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« Comment notre héritage culturel et historique influence-t-il encore notre monde actuel ? A travers l'exemple du luxe en France. »

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par Ambre Saclier
BBA INSEED - Master 1, Diplôme dà¢â‚¬â„¢école de commerce BBA INSEEC (reconnu et visé par là¢â‚¬â„¢État) 2016
  

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CHAPITRE 4 : Le régime du bon goût

Dans le sens usuel, le luxe se rattache au faste, à la somptuosité et au raffinement dans la façon de vivre. Pour comprendre ces affirmations, il est nécessaire d'analyser comment les aristocrates ont placés le bon goût, la grâce et la présence d'esprit au centre de leurs préoccupations à la cour du Roi de France, puis comment ce bon goût a ensuite atteint les couches sociales inférieures. Vestige de la Renaissance, la Cour des Rois français, et plus particulièrement celle de Louis XIV, a habillé cet art de vivre.

Il est dans un premier temps intéressant de préciser que le mot «goût» renvoie aux aliments. Dans l'article de Voltaire24, il est démontré que non seulement les goûts de chacun divergent mais surtout que le goût est indissociable du dégoût, l'un n'allant pas sans l'autre. Il semblerait donc que seules des papilles de connaisseurs peuvent affirmer si tel ou tel produit à un bon goût, et donc que des codes doivent être instaurés pour plébisciter le bon goût au détriment du mauvais.

A la Cour, plaire est signe de puissance. La Renaissance marque la montée de valeurs humanistes et individualistes, soulageant les nobles du poids de la réputation et leur permettant ainsi de tracer leurs propres chemins, d'être maître de leur destinée. L'intérêt du bon goût est alors de se distinguer des autres à l'aide d'aptitudes qui se jouent de l'esthétisme. Les nobles voyaient dans le goût le moyen d'attirer la reconnaissance, non pas seulement des classes sociales supérieures dont ils voulaient tirer profit, mais aussi des classes inférieures dans les yeux desquels ils voulaient briller25. La reconnaissance de soi passe aussi dans le regard

24 Dans son article «Goût», issu l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Tome VII, 1751-1772, p.761: «le Goût, ce sens, ce don de discerner nos aliments, a produit dans toutes les langues connues la métaphore qui exprime, par le mot goût, le sentiment des beautés et des défauts dans tous les arts : c'est un discernement prompt, comme celui de la langue et du palais, et qui prévient comme lui la réflexion : il est comme lui, sensible et voluptueux à l'égard du bon ; il rejette comme lui, le mauvais avec soulèvement (...). Comme le mauvais goût, au physique, consiste à n'être flatté que par les assaisonnements trop piquants et trop recherchés, ainsi le mauvais goût dans les arts est de ne se plaire qu'aux ornements étudiés, et de ne pas sentir la belle nature»

25 ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l'industrialisation du goût, Paris, Éditions du Cerf, 2008, p.19

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que les autres portent : c'est même un point essentiel, car plaire exige une réciprocité.

Le bon goût ne peut pas être enseigné : il faut savoir sans apprendre, tout est dans la suggestion. Par exemple, les courtisans doivent adopter une apparence très désinvolte tout en faisant très attention aux détails. Là réside toute la complexité de la façon d'être à la française, exigeant une certaine rigueur.

Cela nécessite bien entendu un gros travail de préparation, pour donner l'impression que tout est facile, que tout vient instinctivement. D'où l'apparition de manuels du savoir vivre, comme un guide des bonnes manières, de codes, de règles à suivre scrupuleusement : «Sous son voile de raffinement et avec ses bienséances, l'ordre pacifique des civilités exprime toute la violence sourde des relations mondaines dont la perte d'honneur constitue le pire des maux. En ce sens, le bon goût nourrit et justifie la promotion comme la disgrâce sociale26

Dans la vie des courtisans, la grâce est souvent associée à la bonne conduite : «le courtisan doit accompagner ses actions, ses gestes, ses manières, en somme tous ses mouvements, de grâce»27 . La grâce vient d'ailleurs d'une vieille valeur chrétienne qui signifie «l'acte par lequel on s'attire de la reconnaissance». La grâce qui accompagne le bon goût si cher aux courtisans n'a de valeur que si cette conduite peut être décodée par ses adeptes mais échapper à la maîtrise des gens routiniers. C'est ce qui est appelé plus communément la courtoisie. La réputation des salons parisiens était très grande en Europe, puisqu'ils sont considérés comme le temple du bon goût et de la bienséance, où l'art de la conversation à la française s'exprime dans toute sa splendeur. Les voyageurs étrangers de passage à Paris cherchent à s'y introduire, en obtenant des « laisser-passer » par l'intermédiaire d'habitués ou de lettres de recommandation.

Ce régime du bon goût soulève alors une question : si la noblesse aspirait à être encore plus privilégiée et à étendre leur cercle d'influence, sans plus uniquement se reposer sur le nom de naissance, n'existait-il pas dès alors une certaine mobilité

26 Ibid, p.31

27CASTIGLIONE Baldassar, Le livre du Courtisan, I, p.24

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sociale, même au plus haut de l'échelle ? En effet, il ne peut pas y avoir de conquête ou disgrâce sans mobilité sociale. La machine est en marche. Le siècle des Lumières reprend ces fondements posés quelques années auparavant pour ouvrir la voie à une mobilité sociale à une encore plus grosse part de la société.

En effet, à l'heure des nouveautés, le bon goût permet de se projeter plus facilement dans le futur. D'un côté, les nobles peuvent asseoir leur dominance sur leurs semblables (toujours dans une logique de prestige), tandis que de l'autre, les bourgeois s'enrichissent et se mettent à aspirer à posséder. Le courtisan doit montrer qu'il est riche et qu'il est prêt à dépenser sans compter, et c'est cette libéralité qui lui permet à la fois de montrer sa noblesse (la libéralité est une valeur traditionnelle de la noblesse) et de se distinguer des bourgeois, réputés plus économes et soucieux de gagner de l'argent.

Le fait est que pendant que les nobles se complaisent dans leurs habitudes oisives, les bourgeois sont beaucoup plus ambitieux : ils se mettent à la tâche, puisqu'ils aspirent dorénavant à jouir des biens matériels au même titre que les aristocrates. Ils ont vite compris que le seul moyen d'y arriver était de se consacrer à leur métier, et de faire prospérer leur affaire. Le mérite apporte alors son coup de grâce à l'honneur. Le bon goût n'est alors plus synonyme de puissance politique mais provoque la consommation immatérielle des bourgeois pour satisfaire leurs plaisirs privés (à la différence de la noblesse, qui devait affirmer son statut et donc profiter de ses privilèges en public)28.

Au XIXème siècle, les bourgeois détiennent enfin des signes pour distinguer leur classe sociale du petit peuple : ils se vêtissent maintenant de beaux habits, ils vivent dans de belles maisons bien décorées, et possèdent une grande maîtrise des civilités. Ils ont réussi à mettre peu à peu du beau dans leur vie, à coup d'efforts et de reconnaissance sociale bien méritée. La société est ainsi de moins en moins établie sur l'héritage et la naissance et s'ouvre à la fluidité des situations.

28 ASSOULY Olivier, Le capitalisme esthétique : Essai sur l'industrialisation du goût, Paris, Éditions du Cerf, 2008, p. 43 : « On est ainsi passé d'une compensation symbolique indispensable à la noblesse, à l'exigence d'une satisfaction traduite à terme en plaisirs matériels, pour tous les aspirants à la fortune. (...) Il faut toucher les biens tangibles acquis par le labeur ».

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L'embellissement de la population à travers les temps s'explique ainsi par un ensemble de valeurs communes, spécifiques à chaque époque. Le devoir, le plaisir et la reconnaissance sont autant de moteurs qui ont permis aux citoyens français de toucher du doigt une vie plus jouissive, en mettant tout simplement des pincées de belles choses çà et là dans leur existence, en adhérant au régime du bon goût.

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MÉTHODOLOGIE

Comme il a été démontré, la notion de luxe semble difficile à cerner. Après avoir montré qu'il semblait exister plusieurs luxes, il paraitrait néanmoins que le bon goût à la française ait transcendé les temps. La réflexion exprime un luxe intellectuel dont la commercialisation ne serait pas seulement élitiste.

Afin de réaliser l'étude exploratoire, il est nécessaire d'interroger plusieurs personnes ayant un certain niveau d'expertise en la matière afin de se forger une opinion et développer un regard critique mais averti sur le sujet. L'idée est d'éveiller l'esprit au sujet en me tenant informée des conférences à venir sur le thème, des expositions à aller découvrir et en réalisant des études qualitatives auprès d'experts. Le but était non pas seulement de dresser un simple constant, mais de pousser la réflexion et chercher une véritable problématique s'articulant autour des idées.

Au vu du caractère assez confidentiel et mystérieux qui plane autour du secteur du luxe, recevoir l'aide d'experts en la matière n'était pas de trop. Ce document a donc aussi été réalisé grâce à la sympathique collaboration de professionnels travaillant dans le luxe, de membres de comité regroupant des marques de luxe, d'historiens, de l'Association des Maitres-Cuisiniers de France et de collectionneurs d'art. Il m'a semblé intéressant de confronter différentes visions, amenant chacune leur lot de surprises et de révélations. Chaque personne interrogée m'a gentiment donné son accord pour être citée29, témoignant ainsi de leur intérêt pour cette problématique.

Les expositions et visites ont apporté une grande contribution. La découverte de l'exposition Louis Vuitton à Paris, les Journées Particulières de LVMH ou encore la visite du Château de Versailles ou du Musée Carnavalet m'ont semblées absolument essentielles à l'aboutissement de ma réflexion.

Enfin, la curiosité et la soif de connaissance ont fait le reste.

29 Voir les retranscriptions des interviews dans leur intégralité en annexes 1 à 9, p. 77-111.

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FORMULATION D'UNE HYPOTHÈSE

La démocratisation du luxe n'est pas si récente, elle est même inévitable. Il existe plusieurs luxes, et le luxe français a su définir le sien et l'imposer dans le monde. Ce luxe découle d'un archétype politique et social intrinsèquement lié à la tradition aristocratique de la Cour. L'art de vivre à la française s'est ancré lentement dans la vie des Français. Les habitudes conditionnent le bon goût : les français ont été habitués à l'art de vivre et il a fini par s'enraciner inconsciemment.

Lors de l'essor des gravures de mode, les dames les plus puissantes de Versailles servaient de modèles aux créateurs de l'époque. Leur mode de vie inspirait toute une nation, et les gravures de mode permettaient d'entrevoir ce monde fabuleux l'espace d'un instant. Le luxe a toujours eu besoin d'égéries pour incarner sa grandeur. Ces gravures de mode prouvent que le luxe s'adresse depuis toujours aux puissants comme aux plus démunis. En effet, les gravures étaient moins destinées aux courtisans qu'à émerveiller les classes sociales inférieures. La démocratisation a toujours été le propos du luxe puisque dès les premières campagnes de publicité de l'Histoire (en l'occurrence les gravures de mode), la cible était ceux qui ne pouvaient pas accéder à ces produits. Les créateurs du XVIIème n'étaient non pas dans une logique de vendre à tout le monde, mais de faire rêver tout le monde.

À partir du XVIIIème, l'enrichissement de la bourgeoisie a élargi les classes de luxe. Cette nouvelle bourgeoisie a acquis sa fortune non pas par son nom de naissance, mais grâce au travail et au mérite. Motivés par l'envie d'accéder à tous ces produits qui les faisaient jadis saliver, les bourgeois se mettent à imiter le mode de vie des nobles. Le luxe s'ouvre alors à la mobilité sociale, un phénomène qui se reproduit encore aujourd'hui, quelques centaines d'années plus tard.

Pareillement, à la fin des années 1800, les progrès industriels et mécaniques ont permis un essor du luxe (comme on pourrait comparer au progrès d'aujourd'hui, comme Internet qui a remis en questions beaucoup de principes du luxe). C'est

notamment à cette époque qu'on voit apparaître de nouveaux produits, à moindre prix et de moins bonne qualité, copiant les originaux.

Ce n'est que la suite logique, la corrélation inévitable que suit l'histoire du luxe. Il n'est donc pas question d'une démocratisation du luxe puisque «le luxe n'a pas attendu notre ère pour s'adresser aux classes sociales montantes». 30

De plus, il faut tout de même garder à l'esprit que diffusion ne veut pas forcément dire démocratisation : si la fréquentation des boutiques de luxe a augmenté, c'est avant tout parce que la population française a elle-même augmenté, que les éléments les plus attachés à ce mode de vie ont accru leur rythme de fréquentation, et que le tourisme s'est développé et a donc ouvert la voie à de nouveaux consommateurs.31

Pour finir, le luxe n'est pas qu'un bien matériel, il passe aussi par l`élégance de la vie quotidienne. Il peut se transmettre par l'éducation, mais il peut aussi se traduire par un choix de style de vie, une adhésion à des valeurs, un goût pour le raffiné.

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30 LIPOVETSKY Gilles, Le Luxe Éternel, Éditions Gallimard, 2003

31 DONNAT Olivier avertit ses lecteurs quant à la confusion (à propos de la culture) dans son ouvrage Les Français face à la culture : De l'exclusion à l'éclectisme, Paris, Éditions La Découverte, 1994, p.10

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand