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L'insécurité des travailleurs humanitaires dans les zones de conflits armés

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par Nabi Youla DOUMBIA
Institut des relation internationales et stratégiques - Master les métiers de l'humanitaire 2009
  

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INTRODUCTION

La question de la sécurité des humanitaires revient de façon constante depuis la naissance de la Croix Rouge en 1863. Idée déjà présente dans les souvenirs de Solferino et entérinée plus tard dans les conventions de Genève de 1864 puis celles de 1949, le principe de la protection des humanitaires apparait comme le socle de l'humanisation des conflits. La neutralisation des humanitaires est, en effet, identifiée comme le pilier du Droit International Humanitaire (D.I.H.). Toute atteinte contre eux signifiant la ruine de l'édifice. Ainsi, pour garantir cette immunité, Dunant proposait une croix rouge sur fond blanc pour distinguer les humanitaires des combattants et leur épargner ainsi, au coeur de la barbarie, les effets collatéraux.

Toujours formulé, constamment violé et régulièrement renforcé, ce principe de protection connait depuis la décennie 90 une période de frilosité et sa violation atteint des proportions inquiétantes.

Des manifestations d'hostilité se traduisant par des meurtres apparaissent ça et là dans les quatre coins du globe avec pour cible des travailleurs humanitaires. Dix-sept (17) employés de A.C.F. (Action Contre la Faim) froidement assassinés à Muttur au Sri Lanka en août 2006, deux employés de M.S.F. Hollande enlevés le 4 août 2009 au Tchad, des humanitaires régulièrement enlevés en Afghanistan, etc. Il ne se passe pas de jour sans que la violence contre les humanitaires se manifeste sous une forme ou une autre. Cette situation contraste fortement avec la période de la guerre froide. Tout au long de cette période, les humanitaires jouissent d'une sécurité relative. Les État États soucieux de leur image les préservaient tandis que les groupes rebelles les appréciaient parce qu'ils leur conféraient une certaine légitimité.

Les violences ne sont pas, pour autant, une nouveauté. Ce qui change fondamentalement c'est l'ampleur du phénomène car l'histoire de l'action humanitaire est d'une certaine façon, l'histoire de ses martyrs. Aventuriers franchissant clandestinement les frontières d'États en conflits avec pour seules armes un sac contenant quelques aspirines, un bistouri et une foi inébranlable aux valeurs de l'humanisme, les humanitaires furent souvent la proie de bandes armées pour ce qu'ils possédaient et rarement pour ce qu'ils étaient (humanitaires ou occidentaux)1(*)

Avec l'ouverture du Rideau de fer, une double mutation transforme le mouvement humanitaire. D'une part, cet acteur intrépide et marginal des relations internationales s'arroge un espace de plus en plus important et une reconnaissance internationale. D'autre part et de façon paradoxale, l'humanitaire est la cible directe de certains acteurs politiques qui le contestent jusque dans ses fondements. L'humanitaire a jamais été aussi fort et présent sur la scène internationale et autant victime d'actes criminels. Mais avant d'aller plus loin en avant, une mise au point sémantique s'impose. Qu'attendons-nous des concepts d'humanitaire, d'insécurité et de droit international humanitaire?

La notion d'humanitaire renvoie à des réalités aussi diverses et variées que ses auteurs. Pourtant, son emploi est récent. Son origine remonte selon le dictionnaire Robert à 1833 et évoque ce qui vise au bien de l'humanité et le célèbre dictionnaire d'ajouter: propre à la période romantique avec référence à Lamartine. A partir des années 80, l'expression fait florès et s'impose à la mode en rapport avec la fascination du public pour le sans frontiérisme. Le substantif va se décliner alors en adjectif: on parle de crise humanitaire, de catastrophe humanitaire, de mission humanitaire, et d'action humanitaire. L'emploi abusif ou impropre dans certaines expressions n'enlève rien à la vulgarisation de la notion et son emploi tout azimut2(*).

A rebours des conceptions profanes, les professionnels du secteur proposent des définitions les unes larges, les autres restrictives à partir de quatre critères communs: l'acteur, le domaine d'intervention, le lieu et les modalités d'intervention (emploi ou non de la force). Le C.I.C.R. (Comité International de la Croix Rouge) donne de l'humanitaire une définition qui englobe l'ensemble de ses activités: promotion et respect du D.I.H., visite aux prisonniers, soins et aides aux blessés et populations vulnérables. Le H.C.R. (Haut Commissariat aux Réfugiés) abonde dans le même sens et cite la fourniture de secours comme de vivres, de l'eau, des matériaux pour construire des abris et des soins médicaux, en somme toute la palette d'activités qu'il déploie dans les camps de réfugiés. A cette liste, il ajoute le déminage, le respect du D .I.H., le lobbying en faveur des droits de l'Homme et même les interventions militaires « pour préserver la sécurité d'une population déplacée ou touchée par la guerre »3(*).

Pour Rony Brauman, l'action humanitaire ne saurait s'accommoder de la force. Elle est limitée à la fois dans ses actions (liées à l'urgence) et ses acteurs (emploi prohibitif de la force). Il propose la définition restrictive suivante: « l'action humanitaire est celle qui vise sans aucune discrimination et avec des moyens pacifiques à préserver la vie dans le respect de la dignité, à restaurer l'homme dans ses capacités de choix.»4(*)

Deux polémiques principales ont entouré l'usage de cette notion: l'une relative au temps et l'autre aux moyens. Pour une organisation comme M.S.F (Médecins Sans Frontière), le temps de l'humanitaire est celui de l'urgence au point de s'y confondre. C'est ainsi que fidèle à cette conception, elle se retire du Sri Lanka, quatre jours seulement après le tsunami du 24 décembre 2004, parce qu'il n'y avait pas ou plus d'urgence médicale. Pour la plus grande organisation française de solidarité internationale, le fondement et la légitimité de l'action humanitaire se situe dans l'urgence. La réhabilitation des infrastructures, le développement et les programmes qui y ont trait doivent appartenir en toute légitimité aux États et organisations internationales constituées à cette fin (PNUD, Banque Mondiale, ...).

A l'opposé, les autres grandes O.N.G. françaises étendent le sens de l'humanitaire à la post-urgence. Pierre Micheletti, président de médecins du monde (M.D.M.) affirme ceci: « aucune O.N.G. ne peut revendiquer de façon dogmatique l'exclusivité de la définition de ce qu'est ou doit être l'aide humanitaire5(*)  Pour lui et pour l'O.N.G. à laquelle il appartient, l'humanitaire ne saurait tourner le dos une fois l'urgence vitale passée. Les actions de reconstruction des infrastructures détruites ou inopérantes afin de mieux armer les populations bénéficiaires contre la survenue de catastrophes futures, s'avèrent indispensables.

Une dernière approche plus large originaire des sciences politiques regroupe dans le vocable d'humanitaire trois familles d'acteurs de la solidarité internationale: les urgentistes qui agissent dans l'urgence et souvent la post-urgence; les développementalistes dont les programmes s'inscrivent dans la durée et les défenseurs des droits de l'homme dont l'action se situe essentiellement dans le plaidoyer.

La frontières entre ces trois catégories d'acteur et d'action ne sont pas étanches et la décennie 90 a vu la plupart des organisations sinon toutes plonger dans le plaidoyer et la défense des droits humains. Cette fuite en avant dans les droits n'épargne aucune organisation. Le combat de M.S.F. aux cotés des pays pauvres pour le droit à la santé notamment celui de fabriquer des génériques sans passer par la caisse des droits de propriété s'inscrit dans cette mouvance. Handicap International mène, en parallèle à ses actions de déminage, une campagne à succès pour interdire les mines anti-personnelles. Médecins Du Monde s'affiche tout comme Oxfam aux cotés des altermondialistes pour revendiquer un changement des règles du jeu international. Toutes les grandes O.N.G. semblent avoir compris que pour changer la situation des hommes, il faut changer celle de l'Homme.

Les moyens utilisés par les humanitaires constituent également un point d'achoppement surtout en ce qui concerne la définition des acteurs. Les moyens militaires non pacifiques peuvent-ils servir à des fins humanitaires? Autrement dit, une aide du H.C.R. sécurisée par des troupes sous mandat onusien ou un programme d'une O.N.G. protégée par une milice armée peuvent-ils conserver la dignité d'humanitaire? La réponse n'est pas aisée. Un schisme apparait entre les conceptions pragmatiques anglo-saxonnes plus inclines à une collaboration voire une compromission avec la puissance politique et une tradition française qui veut se tenir à carreau du politique.

Les situations d'urgence extrême sont le cadre d'une cohabitation voulue ou tolérée entre humanitaires, États et milices. Le degré de leur collaboration en fonction de la nature des O.N.G. et de la dangerosité de la zone, est le fruit d'un arbitrage entre les exigences de sécurité et celle d'impartialité. Un consensus néanmoins se dégage pour rejoindre la définition de Brauman énoncée plus haut, et qui exclut catégoriquement les actions non pacifiques. Le même consensus vaut pour les États. Pour les O.N.G., quelque soit la forme dont il se présente et dont elles peuvent, par ailleurs, tirer profit (ministère de l'humanitaire, secrétariat d'État à l'humanitaire) les États sont forclos de la définition de l'humanitaire. Aussi lorsque la notion leur est appliquée on prend soin d'y ajouter État: humanitaire d'État par opposition à humanitaire tout court qui désigne les organisations internationales de mandat économique et social, le C.I.C.R. et les O.N.G.

Dans le cadre de ce travail, l'action humanitaire, est l'activité professionnelle des organisations suivantes: le C.I.C.R., les O.N.G. et les structures spécialisées des Nations Unies à vocation économique et sociale telles le PNUD, L'UNICEF, ONUSIDA; dont les objectifs pacifistes visent la défense des droits de l'Homme. Les activités des organisations humanitaires se déploient à l'international (exclusion des organisations régionales), aux côtés de victimes de catastrophes humaines ou naturelles. Par conséquent, le travailleur humanitaire est l'employé expatrié ou national de ces dites organisations.

L'insécurité est le manque de sécurité; l'état de ce qui n'est pas sûr, le contraire de la sécurité. C'est un état de manque, un écart par rapport à une norme qui définit le bien être de l'Homme. On parle d'insécurité alimentaire lorsque les conditions d'accès en quantité d'une nourriture saine et de bonne qualité, sont limitées ou compromises. L'insécurité économique est un état de précarité de l'emploi. Quant à l'insécurité tout court, elle renvoie à la situation dans laquelle quelqu'un ou quelque chose est exposé à un danger, à un risque d'agression physique, d'accident, de vol ou de détérioration. L'insécurité à un aspect subjectif: le sentiment d'insécurité de l'ordre du vécu qui correspond aux représentations et sentiments éprouvés dans un environnement défini comme dangereux. Cet aspect étranger à cette étude ne sera pas abordé. En revanche l'insécurité objective entendue comme l'ensemble des actes constitutifs de l'insécurité c'est-à-dire l'inventaire de toutes les atteintes physiques, matérielles ou symboliques dont sont victimes les humanitaires constitue la matière de cette étude.

Le droit international humanitaire (D.I.H.) contrairement à l'idée qu'il évoque d'emblée n'est pas le droit des humanitaires encore moins celui applicable à l'humanitaire. C'est plutôt le droit international applicable aux conflits armés qu'ils soient internationaux (plusieurs États) ou internes (à l'intérieur d'un même État). Il ne s'applique pas en revanche dans des situations de troubles intérieurs qui restent régies par le droit interne des États. La matière du droit international humanitaire est constituée des quatre conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977. Droit pragmatique, le D.I.H. poursuit deux objectifs : protéger les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités et limiter les méthodes et moyens de guerre.

Pour analyser et comprendre la question de l'insécurité des humanitaires c'est-à-dire des meurtres, enlèvements, viols, vols et violences physiques dont, ils sont victimes, nous partirons de l'émergence des O.N.G. humanitaires après la guerre froide. Nous analyserons, ainsi, comment à partir de l'étiolement des conflits idéologiques et à la faveur de la mondialisation, une nouvelle architecture conflictuelle géopolitique à vu le jour, favorisant la floraison des organisations humanitaires et leur passage de la marge, au coeur des relations internationales.

La question stricto sensu de l'insécurité des travailleurs humanitaires, de sa nature et de ses manifestations fournit le contenu de la seconde partie, qui se termine sur quelques propositions en vue d'éradiquer ou de réduire, selon toute vraisemblance, la vulnérabilité des humanitaires dans le sacerdoce qui est le leur: sauver des vies sans mettre en péril les leurs.

La question n'est pas nouvelle même si les études scientifiques qui l'abordent sont récentes (années 1990) et bien d'esprits brillants l'ont traitée. Aussi notre méthodologie consiste en une approche analytique. A partir du dépouillement et de l'analyse des études scientifiques existantes, nous essaierons d'établir les constantes et régularités du phénomène qui nous intéresse avant de proposer quelques pistes de réflexion.

La période d'étude retenue est 1990-2005. Le choix de ces deux dates n'est pas fortuit. Si les premières agressions contre les humanitaires sont aussi vielles que le métier lui-même, il faut attendre les années 90 pour voir exploser le nombre des atteintes à la sécurité des humanitaires marquant, par sa fréquence et son intensité, une rupture avec le passé. En outre, la collecte systématique des données victimologiques, date de cette période. Quant à l'année 2005, elle marque le terme d'une des études les plus récentes qui fait autorité sur le sujet. Il s'agit en l'occurrence de ''providing aid in insecure environments: trends in policy and operations'' d' Abby Stoddard. Le choix d'une date passée permet de ne pas se laisser porter par les vagues de l'actualité et de retenir que l'essentiel c'est-à-dire ce qui reste constant à travers le temps.


* 1 Alain Deloche ex président de Médecins Du Monde : « les french doctors ne comptent plus les frontières qu'ils ont franchies sans en avoir le droit, les barrières politiques qu'ils ont contournées, les raisons d'états qu'ils ont ignorées pour répondre à l'appel des victimes » in la question humanitaire, Philippe ryfman, Ellipses, Paris, 1999, coll. « grands enjeux ».

* 2 Selon Rony Bruman cité par Philippe Ryfman, l'expression crise humanitaire est un non sens auquel il faut préférer le terme d'urgences complexes. Maurice Aubrée de l'association de défense de la langue française, abonde dans le même sens. Dans parlons Français(1998), il affirme »En effet, il ya en quelque sorte incompatibilité entre les termes humanitaire d'une part, désastre ou catastrophe d'autre part. Mieux vaudrait parler de catastrophe humaine(...) ou de désastre pour l'humanité » p98

* 3 HCR, les réfugiés dans le monde, HCR découverte 1997

* 4 Rony, Brauman, L'action humanitaire, Flammarion, Paris, 1995

* 5 Pierre Micheletti, Liberation.fr du 11/01/2005

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault