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Les jeunes mahorais et comoriens à  la Réunion : Stratégies d'adaptation et moyens de communication

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par Jean Kraemer
Université de la Réunion - Master Sciences et techniques de l'Information et la Communication 2012
  

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Chapitre 3 - TECHNOLOGIES de l'INFORMATION et de la COMMUNICATION, et

MIGRATION

1. Les migrants et les communications : le « migrant connecté »

Si l'exil et le déracinement avaient pour résultat une relative désintégration du migrant, les technologies numériques permettent au contraire son intégration, par un savoir et des pratiques partagées. Dana Diminescu (2005), différencie le migrant, mobile par essence et l'immigrant venu pour s'établir, mais estime que cette différence tend à s'estomper dans une culture de mobilité qui se traduit pour les uns et les autres par une culture de lien. Les TIC, condition d'intégration « ici », dans le pays d'accueil, permettent aussi un lien virtuel pour être présent « là-bas » auprès de sa famille ou pays d'origine, ou ailleurs.

Cette culture de mobilité se structure dans des ruptures comme dans des continuités, la différence étant plus dans la perception que dans les conditions objectives. Par cette évolution de la migration, les acteurs contribuent à faire évoluer aussi leurs sociétés. (Diminescu D. 2005). La généralisation des TIC permet ainsi d'assurer la continuité des liens, des réseaux, des appartenances sociales.

2. Les pratiques médiatiques des migrants

2.1. Consommation médiatique, structuration de la personnalité et des relations familiales

Exposés aux médias, les individus subissent leur influence écrite, sonore et/ou visuelle ; l'opinion, les références sociales sont modelées, pour partie, par cette réception. Par les informations transmises, les messages socioculturels induits, comme par le choix des émissions suivies.

La télévision, particulièrement, participe à structurer l'identité des spectateurs. Non pas simplement par ses messages, mais aussi par les usages qui en sont faits. Les pratiques télévisuelles, horaires, occasions, environnement, spectateur isolé ou accompagné, font partie de la vie de famille et des relations entre ses membres. Serge Proulx (1995) a ainsi pu établir que les usages de la télévision participent à la structuration de la culture familiale : vecteur

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d'interactions, de rituels influençant les relations et la consommation, le poste récepteur agit à la fois comme un médiateur interne et comme une interface avec l'extérieur.

2.2. Les pratiques médiatiques des migrants : structurantes, intégratrices et identitaires

Certaines pratiques médiatiques aussi simples et banales que regarder la télévision, écouter la radio ou lire les journaux locaux peuvent s'avérer de précieux outils d'intégration, ils permettent aux migrants de s'adapter au pays d'accueil, apprendre ou se perfectionner dans la langue, mieux connaître la culture, le mode de vie, les codes sociaux, les règles politiques.

Les immigrés de première et deuxième génération sont également de grands consommateurs des médias qui leur permettent de garder le contact avec la culture et le pays d'origine, suivre au jour le jour la vie de leurs compatriotes (actuels ou anciens), les évolutions socio-culturelles, économiques, politiques, par le moyen des réseaux de télévision satellitaires ou câblés notamment.

Ces médias identitaires communiquent depuis le pays d'origine ou le pays d'accueil. On ne peut manquer de mentionner le magazine « Jeune Afrique » premier organe de presse papier et numérique sur l'Afrique, proposant des lettres d'informations gratuites, rédigé en France depuis 1960, ce qui constitue une longévité exceptionnelle dans ce type de médias.

L'analyse des consommations médiatiques par le cabinet d'études SOLIS (2009), spécialisé dans le marketing ethnique, montre que les chaînes nationales de télévision sont regardées par la quasi-totalité des immigrants (première génération ou non). Les chaînes identitaires sont très suivies également, par une large majorité de ces populations (plus de deux sur trois). « Les populations issues de la diversité disposent aujourd'hui d'une offre de programmes identitaires importante en télévision (bouquets africains, chaînes maghrébines et arabes, France Ô...) grâce à la réception satellitaire et de plus en plus via l'ADSL qui détrône aujourd'hui la traditionnelle parabole. » (SOLIS 2009)

La majorité d'entre eux écoute les réseaux de radios nationales, mais aussi les radios identitaires, qui avec une présence déjà ancienne sur la bande FM, captent une grande partie de l'audience de ces segments de population. (SOLIS 2009)

Dans sa thèse sur la « presse féminine noire », Virginie Sassoon (2011) note que L'Institut Panos Paris a recensé 247 médias des "diversités", en 2007, dont 32 titres de presse écrite destinés à un

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public originaire d'Afrique et/ou des Antilles, dont 17 journaux d'informations et 8 magazines féminins. Des magazines tels que « Jeune Afrique » et « Afrique Magazine », édités en France à destination des pays africains, témoignent d'une indépendance rédactionnelle « émigrée » difficile à réaliser sur le continent africain, et de l'activité économique et politique (ces articles peuvent être critiques par rapport aux pouvoirs en place) des migrants.

Elle note que la presse en ligne est foisonnante, les études de Minoritymedia (Université de Poitiers 2006-2010) ont recensé 185 titres de presse Internet en Europe, 4 radios-internet et 4 télévisions-internet destinés aux "diasporas noires" avec tous types de contenus, de l'information généraliste à la beauté (groupe le plus nombreux), l'éducation, la famille, la santé, la religion, le sport... (Sassoon V. 2011)

C'est encore par l'arrivée de nouveaux médias numériques (audiovisuels ou Internet) qu'il est désormais possible de changer les caractéristiques antérieures de la presse identitaire, et ses dérives élitistes qui la coupaient de la masse, sous-consommatrice de médias (particulièrement écrits) et condamnaient son existence à plus ou moins brève échéance, malgré le besoin d'informations identitaires de ses publics. (ILUNGA K.C. 2011)

Le caractère interactif de la plupart des médias permet aussi à ceux qui le souhaitent de donner leur avis et leur analyse, réagir ou participer à la fabrication de l'opinion publique. Ce n'est pas le cas du plus grand nombre parmi les immigrants dans les pays d'accueil, leur voix reste très minoritaire.

Néanmoins, de nombreux leaders d'opinion (influenceurs) issus de l'immigration prennent la parole, le micro ou la plume, comme on peut le constater quotidiennement, et notamment parmi les auteurs cités dans cette recherche. Elevés et façonnés par le pays d'accueil comme par leur groupe d'origine, métissés dans leur culture, ils deviennent acteurs de la constitution de leur image dans l'espace public de leur nouveau pays, agents d'évolution de leur société d'accueil qu'ils créolisent à leur tour.

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2.3. Une population segmentée « ethnique »

Les immigrés sont désormais considérés comme un segment de clientèle important. La particularité de cette segmentation «ethnique » est de regrouper les principaux originaires de l'immigration extra-européenne (Afrique Nord et Sud-Saharienne, Turquie) avec les DOMiens. Dans une étude sur leurs besoins spécifiques et leur consommation médiatique, le cabinet d'études SOUIS (2009), estime que la diversité ethnique de la population française constitue une réalité commerciale incontournable puisque, selon leurs estimations, un habitant sur dix de l'Hexagone fait partie du groupe évoqué, et qu'en 2009, les secondes générations des populations issues de l'immigration nées en France sont plus nombreuses que les primo-arrivants. Et de préciser que ce constat est encore plus frappant pour l'agglomération parisienne, parmi les concentrations urbaines les plus cosmopolites dans le monde, avec des populations originaires du Maghreb, d'Afrique subsaharienne et des Départements d'Outre-Mer, vivant en Île de France qui représentent près de 20% des habitants de cette région. Les estimations des agences de marketing ethnique font état de 12 millions de consommateurs concernés, de quoi effectivement susciter des vocations et éveiller des convoitises.

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2.4. Les migrants face aux médias et aux cultures jeunes

Dans Cultures lycéennes, La tyrannie de la majorité (2005), Dominique PASQUIER révèle que les adolescents issus de l'immigration comme de la population majoritaire, s'autonomisent désormais de la culture parentale (et notamment traditionnelle) par une plus grande liberté de choix de pratiques de loisirs ; les pratiques au sein de la famille sont plus indépendantes et individualisées. Ils sont moins réceptifs également à la culture scolaire (élitiste) pour développer une culture propre à partir de la culture populaire (notamment genres musicaux) véhiculée par les médias.

Les choix individuels sont soumis à la « tyrannie de la majorité » de leurs pairs au sein des groupes auxquels ils appartiennent. La sociabilité amicale devient prépondérante pour les lycéens, mais se révèle extrêmement contraignante. (Pasquier D. 2005). Pour être soi, il faut d'abord être comme les autres ; les groupes étant plus restreints, avec des identités locales et culturelles marquées, les codes peuvent être plus spécifiques et comporter des contraintes plus importantes dans le cas des jeunes immigrés.

La diffusion de la culture de masse se fait avec des clivages et des hiérarchisations sexués : les garçons ont le discours dominant, constituant des groupes plus nombreux, plus structurés, plus basés sur le jeu (sports, jeux vidéo). Les filles développant des relations moins nombreuses, plus intimes, permettant une meilleure communication interpersonnelle (Pasquier D. 2005).

Les jeunes issus de l'immigration doivent combiner ces pratiques adolescentes de masse mais aussi identitaires, en fonction de leurs groupes d'appartenance, de proximité géographique et communautaire. Il s'agit ici d'un point que nous étudierons avec plus de précision dans le cas des jeunes migrants mahoro-comoriens de la Réunion.

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3. Les migrants et les (télé)communications : le lien, sous de multiples formes

La téléphonie permet un lien permanent avec le pays ou le DOM d'origine (SOLIS 2009). En effet, près de 90% des interviewés (originaires du Maghreb, d'Afrique subsaharienne ou des DOM) déclarent passer des appels téléphoniques vers le pays d'origine, la moitié d'entre eux, le fait chaque semaine. La carte prépayée (associée à un poste d'appel fixe ou -de plus en plus rarement- une cabine) et la télé-boutique restent les deux principaux moyens utilisés pour appeler vers le Maghreb et l'Afrique subsaharienne à moindre coût. Les offres des grands opérateurs de téléphonie ne se sont pas encore vraiment intéressées à ces segments de population.

En termes d'usages, Dominique Pasquier remarquait déjà en 2001 la grande diffusion du téléphone portable dans les milieux immigrés. Les jeunes grandissent avec le « mobile » dans leur vie quotidienne, omniprésent et intrusif, et avec l'obligation permanente de la gestion de son coût.

Si le téléphone mobile est personnel, le poste fixe est collectif, familial. Les appels sur les postes fixes sont limités aux communications locales. Les contacts avec la famille restée à l'étranger, constituent l'utilisation principale du poste, à l'aide d'une carte prépayée, moins chère, et qui permet d'en contrôler le montant.

Dominique Pasquier (2001) pointe aussi que les familles se font une obligation (et un plaisir annoncé) de maintenir ce lien téléphonique, presque exclusivement en longs appels sortants, ritualisés, où de part et d'autre les correspondants se regroupent. Les migrants doivent mettre le poste domestique à disposition des membres de la famille de passage.

Ces pratiques témoignent de l'image de réussite que les migrants doivent donner à la famille restée au pays et du grand respect dans lequel ils doivent entretenir leurs relations avec elle. (Pasquier D. 2001)

Le téléphone mobile est un moyen de gagner en autonomie pour les jeunes, une condition de sa participation à la vie sociale de son groupe. Pour les parents, c'est surtout le moyen de maintenir un lien permanent avec leurs descendants, de se rassurer (Dominique Pasquier 2001, Christine Castelain-Meunier 2002); le fixe étant dévolu aux contacts avec les ascendants, migrants également ou restés au pays. Dans les deux cas, c'est l'unité familiale qui en est l'enjeu. (Dominique Pasquier 2001)

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Dans son étude sur les réseaux de communication et la sociabilité, Patrice Flichy (2005) explique que les individus utilisent une vaste gamme d'outils de communication. Leur utilisation ne se fait pas au hasard, mais relève de choix réfléchis et personnels: communication ou non du numéro de fixe ou de portable selon l'interlocuteur, utilisation de plusieurs adresses de courriel en fonction du réseau mis en oeuvre... La multiplication des outils de communication permet de rester connecté en permanence et d'atteindre une gestion plus fine des différents groupes d'appartenance.

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4. TIC, Les technologies numériques de l'information et de la communication

4.1. TIC et socialisation

A la fois médias de masse et interpersonnels, les nouveaux modes de communication induits par les évolutions techniques influencent et modifient les sociabilités, en multipliant les possibilités de nouer des liens. Loin de se substituer aux contacts physiques, ils augmentent de façon concomitante et se traduisent par des agencements d'usages entre les multiples possibilités disponibles, qui évoluent avec les moyens techniques. Cette plus grande facilité de contacter et le fait d'être toujours joignable remodèlent les relations en augmentant la pression sociale. (Z. Smoreda 2008). Les TIC semblent ainsi jouer le rôle d'un révélateur voire d'un amplificateur des relations sociales (plus ou moins fréquentes, avec un plus ou moins grand nombre de correspondants, avec plus ou moins de proximité, communications entrantes ou sortantes), avec des connotations relationnelles et des possibilités de contenus de communication liées à l'utilisation de chaque outil.

4.2. Les immigrés et la consommation de TIC

Les offres groupées (téléphone + Internet + télévision par ADSL) permettent aux fournisseurs d'accès de développer leur offre à la fois pour la téléphonie par ADSL vers l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne mais également en matière de bouquets de chaînes arabes, maghrébines ou identitaires. La généralisation de l'ADSL leur ouvre également l'espace Internet, avec une forte fréquentation des sites « généralistes » (Google, Facebook, Msn), par trois « ethno-internautes » sur quatre ; par contre seuls les domiens sont adeptes (à 52.6%) des réseaux identitaires ou à visée diasporique sur le net, dont l'offre est croissante, mais ne captent qu'un Africain sur quatre actuellement. (étude SOLIS 2009)

4.3. Migrants, TIC et participation politique

Nous avons signalé l'action politique des opposants exilés, ainsi que plus récemment des médias sur les pays d'origine des migrants. Avec les TIC, chaque individu peut devenir non seulement spectateur en temps réel, mais aussi acteur social et politique localement et à distance ; en effet,

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grâce aux réseaux et l'interactivité des médias numériques, « Les migrations internationales favorisent des phénomènes de double présence et le départ vers l'étranger peut également devenir une stratégie construite par des acteurs en quête d'une meilleure vie, du pouvoir politique et d'une influence sur le régime de leur pays d'origine. Ceux-ci s'approprient des instruments technologiques et des principes du droit international pour s'attaquer à leurs adversaires politiques, donner leurs points de vue sur le fonctionnement des institutions politiques, et pour revendiquer des droits qui, quant à eux, n'ont plus seulement une connotation nationale. L'Etat vit dans l'esprit des individus et de surcroît, des migrants dont les discours, les messages, et les actions suscitent des réactions ou des mobilisations symboliques chez leurs compatriotes sédentaires. » (M. Manga 2011)

4.4. Une possible dé-structuration des migrants

Dana Diminescu dans ses travaux présente un point de vue très élogieux et optimiste de l'usage que les migrants font des possibilités de connexion. Il serait légitime de s'interroger sur les conséquences de la fracture numérique pour les migrants qui font partie des groupes les plus défavorisés de leurs pays d'accueil. Même si on peut admettre que les télécommunications sont à portée de tous ou presque, il n'en reste pas moins que le potentiel intégrateur « ici » comme « là-bas » dépend non seulement des potentialités techniques mais aussi des moyens financiers et humains pour y accéder valablement. L'émigration du pays d'origine peut être volontaire, le retour n'est pas toujours un choix possible, la mobilité n'est pas toujours une culture mais parfois un aller simple.

Loin d'encenser la fluidité, en présentant la logique de « modernité liquide » (Baumannn Z. 2000) est moins optimiste que Dana Diminescu, et déplore le fait que les liens humains deviennent fragiles, les engagements temporaires, de même que la tendance à substituer la notion de réseau à celle de structure, « les réseaux servent autant à déconnecter qu'à connecter... » Connectés ou non, les migrants ne doivent pas oublier que « La mondialisation ne se déroule pas dans le « cyberespace », ce lointain « ailleurs », mais ici, autour de vous, dans les rues où vous marchez et à l'intérieur de chez vous... » (Baumannn Z. 2000) Cela attire notre attention sur la fragilité des réseaux, que l'on voudrait parfois voir remplacer des structures plus anciennes, plus contraignantes mais plus stables et solides.

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4.5. L'avènement et la dynamique des diasporas numériques

Depuis les années 1970, les migrants interviennent sur leurs « pays » d'origine, au cours de leurs voyages, par des envois de fonds, par téléphone. Les moyens de diffusion satellitaires leur ont permis de se retrouver à distance autour de grands évènements médiatisés ou de séries télévisées dans lesquelles ils pouvaient partager une expérience commune, et communiquer sur celle-ci, avant de prendre conscience d'être un peuple éclaté géographiquement, regroupé virtuellement par la communication autour d'éléments culturels communs ; ce que Claire Scopsi (2009) appelle des «digital diasporas » (diasporas numériques).

« Gabriel Scheffer (1993) propose trois caractéristiques essentielles (pour une diaspora) : la conscience et le fait de revendiquer une identité ethnique ou nationale, l'existence d'une organisation politique, religieuse ou culturelle (une vie associative riche par exemple), l'existence de contacts réels ou imaginaires avec le territoire d'origine (éventuellement sous forme de mythe de retour). »

Claire Scopsi (2009) y voit une continuité dans l'intensification des communications. N'en sont exclus que ceux frappés à la fois par une extrême misère et par des blocages politiques absolus ; le migrant est (presque) toujours «connecté» : il est passé du courrier postal au courriel, de la cassette enregistrée à la webcam, il combine toujours téléphonie fixe et mobile comme outils au service de son insertion et sa mobilité ; autant de vecteurs de la double présence chère à D. Diminescu.

Autant d'occasions également de se rendre compte de l'intérêt communautaire des sites « web diasporiques », offreurs de services d'intégration (informations pratiques, offres d'emploi) au « hostland », comme de lien avec la mère patrie « homeland » et structurants d'une volonté d'identité commune au delà d'un territoire physique. Ces sites sont, à leur tour, productifs d'éléments culturels (opinions et débats, création artistique et littéraire...). Une distinction peut se faire entre le contenu rédactionnel ouvert à tous, et les forums, plus réservés aux « insiders » membres de la communauté. (Scopsi C. 2009)

Types d'échanges et d'influence instantanés et potentiellement puissants, ils sont susceptibles de remettre en cause et faire évoluer non seulement la perception que les communautés ont d'elles-mêmes mais également leur mode de vie et celui du pays d'origine, en constituant notamment une pression sociale et politique. (Scopsi C. 2009)

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5. Les TIC à la Réunion

5.1. L'équipement en TIC et en téléphonie mobile

L'agence IPSOS-OI (2010) montre que près de 9 foyers réunionnais sur 10 (88%) disposent d'au moins un téléphone mobile, autant donc qu'en métropole ; un tiers utilise les cartes prépayées, un quart a un compte bloqué, près de la moitié a opté pour un abonnement (forfait) mensuel.

Les Réunionnais continuent à s'équiper en technologies numériques, IPSOS OI (2010) estime que 72% des réunionnais disposent d'une connexion Internet et 62% du haut débit, chiffres proches de ceux de la Métropole.

La majorité des utilisateurs se servent du micro-ordinateur régulièrement, près des deux tiers se connectent à Internet au moins une fois par mois. Les internautes réguliers étant un peu plus masculins (52% contre 48%), les jeunes l'étant plus souvent que les plus âgés. La connexion s'effectue à la maison, parfois aussi au travail ou sur le lieu d'étude, un tiers des internautes se connecte également chez les amis ou la famille. Les non équipés le resteront dans 8 cas sur 10 (IPSOS-OI 2010).

5.2. TIC, solidarités et individualisation

M. Watin et E. Wolff ont montré dans leur étude sur les TIC à la Réunion (2006), que ces technologies ne remettent pas en cause les solidarités et la culture traditionnelles, mais favorisent des évolutions telles que les « visites téléphoniques », le contact avec les familiers ayant « sauté la mer », dans une logique d'éclatement géographique et de recherche de liens identitaires ; avec des pratiques de mutualisation des matériels comme des abonnements. Cette démarche permet également le bénéfice d'utilisations plus individuelles qui échappent au contrôle de l'entourage. Un élément de plus dans la construction de la « modernité réunionnaise », combinatoire entre tradition créole et modernité « mondialisante ».

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5.3. Les TIC et les familles mahoro-comoriennes de la Réunion

Dans son mémoire de DEA (2005), Zouhouria Hamza a étudié des familles mahoraises et comoriennes, vivant la contrainte d'une adaptation culturelle dans leur mode de vie et d'éducation des enfants, au contact de la société réunionnaise. Elles doivent intégrer aussi l'arrivée des TIC dans leur foyer avec l'individualisation qu'ils permettent, loin de la logique communautaire et centralisatrice traditionnelle, dans des espaces de vie déjà limités.

Les taux d'équipement de ces familles sont importants (téléphone fixe, mobiles, ordinateurs, téléviseurs), la connexion Internet, familiale, est destinée à la réussite scolaire des enfants. Avec l'agencement de l'habitation et le poste partagé, il n'y a guère d'intimité. Les mobiles, outils d'individualisation peuvent faire l'objet de prêts, d'échanges de puces et de crédits de communication, donc instruments de lien communautaire avec la famille étendue (Hamza Z. 2005).

Les consommations médiatiques et particulièrement télévisuelles sont collectives, moments de plaisir et d'émotion partagés. Les enfants sont souvent formateurs ou médiateurs pour les parents pour les outils numériques (comme pour la langue) dans un processus de rétro-socialisation qui remet encore en cause la suprématie des adultes et les prive de moyens de contrôle. Le contrôle est plutôt effectif à l'intérieur des fratries, particulièrement des filles par les frères, relais éducatif et autoritaire (Hamza Z. 2005). Un mode de vie domestique proche de celui qu'ils auraient pu connaître dans leurs îles d'origine.

Nous observerons dans la troisième partie, si les jeunes Mahoro-Comoriens connaissent des pratiques similaires en 2012 à la Réunion.

5.4. Des sites diasporiques mahoro-comoriens ?

Hors de l'archipel des Comores comme dans celui-ci, les mahorais et comoriens sont distincts et reconnaissent conne tels (ainsi que nous l'avons montré en préambule). Leurs sites Internet s'inscrivent dans cette logique. Le terme de diaspora tel que défini plus haut est à la fois précis, ambitieux et galvaudé. Contrairement aux « Réunionnais du monde » et d'autres sites « créoles » (p.ex. Potomitan.info), il ne semble pas possible d'affirmer qu'au delà de quelques sites communautaires « délocalisés » en Métropole (partage d'informations sur les manifestations locales, sur les traditions et la vie au pays, par exemple : http://www.soma-maory.com/),

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d'informations générales complétées d'un forum ou d'un t'chat ( http://www.mayotte-online.com/) ; ou de groupes sur facebook : (Tu sais que tu es un Comorien de France quand... http://www.facebook.com/group.php?gid=22607002839), on puisse vraiment identifier de site correspondant effectivement à l'expression d'une diaspora numérique.

Ce qui frappe pour ces sites, plus ou moins bien réalisés, complets et ambitieux, c'est leur fragilité, leur taux de mortalité est très élevé, certainement parce qu'ils sont réalisés et opérés par des bénévoles qui doivent y consacrer un temps très important, et que leur éventuelle rentabilisation, qui favoriserait leur pérennité, est très aléatoire. C'est le cas du site Diascom ( http://diascom.org/), portail des associations comoriennes, cité par Claire Scopsi en 2009, introuvable actuellement sur la toile.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote