ANNEXE 2
Transcription de l'interview de Madame Carenne
ANDRÉ, responsable du Bureau International des
Maîtres Cuisiniers de France. Cette interview m'a été
accordée le mercredi 11 mai 2016, dans ses bureaux.
Décrivez-moi votre vision du luxe, avec un
exemple concret qui vous vient rapidement à l'esprit.
J'ai plusieurs images qui me viennent en même temps.
D'abord il y a l'élégance et la classe. La seconde image qui me
vient est un plateau avec service à thé et petits gâteaux
dans un hôtel de luxe. La troisième image est celle du gros
bouquet de fleurs que vous recevez quand vous descendez dans un palace. Ce sont
des petits plaisirs raffinés et perfectionnés, qui sont
complétement en résonnance avec la classe. Ce qui est incroyable
je trouve dans le luxe, c'est que pour toucher à cette finesse qui passe
par la luxuriance, on n'est ni dans l'excès, ni dans l'ostentation ou le
clinquant : on est dans la simplicité. La cuillère qui est bien
essuyée et qui est toujours placée de la même façon
est plus luxueuse qu'une cuillère en or.
Pensez-vous qu'il puisse exister plusieurs luxes ? A
mon opinion, le luxe diverge selon les perceptions de la personne (temps,
espace, ...)
Ce n'est pas exactement plusieurs luxes, je penserai
plutôt à différent thèmes. En réalité,
quand on parle du temps, on parle en même temps de l'évolution des
classes sociales et de l'histoire. En effet, les produits et les classes
sociales ont changé à travers certaines époques. Aussi,
à travers l'histoire, le luxe a changé avec les différents
produits qu'on a pu découvrir. Aussi, le vrai sens du mot luxe
diffère selon les classes sociales. Certaines classes en
difficulté vont considérer que partir en vacances est un luxe,
alors que pour nous ce n'est pas le cas. Je crois que le véritable luxe
est dans la simplicité et dans les vraies valeurs. Donc pour moi, le
luxe a différentes thématiques : en fonction de l'histoire, en
fonction des classes sociales, et en rapport à la
moralité.
84
Quelles sont pour vous les principales valeurs du luxe
à la française ?
Le luxe à la française, c'est la
«luxury attitude». Ce luxe est tellement reconnu à
l'international qu'il est devenu des valeurs haut de gamme exportées
puis adaptées. Le luxe à la française vient de l'histoire,
du service à la française du temps de la royauté. J'ai eu
la chance de travailler avec des Mauriciens qui ont ce mélange de
culture anglais et hindouiste qui est tout simplement incroyable. Et si je dois
le comparer au luxe français, on va y ajouter dans la distance. Pour
être dans le luxe, il faut donner la place à chacun d'être
et surtout au client d'avoir l'impression d'être quasiment seul au monde
et que toutes ses demandes sont exaucées à peine formulées
comme par magie. On retrouve ce côté français qui va semer
une espèce de sympathie. Là où les anglais vont être
très froids et distants, là où les mauriciens vont
être à l'écart, le français va oser le regard,
l'interpellation, silencieuse toujours, mais quand même. En France, on a
l'opportunité d'avoir le sourire de ceux qui nous servent et de sentir
cette sympathie française, très classieuse. La sympathie nous
rend attendrissant, et c'est ainsi que le client se souviendra de là
où il a mangé, et n'oubliera jamais ce repas. L'art culinaire
français vient de notre héritage de savoir recevoir. Dans un
restaurant, plus il y a d'étoiles, et plus il y a de sous assiettes :
c'est là où on comprend vraiment le raffinement de la
vaisselle.
On parle souvent de l'« art de vivre à la
française » : comment expliquez-vous que les autres
nationalités nous voient comme le symbole du raffinement et de
l'élégance ?
C'est notre histoire : savoir-être, savoir-faire,
savoir recevoir.
Diriez-vous que cet art de vivre s'est
complètement intégré dans la vie quotidienne des
Français à travers les temps ?
La nuance va dépendre de l'éducation, et
donc des moyens financiers qui vont positionner l'éducation. On peut
aujourd'hui être très fortuné et le lendemain se retrouver
à travailler pour le SMIC et garder cette éducation. Elle n'est
pas en relation avec le bien matériel, mais plutôt à
l'histoire, à ce qui est porté. Il y a des gens beaucoup plus
modestes qui sont tombés amoureux de ce raffinement, en visitant des
musées, en découvrant des choses, et du coup l'ont
réintégré dans leurs vies alors qu'il ne l'était
pas sur les générations précédentes. Il n'est pas
obligé d'avoir des origines nobles pour l'avoir dans le sang, ou
l'avoir
85
reçu dans notre éducation. Par exemple, il y
a toute une génération d'immigrés qui ont
considéré que venir s'installer en France était une vraie
chance et qui ont été vers cette culture qu'on leur offrait.
Aujourd'hui, il la transmette, toute une gardant une part de leur
exotisme.
En quoi la Haute Cuisine est-elle une ambassadrice de la
France ?
Elle représente absolument tous les
éléments dont on a parlé : le service, le raffinement,
l'élégance, le savoir-faire ... C'est absolument tout
réuni dans la qualité du choix des produits, le savoir-faire de
la réalisation, le dressage de l'assiette, l'exigence au niveau du gout
et même dans l'hygiène. Et une fois de plus, un plat
raffiné n'aura pas le même gout s'il est mal servi, que lorsqu'il
est présenté avec élégance et discrétion. A
cela vous ajoutez le service à table et le vin et je crois qu'on a fait
le tour.
Avant le livre de la Varenne, les Français
n'étaient pas destinés à briller en cuisine, mais ce guide
s'est propagé dans toute la population. Alors certes, on ne mangeait pas
les mêmes mets, or il y avait un plaisir de bien manger, qui s'est encore
développé avec l'apparition des traiteurs : une bonne ambiance,
de jolis décors, et le cuisinier qui officiait comme un maitre de
cérémonie. Tout cela a participé à établir
notre nation de gourmets.
Tout à fait. Même dans les campagnes, quand
on élevait les filles, on devait leur transmettre le savoir recevoir,
à faire manger : leur métier pour la vie était à
demeure. Il y avait aussi des guides des bonnes manières, qui
codifiaient tous les faits et gestes. D'ailleurs dans les années 1980,
Madame de Rothschild en a écrit un. Je souhaitais partager avec vous
l'éditorial de Monsieur Têtedoie, notre Président dans
notre guide 2015 : « Le premier restaurant s'est ouvert après la
Révolution lorsque les cuisiniers des aristocrates ayant perdu leurs
emplois, ont dû songer à se reconvertir. Ils ont alors
imaginé un lieu chaleureux où l'on pourrait servir les clients
comme les princes et les rois l'avaient été jusqu'à alors.
Le premier restaurant était né et avec lui tant de promesses,
toutes plus gourmandes et savoureuses les unes que les autres. »
86
Je sais à quel point l'importance de la
transmission est grande dans la gastronomie. Les maitres-cuisiniers mettent
tout leur coeur à former leurs apprentis et je me demandais, vous,
à travers l'Association des Maitres Cuisiniers de France (MCF), vous la
préserviez ?
Il est vrai que la transmission est très importante
dans la gastronomie, mais cela ne dépend pas que d'un métier.
Cela dépend des individus et de leur capacité à
développer une valeur. Si l'on sait quelque chose et que l'on est pas
capable de le donner, c'est le savoir que pour soi et vivre sur de
l'égocentrisme : cela n'a pas de sens. Nous, en tant de l'Association
des MCF, avons deux grandes valeurs : le rayonnement à l'international
de l'art culinaire français et la transmission. Cette transmission est
développée avec la 62ème année du concours national
du Meilleur Apprenti de France (MAF). Je pense que sur nos 600 Maitres
Cuisiniers dans le monde, peu sont à ne pas avoir formé
d'apprentis. Et aujourd'hui, les chefs de cuisine qui nous sollicitent pour
rentrer dans l'association nous disent : «Quand j'étais apprenti,
mon chef était MCF et pour moi, c'est un aboutissement». L'essence
même de l'association, c'est la transmission. C'est un métier
très dur, mais grâce à cette humanité, ce
savoir-faire de transmission du maitre à l'apprenti, on trouve une force
dans laquelle puiser pour aller au bout des épreuves. C'est une
reconnaissance, un remerciement.
En plus du concours des MAF, nous présentons aussi
le concours Espoir sur le salon du SIAL avec la société Euro
Toque et la société Meilleur Ouvrier de France (MOF). On
organisait aussi jusqu'en 2009 le concours du Meilleur Apprenti d'Europe, qui
s'est arrêté mais que j'ai en grande ferveur de relancer au plus
tard dans 2 ans.
87
|