Il convient de remonter le temps ensemble, de poser quelques
jalons historiques pour observer le luxe d'hier. Il s'agit de comprendre
pourquoi et comment il est né ainsi que ses évolutions à
travers le temps, pour mieux déchiffrer les codes du luxe de demain. Je
pense que chaque chose trouve son explication par son histoire, les faits qui
l'ont construit et l'ont tant modifié.
Notre épopée commence vers la fin de la
Préhistoire. Aux alentours des Eyzies, un petit village de Dordogne, les
archéologues ont retrouvé des objets qui s'apparentent à
des accessoires de luxe, et plus particulièrement à des
parures.8 En effet, l'or a été découvert en
-5000 av JC, puis l'argent en -3000 av JC. Il paraît donc probable que
les civilisations antérieures aient trouvé une utilité
à ces métaux. La conclusion est assez aisée : la notion de
luxe remonte à la nuit des temps, puisque détenir et utiliser des
produits d'exception a toujours permis de montrer sa classe sociale. Ainsi, des
inégalités de richesses existaient déjà à la
période la plus rudimentaire que la France ait connu.
En 808, Charlemagne prône le luxe utile et chasse le
l'ostentation de la cour, avec une ordonnance qui interdisait d'acheter des
vêtements au-dessus d'un certain prix. Cette ordonnance avait pour but de
contenir le train de vie des nobles. C'est aussi le premier à faire de
la cuisine un art, avec une réelle attention à la vaisselle et au
décor des banquets.
En 1229, l'enrichissement des bourgeois énerve Louis
VIII, le Roi Coeur de Lion. Pour lui, porter de bijoux et habits
précieux devait rester un privilège réservé
à la haute noblesse. Pour contrer cette démocratisation, des lois
somptuaires sont appliquées pour réglementer le port des riches
vêtements.9
8 CASTARÈDE Jean, Histoire du Luxe en France, des
origines à nos jours, Paris, Éditions Eyrolles, 2006,
p.15-16
9 Ibid, p.90
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A la sortie du Moyen Age, la Renaissance Française,
menée par François Ier, apporte son lot de
distractions et le luxe de maintenant commence à éclore,
notamment avec les artistes qui entouraient le Roi. Le XVIIe siècle
marque clairement l'avènement du luxe à la française, de
l'élégance et du raffinement, avec pour exemple le lancement des
chantiers de Chambord, l'ancêtre de Versailles.
Là encore, des édits somptuaires sont
promulgués, dans le but non seulement de limiter l'importation de belles
matières étrangères, mais aussi pour creuser toujours plus
l'écart vestimentaire entre bourgeois et aristocrates. Or, les
édits somptuaires n'étaient pas souvent respectés par les
bourgeois, qui préféraient payer les amendes plutôt que de
renoncer à leur rêve d'élévation sociale. Voltaire
le souligne d'une manière très juste : « L'histoire a
prouvé que toutes les lois somptuaires des anciens et des modernes ont
été partout, après un temps très-court, abolies,
éludées ou négligées : la vanité inventera
toujours plus de manières de se distinguer que les lois somptuaires n'en
pourront défendre. »10
Louis XIV reprendra le flambeau de François
Ier et accélèrera le processus en le poussant à
son paroxysme. Il fonde en 1667 La Manufacture royale des Gobelins où
son décorateur en chef, Charles Le Brun dirige une multitude
d'orfèvres, ébénistes et autres talentueux
artisans.11 Toutes les manufactures royales créées par
Le Roi et son ministre Colbert jettent les fondements du luxe dit
«industriel». Mais, la Révocation de l'édit de Nantes
en 1685 fait fuir à l'étranger de nombreux artisans (notamment
les minorités protestantes), portant un sérieux coup au
développement du luxe français et privant notre pays de
précieux talents, que Louis XIV avait pourtant fait venir pour former
les artisans français. Ce fut une des plus sérieuses erreurs du
Roi Soleil dans sa volonté de faire de la France la reine du luxe.
Au XVIIIème, le luxe est au beau milieu de toutes les
controverses philosophiques, religieuses, économiques et morales. Paris
est alors devenue la capitale de la mode, et les dépenses vestimentaires
ont doublé, aussi bien chez les nobles que chez les classes
inférieures. Le luxe, inégalitaire par essence, commence à
être
10 VOLTAIRE, OEuvres complètes, Volume 1, Paris,
Imprimeries de Fain, 1817, p.602
11 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers
Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert,
Flammarion, Paris, 1995
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critiqué. Mais, ce siècle de jouissances va
curieusement le hisser au statut d'art de vivre. La monarchie continue
d'encourager le savoir-faire français. En 1764 la marque Baccarat est
créée, sur autorisation du Roi Louis XV, qui veut
développer l'art de la porcelaine. Plus tard, Napoléon
1er et Napoléon III permettront eux aussi l'essor de
nombreuses marques de luxe.
Le XIXème siècle voit naitre la Haute Couture.
Le premier défilé de couture par Charles Frederick Worth est
présenté en 1845.
La fin des années 1940 est menée par des
personnalités avant-gardes comme Coco Chanel ou Christian Dior. C'est
l'époque de la sacralisation des créateurs, qui promettent un
échappatoire face à la dureté de la
guerre.12
De 1980 aux années 2000, le luxe entre dans une
nouvelle ère. Les petites entreprises familiales et artisanales
deviennent de grands groupes internationaux focalisés sur une
stratégie financière et industrielle. Louis Vuitton-Moët
Hennessy (LVMH) devint en 1987 la première multinationale de marque. La
mondialisation et la massification échafaudent un nouveau modèle
économique et importunent les fondements du luxe français, qui se
généralise et se banalise. Qui dit mondialisation dit extension
de marque et hyper accessibilité. Le terme de démocratisation du
luxe apparaît, condamnant la prolifération d'accessoires
d'entrée de gamme, la distribution massive via Internet et la
contrefaçon dont certaines marques souffrent beaucoup.
De nos jours, le luxe se prend à rêver
d'élévation, loin d'une société de consommation qui
a montré ses limites : le nouveau luxe flirte avec émotionnel et
expérientiel.
Ainsi, déjà le luxe se transforme avec les
découvertes artistiques et techniques, mais aussi au gré des
conflits culturels. En quelques mots, le luxe accompagne l'histoire de
l'humanité.
12 STEELE Valérie, Se Vêtir au XXème
siècle, de 1945 à nos jours, Paris, Editions Adam Biro,
1998, p.12: «La mode fut peut-être une façon de nier
l'humiliation de la défaite et de l'Occupation, voire une façon
d'y résister. La créativité fut, à n'en pas douter,
une réponse à la pénurie ».