. Mutuza Kabe

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par Jean Francis Photios KIPAMBALA MVUDI
Université de Kinshasa RDC - Doctorat en philosophie 2012
  

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§ 3 Tâche philosophique et rationalisme

A Lovanium, une foudre est tombée des nuages du ciel de l'époque : la lutte pour une conception plus libre. Dans Le décollage conceptuel, Franz Crahay, alors professeur à Léopoldville, place le langage au centre de ses préoccupations en exigeant qu'il soit l'objet exclusif des recherches philosophiques(248(*)).

Mutuza peut apparaître comme le sympathique chien arrivant dans ce jeu de quilles pour qui, les questions de terminologie sont de peu d'importance puisque selon lui, rien ne dépend de mots. Et il s'agit d'une position réelle et ferme en fait de philosophie du langage, non d'une négligence d'homme de science. C'est une position contradictoire du fait que Mutuza préconise la réévaluation des concepts comme condition de possibilité d'une rupture épistémologique et d'une philosophie authentique. Il dit : « voilà ce que nous pourrions appeler situer la philosophie, c'est-à-dire montrer son caractère relatif. Mais la philosophie a ceci de paradoxal : qu'elle est un relatif absolu. Et c'est cet autre aspect qui la fait traiter de philosophie pérenne que nous voudrions élucider maintenant. »(249(*))

La question est délicate. On se rappellera alors à quelle condition l'expression « contre courant » n'est pas excessive pour lui. Mutuza est l'un des philosophes zaïro-congolais qui ait axé sa réflexion sur quelque chose d'extérieur au langage, à affirmer ouvertement et ostensiblement qu'il faut se désintéresser du langage, que les idées importantes ne correspondent pas à des concepts et ne peuvent s'y réduire.

Cette conception mérite d'être inspectée de près et d'un point de vue interne. Elle sous-tend les options de la philosophie de Mutuza. Il propose une théorie des fonctions des concepts, et insiste à maintes reprises sur son rôle fondamental. Son intention est de mettre la philosophie face à ses problèmes, qui ne sont pas de définir des termes ou de déterminer quelles phrases ont un sens. Mutuza n'exprime pas clairement cette idée. On la cherchera en vain dans ses écrits. Il la soutient dans ses encadrements. Par contre on voit le contraire qui se produit : il faut une réévaluation des concepts.(250(*)) Au-delà de tout le concept doit présenter l'aptitude à comprendre. Il nous faudra commencer par la critique qu'il adresse aux ethno-philosophes et aux philosophes immatriculés, plus particulièrement à Crahay et ses émules. A lire de près c'est à Platon et à ses émules Aristote, Hegel, Marx, qu'il s'adresse.

Dans le texte Les fondements culturels du fédéralisme Mutuza énumère quelques-uns des critères qui font partie de la tradition non écrite (ÏáñÜäïóéò) après une longue dictature. Il comprend l'appartenance comme l'affiliation individuelle officielle ou tacite ; affirmer son appartenance au clan. Inclusion en vertu de propriétés communes, l'appartenance de x à l'ensemble y.

Il y a au départ un besoin d'appartenance pour nous permettre de confronter l'insécurité. C'est une étape importante, surtout à la première rencontre. L'appartenance rassure notre liberté. Ce besoin d'appartenance est une réalité humaine. C'est un besoin libre et qui permet l'homme de s'enraciner. L'être humain vient de la terre qui est le corps d'une femme. Il s'enracine dans une culture, dans une langue, dans une race. L'appartenance est la terre dont chacun se nourrit pour grandir.

Le groupe peut être cette terre, à partir de laquelle nous trouvons la confiance pour nous ouvrir à d'autres et, par là, découvrir notre humanité. Les Tutsi partent de l'expérience du vide qu'ils ont senti. ils surent qu'ils étaient seuls au milieu des Bantous, retranchés, coupés de l'environnement ; en raison de la morphologie et de la culture. D'autre part ils ont besoin d'être reconnus et confirmés par les Congolais indigènes et autochtones. Ils ont besoin d'avoir une place au sein de la grande famille congolaise. Mais ils sont en difficulté par rapport à la culture de ceux qui sont en face d'eux.

Avec l'étude du Mythe Hima-Tutsi de Mutuza, nous arriverons au coeur de son oeuvre. Son idée essentielle est celle de l'appartenance présentée sous l'apparence de la dissimilitude. Mutuza admet qu'il est certaines situations dans lesquelles des éclaircissements à propos des mots employés (surtout dans les mythes) sont utiles. Il écrit dans A propos de l'hypothèse de A. Moeller sur l'origine et l'unité culturelle des peuples du Kivu que « L'occupation actuelle du pays par les Lega se serait faite à partir de ce point par les descendants de Kisi, Koima et Beya de la manière suivant :... »(251(*)).

Et pour cette citation nous ne pensons pas que la philosophie consiste en la résolution de puzzles linguistiques. Toutefois, l'élimination des malentendus est une tâche préliminaire nécessaire. Quant aux définitions, il reconnaît volontiers qu'elles ne sont pas toujours dénuées d'intérêt, spécialement lorsqu'elles ont pour objet de distinguer entre deux acceptions d'un même terme. L'ambiguïté du terme connaissance ou savoir facilite l'erreur des carnapiens en matière de théorie de la connaissance. Dès lors, il y a toujours lieu de préciser quelle acception l'on vise en employant ce terme.

Quand Mutuza consent dans Ethique et Développement à faire des remarques sur le concept de développement252(*), il signale qu'il y est contraint malgré les absurdités régnant à ce propos : les définitions ou analyses linguistiques de mots ou de concepts ne l'intéressent pas.

A propos de terme de la réorganisation des sociétés contemporaines253(*), il pense qu'on a tellement dit n'importe quoi, qu'il doit se résoudre à y dire quelque chose, pour l'amour la clarté. C'est dire que cela ne procède pas d'une attitude systématique ou d'une méthode d'explication des concepts ; il n'y a pas recherche de définitions. Lorsqu'il s'attarde sur le sens d'un terme, il ne s'agit que d'une tâche préalable, puisque « rien ne dépend des mots »(254(*)).

En dehors de cette perspective, les questions de terminologie s'avèrent inutiles et stériles. Mutuza rejette le prétendu problème de savoir s'il faut parler de supériorité ou d'infériorité entre les Tutsi et les Bantu. Pour lui cette question est sans intérêt, parce qu'essentiellement verbale. Il écrit : « Or la différence entre ces cas (Amérindiens et Américains) et celui des Tutsi-Hutu consiste dans le fait que les Américains pouvaient se passer de services des Indiens, alors que les Tutsi ne pouvaient pas se passer de ceux des Hutu, s'ils voulaient se donner une stabilité sociale et économique »(255(*)).

Mutuza a adopté la terminologie de ses adversaires, suivant le conseil qu'il prodigue lui-même face aux objections de pure terminologie. Il échanger ses termes pour ceux que propose l'interlocuteur. Il croit que son argumentation ne se trouve pas affectée.

Dans Ethique et Développement, Mutuza a du ôter un chapitre qui parle du mal zaïrois parce qu'il a accepté la position de Kangafu. C'est entre autre en fonction de ce chapitre que l'on peut établir une préférence entre les discours du Chef de l'Etat comme source nationale et l'opinion de n'importe quel citoyen épris de justice et de nationalisme.

Mutuza parle du mal zaïrois comme un fait testable, désignant le degré auquel il résiste aux tests les plus sévères. Le terme employé dans le texte avant la censure est «le développement » ; il avait été délibérément choisi de manière à être neutre, autrement dit afin de n'être pas d'emblée associé à l'idée de démocratisation, puisque Mutuza estime que lorsqu'un discours présidentiel résiste à des tests, il n'accroît pas pour autant son degré de démocratisation.

L'histoire se complique quand Kangafu censure l'expression de Mutuza « développement» par un marxisme «la base et la superstructure». Mutuza s'inquiéta de ce choix à cause des associations provoquées par l'idée mal zaïrois et signala à Kangafu que la distinction entre la base et la superstructure ne venait pas de son livre mais d'une mauvaise compréhension de ces expressions marxistes de base.

Kangafu déclinait la proposition. Considérant que les questions d'appellation n'ont pas d'importance, Mutuza accepta la proposition d'amputer le chapitre du livre même si cette proposition ne lui plaisait guère. Il se retrouva vite face à la confusion qu'il avait cherché d'éviter : en quelques années l'expression « développement », utilisée par Mutuza lui-même dans plusieurs articles, était devenue synonyme de mal zaïrois. Personne ne s'était jamais soucié des remarques et des mises en garde répétées de l'auteur d'Ethique et Développement contre cette dérive sémantique. Il décida d'utiliser la base et la superstructure pour désigner sa thèse afin d'éviter qu'on l'associât plus longtemps, dans un parfait contresens, à une évaluation soumise aux règles du (calcul) mal Zaïrois.

Il est sans doute délicat de faire la part entre le malentendu réel et ce qui relève de la négligence coupable. On a pu, par exemple, reprocher à Mutuza de se contredire, puisqu'il avait employé lui-même le mot fondement culturel quand il était question du fédéralisme. Il est difficile de déterminer s'il s'agit de confusion, d'étourderie ou de mauvaise foi.

La confusion est plus regrettable que le terme fondement culturel ou confirmation a de fortes connotations vérificationnistes. Il véhicule l'idée d'une progression vers un degré de certitude tendant à être définitif, ce qui va à l'encontre de la conception mutuziste de la science. Popper combat de telles affirmations vérificationnistes prônées par les empiristes logiques(256(*)).

L'on constate par cet exemple anecdotique, quoique révélateur, qu'il est impossible de ne jamais s'occuper de terminologie sans autant sombrer dans le souci systématique de la définition. Il y a effectivement intérêt, quand plusieurs acceptions d'un mot sont télescopés, « pour renforcer son pouvoir (...), supplanter l'organisation qui réponde à la culture du colonisateur »(257(*)), comme le note Mutuza, à attirer l'attention sur cet état de choses en montrant qu'il existe des énoncés qui sont vrais lors qu'on prend le terme dans l'un ou l'autre sens, et qui s'avèrent incompatibles dès lors qu'on ne les distingue pas. En l'absence de ce genre de risque, les questions appelant des définitions restent « des questions vides ».

Cet itinéraire nous permet de saisir l'humanisme de l'auteur de Sermons d'un prêtre défroqué. Avant de proposer un jugement sur la personnalité de Mutuza, il parait bon d'indiquer, au moins rapidement, quels concepts s'échelonnent dans les ouvrages, ne serait-ce que pour exposer et compléter son atmosphère intellectuelle. Notre but sera atteint si nous faisons comprendre au lecteur quels problèmes se posent au philosophe et les méthodes dont il dispose pour les appréhender et les résoudre au mieux pour que l'on les appelle philosophie de Mutuza :

IDENTITE

Individu

Pouvoir

Développement

Culture

Société

Histoire

Tradition

Coutume

Structure

Etat

Economie

Liberté

Démocratie

APPARTENANCE

Mais ce qu'il importe de dire, en fait, c'est que le développement exposé...ne se trouve pas avec cette rigueur chez Mutuza. Il est une conséquence nécessaire de sa méthode, mais lui-même ne l'a jamais tirée de façon aussi explicite. Et cela pour cette simple raison qu'il était obligé de construire un système et qu'un système de philosophie doit, selon les exigences traditionnelles, se conclure par une vérité absolue. Quelle que soit donc la force avec laquelle Mutuza, surtout dans Quelles institutions pour un Congo démocratique, affirme que cette vérité éternelle n'est autre chose que le processus psychologique, c'est-à-dire le processus historique de l'humiliation de l'humanité elle-même(258(*)), il se voit cependant contraint de donner à ce processus une fin, précisément parce qu'il faut bien qu'il arrive quelque part au bout de son système. Dans Quelles institutions, il peut faire à son tour de cette fin un début, en ce sens qu'ici le point final, la Réévaluation absolue - qui n'est d'ailleurs absolue que parce qu'il ne sait absolument rien en nous dire - « s'aliène » dans la nature.

* 248 CRAHAY, F, La diversité des sciences dans l'unité du savoir, p. 5.

* 249 MUTUZA, De la philosophie occidentale à la philosophie négro-africaine, p. 108.

* 250 MUTUZA, Op. Cit, p. 247.

* 251 Etudes zaïroises, p. 14.

* 252 Ethique et Développement, p. 27.

* 253 Ibidem, p. 49.

* 254 POPPER, K., Connaissance objective II, 33- p. 172.

* 255 MUTUZA, K., La Problématique du Mythe Hima-Tutsi, p. 24.

* 256 Cfr. K. R. POPPER dans La Logique de la découverte scientifique où il s'opposa à l'idée que l'induction soit la méthode qui préside à la constitution de la science. Selon lui, l'induction ne permet ni la découverte ni la confirmation des hypothèses scientifiques. Il soutient que ces dernières ne sont pas formées inductivement, c'est-à-dire à partir de l'observation de régularités, mais sont le fruit de l'imagination créatrice du scientifique. De plus, l'accumulation d'énoncés d'observations particuliers ne suffit jamais à justifier un énoncé général, et les hypothèses scientifiques sont des énoncés généraux.

* 257 MUTUZA, K., Mon expérience d'homme politique congolais, p. 109.

* 258 L'humanité a été humiliée trois fois : avec Copernic Nicolas, on est parti du géocentrisme à l'héliocentrisme, l'homme n'est plus au centre de l'univers; plus tard, Darwin arrive dans le jeu et révèle que l'homme est un des fruits de l'évolution dont l'ancêtre proche est le singe ; récemment, S. Freud a rappelé que l'homme n'est pas le maître de tous ses actes, il y a une part de l'inconscient.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire