La France sait qu'elle peut capitaliser sur certains
secteurs, qui ont participé à forger sa renommée et qui
continuent de faire sa fierté. Ce chapitre se focalise sur quatre
secteurs qui semblent indissociables de la culture française : la
Gastronomie, les Vins et Champagnes, la Haute Couture et les Palaces.
Il paraît d'ailleurs intéressant de montrer que
ces quatre secteurs semblent absolument indissociables les uns des autres. Ils
se sont toujours entremêlés, comme solidaires pour promouvoir
l'excellence française : Le restaurant du Plaza Athénée
met le livre de cuisine de Christian Dior13 à l'honneur, en
reprenant ses recettes dans un menu exceptionnel proposé lors de la
Fashion Week ; César Ritz était ami avec le célèbre
cuisinier Auguste Escoffier, qui va d'ailleurs le suivre à Paris et
officier dans ses cuisines, aidant ainsi le Ritz à s'imposer très
vite comme le rendez-vous de toute l'aristocratie européenne ; Les
étiquettes des meilleurs Grands Crus et Cuvées de Champagnes se
retrouvent sur toutes les tables des meilleurs restaurants gastronomiques,
leurs meilleures des vitrines.
La gastronomie est une indétrônable institution
en France, avec pour exemple très concret l'attachement que porte les
chefs cuisiniers français aux Étoiles, bien plus prononcé
que dans n'importe quelle autre patrie. Pourtant, la même tyrannie est
exercée dans les cuisines étrangères. Mais la gastronomie
s'inscrit profondément dans la culture de la France. Le chef place la
cuisine au coeur de sa vie, puisqu'il cherche continuellement à extraire
la quintessence des produits à travers la recherche d'une
sélection qui relève d'une grande investigation. C'est une notion
dure à saisir pour quelqu'un qui n'est pas français. Un dire du
magazine anglais The Independant illustre bien l'intensité du
lien entre les chefs français avec le prestige
13 Peu savent que Christian Dior était un fin gourmet.
Son livre La Cuisine Cousu-main (1972) témoigne pourtant de sa
folle gourmandise.
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d'un plat d'exception : «La norme Michelin- Gault et
Millau est née en France, existe depuis plusieurs siècles et sera
toujours à sa place dans le pays où la gastronomie est une
question de vie ou de mort.»
Cette passion pour la bonne cuisine n'était pourtant
pas spécialement vouée à naître en France.
L'histoire explique comment la gastronomie est devenue inhérente
à la civilisation française. La suprématie de la France
sur la bonne cuisine s'est forgée au fil des siècles. Le
processus s'enclencha en 1651, avec la parution du livre de La Varenne (de son
vrai nom François Pierre) : Le Cuisinier Français. Avec
cet ouvrage, tout le monde a subitement envie de mieux manger. Les mets sont
qualifiés de fins, de délicats : les palais prennent enfin
conscience des saveurs et des plaisirs de la bonne cuisine.
Ce livre fut d'ailleurs le premier à être
traduit en de nombreuses langues. Réédité plus de
quarante-six fois en moins de cinquante ans, le succès fut d'une ampleur
sans précédent, aussi bien auprès des cuisiniers et des
convives français, qu'à l'échelle internationale. De plus,
la France jouissait déjà à cette époque d'un
certain rayonnement sur l'ensemble du Vieux Continent, et même
au-delà de ses frontières. Cette puissance n'a fait qu'augmenter
l'engouement des populations étrangères pour ce nouvel art.
Ce livre, et d'ailleurs la profusion d'ouvrages qui
découla de cette parution, permit non seulement aux cuisiniers
professionnels du monde entier de se perfectionner à cette nouvelle
méthode, mais aussi aux amateurs de découvrir une nouvelle
jouissance à laquelle s'adonner. La mode se répandit dans toutes
les couches sociales, de l'aristocrate au routinier, qui se mirent alors
à développer un goût certain, une conscience collective
pour les bonnes recettes.
La cuisine fut dès lors accessible à tous et
plébiscitées par une large clientèle internationale : le
savoir-faire français se retrouve dans chaque assiette fine et
raffinée.14
14 DEJEAN Joan le précise dans Du Style (2006) :
«La cuisine devint un élément essentiel de la nouvelle
civilisation du bon goût (français, naturellement).»
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Au travers de tous ces guides culinaires qui émergent
dans la seconde moitié du XVIIème siècle, les
Français sont encouragés à manger des produits plus
raffinés cuits d'une façon plus fine. Lecteurs et auteurs se
retrouvaient ainsi autour de valeurs communes puisqu'ils adhéraient tous
à ce nouvel art culinaire. La cuisine traditionnelle était
codifiée, ce qui a permis non seulement l'acceptation de ce changement
d'alimentation, mais aussi de l'exporter. Cette tournure radicale dans la
façon de consommer marque l'avènement d'une nation de
gourmets.
En 1674, un livre écrit par un chef dont seules les
initiales sont connues, LSR, associe pour la première fois l'art
culinaire à l'art de recevoir. C'est d'ailleurs son titre : L'Art de
Bien Traiter. François Marin poursuit sur cette lancée avec
la parution en 1739 des Dons de Comus, qui enseigne au fil des pages
l'art de servir un repas avec la dernière
élégance.15 Ces ouvrages témoignent que la
cuisine est plus que boire et manger en France. Il s'en accompagne tout un art
de la table.
Encore aujourd'hui, les chefs cuisiniers savent rendre
hommage aux illustres qui ont fait la réputation de leur métier,
les plus anciens comme les plus contemporains. Cela souligne la valeur de la
transmission du savoir-faire dans ce domaine. Pour en citer un, le Guide
Culinaire d'Auguste Escoffier est toujours considéré comme
une Bible par les plus grands Chefs du monde : Eric Fréchon le
reconnaît dans une interview accordée à Madame le Figaro le
05 Mars 2016.
Dorénavant, la France n'est plus la seule nation
à donner naissance à des chefs capables de réaliser des
plats exquis. La mondialisation et la croisée des influences ont fait
que d'autres nations se distinguent par leur maîtrise de la cuisine. Mais
la cuisine française peut s'enorgueillir de la richesse incroyable de
l'art de vivre à table qu'elle tire de son héritage. Qu'elle soit
modestement présentée dans les bistrots traditionnels, ou sur les
tables des restaurants chics, la gastronomie française continue de
réjouir les papilles des gourmets du monde entier. Cette
souveraineté en est d'autant justifiée par le classement en 2010
du Repas gastronomique des Français au Patrimoine Mondial
Immatériel de l'UNESCO.
15 RIVAL Pierre et BAUDOT François Métiers
Choisis, Les secrets du savoir-faire pour le Comité Colbert,
Flammarion, Paris, 1995