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La notion de fonds libéral en droit camerounais

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par Sébastien AGBELE NTSENGUE
Université de Yaoundé 2 - Diplôme d'études approfondies en droit des affaires 2008
  

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Chapitre I :

LA RESISTANCE APPARENTE DU DROIT CAMEROUNAIS A L'EGARD D'UNE NOTION DE FONDS LIBERAL

76. La matérialisation des activités libérales apparaît de nos jours comme l'une des mutations les plus remarquables jamais survenue dans le monde libéral. En effet, du fait des efforts financiers consentis pour acquérir le matériel parfois très onéreux, les praticiens libéraux vont trouver insuffisants les revenus tirés de leur activité. C'est la raison pour laquelle ils vont commencer à spéculer sur leur travail passé, ceci à travers la réalisation de leur clientèle.

Pour achever et affiner ce mouvement de patrimonialisation, ils exigeront du législateur, voire du juge que leur soit reconnue la titularité d'un fonds de caractère libéral. Malgré la force de cette pratique, le législateur n'a pas encore donné une onction juridique à cette notion. Le législateur n'a donc pas encore lu dans les faits198(*) pour fabriquer les normes juridiques traitant de la notion de fonds libéral, ceci lors même que les faits sont considérés par certains auteurs comme la source « réelle » du droit199(*). Même la jurisprudence dont le rôle supplétif de la loi a souvent été affirmé, fournit des solutions farouchement hostiles aux opérations de réalisation de clientèles civiles, et donc à la notion de fonds libéral. Pour justifier leurs positions, les juges invoquent une pluralité d'arguments. Il s'agit notamment du rôle considérable joué par l'intuitus personae dans la relation libérale et de l'irréductibilité de la clientèle libérale à l'objet de la convention.

Toutefois, quelle que soit la pertinence des arguments invoqués pour prohiber les opérations de cession de clientèle civile (Section I), il faut dire que l'hostilité du droit, apparaît comme étant démesurée à l'égard d'une notion fortement revendiquée par les praticiens libéraux du fait de ses nombreuses vertus (Section II).

Section I : La prohibition prétorienne des opérations de cession de clientèle civile

77. Les opérations de cession de clientèle se font aussi bien en matière commerciale qu'en matière civile. Mais paradoxalement, le droit n'a pas, à propos de cette opération une position unique selon qu'elle s'opère dans l'un ou l'autre domaine. Alors qu'il autorise les cessions de clientèle commerciale, il prohibe pour certaines raisons les cessions de clientèle civile (Paragraphe I) et sanctionne même très sévèrement les actes faits au mépris de cette interdiction séculaire (Paragraphe II), c'est sans nul doute à cause de l'attachement du droit à une certaine orthodoxie de l'activité libérale.

Paragraphe I : Les raisons de la prohibition des cessions de clientèles civiles

78. Deux séries de raisons fondent l'interdiction jurisprudentielle de cession de clientèle civile. Il s'agit non seulement de l'argument classique de l'intuitus personae (A), mais également celui plus récent de l'extracommercialité de la clientèle libérale (B).

A/ Le rôle excessif de l'intuitus personae dans la relation libérale

79. Contrairement aux activités commerciales, les facteurs personnels jouent un rôle assez considérable dans l'attrait de la clientèle libérale. Le lien de confiance occupe ici une place centrale et apparaît même comme le commencement et l'aboutissement, de toute relation libérale200(*). Pour cette raison, les magistrats n'entendent pas sacrifier ce caractère qui avait jadis fait - ou qui fait même encore, le prestige et la grandeur des professions libérales. Afin de rester fidèles à leur logique conservatiste, les juges se sont toujours opposés à toute idée de cession de clientèle civile, c'est-à-dire d'une « transmission entre vifs du cédant au cessionnaire d'un droit réel ou personnel, à titre onéreux ou gratuit »201(*).

C'est dire que le principe de l'incessibilité des clientèles civiles est très ancien, il a été affirmé pour la première fois avec l'arrêt de la troisième chambre du tribunal civil de la Seine qui prononça la nullité de « vente de la clientèle d'un médecin »202(*) ; et depuis lors, ce principe est constamment réaffirmé par la jurisprudence au point qu'il conserve encore sa jeunesse et sa vitalité originelles. Pour motiver leurs décisions, les juges affirment que la clientèle libérale repose exclusivement, sur des éléments personnels, mieux encore sur la confiance qu'impose le praticien au client203(*). L'attrait de la clientèle libérale est donc « ....fonction de considérations purement subjectives : qualités intellectuelles, habileté technique et se fonde sur la confiance et le libre choix des clients »204(*).

80. Si le principe d'incessibilité connaît une telle vitalité en jurisprudence comme en doctrine, c'est parce que la cession de clientèle civile recèle en elle, beaucoup d'inconvénients. Pour la plupart des auteurs, à l'instar de Monsieur BEIGNIER, les opérations de cession de clientèle libérale ont pour inconvénient majeur de porter atteinte à la liberté de choix du client205(*).

En effet, en cédant sa clientèle, le praticien oblige sa clientèle à traiter avec quelqu'un dont elle ignore les qualités morales, les compétences. En procédant ainsi, le praticien empêche sa clientèle de choisir son partenaire en toute liberté. C'est pourquoi, commentant la décision rendue par la cour d'Appel de Limoges206(*). Monsieur B. BEIGNIER affirme à travers une formule éloquente et dépourvue de toute équivoque que « ce qui est douteux, ce n'est donc pas qu'un patricien entende monnayer sa notoriété, mais c'est que voulant parvenir à ce but, il en vienne à porter atteinte à la liberté de choix des patients. C'est là, on peut dire, la tumeur du contrat. »

Mais c'est surtout dans les opérations d'apport en société d'une clientèle libérale que la confiance des clients subit les attaques les plus sérieuses. Les conventions d'intégration ayant pour inconvénient majeur de surprendre et de trahir la confiance des clients207(*).

81. Cette hostilité jurisprudentielle à l'égard de cessions de clientèles civiles se justifie davantage par la volonté affichée du juge de sacrifier à certains tabous que d'une véritable rigueur scientifique208(*). C'est ce qui expliquerait la fécondité des critiques doctrinales à l'égard des arguments invoquées pour soutenir le principe d'incessibilité des clientèles civiles.

En effet, pour une bonne partie de la doctrine, les cessions de clientèles civiles ne présentent pas autant de dangers que le laissent croire les magistrats et certains auteurs.

Pour ces auteurs, l'intuitus personae dont on fait traditionnellement étalage pour refuser ou pour invalider les cessions de clientèles civiles semble quelque peu exagéré puisque les clients conservent toute leur liberté de choix, tout au moins en terme de refus209(*). Dans ce sens, les clients restent donc toujours libres de refuser la poursuite des relations contractuelles avec le « cessionnaire » de la clientèle libérale. A ce titre, ils ne peuvent être contraints de continuer les relations contractuelle avec le «cessionnaire » s'ils ne manifestent pas cette volonté, c'est parce qu'ils le veulent et non parce qu'ils en sont contraints.

Il n'y a pas que la doctrine qui récuse le principe de l'incessibilité des clientèles civiles, il y a aussi la jurisprudence qui lui mène souvent un combat. C'est donc à bon droit que l'arrêt de la Cour d'Appel du 10 mai 1993 fut cassé par une décision de la première chambre civile de la Cour de Cassation210(*) en date du 07 juin 1995. La Haute Juridiction française constate en effet que nonobstant la cession, la clientèle conservait toujours une liberté de choix.

82. Pour mieux affiner leurs critiques, certains auteurs estiment à juste titre que l'intuitus personae n'est pas caractéristique des seules activités civiles, il est aussi quoique dans une portion congrue, présent dans les relations commerciales. Par conséquent, il  n'est pas rare que la confiance apparaisse tout autant déterminante pour le praticien libéral que pour le commerçant : le savoir-faire, l'honnêteté, le doigté, la dextérité constituent des qualités souvent recherchées chez un commerçant211(*).

Il apparaît à la lumière des critiques sus-évoquées que l'argument de la trahison de la confiance du client, partant de l'atteinte à sa liberté de choix en cas de réalisation des clientèles libérales est, à bien des égards insuffisant. C'est pourquoi il faut recourir à l'argument qui est souvent considéré comme étant imparable212(*) : l'extracommercialité et l'impossible commercialité de la clientèle civile.

* 198 ATIAS (Ch) et LINOTTE (D), op. cit. , pp. 251-258 ; DEKKERS (R), Le fait et le droit, Travaux du Centre National de Recherche Logique, Bruxelles, Bruylant 1961, p. 13 : « Armature intellectuelle, établie sur un certain consensus, le droit ne peut suivre l'évolution des faits que par à - coups, par paliers, de consensus en consensus. Ainsi, le droit est presque toujours en retard sur l'évolution des faits, reflète rarement l'état ultime des faits » - nous soulignons.

* 199 RIPERT (G), Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 1955, pp. 81-82 : « ...Dans la réalité, la règle juridique n'a été édicté que parce qu'une force sociale en a exigé l'existence, en étant victorieuse de celles qui s'y opposaient ou profitant de leur indifférence [...] le droit est imposé par les forces sociales mais il ne jaillit pas spontanément du jeu de ces forces [...] En réalité, les forces sociales luttent pour obtenir la règle, mais il n'y a pas de droit tant que le pouvoir n'a pas donné la loi... » Sur la  notion de source du droit V. AMSELEK (P), Brèves réflexions sur la notion de « source du droit » , Arch. Philo. du droit, T 27, pp. 251-258.

* 200 CHANIOT-WALINE, La transmission de clientèles civiles, Paris, LGDJ, Coll. Bibio. de droit privé, T.315, 2000, p.10.

* 201 Association H. Capitant, sous dir. G. CORNU, vocabulaire juridique, Paris, PUF, 7ème Ed, 2005, p.141.

* 202 Trib. civ. de la Seine, 27 Juin 1956, JCP 1956, II, note J. SAVATIER..

* 203 CA de Montpellier, 8 Juin 1994.

* 204 Civ. 1ère, 29 avril 1954, RTD civ. 1954, p.471 Obs. A Lagarde.

* 205 CA de Limoges, 10 mai 1993, Dalloz 1994, p. 161 note B. BEIGNIER.

* 206 CA de Limoges, 10 mai 1993, Dalloz 1994, p. 161 note B. BEIGNIER.

* 207 Trib.civ. de la Seine, 27 Juin 1956, JCP 1956, II, note J. SAVATIER.

* 208 VIALLA (F), op. cit. p.160

* 209 VIALLA (F), Ibid

* 210 Cassation, 1er Chambre civile, 7 Juin 1995, D. 1995, 560, note B. BEIGNIER.

* 211 AUGUET (Y), Concurrence et clientèle, contribution à l'étude critique du rôle des limitations de concurrence pour la protection de la clientèle, Paris, LGDJ, Biblio., de droit privé, T 315, 2000, p.252.

* 212 VIALLA (F), op. cit. n°138. p. 162.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld