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L'expérience comme interprétation des faits dans la " théorie physique " de Pierre Duhem

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par Héritier Mbulu
Université catholique du Congo - Gradué en philosophie 2010
  

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II.2.2. L'interprétation dans l'usage des instruments

Tout comme l'interprétation théorique trouve son utilité ou son importance pour rendre le résultat de l'expérience sous une forme abstraite et symbolique, l'usage des instruments au laboratoire aussi en dépend.

En effet, l'auteur de La Théorie physique pense qu'on ne peut pas faire usage d'un instrument dans les laboratoires de physique, sans réaliser au préalable une substitution abstraite et symbolique des objets concrets que sont les instruments. C'est pourquoi P. Duhem prétend qu'« il serait (...) impossible d'user des instruments qu'on trouve dans les laboratoires de physique, si l'on ne substituait aux objets concrets qui composent ces instruments une représentation abstraite et schématique qui donne prise au raisonnement mathématique ; si l'on ne soumettait cette combinaison d'abstractions à des déductions et à des calculs qui impliquent adhésion aux théories »66(*). Même ici, l'adhésion aux théories précédent l'expérience trouve son importance, pour la manipulation des instruments.

Pour illustrer cette idée, P. Duhem s'appuie sur l'exemple de l'usage de la loupe. Il est vrai qu'une foule de personnes peuvent observer avec une loupe sans être physiciens, sans avoir besoin de connaître la théorie de la loupe et de la dioptrique. Comme le soutient notre auteur : « Il leur a suffi de regarder un même objet d'abord à l'oeil nu, puis avec la loupe, pour constater que cet objet gardait le même aspect dans les deux cas, mais qu'il paraissait, dans le second, plus grand que dans le premier »67(*). De ces observations, peuvent surgir certainement des résultats sans faire référence aux théories de la dioptrique. Et pourtant, ces résultats ne devraient pas être classés parmi les résultats d'une expérience de physique, parce que ces observations font état même des couleurs de l'arc-en-ciel qui semblaient faire parties des objets observés. Pour P. Duhem, ces observateurs n'ont pas tenu compte, dans leur description des objets observés, de la théorie de la dispersion qui « (...) nous apprend à regarder ces couleurs comme créées par l'instrument, à en faire abstraction lorsque nous décrivons l'objet observé »68(*). Nous comprenons par là que l'usage des instruments présuppose une théorie concernant leur fonctionnement.

Cela étant, notre auteur défend l'idée selon laquelle l'expérience de physique n'est pas la description d'objets concrets, elle ne nous révèle même pas la réalité en tant que telle. Néanmoins, c'est seulement à partir des symboles fournis par l'opération intellectuelle que nous pouvons représenter et interpréter la réalité concrète : « Les expériences combinées au moyen de ces instruments ne doivent pas aboutir à un récit de faits réels, à une description d'objets concrets, mais à une évaluation numérique de certains symboles créés par les théories »69(*). Cette idée d'interprétation théorique dans l'usage des instruments se retrouve aussi chez J. C. Akenda qui pense : « Les observations, que nous devons faire dans un contrôle empirique, sont techniquement médiatisées par des appareils dont la construction nécessite des connaissances théoriques »70(*). Aussi ajoute-t-il : « Ce ne sont pas seulement les observateurs qui livrent les données empiriques exigées, mais aussi les instruments de mesure utilisés que les observateurs ne font que lire et interpréter »71(*). Tout cela, pour montrer combien l'interprétation théorique facilite l'usage technique dans l'expérience de physique. Remarquez que cela a été confirmé par O. Costa de Beauregard, lorsqu'il écrivait : « Il n'existe aucun « fait expérimental brut », parce que l'indication de tout instrument de physique ne se comprend qu'en termes d'une ou plusieurs théories impliquées dans la définition même de sa structure et de son emploi »72(*). C'est la théorie qui dirige l'expérience, parce qu'il n'y a pas de degré zéro d'expérience ou de fait expérimental brut.

En outre, dans son analyse de l'expérience, P. Duhem montre en définitive que la simple observation, la constatation du sens commun des faits ne constitue en rien une expérience de physique, puisque cette dernière est autre chose : elle est toujours une interprétation théorique des phénomènes. C'est pourquoi nous pensons que le physicien ne se propose pas de fournir des récits des observations, il nous fait découvrir plutôt une représentation abstraite à partir « (...) des symboles auxquels les théories physiques donnent seules un sens »73(*). En d'autres termes, l'expérience est faite sur base des représentations abstraites et symboliques. Cette abstraction symbolique est fournie par les théories admises par le physicien. Ainsi, ces résultats sont des représentations de la réalité concrète et non la réalité concrète elle-même.

Partant de la conception duhémienne selon laquelle « l'interprétation théorique des phénomènes rend seule possible l'usage des instruments »74(*), nous pouvons alors établir une nette distinction entre, d'un côté, l'instrument réel ou concret, et, de l'autre côté, l'instrument idéal ou symbolique.

Cette distinction nous renvoie à préciser ce qu'est une « correction » en physique. Tout au long de l'interprétation théorique, le physicien ressent le souci d'éliminer les causes d'erreurs pour accroître la précision de son expérience, puisque celle-ci se distingue justement des autres expériences par son plus grand degré de précision et d'approximation. En fait, ces dernières constituent les caractéristiques de toute expérience de physique. Cette précision et cette approximation sont obtenues par les différentes corrections que le physicien opère pendant le processus expérimental. Mais, qu'entend-t-on par « correction » en physique ?

Il est vrai que, pour comprendre ce qu'est une « correction » en physique, nous devons nous référer à la nature de l'expérience de physique qui « n'est pas seulement la constatation d'un ensemble de faits, mais encore la traduction de ces faits en un langage symbolique, au moyen de règles empruntées aux théories physiques »75(*). Et lorsque le physicien cherche à traduire ces faits observés, il établit sans cesse une comparaison entre l'instrument concret qu'il utilise et l'instrument idéal et symbolique qu'il se représente dans sa raison par le biais théorique. Ainsi, cet instrument symbolique, représentant l'instrument concret, doit être soumis à des corrections au fur et à mesure que l'expérience progresse ; c'est-à-dire passer d'un instrument idéal à un autre plus compliqué qui représente le mieux la réalité. Et ce, en vue de donner une représentation aussi complète, aussi exacte et aussi parfaite que possible de l'instrument concret. Voilà pourquoi, P. Duhem définit la « correction » en physique comme le « passage d'un certain instrument schématique à un autre qui symbolise mieux l'instrument concret »76(*). Ces corrections ont pour but, comme nous l'avons dit plus haut, de fournir à l'expérience de physique son plus haut degré de précision et d'approximation. Ainsi, notre auteur pense que le physicien qui néglige cet aspect de correction laissera subsister dans ses expériences, des erreurs systématiques qui ne permettent pas une représentation plus ou moins fidèle de la réalité concrète.

Comme on le voit, en permettant à l'expérimentation d'aboutir à un résultat précis et concis, notamment par l'entremise des instruments, le montage théorique expérimental ne fait pas perdre à la théorie scientifique sa valeur d'être une représentation fidèle de la réalité. Cependant, cette vérité n'est pas acceptable à première vue par tous. Il convient donc de montrer explicitement de quelle manière l'expérience quoique conçue comme interprétation des faits garantie la fidélité du discours théorique à la réalité phénoménale.

* 66 P. DUHEM, La Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 231.

* 67 Ib., p. 231.

* 68 Ib., p. 232.

* 69 Ib.

* 70 J. C. AKENDA, Epistémologie structuraliste et comparée. Tome I. Les sciences de la culture, Kinshasa, 2004, p. 209.

* 71 J. C. AKENDA, Epistémologie structuraliste et comparée. Tome I. Les sciences de la culture, p. 209.

* 72 O. COSTA DE BEAUREGARD, Sur quelques citations tirées de « La théorie physique, son objet, sa structure » de Pierre Duhem, dans Revue d'histoire des sciences 30 (1977) n. 4, p. 362.

* 73 P. DUHEM, La Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 235.

* 74 Ib., p. 231.

* 75 P. DUHEM, La Théorie physique. Son objet-sa structure, p. 236.

* 76 Ib., p. 237.

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