À de nombreuses reprises, les chemins de l'art et du
luxe ont toujours fini par se retrouver. Une oeuvre d'art produit des
émotions similaires à celles d'un produit de luxe. Elle ne
répond pas non plus à un besoin existant au sens propre du mot,
mais crée plutôt des désirs de consommations artificiels et
superflus.
Fondamentalement lié à la notion de
création, l'art se retrouve dans beaucoup de pièces iconiques des
marques. Yves Saint Laurent s'est inspiré d'oeuvres de Mondrian pour
créer la collection qui le rendra célèbre en 1965. Dior
s'inspire dans du mouvement pointilliste pour créer une robe Haute
Couture, en hommage aux oeuvre de Claude Monet46. Force
d'inspiration sans demie mesure des créateurs, l'art complète
l'univers magique que les marques veulent se créer.
En effet, la touche artistique se retrouve également
dans la communication des marques. Il suffit de regarder une publicité
pour Chanel pour juger des techniques cinématographiques, notamment avec
la présence d'un générique, et de la mise en scène
des produits comme objets d'art. Les publicités sont d'ailleurs
elles-mêmes réalisées par de réalisateurs
distingués, et mettent régulièrement en scène des
actrices, qui sont souvent choisies pour être les muses, les
égéries de la marque.
Au-delà de leurs créations ou de leur
communication, les marques s'engagent aussi culturellement. A l'époque
où les biens d'exception commençaient à descendre dans la
rue, les rois et nobles d'autrefois financent des artistes pour qu'ils leur
créent des oeuvres extraordinaires : c'est le début du
mécénat. C'est resté une tradition pour les marques de
luxe, qui se portent alors garantes de l'intemporel et de l'inestimable, au
même titre que les produits qu'elles vendent : Hermès finance la
restauration du Château de Versailles avec son carré «
Promenade à Versailles », Bernard Arnault (LVMH) et François
Pinault (Kering) s'improvisent gardiens de l'art47 et Cartier, Prada
ou Louis Vuitton s'engagent culturellement en
46 Voir photo en Annexe 10, p.112
47 Le premier par sa fondation au Bois de Boulogne, le second
avec le Musée Pinault, qui a investi le Palazzo Grassi à
Venise
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créant des fondations. Elles érigent
également des musées pour matérialiser la marque et parler
de l'histoire de la famille comme le Musée Louis Vuitton à
Asnières. D'autres marques veulent aussi raconter leur saga comme
Chaumet, dans sa Boutique Musée place Vendôme ou encore Yves Saint
Laurent horizon 2017, avec sa fondation Pierre Bergé. En outre, le Bon
Marché est lui-même un musée au milieu des vêtements,
car le Grand Magasin héberge ses oeuvres permanentes,
agrémentées régulièrement d'expositions
temporaires, présentant des artistes de tous les horizons.
Aussi, l'art suit le cours du luxe. En 1500, et comme
c'était le cas depuis des millénaires, les grandes oeuvres
étaient réalisées pour gagner son éternité
après la mort, son entrée au Paradis. A partir du XVIème
siècle, il n'en est maintenant plus question, enfin plus exactement dans
la même notion de temps. A cette époque, la religion dictait les
croyances, et l'État et la morale dictaient les désirs. Seul
l'art octroyait des sensations pures, comme une échappatoire. Les
commandes de portraits et les autobiographies se multiplient, pour laisser une
trace de son passage sur Terre, pour faire perdurer le nom et la gloire de sa
famille : la montée de l'individualisme fait son apparition.
Au temps aristocratique, l'art devait être grand et
noble, au même titre que les aristocrates se devaient de l'être, en
effectuant des dépenses de prestiges obligatoires. Les codes
étaient figés. Néanmoins dans les dernières
années du XVIIème, un certain attrait pour le culte de des
anciens objets se développe et des collectionneurs d'art commencent
à apparaître. Ensuite, le siècle des Lumières se
distingue par un intérêt accru pour la décoration
privée, employant une riche collection de mobilier et d'objets
d'art.48 C'est l'essor d'une consommation faite par amour, dans un
souci d'esthétique et non plus par obligation de prestige. Les oeuvres
sont aimées pour ce qu'elles sont, mais plus pour justifier d'un certain
statut social. Ce phénomène pourrait être le point de
départ du nouveau luxe qui se veut plus émotionnel et beaucoup
moins ostentatoire.
48 Le Rez-de-Chaussée et le 1er
étage du Musée Carnavalet illustre bien le
phénomène, notamment avec la reconstitution de Salon bleu de
l'Hôtel de Breteuil (environ 1780) et un exemple de lit à la
polonaise.
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Maintenant, dans un mode régi par le
libéralisme, l'oeuvre d'art doit être plaisante et
émouvante avant toutes choses. Si l'art contemporain perd de sa
fonctionnalité représentative pour véhiculer des
idées plus conceptuelles, il devient alors un art de vivre choisi. Cela
s'illustre dans le monde du luxe, notamment avec la dérégulation
des consommations où il est admis de mixer du H&M et du Dior. Ce
mélange ne pose plus problème car ils n'existent plus de
contraintes collectives : c'est l'expression de soi, de ce que l'on veut, des
sensations. L'esthétisation du rapport au luxe se traduit par un
désir de qualité de vie, de moments intenses, et tout cela
renvoie à une inspiration individuelle.
Pour conclure, le lien entre le luxe et l'art semble
évident. En permettant aux artistes de s'exprimer librement, le public
se sent alors lui-même libre et indépendant. L'artiste lui permet
de suivre sa propre vision du style.
Comme le luxe, l'art a ce côté émotionnel
: une oeuvre ne fait pas appel à notre raison. Comme le luxe, l'art se
rattache moins à la valeur intrinsèque qu'à la valeur
émotionnelle, se séparant ainsi du monde de l'argent et des
contingences du monde. Elle joue avec les émotions, confronte les
sentiments et entraine la passion du merveilleux. De plus, son
intemporalité la rend durable : elle s'inscrit dans le temps. Chaque
oeuvre échappe à la répétition et aux similitudes
puisqu'elle est absolument unique. Le luxe repose sur le principe de se faire
plaisir en accédant un objet superflu qui transcende, exactement de la
même manière que l'art le fait. Cette corrélation montre
bien que les deux notions sont très similaires et profitent l'une
à l'autre.