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L'expérience comme interprétation des faits dans la " théorie physique " de Pierre Duhem

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par Héritier Mbulu
Université catholique du Congo - Gradué en philosophie 2010
  

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II.1.2. L'interprétation des phénomènes observés.

La constatation ou l'observation des phénomènes en appelle à l'interprétation de ces phénomènes, afin de donner un résultat expérimental. Il convient de préciser, ipso facto, que cette interprétation ne se fait pas au hasard. Elle est distincte d'une simple observation, puisqu'« (...) il ne suffit pas d'avoir l'attention en éveil et l'oeil exercé ; il faut connaître les théories admises, il faut savoir les appliquer, il faut être physicien »50(*). Voilà trois conditions énumérées par P. Duhem pour réaliser une expérience de physique. Cela constitue justement un premier apport de la théorie dans l'expérience de physique. Il est vrai que l'interprétation des faits se réalise grâce à un ensemble théorique admis par le physicien. Sans cette connaissance théorique, nous ne pouvons pas parler d'une expérience de physique. Celle-ci se révèle comme une interprétation théorique de faits observés.

Certainement, selon P. Duhem, le récit des faits concrets observés au laboratoire ne contribue nullement à l'avancement de la physique. C'est seulement la partie interprétative qui accorde à la physique un progrès quelconque, puisque c'est à partir des jugements abstraits et symboliques, découlant de l'interprétation théorique des faits, que l'on élabore des lois physiques.

Dans l'expérience, l'interprétation des phénomènes se réalise de la manière suivante : les faits concrètement observés sont d'abord représentés par des symboles abstraits créés par la théorie ; ensuite, ces symboles sont interprétés grâce justement aux théories physiques que le physicien tient pour établies ; et enfin, l'expérimentateur fait correspondre ces symboles abstraits aux faits concrets qu'il substitue. Voilà, les trois phases de l'interprétation théorique.

Pour illustrer comment se réalisent ces trois phases précitées, sont évoquées les expériences de H. Regnault sur la compressibilité de gaz. En fait, pendant son expérience, H. Regnault enferme une certaine quantité de gaz dans un tube à verre, tout en maintenant une température constante. Cela dans le but de mesurer la pression supportée par le gaz et le volume qu'il occupe.

Comment s'effectue alors cette interprétation dans le laboratoire ?

§ Première étape : la représentation des faits par des symboles abstraits

P. Duhem nous fait remarquer que certains faits concrets ont été observés par Regnault et ses aides. C'est ainsi qu'après une observation minutieuse et précise, ils ont décrit et représenté certains phénomènes tels que :

1. L'image d'une certaine surface de mercure affleuré à un certain trait qu'ils ont représentée par la valeur du volume occupé par le gaz ;

2. La disposition de certains traits sur la règle et sur le vernier du cathétomètre grâce à l'augmentation du niveau de mercure affleurant le fil d'un réticule, qu'ils représentent par la valeur de la pression supportée par le gaz ;

3. Et enfin, la variation de l'oscillation du liquide entre deux traits dans le thermomètre, qu'ils représentent par le degré de température du gaz.

Cependant, les phénomènes réellement observés ne figurent nullement dans le résultat des expériences de H. Regnault sur la compressibilité des gaz. Il inscrit uniquement les différentes représentations telles que la valeur du volume occupé par le gaz, la valeur de la pression supportée et le degré de la température à laquelle a été porté le gaz. Et pourtant, ces éléments ne sont pas des objets concrets, ils sont plutôt « (...) trois symboles abstraits que, seule, la théorie physique relie aux faits réellement observés »51(*). Mais, qu'est-ce qui justifie la présence de ces trois symboles dans le résultat d'une telle expérience ? La réponse à cette préoccupation n'est autre que l'expérience de physique n'est pas le simple récit de faits observés, elle est une interprétation théorique de phénomènes observés.

§ Deuxième étape : l'interprétation théorique

Cette deuxième étape nécessite la connaissance des théories physiques pour mieux interpréter les symboles abstraits, puisque ces derniers sont créés par des théories physiques.

Premièrement, pour obtenir l'idée abstraite du volume occupé par le gaz, afin qu'elle représente aussi exactement que possible l'affleurement du mercure en un certain trait, il faut, selon P. Duhem, faire deux opérations :

1. Jauger le tube ;

2. Et connaitre le poids spécifique du mercure à la température où s'est fait ce jaugeage.

Or, pour jauger le tube, il faut « (...) faire appel non seulement aux notions abstraites de l'Arithmétique et de la Géométrie, aux principes abstraits sur lesquels reposent ces sciences, mais encore à la notion abstraite de masse, aux hypothèses de Mécanique générale et de Mécanique céleste qui justifient l'emploi de la balance pour la comparaison de masses »52(*). C'est ainsi qu'on pourra chercher à connaître le poids spécifique à 0°. Cela se fera grâce aux lois de l'Hydrostatique, aux lois de la dilatation du mercure et à certaines lois de l'Optique.

Deuxièmement, la conception de l'idée de la valeur de la pression supportée par le gaz nécessite la connaissance d'un bon nombre de théories physiques. Il faut mettre en jeu ses connaissances sur les notions de pression et de force de liaison, la formule du nivellement barométrique donnée par P.-S. Laplace, les lois de l'Hydrostatique, la loi de compressibilité du mercure qui se relie à la théorie de l'Elasticité.53(*)

§ Troisième étape : le rapport final sous une forme symbolique et abstraite

Comme nous venons de le voir, après une observation minutieuse et précise, on interprète les faits observés sur base des théories que l'expérimentateur regarde comme établies, en vue de former des idées abstraites qui représenteront ces faits observés dans le résultat expérimental. En paraphrasant P. Duhem, nous pensons que quand bien même les faits étaient sous les yeux de H. Regnault, celui-ci ne nous a pas légué un récit de faits observés comme résultat de son expérience de physique ; mais plutôt, dans son mémoire figure les symboles abstraits tels que la valeur du volume occupé par le gaz, la valeur de la pression supportée par le gaz. Ces symboles ont, en fait, pour but de se substituer aux faits concrets tels qu'observés par les instruments au laboratoire.

De ce qui précède, nous pensons qu'il faudrait, au préalable d'une expérience de physique, connaître un certain nombre de théories physiques. Celles-ci rendent possible la formation des idées abstraites qu'on expérimente, puisque les idées abstraites qui fondent une expérience proviennent de notre connaissance préalable de certaines théories. Car il faut à chaque moment de l'interprétation faire des substitutions des faits concrets aux idées théoriques.54(*)

Il en résulte, pour P. Duhem, que l'expérience de physique contient déjà en elle une interprétation théorique qui s'ajoute aux données immédiates : le physicien n'observe pas qu'un gaz occupe un certain volume, mais qu'une colonne de mercure affleure à un certain trait. Et on ne peut conclure de ceci à cela que moyennant tout un ensemble de notions abstraites et d'hypothèses. C'est ainsi que notre auteur affirme ce qui suit : « Une expérience de physique est l'observation précise d'un groupe de phénomènes accompagnée de l'INTERPRETATION (sic l'interprétation) de ces phénomènes »55(*). La nature de l'expérience de physique est celle-là et non autre chose. Elle n'est pas la simple constatation des faits, mais plutôt une interprétation de faits. Contrairement à ceux qui pensent que l'expérience consiste seulement en une observation de faits au laboratoire, nous insistons, avec P. Duhem, sur le fait que l'expérience de physique est essentiellement une interprétation. Et lorsqu'on pense à l'interprétation théorique, on comprend pourquoi, chez P. Duhem, la théorie précède l'expérience56(*).

Certainement, nous soutenons l'idée duhémienne d'expérience comme interprétation de faits, puisque « cette interprétation substitue aux données concrètes réellement recueillies par l'observateur des représentations abstraites et symboliques qui leur correspondent en vertu des théories admises par l'observateur »57(*). Voilà pourquoi, nous avons voulu commencer par préciser la nature de la théorie physique. Cette dernière nous permet d'interpréter théoriquement les phénomènes observés. C'est ainsi que P. Duhem accorde à l'interprétation théorique une part très importante dans l'énoncé de fait d'expérience.

* 50 P. DUHEM, La Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 219.

* 51 P. DUHEM, La Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 220.

* 52 P. DUHEM, La Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 220-221.

* 53 Ib., p. 221.

* 54 Cf. P. DUHEM, La Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 221.

* 55 Ib., p. 222.

* 56 Cf. notre chapitre premier de ce texte au point I.2.3. La théorie précédent l'expérience.

* 57 P. DUHEM, Ib., p. 222.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand