PARTIE 1 : Qu'est-ce que le luxe ?
Donner au luxe une seule définition serait
réducteur. Il ne s'agit pas que d'un simple mot avec une
définition précise, figée. Tout le concept va bien
au-delà, parce que le luxe est un domaine si vaste que chacun le voit de
sa propre façon, en résonnance avec ses perceptions, ses
préférences et ses émotions. La notion est
complètement subjective et propre à chacun. Preuve que même
en terme d'explication, le luxe est insaisissable. C'est une conception
à part, qui laisse le choix de l'interprétation : chacun doit y
trouver sa définition.
CHAPITRE 1 : Tentative de définition
I. Généralités et étymologie
Selon Jean Castarède1, la complexité
ne s'arrête pas à mettre des mots exacts sur ce qu'est le luxe,
elle remonte avant tout à son étymologie. Bien que cette source
soit contestée, il semblerait que le mot dérive du latin lux
qui signifie «lumière, gloire». Cette racine
suggère donc que l'aura joue un grand rôle dans l'analyse et la
compréhension du concept. En effet, si le luxe est à la fois ce
qui rayonne et ce qui éblouit, le surnom que choisit d'adopter Louis XIV
prend alors tout son sens : Le Roi Soleil. En témoigne aussi la
manière dont la France s'enorgueillit toujours de ce luxe qu'elle
exporte.
Sinon, le mot «luxe» tel que nous le connaissons
pourrait aussi venir d'un autre mot latin, luxus,
référant quant à lui à l'excès, au faste,
mais toujours avec une référence à la somptuosité.
Cette étymologie désigne alors ce mode de vie dispendieux
adopté par les riches et célèbres par goût du
plaisir et de la monstration.
Le luxe, si on mélange les deux origines, pourrait
alors signifier une surabondance de somptuosités qui éblouit. La
définition se tient.
1 Jean CASTAREDE, Que sais-je : Le Luxe, Paris,
Édition PUF, 2010, p.3
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D'ailleurs, le luxe a toujours divisé les esprits des
Français en deux camps irréductiblement hostiles. D'un
côté, il rappelle à certains l'époque des
privilèges et met à mal l'idéal démocratique des
républicains. De l'autre, il signifie pour ses partisans le
réveil de la partie élitaire en chacun de nous qui aspire au
beau. De plus, il s'acquiert et s'entretient par de grandes dépenses, ce
qui lui vaut d'être tantôt vanté, tantôt
critiqué.
L'infinie querelle entre les deux philosophe Voltaire et
Rousseau illustre bien cette division. Cette querelle est même
personnifiée par une pendule exposée au Musée Carnavalet.
D'un côté, Voltaire est un fervent défenseur du luxe parce
qu'il le considère comme un moteur essentiel à l'économie.
Il définit même le superflu comme « une chose très
nécessaire»2. Il pense que le luxe a trop souvent une
connotation négative. Au contraire, Jean Jacques Rousseau y voit un
principe d'exploitation du petit peuple et un ressort de toutes les
décadences qui fracture la société. Ainsi, il est
incompatible avec le bonheur. Le luxe est par conséquent perçu
comme un moyen de paraître et non d'être, portant ainsi atteinte
à la virtus (en latin : vertu ; volonté qui habilite
l'homme à agir bien). Selon lui, le luxe n'est qu'un étalage de
richesse, une dépense de prestige obligatoire des plus riches, pour
affirmer sa hiérarchie dans la société et se
différencier du commun des mortels. En quelques mots, le luxe est fait
pour être contemplé et susciter les regards envieux de ceux qui
n'y ont pas accès.
En effet, toujours de nos jours, le luxe repose sur un
principe d'ouverture/fermeture, une volonté de notoriété
universelle mais avec un accès restreint : tout le monde doit
connaître le luxe mais peu peuvent y accéder afin de conserver
l'exclusivité. C'est à ce stade que se situe la
spécificité du secteur.
Dans la pyramide des besoins du psychologue Abraham
Maslow3, les besoins primaires (l'avoir) se distinguent des besoins
secondaires (l'être). Cette séparation
2 VOLTAIRE, poème Le Mondain, 1736
3 Dans l'article, A Theory of Human Motivation, dans la
revue Psychological Review n°50, 1943, p.370-396
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permet de situer les besoins du consommateur et de comprendre
à quel moment le luxe entre en jeu.
Les besoins primaires symbolisent les produits de
première nécessité comme l'alimentation, l'habillement, ou
encore le besoin de rassurer en achetant des marques (respectivement besoins
psychologiques et besoins de sécurité, les deux premiers
piliers).
Ensuite, la troisième catégorie concerne les
besoins d'appartenance et de relations. Cela peut se traduire par la
volonté d'adhérer à un club et de se sentir
accepté, d'être bien dans sa peau.
Puis, le quatrième palier est celui du besoin
d`être reconnu. Ce besoin repose sur l'estime de soi et d'autrui, le
pouvoir et le bonheur. C'est à ce moment-là que le luxe entre en
scène en proposant des produits de prestige qui résonnent dans
l'imaginaire collectif et valorisent ainsi le possesseur aux yeux de tous.
Enfin, le dernier palier représente
l'épanouissement de soi et de la réalisation de soi. L'homme
achète une personnalité, un style particulier qui lui parle. Le
but n'est plus la reconnaissance, mais la volonté d'accéder
à des produits rarissimes accessibles seulement à une partie de
privilégiés, ou profiter d'expériences uniques en leur
genre.
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L'approche de Maslow est d'autant plus intéressante que
le luxe en lui-même a un côté très subjectif, et donc
forcément psychologique. Le luxe trouve sa réelle
définition dans les expériences de vie de chacun, leur
façon de voir les choses, et le moyen de satisfaire leurs besoins. Le
luxe est le beau que chacun met dans sa vie, à sans façon, comme
une valeur personnelle qui régalerait les seules narines que celui qui
en jouit. D'ailleurs, Kapferer le souligne : «Le luxe n'est pas qu'un
simple vocable, une pure création sémantique, mais un vrai
concept sociologique et psychologique». 4 Difficile donc
de poser les contours d'un concept assez abstrait, qui n'a lui-même pas
de limites puisqu'il trouve une part de vérité différente
chez chacun de nous.
Si le luxe doit exprimer quelque chose d'unique, alors les
secteurs qui viennent alors immédiatement à l'esprit sont ceux de
la Haute Joaillerie, de l'Automobile ou encore de la Haute Couture. C'est le
premier cercle du luxe selon Jean Castarède5, celui du
patrimoine. Mais, ce champ restreint peut s'étendre à deux autres
cercles du luxe : celui de l'image est celui du mieux-être. Le luxe est
devenu est vrai style de vie, les codes ont changé.
Certes, le luxe dépasse l'indispensable, et
représente tout ce qui est considéré comme superflu et
inutile. Mais le sa nature peut aussi signifier la splendeur et le raffinement
dans l'art de vivre dans son ensemble : le luxe ne se cantonne pas à du
matériel, l'expérience doit se retrouver jusque dans ses plus
petites actions. Le luxe est partout, puisqu'il est intégré
complètement dans la façon de vivre, mais à
différents niveaux. Le luxe suprême est accessible à tous
mais élitiste car peu savent le décrypter. C'est pourquoi cette
étude s'étend à tous les domaines considérés
comme luxueux : l'art, les Palaces, la Grande Cuisine, les Vins, ou plus
étonnant encore, le style de vie.
4 KAPFERER Jean Noël et BASTIEN Vincent, Luxe Oblige
/ On Luxury, 2ème Édition, Paris, Éditions Eyrolles,
2012
5 CASTARÈDE Jean, Le Luxe, Paris, PUF, 1992,
p.63-64
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