Il paraît compliqué et peu pertinent
d'énumérer toutes les dimensions que le mot luxe peut
suggérer. Une mise en perspective des différentes perceptions de
luxe (par le temps et par l'espace) met en lumière les aspects
fondamentaux d'un produit dit de luxe et d'en dégager les principales
caractéristiques.
l Perceptions dans le temps
Il faut comprendre que dans les années 1920-1930, les
ménages ayant un réfrigérateur «se sentaient
membres d'une aristocratie technologique»6. Maintenant,
c'est d'une banalité absolue. Pareillement, le luxe en 1950 pouvait
signifier la télévision couleur, alors qu'il faut
dorénavant avoir un modèle en réalité
augmentée. Autant en 2200, le luxe pourra peut-être rimer avec la
jeunesse éternelle ou les voyages dans l'espace. Cela suggère que
le luxe serait une question de prix et d'innovation.
Durant le XVIème siècle en France, le sucre
était considéré comme un produit de luxe, qui
répondait aux besoins des grands pâtissiers de l'époque.
Avec la découverte du jus de betterave au début du XIXème
siècle, le sucre perdit immédiatement toute sa dimension
exclusive et se popularisa jusqu'à en devenir le produit de consommation
insignifiant que l'on connaît7. De même, le saumon
fumé et le foie gras étaient autrefois considérés
comme des produits de luxe puisque accessibles seulement à une
élite. Dorénavant, les produits sont vendus en grandes surfaces,
de qualités très variables et à tous les prix. Certains
sont certes encore des produits de grande qualité,
élaborés dans les règles de l'art, mais ils ne peuvent
plus être appelés des produits de luxe. Au contraire, des produits
comme le caviar restent exceptionnels parce qu'ils ne sont pas accessibles de
partout, ou alors dans des points de ventes bien spécifiques. Cela
suggère que le luxe est une question de rareté et
d'unicité.
6 CATRY Bernard, Le luxe peut être cher, mais
est-il toujours rare ?, Revue Française de Gestion N°171,
Février 2007, p. 52
7 Ibid, p.51
12
Pierre Cardin était auparavant connu pour ses robes
confectionnées par des couturières dans les ateliers parisiens.
Mais son image de marque a été fragilisée par son recours
à de nombreuses licences dans les années 1980-1990. Le
créateur a fait le choix de se démocratiser pour pouvoir toucher
une clientèle plus ample et faire grandir son chiffre d'affaires. Mais
la stratégie choisie n'a pas été la bonne. Ses
collaborations avec des enseignes comme Carrefour ont sérieusement mis
en péril sa crédibilité. La plupart des adeptes rattache
le luxe à une tradition et à un savoir-faire, souvent artisanal
et fait-main. La temporalité joue un rôle important, se traduisant
par des références culturelles. Cela suggère que le luxe
est une question d'authentification d'un savoir-faire particulier et donc
d'excellence.
Dans les années 80, porter un sac Vuitton était
presque considéré comme vulgaire. Maintenant, la marque a
retrouvé son pouvoir d'attraction et de brillance sur les masses. Cela
suggère que le luxe est une question d'émerveillement et de
classe.
l Perceptions par l'espace
Pour un habitant de Jakarta, le luxe peut signifier avoir un
air pur sans pollution. En Europe, ce serait avoir une Bugatti Veyron. Cela
suggère que le luxe définit un mode de vie sans contraintes et
sans tensions.
Le luxe d'aujourd'hui n'est pas celui d'hier et certainement
pas celui de demain : il peut refléter des réalités
différentes. De nombreux produits autrefois considérés
comme luxueux sont devenus des produits de masse. Aussi, les perceptions
peuvent évoluer suivant l'espace, et les classes sociales. Le luxe d'une
famille rentière (luxe d'exception) ne sera pas le même que celui
d'une famille modeste (luxe de consommation). Le luxe est ainsi relatif aux
expériences personnelles et émotionnelles de chaque individu.
Pour finir, le luxe est également une question de moralité, voire
d'éducation. Le luxe, au-delà de l'aspect matériel, peut
alors devenir une attitude, un véritable mode de vie.