Depuis des siècles, Paris garde précieusement
les secrets d'un savoir-faire jalousée par les ateliers du monde entier.
Paris a toujours été le point de chute de ceux à la
poursuite de modes à la pointe du style. La Ville Lumière
recèle en son sein certains des meilleurs créateurs que la mode
n'ait jamais connu. Les débuts du commerce de la mode remontent aux
alentours de 1670 à Paris. A cette époque, la Cour du Roi est de
plus en plus exigeante en terme d'habillement. Ce nouveau commerce est d'autant
plus facilité par l'avènement de moyens de plus en plus
sophistiqués pour diffuser les nouvelles tendances. Il est notamment
question ici de l'essor fulgurant de la presse, et principalement de la presse
de mode, autrement dit le moyen de diffuser les dernières tendances au
plus grand nombre.
En 1672, un des pionniers du journalisme de mode est Jean
Donneau de Visé. Son nom est aujourd'hui connu grâce au journal
qu'il décidât de lancer cette année-là : Le
Mercure Galant. Cette gazette était la première en son
genre. Plus qu'un magazine de mode (le premier article sur la mode ne fut
d'ailleurs paru qu'en janvier 1678), elle regroupait les actualités du
moment, des indications sur le dernier style à suivre en matière
d'art, de lettres, de décoration. Le Mercure Galant fut d'une
inspiration sans précédent pour toutes les françaises de
cette époque.17Avant Le Mercure Galant, tous les
vêtements de nobles étaient faits sur mesure. Depuis tout temps,
les privilégiés étaient habitués à choisir
leurs tissus et leurs modèles avec leurs tailleurs privés.
À partir de la sortie du Mercure Galant, les nobles se lassent
de ces vêtements, tellement uniques que personne ne les reconnaît.
Ce phénomène est d'autant plus paradoxal quand aujourd'hui, avoir
des vêtements élaborés sur mesure représente le
summum du luxe. Pareillement, les gens fortunés d'aujourd'hui veulent en
général se différencier et ne surtout pas ressembler
à tout le monde. En effet, pour lancer une tendance, il faut bien que
les autres la suivent. Bien entendu, il convient que le temps que les classes
inférieures
17 DEJEAN Joan le fait remarquer dans Du style
(2006) : «Donneau de Visé, en véritable
génie du marketing, ne destinait pas sa publication aux femmes ayant la
possibilité de constater par elles-mêmes les nouvelles tendances,
mais bien aux ancêtres d'Emma Bovary, ces femmes enfermées dans
les provinces qui rêvaient d'être aussi chic que la créature
devenue mythique au moment même où la haute couture vit le jour,
la Parisienne.»
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copient cette tendance, les « reines de la mode »
soient déjà passées à autre chose depuis au moins
une saison. Il fallait donc constamment renouveler sa garde-robe. Et pour que
les dames de cours étrangères soient au summum de la mode, il
fallait qu'elles rivent les yeux sur Paris, la capitale de
l'élégance, pour obtenir les dernières indications sur ce
qu'il fallait porter pour cette saison-là. Il faut souligner que la
domination de Paris sur la mode à cette époque réduit
considérablement les distances sociales. La mode se propagea au sein de
toute la population française. Certes, si les plus pauvres ne pouvaient
pas se permettre de s'offrir les merveilleuses robes des courtisanes de
Versailles, elles voulaient néanmoins participer au
phénomène. La préoccupation pour la mode était
telle, qu'elles commencèrent à changer leur apparence, à
leur niveau. Elles arboraient par exemple des bas, des rubans ou autres
produits accessibles.
Mais le phénomène eut aussi une
répercussion internationale. Les trente dernières années
du 17ème siècle ont énoncé les leçons de
base qui dictent encore l'industrie de la mode de nos jours. Les
créateurs français avaient déjà bien compris que le
recours à la publicité, aux égéries et la
transgression des moeurs allait être le moyen de commercialiser la mode
à la française au-delà des frontières. C'est
grâce à ce regard visionnaire des marchands français que
Paris devint capitale de la mode dans le monde. En effet, la clientèle
pouvant se permettre d'acquérir des biens d'exception n'a jamais
été très large. Les français à eux seuls ne
pouvaient pas permettre aux couturiers d'être rentables : ils avaient
besoin de clients étrangers. C'est à ce moment que deux
innovations majeures virent le jour : les poupées et les gravures de
mode.
Les poupées existaient déjà depuis
plusieurs années, mais elles restaient destinées à un
usage privé, familial.18 Dans les dernières
années du XVIIème, les marchands réalisèrent que
ces poupées pouvaient être envoyées hors de France pour
présenter les dernières collections aux dames
étrangères. Les reproductions étaient
particulièrement fidèles, jusque dans les moindres détails
: les tissus étaient les mêmes utilisés que sur les
vêtements originaux, et les accessoires complétaient la
18 Dans les années 1600, Henri IV envoyait des
poupées à sa fiancée, Marie de Médicis, qui
résidait en province, pour qu'elle soit au courant des tendances
à la Cour.
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tenue. Mais ces poupées avaient leurs limites.
Même si les clientes de New York ou de Londres se les arrachaient, il
fallait tout de même payer pour avoir le droit de la regarder, et encore
plus cher pour avoir le privilège de la ramener chez soi et d'en jouir
pleinement, sans cohue. Les marchands eurent alors une idée de
génie et décidèrent d'introduire les gravures de mode.
Facilement remplaçables et copiables, ces gravures permettaient de
toucher un public plus large. Elles guidaient le goût vestimentaire
mondial en imposant le style français, et en réaffirmant une fois
de plus que ce style détenait le monopole du raffinement et du luxe. Ces
gravures présentant les musts des saisons ouvriront la voie à la
Haute Couture.
Inventée pendant la seconde moitié du
19ème siècle par Monsieur Charles
Frédéric Worth, La Haute Couture propose des collections en
dehors de toute demande particulière, mais qui s'adaptent aux besoins de
chaque client. Avant lui, la plupart des artisans sont inconnus : ils
travaillent dans l'ombre, exécutant simplement les demandes de leurs
commanditaires et ne bénéficient d'aucune reconnaissance du
travail accompli. Tout va changer avec la Haute Couture, qui verra naître
quelques années plus tard quelques-unes des marques les plus puissantes
du monde.