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L'amour humain et l'amour divin dans "la porte étroite" et "la symphonie pastorale" d'André Gide

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par Aleksandra Cvorovic
Université François Rabelais - Master 2 en Lettres Modernes 2015
  

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1.3.La notion de péché

Ce qui pose le problème pour les personnages de ces deux récits c'est de vaincre la mauvaise conscience qui est le résultat de leurs actes, parfois incompréhensibles pour les autres mais aussi pour eux-mêmes. Le Pasteur par exemple, essaye de présenter aux yeux des autres, mais d'abord à ses propres yeux, son amour pour Gertrude comme pur et saint, en construisant dans les yeux de Gertrude, pas ceux de la chair mais de l'esprit, une image de monde libéré de tout ce qui est impur : « Je sais et je suis persuadé par le Seigneur Jésus que rien n'est impur en soi et qu'une chose n'est impure que pour celui qui la croit impure. »62(*) Ainsi, il tâche de lui faire croire qu'il n'y a rien d'impur dans leur amour et c'est une sorte de purification de son propre crime.

Le Pasteur, qui connaît très bien la nature de sa femme, essaie de ne pas trop troubler sa vie et cherche la manière de soulager cette nouvelle obligation qu'il lui a imposée autant qu'il l'a imposée à lui-même. Il commence à se soucier de l'image qu'il va avoir dans les yeux des autres plus que de l'image qu'il va avoir aux yeux du Dieu. On le voit dans le moment où il laisse Gertrude seule dans la chapelle où elle jouait de l'orgue : « Et je la quittais d'autant plus volontiers que la chapelle ne me paraissait guère un lieu décent pour m'y enfermer seul avec elle, autant par respect pour le saint lieu, que par crainte des racontars... »63(*) Le Pasteur abrite toujours sa conduite par les préceptes du Livre saint et ne cherche pas la récompense pour ce qu'il fait pour autrui. Mais, au moment où il sent que Gertrude pouvait lui échapper, être enlevée par l'amour d'un autre, il se sent chargé de la protéger. Ainsi se réveille dans son âme le trait antiévangélique qui va le conduire à empêcher le bonheur d'autrui. En voyant dans l'église Gertrude et Jacques jouer de l'orgue, un homme qui n'a jamais existé en lui est né : « Il n'est point dans mon naturel d'épier, mais tout ce qui touche à Gertrude me tient à coeur. »64(*) Sa conduite va impliquer un acte de pur égoïsme - il va faire en sorte que Gertrude repousse l'amour de Jacques et que Jacques pense que ses sentiments et ambitions ne sont que l'abus d'une infirme. Il ne veut pas que quelqu'un introduise des ennuis et des soucis dans l'âme de sa protégée qu'il éduque selon un modèle idéal, pur, à l'abri du péché et du mal du monde. Il aime Gertrude, il la possède et contrôle sa vie au point qu'il ne veut plus voir son fils s'il bouleverse ses intentions : « Plutôt de te voir porter le trouble dans l'âme pure de Gertrude...ah ! Je préférerais ne plus te revoir. »65(*) LePasteur explique ses actes comme des actes de raisonnement. Il cherche des raisons qui seront le plus acceptables pour les hommes, surtout pour Jacques et Amélie, et les trouve dans ce qui est le plus évident, l'infirmité de sa protégée : « La conscience bien plutôt que la raison dictait ici ma conduite. »66(*) Il donne des raisons qui lui sont venues à l'esprit les premières :

Gertrude est trop jeune...Songe qu'elle n'a pas encore communié. Tu sais que ce n'est pas une enfant comme les autres, hélas ! et que son développement a été beaucoup retardé. Elle ne serait sans doute que trop sensible, confiante comme elle est, aux premières paroles d'amour qu'elle entendrait.67(*)

Et ainsi le crime du Pasteur a été commis et ce crime consiste en l'empêchement d'un amour entre deux jeunes personnes, manipulées par ses mots qui introduisent le sentiment de la culpabilité et du péché. Plus tard, il commence à se rendre compte que sa relation avec la jeune aveugle fait mal à sa femme et que le Dieu auquel il croit n'approuve pas le bonheur qui est fondé sur le mal d'autrui. Il écrit : « Non, je n'accepte pas de pécher aimant Gertrude. »68(*) Il ne veut pas abandonner le Christ, mais à la fois, il ne peut pas renoncer son amour.

Même si l'âme de Gertrude ne connait que ce dont le Pasteur lui parle, elle sent qu'il y a quelque chose qu'il lui cache. Après avoir récupéré sa vue, elle a compris que le monde n'était pas tel que le Pasteur voulait pour elle. Elle ne peut pas s'empêcher de voir la tristesse sur les visages des hommes :

Quand vous m'avez donné la vue, mes yeux se sont ouverts sur un monde plus beau que je n'avais rêvé qu'il pût être... Je n'imaginais pas le jour si clair, l'air si brillant, le ciel si vaste. Mais non plus je n'imaginais pas si soucieux le front des hommes.69(*)

Et la première chose qu'elle comprend quand elle entre chez le Pasteur est leur péché, leur faute. Le péché lui est révélé grâce aux passages de la Bible que le Pasteur a toujours refusé de lui lire, les passages de Saint Paul. Elle comprend son propre crime : « Mon crime est de ne pas l'avoir senti plus tôt, ou du moins, car je le savais déjà - de vous laisser m'aimer quand même. »70(*) Gertrude était aveugle auparavant, pas seulement pour des impressions visuelles du monde qui l'entourait, mais aussi pour ces propres actes et pour leurs effets sur les autres. Et maintenant, ce qui la rend triste, c'est de savoir et comprendre qu'elle occupe la place qui appartient à une autre dans le coeur du Pasteur. Mais, il y a une autre chose, une autre faute qu'elle ne connaissait point et qu'elle ne pouvait connaître qu'au moment où elle a pu voir. En aimant le Pasteur, elle a construit dans sa tête un visage qu'elle allait découvrir appartenir à un autre homme - Jacques, fils du Pasteur. Cette découverte a été pénible pour Alissa, car elle a compris à la fois qu'elle s'est trompée et que c'était le Pasteur qui l'a conduite à repousser l'amour de Jacques comme un amour indigne et éphémère : « Il avait exactement votre visage ; je veux dire celui qui j'imaginais que vous aviez... Pourquoi m'avez-vous fait le repousser ? J'aurais pu l'épouser... »71(*) En comprenant la faute impardonnable du Pasteur et d'elle-même, Gertrude n'a plus envie de vivre, car elle ne peut pas supporter la vie dans un univers plein d'égoïsme et du mal que les hommes font les uns aux autres. Elle ne se sent faire partie de ce monde et elle ne veut pas le devenir.

Gertrude n'a connu le péché qu'à la fin, quand le crime a déjà été commis, mais Jérôme l'a connu tôt, à son enfance et cela a influencé toute sa vie. Mme Bucolin, mère d'Alissa, est un personnage qui représente tout ce qui s'oppose à un comportement décent et moral. Le fait qu'elle était vêtue en blanc après la mort du père de Jérôme, et son esprit rêveur et libre, faisaient de Mme Bucolin une personne qui ne pouvait être aimée et était toujours condamnée par ses proches, qui menaient leurs vies conformément aux coutumes sociales et religieuses. Jérôme avait toujours des sentiments indéfinis pour elle, et sa présence l'incommodait. Un épisode particulier a déterminé sa vie entière. C'était le moment où il a vu un autre homme, inconnu, dans la chambre de Mme Bucolin : « Cet instant décida ma vie ; je ne puis encore aujourd'hui le remémorer sans angoisse. »72(*) Le péché de Mme Bucolin était d'autant plus grand dans ses yeux qu'il était la raison de la détresse d'Alissa. Comme on l'a déjà vu dans La symphonie pastorale, ici on peut aussi trouver le bonheur fondé sur le malheur et la tristesse d'autrui. Jérôme s'est senti obligé de protéger Alissa de tout ce qui pouvait la blesser, comme le Pasteur qui tâchait de faire la même chose pour Gertrude :

Ivre d'amour, de pitié, d'un indistinct mélange d'enthousiasme, d'abnégation, de vertu, j'en appelais à Dieu de toutes mes forces et m'offrais, ne concevant plus d'autre but à ma vie que d'abriter cette enfant contre la peur, contre le mal, contre la vie.73(*)

Ainsi, la vie de Jérôme est marquée par un péché dont il a été le témoin autrefois, tandis que la vie de Gertrude s'est achevée avec la prise de conscience de l'existence du péché. Mais, l'idée du péché est abordée dans La porte étroite d'une manière différente que celle dans La symphonie pastorale.

L'image de la chambre de sa tante poursuit Jérôme dans chaque situation dans laquelle il sent sa pensée partagée entre Dieu et la réalité : « L'esprit perdu, et comme en rêve, je revoyais la chambre de ma tante... et l'idée même du rire, de la joie, se faisait blessante, outrageuse, devenait comme l'odieuse exagération du péché ! »74(*) Alors, tout part de l'infidélité de la mère d'Alissa, présentée désormais comme la coupable idéale.75(*)Tout ce qui trouble son âme, tout petit acte humain, qui incommodait Jérôme, même le rire, fait surgir ce souvenir de son enfance, comme un symbole personnel du pécheur, de l'erreur et du défaut. De cette infidélité résulte l'horreur d'Alissa pour une sensualité dont elle a hérité mais qu'elle refoule, et l'exaltation mystique de Jérôme. Alissa note dans son journal un épisode qui nous révèle la nuance charnelle de ses sentiments pour Jérôme, mais qu'elle refuse en songeant à la faute de sa mère :

Jérôme lisait par-dessus mon épaule, debout, appuyé contre mon fauteuil, penché sur moi. Je ne pouvais le voir mais sentais son haleine et comme la chaleur et le frémissement de son corps. Je feignais de continuer ma lecture, mais je ne comprenais plus ; je ne distinguais même plus les lignes ; un trouble si étrange s'était emparé de moi que j'ai dû me lever de ma chaise, en hâte, tandis que je le pouvais encore. J'ai pu quitter quelques instants la pièce sans qu'heureusement il se soit rendu compte de rien... Mais quand, un peu plus tard, seule dans le salon, je m'étais étendue sur ce canapé où papa trouvait que je ressemblais à ma mère, précisément alors c'est à elle que je pensais.76(*)

Le souvenir de l'événement troublant où Mme Bucolin jouait le rôle principal, obsédait Alissa et remontait en elle comme un remords. Elle voulait supprimer les traits de sa mère qu'elle possédait et rompre tout lien qui existait entre elles. Ainsi, en faisant d'elle-même la porte étroite, en se faisant petite et inaccessible, Alissa demeure l'antipode de sa mère, une « mauvaise femme », qui est scandaleusement accessible, comme la porte largement ouverte.77(*)

Pour Alissa, ce qui est faux, c'était de se laisser à la tristesse. En écrivant son Journal, elle ne veut pas y transmettre le miroir de son âme : « La tristesse est un état de péché, que je ne connaissais plus, que je haïs, dont je veux décompliquer mon âme. »78(*) C'est là un autre passage qui évoque sa lutte personnelle contre tout ce qui est humain et qui trouble son esprit. A part le fait de vaincre son amour pour Jérôme, elle veut aussi tuer le sentiment de frustration et de chagrin qu'elle ressent pour ne pas permettre à son âme de réaliser le bonheur sur la terre, le bonheur qui la détournerait d'un autre but, sacré. Pourtant, elle avoue le besoin de la présence de cet amour, car il donne le sens à ce qu'elle fait, ou qu'elle veut faire : « Mon Dieu, vous savez bien que j'ai besoin de lui pour vous aimer... Mon Dieu, donnez-le moi afin que je Vous donne mon coeur. »79(*) Et c'est une autre sorte d'égoïsme, qui tente de réconcilier en elle ces deux nécessités : être aimée par un homme d'une part, et être ce qu'on considère une vraie et bonne chrétienne. Elle avoue le caractère blasphématoire de sa prière : « Pardonnez-moi cette méprisable prière, mais je ne puis écarter son nom de mes lèvres, ni oublier la peine de mon coeur. »80(*) En observant son amour pour un homme comme l'obstacle sur la route vers Dieu, Alissa demande à Dieu de s'emparer de son coeur et d'enlever de son âme l'amour qu'elle ressent. Ce qui est pécheur dans ses yeux, c'est de désirer le bonheur humain, fondé sur les choses superficielles, fragiles et illusoires avant de se tourner vers la sainteté. Elle reconnaît que les moments où elle rêve d'une joie terrestre sont des crimes de son âme. En même temps, le fait qu'elle empêche le plus fort possible son propre bonheur, représente un péché sérieux, aux yeux de Dieu autant qu'aux yeux de Jérôme qui lui demande : « Pourquoi t'arraches-tu les ailes ? »81(*)

On peut poser la même question aux autres personnages qui figurent dans ces deux récits. Le Pasteur le fait en créant une sorte d'illusion pour Gertrude, en sachant très bien que le jour où elle va découvrir la vraie nature du monde viendra. Il arrache les ailes de Gertrude et de Jacques en les séparant pour pouvoir prolonger le plaisir qu'il ressent dans ce rêve absurde, impossible et irréalisable. Il arrache les ailes d'Amélie, en bouleversant sa vie avec un devoir dont elle n'était pas digne. Alissa arrache ses propres ailes et celles de Jérôme en posant entre eux un but supérieur, inaccessible, et en faisant de leur amour une affaire humaine, passable, fragile, profane. Tous ces caractères ont du mal à coordonner les exigences de leur propre nature, des moeurs, des contraintes familiales et des celles de Dieu. Finalement, ce sont ces personnages qui deviennent victimes de leurs propres défauts et erreurs.

* 62 SP, op.cit., p. 98.

* 63Ibid., p. 58.

* 64Ibid.,p. 58.

* 65 Ibid., p. 62.

* 66Ibid.,p. 66.

* 67Ibid., p. 66.

* 68Ibid.,p. 116.

* 69Ibid.,p. 126.

* 70 Ibid.,p. 126.

* 71Ibid.,p. 128.

* 72 PE, op.cit.,p. 25.

* 73Ibid.,p. 26.

* 74Ibid.,p. 28.

* 75 MASSON, op.cit., p. 321.

* 76PE, op.cit.,p. 165.

* 77 ZORICA, op.cit.,p. 192.

* 78 PE, op.cit., p. 161.

* 79Ibid.,p. 172.

* 80Ibid.,p. 172.

* 81 Ibid., p. 140.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein