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Presse et responsabilité civile

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par Antoine Petit
Université Toulouse 1 Capitole - Master 2 droit privé fondamental 2012
  

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Section 2 : Une cohabitation délicate et houleuse entretenue par la jurisprudence

76. Comme nous l'avons déjà brièvement observé, compte tenu des intérêts en présence et du caractère fondamental de la liberté d'expression, la cohabitation entre les deux textes que constituent l'article 1382 et la loi du 29 juillet 1881 s'avère extrêmement délicate. Elle l'est d'autant plus que la clausula generalis, il est utile de le rappeler, comporte une dimension constitutionnelle depuis une décision rendue par le Conseil constitutionnel du 22 octobre 1982164. Bien qu'ambiguë dans sa formulation, celle-ci consacre selon de nombreux auteurs, le droit constitutionnel de tout individu à la réparation du dommage qu'il subi165. Par conséquent, au même titre que la liberté d'expression, il semblerait que l'article 1382, aussi, revêt un caractère fondamental.

77. Si depuis longtemps déjà, les juges se sont accordés pour éradiquer toute fonction substitutive à la responsabilité pour faute166, ceux-ci se montrent bien plus disparates pour ce qui est de lui accorder une fonction complétive. En effet, nous avons pu observer précédemment que les avantages que procure la loi sur la liberté de la presse sont essentiellement de nature procéduraux, tant le formalisme rigoureux et la prescription très courte imposés par le texte spécial contribuent à décourager les poursuivants victimes d'abus de la liberté d'expression. Permettre au demandeur de pouvoir bénéficier de l'article 1382 pour poursuivre une faute présentant les aspects d'un délit de la loi sur la presse aurait alors vidé cette dernière de toute sa substance. C'est la raison pour laquelle l'éviction de l'article 1382 comme fondement subsidiaire de l'action en réparation s'est très tôt imposé en jurisprudence167.

78. La fonction complétive de l'article 1382 semblait alors logiquement être la voie à adopter. Elle paraît tout à fait en conformité avec les principes généraux dictant notre droit et parmi lesquels figure la maxime « specialia generalibus derogant », impliquant que les dispositions spéciales doivent s'appliquer en préférence à celles générales168. Mais, comme le souligne l'auteur Geneviève Viney, l'universalisme de la responsabilité civile

164 Cons. const. 22 oct. 1982 : Gaz. Pal. 1983, 1, 60, obs. F. Chabas.

165 V. L. Favoreu, « La protection constitutionnelle de la liberté de la presse », in Liberté de la presse et droit pénal, PUAM, 1994, p. 235 ; F. Terré, Y. Simler et P. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 7e éd., 2006, n°664.

166 Civ. 1e, 23 mars 1982 : D. 1982, 374 ; TGI Paris, 24 nov. 1993, Légipresse n°112-1, p. 72 ; Civ. 2e, 6 janv. 1993 : Bull. civ.II, n°1 ; Civ. 2e, 19 juin 1996 : JCP 1996. IV, n°1873.

167 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 700.

168 V. C. Larroumet, Introduction à l `étude du droit privé, Economica, 2e éd., 1995, n°153 et 235 ; F. Terré, Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 3e éd., 1996, n°469.

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veut que « dès lors que l'on se trouve hors du domaine d'application du régime spécial, le régime général retrouve sa vocation naturelle à s'appliquer »169.

79. Selon une approche restrictive de la loi sur la presse, le dessein du législateur de 1881 aurait été de vouloir arbitrer définitivement le conflit opposant la liberté d'expression et la responsabilité civile en « enlevant du même coup à l'article 1382 une portion de sa compétence diffuse »170. Cette thèse, dite du « système juridique clos »171, a pour effet de neutraliser l'application de l'article 1382 du Code civil dans le contentieux de presse en consacrant l'exclusivisme du texte spécial en la matière. Or, au vu des travaux ayant précédé l'élaboration du texte de 1881, la thèse de l'exclusivisme semble procéder d'un contresens historique. En effet, il est connu des spécialistes que lors des travaux préparatoires de la loi spéciale, il fût envisagé de soumettre la presse au seul droit commun172 en vue d'empêcher la consécration d'un système juridique privilégié au bénéfice de la liberté d'expression. Si certains auteurs estiment que l'échec d'un tel projet s'explique par le fait que le législateur de 1881 ait pris conscience des dangers que représenterait l'article 1382 du Code civil pour la liberté d'expression, d'autres, à l'instar de Julie Traullé, ont pu démontrer que les véritables raisons d'un tel échec étaient tout autres173. Les rédacteurs du texte spécial ont même pu ouvertement renvoyer à la responsabilité civile de droit commun pour assurer un relais des infractions de presse comme ce fût notamment le cas lors de la décision d'abrogation d'une infraction d'atteinte à la vie privée où le rapporteur Eugène Lisbonne prit le soin de préciser qu'une telle atteinte se résoudrait désormais devant le prétoire civil174. Les débats ayant précédés l'élaboration du texte de 1881 invitent donc clairement à ne pas y voir le « système juridique clos » évoqué par le Doyen Carbonnier.

80. Le 27 septembre 2005 pourtant, par un arrêt défrayant la chronique, la Cour de cassation consacrait pour la première fois en jurisprudence la thèse de ce dernier en

169 G. Viney, « Les rapports entre le droit commun de la responsabilité civile et les régimes spéciaux de responsabilité ou de réparation », JCP 1998, I, 185, chron. resp. civ.

170 J. Carbonnier, « Le silence et la gloire », D. 1951, chron. p. 119, note sous Civ. 27 fév. 1951 : Bull. civ.n°77.

171 Ibid, p. 119, où le Doyen Carbonnier s'interroge sur le fait de savoir si le législateur n'a pas entendu « instituer pour toutes les manifestations de la pensée, un système juridique clos, se suffisant à lui même, arbitrant une fois pour toutes tous les intérêts en présence ».

172 H. Celliez et C. Le Senne, Loi de 1881 sur la presse, accompagnée des travaux de rédaction avec observations et tables alphabétiques, 1882, p. 24 et s.

173 J. Traullé, L'éviction de l'article 1382 du Code civil en matière extracontractuelle, LGDJ, 2007, p. 385 et s.: celle-ci évoque notamment le risque d'insolvabilité chronique de l'auteur des propos ou encore le fait que, l'exercice abusif de la liberté d'expression amenant souvent à léser des intérêts publics en plus de ceux privés, l'article 1382 n'aurait pas été satisfaisant , ayant pour seul but, la défense d'intérêts privés.

174 B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer, op. cit. p. 702 ; V. aussi : J.O, 22 juillet 1881, Débats parlementaires, Chambre des députés, p. 1720, Eugène Lisbonne.

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affirmant purement et simplement que « les abus de la liberté d'expression envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l'article 1382 du Code civil »175. Le dessein de la Cour de cassation devint alors limpide : l'article 1382 du Code civil ne doit plus pouvoir être invoqué pour quelque abus que ce soit, dès lors que l'intérêt lésé est de nature extrapatrimonial.

On peut alors s'interroger sur la conformité d'une telle décision avec notre droit positif. En effet, la Haute juridiction, par une telle formule, semble omettre un trait essentiel participant de l'essence même de la responsabilité civile : son universalisme176. Tout chef de préjudice doit pouvoir être réparé, et ce dans son intégralité. Or, si l'on suit le raisonnement de la Cour, le requérant qui ne pourra qualifier les propos litigieux selon l'une des incriminations de la loi du 29 juillet 1881, justifier d'une atteinte à sa vie privée (art. 9 du Code civil) ou encore, à sa présomption d'innocence (art. 9-1 du Code civil)177, sera dans l'impossibilité d'obtenir une quelconque réparation de son préjudice, aussi grand soit-il. N'est-ce pas là une atteinte au caractère d'ordre public de la responsabilité civile délictuelle ?

On pourrait légitimement penser, comme le Doyen Carbonnier, que la loi de 1881 a vocation à instituer un « système juridique clos », de sorte que si les faits poursuivis ne relèvent pas de son champ d'application, il apparaît incongru de se prévaloir d'un quelconque abus de liberté d'expression. Mais il faudra alors admettre que de nombreux écarts d'expression ne pouvant être sanctionnés dans les conditions de la loi sur la presse resteront impunis, ce qui frôle l'hérésie au vu de la fonction classiquement échue à la justice : suum cuique tribuere 178. De la même façon, le principe de la réparation intégrale du préjudice - d'ordre public en matière extracontractuelle ! - s'en trouverait totalement bafoué.

En tout état de cause, le poids de l'indignation semble avoir eu raison de cette jurisprudence qui parait aujourd'hui ne constituer qu'un mauvais souvenir pour de

175 Civ. 1e, 27 sept. 2005 : Bull. civ.I, n°348.

176 E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », D. 2006, p. 1137 et s.

177 Il s'agit là en effet des principaux textes spéciaux sanctionnant les abus de la liberté d'expression envers les personnes.

178 La justice a pour objectif de rendre à chacun ce qui lui est dû ; V. E. Dreyer, « Disparition de la responsabilité civile en matière de presse », D. 2006, p.1137 et s.

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nombreux auteurs. En effet, même si un récent arrêt pourrait permettre d'en douter179, il apparait clairement que la jurisprudence constante ne semble pas vouloir donner raison au Doyen Carbonnier. C'est la raison pour laquelle nombreuses sont les décisions optant pour une solution davantage respectueuse des grands principes gouvernant notre droit positif ci-dessus évoqués180 et consistant à attribuer une fonction complétive à la responsabilité civile de droit commun.

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