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Les sans-domicile fixe comme acteurs sociaux

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par Frédéric BILLAUX
CNED - DE CESF 2012
  

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1.1.2 La catégorisation

Les personnes inclues dans les dispositifs de prise en charge, qu'ils soient assimilés à l'urgence ou à l'insertion, connaissent des situations et des expériences fort diverses. Les catégorisations de populations sont un moyen utile pour les travailleurs sociaux et les chercheurs de répertorier, de comprendre et d'analyser les sources de phénomènes. L'ambiguïté de cette méthode autour des constats relevant de la très grande précarité est qu'elle tente de rassembler des points communs sur un ensemble de problématiques extrêmement variées: le nombre d'années passées dans la rue, la présence d'addictions (drogues, médicaments de substitution, alcool), l'état de santé général, le niveau d'autonomie et de qualité relationnelle... Sur ces problématiques se greffent des données socio-démographiques telles que l'âge, le sexe, le niveau d'études, les origines culturelles...La catégorie sans domicile fixe est davantage, vue sous cet angle, une construction permettant de simplifier des réalités complexes et d'envisager des moyens d'action, ce qui est un avantage incontestable. Si l'on prend l'exemple des centres d'accueil de jour et des accueils en foyers d'hébergement d'urgence, la catégorisation est un outil de classement nécessaire qui rend compte des handicaps et des difficultés présentes: une personne clochardisée, une personne relevant de l'AAH ou du RSA, une personne venant d'être expulsée de son logement... Il est difficile en revanche pour les travailleurs sociaux de connaître la fluidité des situations dans un parcours de rue. Leur travail consiste souvent à photographier la situation d'un individu à un instant t, c'est-à-dire à la fixer.

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1.1.3 Le temps comme variable centrale

Les travailleurs sociaux sont unanimes pour affirmer que le facteur temps constitue un point d'ancrage fondamental sur lequel il est possible de produire des comparaisons entre les diverses situations. Cet élément intervient constamment dans les récits de vie des usagers ou au-travers des entretiens. Le temps passé à la rue, de foyers d'urgence en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou inversement est en corrélation avec la dégradation de l'état de santé: la fragilisation de la santé liée au contact permanent de la rue à laquelle se cumule la consommation d'alcool et/ou de produits illicites et médicamenteux, la dégradation de l'état psychique liée au premier facteur, ainsi que les difficultés croissantes à régler des problèmes d'ordre administratif et juridique même élémentaires. Pour comprendre les situations des SDF ou plus exactement leurs parcours, il est nécessaire de considérer les différentes phases les constituant. Le parcours de vie d'un SDF est fluide. Il n'est jamais figé même pour les cas qui semblent les plus désespérés. Ces mouvements que le chercheur repère autant dans les données administratives que dans les biographies des personnes peuvent être a contrario des dires à la fois des intéressés que des professionnels chargés à un moment donné de leurs prises en charges. On entend des phrases du type: « ça fait des années que je vis comme ça, que ça n'avance pas. » ou encore « il est dans la rue depuis des années, il ne s'en sort pas. ». Or, il convient de distinguer les données immédiates permettant de classer le sans domicile fixe et les données sociologiques qui prennent en compte ses expériences et ses moyens mis en oeuvre pour vivre (ou survivre). En d'autres termes, il y a les aspects structurels (classification des situations servant aux statistiques et aux perspectives de prise en charge) et les aspects individuels mis en avant le plus souvent dans les études ethnologiques.

1.1.4 SDF au sens strict, SDF au sens large

Les variables permettant de distinguer les SDF par rapport à la population en générale et par rapport aux autres SDF sont nombreuses: qu'il s'agisse du niveau relationnel, de

la place occupée dans la nomenclature de l'hébergement et du logement, du temps passé

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à la rue, du niveau scolaire, des expériences professionnelles etc... Sur ces facteurs de différenciation s'ajustent les variables socio-démographiques classiques telles que l'âge, le sexe, la nationalité, et les variables médicopsychologiques comme l'état de santé et les comportements addictifs. Au-travers des témoignages recueillis, un axe essentiel se dégage pour caractériser l'étendue de cette population dans toute sa pluralité. Il existe les SDF au sens stricte, c'est-à-dire selon l'INED, les personnes qui, un soir, se trouvent sans logement ou dans un centre d'hébergement. A contrario, les SDF au sens large du terme désignent toute personne ne possédant pas d'un logement stable: gens du voyage, cohabitation ou logement précaire, les personnes en résidence sociale, en pension de famille et bénéficiant d'un accompagnement au logement personnalisé.

Les personnes se différencient entre elles et utilisent un vocable servant à créer des sous-catégories: les toxicos, les jeunes, les vieux, les clochards, les alcoolos... Le terme de clochard est intéressant dans l'analyse car il est symptomatique de celui qu'on ne veut pas devenir, auquel il est insultant de ma comparer. Autrement dit, il y a bien une hiérarchie instituée entre celui qui s'est installé dans la rue et qui a perdu sa dignité (dixit) et celui qui peut, qui veut encore s'en sortir. Parmi les SDF au sens large, l'appellation sans domicile fixe n'est pas toujours acceptée. Son acceptation renvoie à une rupture avec les liens de la vie antérieure. Elle est hautement symbolique.

L'analyse est d'autant plus complexe qu'un grand nombre de SDF fluctuent de l'un à l'autre côté de cet axe d'identification: par exemple, un ménage tout juste expulsé de son logement devient SDF au sens stricte de fait. Il n'a pourtant rien de comparable à une personne vivant dans la rue et de la rue depuis des années. Etre SDF doit donc être considéré comme une circonstance vécue à plus ou moins long terme. C'est une situation instable qu'il s'agit de considérer en terme de trajectoire avec ses entrées et ses sorties. La variable temps permet de mieux appréhender cette fluctuation entre le sans-logis (stricto sensu) et le logé instable (lacto sensu). Si l'on observe les diverses situations, en prenant en compte la variable temps, des personnes prescrites dans un centre d'accueil de jour, on constate que certains sont dans la rue ou en foyer d'urgence de façon permanente, d'autres se retrouvent chroniquement entre l'urgence et le foyer de longue durée (CHRS), voire la résidence ALT, d'autres encore sont dans la rue depuis peu de temps, dans l'attente d'une situation transitoire et en sortiront en principe définitivement.

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Au cours d'une même année, une personne peut passer plusieurs fois d'un logement instable ou précaire à une situation d'urgence. Il existe donc trois variables temps: le permanent, le chronique et le provisoire. Le graphique suivant permet une représentation de ce phénomène:

Situation résidentielle durant une année N

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La ligne bleue représente le seuil de stabilité résidentielle. Au-dessus de ce seuil (zone de 6 à 12 sur l'axe des ordonnés), la situation résidentielle est existante mais instable. Au-dessous de ce seuil (zone de 0 à 6), les SDF sont à la rue ou en situation d'urgence.

Dans le cas A, la personne fait l'objet d'une prise en charge du dispositif d'urgence toute l'année. Elle peut être considérée comme un SDF au sens stricte.

Dans le cas B, cette personne alterne les périodes d'instabilité à celles d'urgence. Par exemple, elle loge en hôtel durant une première période de l'année puis se retrouve insolvable et en foyer d'urgence durant la seconde période. Ces relations lui permettent de trouver un logement en cohabitation précaire la période suivante. Suite à un problème avec le cohabitant ou le bailleur, il connaît de nouveau un retour à la rue et une reprise de nouveau avec le dispositif d'aide sociale... Elle est considérée comme SDF au sens stricte de façon chronique.

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Dans le cas C, la chute dans l'extrême précarité est provisoire comme par exemple un jeune en rupture familiale. Ses ressources personnes (niveau scolaire, bonne santé, connaissances...) et son entente avec les professionnels de l'action sociale lui permettent de trouver une formation en Mission Locale et un logement assez rapidement.

Ces trois cas de figure, bien que représentatifs, restent cependant shématiques. Aux difficultés économiques et de logement se greffent des problèmes de santé, familiaux. La qualité relationnelle avec les travailleurs sociaux, la prise de conscience de sa propre situation sont aussi des éléments importants dans le fait que la personne, SDF chronique ou provisoire, sera capable de s'inscrire dans une démarche durable de réinsertion.

1.2 De l'urgence à l'insertion

1.2.1 Le dispositif d'hébergement d'urgence

La notion d'urgence vers les plus défavorisés renvoie tout d'abord aux outils institutionnels de la veille sociale: le 115, les services d'accueil et d'orientation (SAO), les centres d'accueil de jour, les CCAS, les foyers d'hébergement de courte durée, l'ensemble des acteurs dont les missions sont de secourir les populations les plus fragilisées.

Dans le vocabulaire usuel, l'urgence désigne tout autant une catégorie d'hébergement (les foyers d'urgence) que des situations de détresse en passant par les modes d'intervention des professionnels au sein du dispositif.

Parmi les situations d'urgence, on peut trouver les situations de rupture comme une famille venant d'être expulsée de son logement et se retrouvant de fait dans la rue et dans le dispositif d'urgence. On peut trouver également les situations installées dans lesquelles les individus vivent dans l'extrême précarité depuis des mois, voire des années.

L'intervention d'urgence relève de l'assistance à personne en danger. A ce titre, elle doit être immédiate et inconditionnelle(1). Cependant l'urgence ne se limite pas à une mise à l'abri bien que l'une de ses missions première est naturellement de pallier à

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1. Shéma de l'Accueil, de l'Hébergement et de l'Insertion 7

l'absence de toit. Elle est aussi une intervention d'accompagnement sociale et elle se situe dans une perspective d'insertion en faveur des plus démunis. L'existence de ces modes d'hébergement (urgence et insertion) renvoie à des outils parfois différents mais à un seul dispositif d'ensemble, celui de l'insertion. Ce que l'on appelle communément le dispositif d'urgence est en fait la voie d'entrée du dispositif d'insertion. Dans ce contexte, l'urgence n'est qu'un mode opératoire pour sortir d'une situation d'urgence. D'un point de vue théorique, il existe une trajectoire linéaire entre l'entrée dans l'extrême précarité et sa sortie (un logement). Bien entendu, cette linéarité structurelle appelle une fluidité des effectifs des personnes hébergées en foyers de courte durée vers les foyers de longue durée, des foyers de longue durée vers un logement autonome. Les personnes en urgence doivent être préparées pour franchir l'étape d'un CHRS, c'est-à-dire qu'un travail de proximité des professionnels est effectué auprès de la personne et a obtenu des résultats concluants.

Sur un plan pratique, la question du temps de séjour est posée de façon complexe aux équipes de professionnels en place dans les unités d'urgence. Le principe d'une démarche de réinsertion des sans-abris est lié à celui de ne pas laisser ces personnes s'installer dans une dépendance à l'assistance totale dans laquelle le foyer d'urgence ferait office de lieu asilaire. Au foyer Abbé Bazire de Rouen, les personnes sont donc placées en urgence par le biais du 115 ou du SOHU pour une durée ne dépassant pas une semaine. Cette période peut être reconductible soit dans le même foyer soit dans un CHRS disposant de lits d'urgence . Certaines situations demandent un accompagnement prolongé dans le dispositif d'urgence. Pour cette raison, certaines personnes bénéficient d'une place pour une durée définie avec l'équipe sociale afin de recourir à un projet d'intervention permettant à son terme d'accéder le plus souvent à une intégration en CHRS. Cette intervention s'exerce autant dans le domaine administratif que dans celui du soin. Pour ce dernier précisément, le travail partenarial est important: les unités et associations du secteur médico-social sont très régulièrement sollicités, qu'il s'agisse de l'Information Réflexion Alcoologie (IRA) et d'Inser-Santé pour les problèmes liés à l'alcoolisme, la Boussole pour les addictions

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(1) Pour les hommes, l'Armée du Salut, les Cèdres et Saint-Paul. Pour les femmes, les Cèdres (foyer féminin), l'Association d'Accueil et de Réinsertion Sociale des Adultes Isolés (AARSAID) et le Bouvreuil de l'Oeuvre Normande des Mères. 8

Toxicologiques, l'Unité Mobile d'Accompagnement Psychiatrique pour les Personnes en Précarité (UMAPP) pour les difficultés d'ordre psychiatriques. De façon générale, la notion du temps est primordiale parmi les axes d'intervention. Cette question ne se règle pas en quelques jours mais demande une écoute, une patience constantes de la part des travailleurs sociaux. Les sans-abris ont en effet développé dans leur parcours de rue des repères spatio-temporels qui leur permettent de survivre, de s'adapter à un environnement particulier. Ils disposent le long d'une journée de plusieurs territoires associés pour chacun à une fonction précise: celle de la nuit, celle du repos diurne, celle d'une activité comme la manche. Chaque territoire est défendu, parfois durement. Le recours au 115 peut répondre à une logique de simple mise à l'abri pour la nuit qui n'est pas en contradiction avec les activités de la journée. Ce qui rend délicate la tâche des travailleurs sociaux qui tentent de sensibiliser ces personnes à une démarche de soins, à un renouvellement des papiers (carte d'identité, CMU, domiciliation). Pour les sans-abris, l'acceptation par exemple d'une cure de désintoxication signifie la perte de ses territoires, la perte de sa propre notion du temps: il faut se réhabituer aux horaires, réacquérir quelques repères essentiels comme les heures d'ouverture et de fermeture des centres. L'acceptation de démarches administratives les oblige à renouer contact avec une réalité très formelle et contraignante (CAF, CPAM, CCAS ou UTS), ce qui peut générer un sentiment de perte de liberté.

Les équipes pluridisciplinaires du dispositif d'urgence sont donc soumis à un dilemme qui répond à la fois à une pratique institutionnelle et à une exigence déontologique: on ne peut laisser la personne s'installer dans l'urgence, mais en même temps, elle a besoin de temps pour accepter l'idée d'une démarche de réinsertion.

1.2.2 Comparaison entre l'hébergement d'urgence et l'hébergement d'insertion

La notion d'urgence a ceci d'ambigüe qu'elle désigne tout autant une situation qu'un mode opératoire et une catégorie d'hébergement. Le 10e Rapport du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées (décembre 2004) rappelle que cette notion doit désigner l'ensemble du dispositif d'hébergement dans la mesure où la référence à l'urgence porte en elle l'impérieuse nécessité d'agir (p. 29). Bien qu'il faille préserver

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les différents modes d'action sociale pour chaque public, c'est l'ensemble de l'hébergement temporaire qui renvoie à une démarche d'insertion et à des situations d'urgence. L'hébergement social (ou temporaire) étant conçu pour des personnes en situation de difficulté sociale et n'ayant aucun moyen de se loger. A ce titre, elles sont considérées comme des personnes sans domicile fixe .

Nous proposons de comparer sous forme d'un tableau les différences structurelles et de modes d'intervention des hébergements dits d'urgence et d'insertion.

Comparatif entre l'hébergement d'urgence et d'insertion

Hébergement

Eléments comparatifs

Urgence

Insertion

Accueil

Inconditionnel

Sélectif

Intervention

Projet de réinsertion

Projet de réinsertion

Durée

Court terme

Moyen et long terme

Chambres

Individuelles ou collectives

Individuelles

Dans ce tableau, nous constatons la différence d'accueil: la sélectivité des CHRS s'effectue par rapport à la spécificité du travail d'insertion envers les ménages. Par exemple, le foyer Saint-Paul de Rouen ouvre ses portes aux sortants d'incarcération et aux jeunes adultes. En revanche, il n'existe pas sur Rouen de foyers adaptés pour les couples sans enfant (1).

Dans les deux cas, un accompagnement social est entrepris: en vue d'une sortie de crise et d'une préparation à l'intégration en foyer d'insertion dans le premier cas. Le projet de réinsertion des foyers de longue durée a pour objectif quant à lui de préparer la personne à l'accès et au maintien dans un logement, ainsi qu'à un retour à l'emploi. Il y a donc des entrées et des sorties en continu.

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(1) Ces couples logent en hôtel avec paiement au mois en attendant éventuellement une place en résidence sociale ou acceptent une séparation temporaire. 10

1.3 Le parcours de rue des sans domicile fixe

1.3.1 Différentes périodes dans le parcours de rue d'un SDF

Il existe une grande variabilité d'expériences et de parcours dans l'ensemble de la population SDF. Ces parcours s'effectuent dans le cadre du système de prise en charge. Le parcours d'un SDF ne s'effectue pas sous la forme d'une trajectoire linéaire idéale qui irait de la rue ou du foyer d'hébergement d'urgence jusqu'au logement autonome. L'analyse des opportunités et des contraintes auxquelles sont vouées les SDF s'effectue

dans le cadre des relations avec les types de structures du dispositif de pris en charge (centres d'accueil de jour, foyers d'urgence, CHRS, pensions de famille...) et des relations avec les professionnels. Afin d'apporter un premier cadre d'éléments de réponse à la question de départ, il est nécessaire de penser le parcours du SDF comme une trajectoire évolutive constituée d'avancées vers l'insertion et de reculs. Un exemple typique d'avancée est la constitution d'un dossier RSA qui peut passer au préalable par l'obtention d'une nouvelle carte nationale d'identité et d'une adresse administrative au service domiciliation du CCAS local. Cette première régulation peut être suivie par une proposition de soins et par la mise en place d'une hospitalisation. Dans cette optique, le référent social de l'usager (par exemple un éducateur spécialisé ou un Conseiller ESF) doit travailler sur un projet d'hébergement en CHRS avec l'assistant social de la structure médicale afin qu'il puisse bénéficier d'une solution à sa sortie et qu'il ne se retrouve pas une nouvelle fois à la rue. Cela passe par la constitution d'un dossier au Service Intégré d'Accueil et d'Orientation (SIAO), dossier représenté à la Commission d'hébergement. Il faudra compter encore un délai d'attente pour qu'une place se libère et que l'usager puisse enfin intégrer le CHRS. Nous voyons donc que la procédure est longue, qu'entre les premiers contacts avec le bénéficiaire et son intégration au foyer d'insertion, plusieurs mois se sont écoulés. Il est fréquent que celui-ci ne puisse assumer l'ensemble de ces démarches, lourdes sur le plan administratif et sur un plan personnel car il s'agit le plus souvent d'une remise en question importante d'un mode de vie: l'entrée dans un service médical demande l'agrément, une mise en condition pour que cette étape soit une réussite. Les rechutes sont courantes. Elles engendrent un retour à la

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rue. Pour autant, le travailleur social peut entrevoir dans cet échec un signe d'espoir laissant présager d'une nouvelle tentative plus heureuse. Pour l'usager, il peut en être de même ou, à l'inverse, concevoir cet échec comme un échec supplémentaire et décider de s'écarter le plus possible de toute forme d'assistance durant un certain temps. Il rentre ainsi dans une phase de recul et de stagnation dans laquelle les contacts avec les professionnels en sont réduits à des nécessités de survie, à un simple ajustement nécessaire à son parcours de rue (par exemple un repas quotidien dans une association caritative).

1.3.2 Entre ajustement et résistance

La trajectoire d'un sans domicile fixe est l'histoire de ses relations avec le dispositif d'assistance et avec ses réseaux constitués au fil de ses expériences. La plupart des SDF se maintiennent entre ces deux mondes. La gestion des relations dans le réseau d'assistance et dans l'espace public externe s'exprime par un jeu subtil de positionnement et d'ajustement avec ses réussites et ses échecs. L'intérêt est d'entretenir cet espace intersticiel afin de ne pas devenir complètement dépendant de l'assistance publique et associative tout en sachant l'utiliser à bon escient et dans des situations d'urgence. La trajectoire évolutive du SDF se caractérise sous trois phases. Chaque phase exprime un degré de dépendance par rapport au monde extérieur. Pour reprendre les travaux de Pascale Pinchon (1) , il existe la phase du passager, celle de l'habitué et enfin celle du régulier. Il ne faut pas confondre phases et catégories car le terme de phase exprime bien une dynamique, un ajustement permanent dans les rôles successifs que s'octroient le SDF et que les autres acteurs (réseaux de pairs, de connaissances et professionnel) lui octroient. En revanche, le raisonnement en terme de catégories est figé et laisse peu de place aux SDF en tant qu'acteurs usant de stratégies propres basées sur ses capacités. La logique de la fluidité consiste en l'alternance des passages entre ces trois phases dans le parcours de rue. Julien Damon (2) n'hésite pas à employer le terme de carrière, en référence à la carrière professionnelle et emprunté à la sociologie du travail, pour décrire des phénomènes, des comportements selon les positions occupées, les expériences, les changements de statuts et l'évolution des réseaux. La différence

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1.Pinchon P. , Survivre la nuit et le jour, Politix n°34, 1996, pp 164-179

2. Damon Julien, La question SDF, Paris, PUF, 2002 12

entre le parcours et la carrière me paraît être dans le style d'évolution des trajectoires individuelles. Si la carrière professionnelle est globalement linéaire, allant du bas vers le haut, le parcours du SDF ressemble davantage à un itinéraire circulaire entrecoupé de voies de sortie. La réalité de ce parcours est en opposition au shéma typique et idéalisé des dispositifs d'insertion prévu dans ses grands fondements de l'urgence au logement en passant par des dispositifs intermédiaires comme les ateliers d'insertion et les foyers de longue durée.

1.3.3 Le passager

La phase de passager correspond à l'entrée dans l'urgence. Le sans domicile fixe intégré dans cette phase est facilement reconnaissable. Son positionnement par rapport au dispositif et par rapport aux autres usagers présents est ambigüe dans la mesure où il refuse la plupart du temps le contact. En effet l'acceptation sans résistance de l'aide professionnelle induirait symboliquement la reconnaissance d'un changement de statut social. De même que le contact prolongé avec les usagers symboliserait une rupture avec l'ancienne vie et le passage réel d'une relative stabilité à l'urgence. Le passager est dans le déni de sa nouvelle situation et cherche à la masquer en préservant le plus possible sa dignité. Il ne connaît pas encore les rouages du dispositif d'assistance et ne souhaite pas en faire parti. Pour survivre, il endosse rapidement d'autres rôles afin de maîtriser au mieux sa nouvelle existence. Au-delà de la simple résistance, il commence par négocier avec les acteurs de la prise en charge (par exemple des échanges plus réguliers avec un travailleur social pour obtenir des informations.) et avec certains usagers en vue de premiers échanges de ressources matérielles et affectives. Il s'agit surtout dans cette nouvelle posture de trouver les contacts qui ne seront pas trop coûteux sur un plan symbolique et qui permettent d'espérer un basculement le plus rapide possible dans l'ancienne vie.

1.3.4 L'habitué

Au bout d'un certain temps, le passager s'habitue à l'environnement de la prise en charge. Peu à peu, l'usager développe des savoirs-faire, une pratique avec les

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professionnels, une interaction particulière répondant à des normes avec ses pairs mais aussi avec l'ensemble de la population comme les commerçants, les policiers, les passants... S'installe alors une routine constituée d'un itinéraire bien précis construit autour des structures de la prise en charge et de ses relations personnelles. Si nous prenons l'exemple d'un sans domicile fixe hébergé en foyer d'urgence et prenant ses repas dans un centre d'accueil de jour, ses activités comme la manche, la présence en

des lieux publics précis sont organisées en fonction des horaires d'ouverture et de fermeture de ces lieux de prise en charge. En d'autre terme, l'errance urbaine qui définit le quotidien du SDF n'est qu'apparente: en réalité, sa journée est organisée. Elle l'est d'autant plus qu'il acquiert par l'expérimentation, au fil des semaines et des mois, des pratiques de subsistance (petits boulots sur les marchés, manche, travaux ponctuels sur une journée...). Ses relations avec les professionnels sont stables. Il bénéficie même parfois d'une certaine reconnaissance de ce milieu par une relation plus personnalisée. Ses ressources personnelles (capacité intellectuelle, capacité d'adaptation à son environnement) lui permettent d'appréhender le réseau de prise en charge efficacement. De manière générale, l'habitué sollicite l'ensemble de ses réseaux (prise en charge, connaissances, famille) au maximum. Il parle lui-même de débrouille, de combines pour caractériser son quotidien. La débrouille est le mot qui revient le plus lorsque le chercheur interroge ces personnes sur leurs pratiques et leurs savoirs-faire. Si le passager refuse la réalité du dispositif d'assistance et se réfère à son ancienne vie, celle de la normalité par opposition à la marginalité, en revanche l'habitué oscille délibérément entre ces deux mondes. Les petits boulots, les trafics, les échanges sont un contact avec le monde marchand. Ces expédients matériels lui permettent de conforter son existence.. Elles lui permettent également de préserver un maintien de soi en sollicitant l'ensemble de ses capacités d'autonomie. La débrouille consiste en fait en un ajustement permanent entre les réalités économiques de la cité et le dispositif social qui lui offre des services avec une contrepartie (un investissement au sein d'un démarche de réinsertion). Il offre une résistance à la dépendance à ces services: selon les périodes, il fréquente de façon plus ou moins assidue les structures de prise en charge. Il les fréquentera davantage si des possibilités d'amélioration de son quotidien s'offrent à lui: par exemple, l'opportunité d'intégrer un appartement ALT (Allocation au Logement Temporaire) avec un accompagnement social ou un atelier d'insertion. Il s'agit alors dans son intérêt de préserver au mieux les bons rapports qu'il entretient avec

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les professionnels pour garder toutes ses chances. Il n'en reste pas moins que sa volonté de résister à toute forme de dépendance à un système est réelle. Il peut décider de ne pas franchir un certain seuil de collaboration avec les travailleurs sociaux. En résistant, en s'opposant aux normes et aux règles du dispositif de prise en charge de manière passive, c'est-à-dire en évitant les conflits, les exclusions), il a le sentiment de préserver son unité de soi et sa permanence dans la gestion, dans l'entretien de ses différents réseaux. Il tient à conserver à travers la résistance cet espace de valorisation personnel qu'il s'est lui-même constitué. Toute la difficulté pour les professionnels est alors de le convaincre d'agréer pleinement à une démarche de réinsertion (démarches administratives, soins, contacts avec les professionnels de la santé...). Cette nouvelle période l'oblige à rompre avec un quotidien dur mais en même temps rassurant. L'incertitude qui en résulte peut le conduire à un nouvel échec si l'accompagnement social n'est pas suffisamment assuré.

1.3.5 Le sédentaire

Par sédentarisation, il faut entendre l'installation durable dans l'urgence. Elle peut s'accomplir sous deux formes différentes et en apparence paradoxales. Elle évoque l'image caricaturale du clochard occupant certains espaces publics puisque n'ayant par définition aucun espace privé à investir, et refusant l'aide sociale. Plus précisément, ces personnes reconstruisent un semblant d'espace privé au sein de l'espace public: une cage d'escalier, un porche, n'importe quel endroit à l'abri relatif du vent, du froid et de la pluie. Elles constituent parmi les SDF la population la moins nombreuse et demeurent en contact avec les professionnels de la prise en charge bien que leurs propos affirment le contraire. Tout comme l'habitué, le concept de débrouille est très usité, encore que dans un sens différent. Chez l'habitué, la débrouille illustre avant tout un savoir-faire pratique et technique qui lui permet un investissement personnel dans le monde marchand (trocs, services ponctuels, petits boulots...). En revanche chez le sédentaire, la notion est plus évasive. Dans ses propos, elle apparaît davantage comme un état d'esprit à la survie: « Je me débrouille au jour le jour. », « Il faut bien se

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débrouiller pour vivre. » La manche est le seul contact à visée lucrative avec le monde extérieur, activité partagée avec les habitués. Par l'effet de sédentarisation, le SDF devient dépendant à l'égard du réseau d'assistance. Dans ce cas de figure, son quotidien s'organise exclusivement autour des disponibilités horaires des structures et des services qu'elles proposent: repas chaud et complet, vestiaire, soins infirmiers, possibilités où se reposer, d'échanger avec les animateurs... Les venues et les occupations en ces lieux d'urgence s'avèrent différentes de celles des habitués: tout d'abord au niveau de leurs régularités. Le sédentaire vient presque chaque jour. Ce n'est pas le cas de l'habitué qui sollicite, nous l'avons vu, d'autres réseaux de subsistance et de survie. Ensuite, le sédentaire n'adhère pas de la même façon aux projets éducatifs de chaque structure. Il est moins sensible ou l'est devenu à l'ensemble des activités proposées même s'il y participe. Il respecte les règles et le règlement des lieux, davantage pour pouvoir rester que dans une souscription à des valeurs communes avec leurs bénéfices et leurs contraintes. Il n'est plus dans une optique stratégique d'utilisation des services et d'entretien de rapports cordiaux avec les professionnels, mais davantage dans une perception systématique et matérielle (le respect des horaires, le respect du règlement par l'instauration de petites habitudes comme de nettoyer son espace de table après le repas pris en collectivité...) Le point commun entre ces deux espaces de sédentarisation à un mode de vie est le degré élevé de dépendance: une dépendance à une organisation quotidienne dans laquelle la marge de manoeuvre en vue d'accéder aux ressources humaines et matérielles des dispositifs d'insertion est extrêmement limitée. Elle l'est d'autant plus que l'installation dans la rue et dans l'urgence fragilise. Elle est en corrélation avec l'absence de soins physiques et psychiatriques et cela malgré la présence des infirmiers et des infirmiers psychiatres qui travaillent au sein ou en partenariat des structures d'urgence.

Rappelons que chacune de ces phases (passager, habitué, sédentaire) correspond à une situation-type. Ils caractérisent un moment dans le parcours du sans domicile fixe. Il n'y a pas de fatalité dans cette trajectoire. Chaque situation est différente et s'inscrit dans un parcours singulier. Une personne entrant dans le dispositif d'urgence peut en ressortir et ne plus jamais y revenir. De même qu'une personne habituée n'est pas déterminée à se sédentariser. La personne sédentarisée peut aussi se sortir d'une situation extrêmement

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difficile et reprendre contact durablement avec les professionnels. Il existe des moments-clés ou charnières dans le passage d'une phase à une autre. On pense par exemple au premier contact avec un foyer d'urgence ou avec un centre d'accueil de jour. Ces moments contiennent une forte charge symbolique. Il existe aussi fort heureusement des sorties rendues possibles par la monopolisation des ressources propres à la personne et par le travail des professionnels qui ont su à un moment donné révéler ces potentiels et les mettre en avant. Le SDF n'appartient pas à une catégorie. Il s'inscrit dans une juxtaposition de postures identitaires et temporaires dans lesquelles il peut, à des degrés divers, négocier avec les différents acteurs.

1.3.6 Le maintien de soi

La question du maintien de soi ne se pose pas de la même manière selon la phase du parcours de rue du sans-domicile -fixe. Elle ne signifie pas simplement la préservation de l'aspect physique et de l'image de soi. La perte des liens affectifs et l'isolement social qui en découle provoquent la perte du souci de l'autre. L'hygiène du corps est un sujet sensible qu'il est difficile d'aborder directement avec les bénéficiaires de la prise en charge. Toutefois, il est possible d'utiliser des supports tels que les jeux, les séances d'information pour recueillir des témoignages sur la plus ou moins grande difficulté qu'éprouve la personne à maintenir son intégrité physique. Les propos de personnes inscrites au foyer d'hébergement d'urgence de Rouen sur la question des douches sont souvent indignés au sujet du manque ou de l'absence d'hygiène de certains pensionnaires. Cette volonté affichée de se maintenir en société malgré les épreuves est aussi une façon de marquer sa distance envers celui qui se laisse aller jusqu'à la perte de dignité. Dans ces propos se révèlent une lutte pour ne pas oublier les identités sociales passées. En résistant selon eux à la déchéance, ces personnes refusent aussi l'image de soi douloureusement réfléchie dans celles de ces autres dont les corps deviennent peu à peu dévastés. La promiscuité symbolisée par les douches collectives peut engendrer jusqu'au refus de l'hébergement et des appels au 115. Cette résistance à cette forme d'assistanat peut un moyen de solliciter d'autres réseaux pour les SDF

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habitués à la débrouille et fins connaisseurs des différentes possibilités qui peuvent s'offrir à lui à condition de frapper aux bonnes portes: obtenir un bon-douche municipal au centre d'accueil de jour, prendre une douche au PASS du CHU de Rouen, contacts avec des connaissances ayant un logement... La résistance à devenir dépendant des structures d'urgence traduit l'inquiétude de devoir partager une expérience commune avec ceux qui deviennent de fait ses semblables. Chez les SDF sédentarisés à la rue, le refus du foyer évite de faire face à des contraintes structurelles (horaires, dortoirs...) en contradiction avec leurs propres gestions du quotidien, notamment en ce qui concerne la notion du temps. Là encore, il s'agit de refuser certaines modalités d'existence passées comme le partage collectif ou le maintien de l'hygiène corporelle. Chez ces personnes pour qui l'isolement physique et social est devenu une forme de protection ultime, l'idée de devoir partager de nouveau des services et des biens collectifs devient difficile. Mais la volonté de ne pas être confondu avec les autres peut engendrer une dégradation accélérée si elle est suivi d'un refus de soins. Pour un grand nombre de SDF vivant dans la rue au sens stricte du terme, leurs états de santé physiques et psychiques nécessiteraient une prise en charge hospitalière immédiate. Il s'agit pour les travailleurs sociaux, dans la mesure du possible, d'oeuvrer pas à pas en leur proposant par exemple un repas chaud en centre d'accueil de jour (repas considéré d'ailleurs comme un soin). L'acceptation du repas et d'une reprise de contact avec le dispositif d'urgence peut conduire à d'autres étapes: refaire la CMU, la carte d'identité, accepter des soins infirmiers au PASS, envisager avec la personne la perspective d'un lit Halte Soins Santé. Bien entendu, cela demande pour les professionnels du temps et de la patience.

1.4 Une approche en terme de ressources

. Les entretiens passés auprès de personnes inscrites dans le dispositif d'urgence ou vivant dans la rue permettent de souligner l'émergence d'une certaine organisation au quotidien même si ce terme peut paraître excessif, au même titre que celui de stratégie, dans cette réalité faite de contraintes et de privations. Cependant, il est possible de

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considérer les SDF comme des acteurs de leurs propres vies, en relation constante avec leurs environnements: avec les travailleurs sociaux, avec les personnes dans la même situation qu'eux, avec les connaissances et la famille. Dans cette relation, il mobilise un certain nombre de ressources qui peuvent conduire dans les meilleurs des cas vers une démarche de réinsertion. Une démarche qui passe par l'acceptation d'un accompagnement social et/ou médical personnalisé. Ces ressources conduisent le plus souvent à l'amélioration du quotidien tant sur le plan matériel et économique (RSA, AAH, hébergement de longue durée, logement accompagné...) que sur un plan symbolique, c'est-à-dire en terme de valeur temporaire que le SDF accorde à sa propre personne (estime de soi) et reconnue comme telle par l'ensemble des acteurs sociaux.

1.4.1 La ressource santé

La santé peut être considérée comme une véritable ressource pour les personnes vivant dans la rue ou en urgence. Cette vie accélère le processus de dégradation physique et psychique. L'absence de logement comme facteur de stabilité personnelle, la violence de la rue, la consommation éventuelle d'alcool et/ou de produits illicites expliquent en grande partie que ces personnes bénéficient rarement d'une longévité de vie similaire à la population globale. Dans ces conditions, le capital santé devient un atout facilitant des démarches vers un retour à l'emploi et vers un logement. La ressource santé peut donc avoir des répercussions sur d'autres ressources comme celles économiques ou sociales. C'est le cas notamment pour les jeunes SDF de moins de 25 ans: ces-derniers ne bénéficient pas du RSA mais compensent cette absence par une monopolisation de leur énergie supérieure à l'ensemble de la population SDF, ce qui leur permet de trouver des petits boulots, de rendre plus facilement des services qui demandent de la force physique. Ce qui est vrai pour l'ensemble de l'activité économique de notre société l'est encore plus dans un environnement caractérisé par une population souvent en mauvaise santé.

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1.4.2 La ressource économique

La régularité de ressources chez les sans domicile fixe telles qu'une pension d'invalidité, l'AAH, la retraite, l'allocation chômage facilitent l'accès à un centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Dans ce cas de figure, le SDF qui définitivement ou non le dispositif d'urgence: un cas de figure classique est celui de la personne inscrite en foyer d'hébergement d'urgence pour quelques nuits et dont le dossier en commission SIAO est accepté pour intégrer un foyer de longue durée comme L'Armée du Salut ou le foyer des Cèdres. Cette intégration est possible par la mise en place de démarches de soisn et administratives préalables à la commission et qui dénote de la bonne volonté de l'usager. Comme la ressource santé, la ressource économique est un atout primordial pour le SDF à condition qu'il sache l'utiliser pour solliciter les services institutionnels (ou accepter le contact des professionnels) en vue d'améliorer son quotidien et sur le long terme accéder à une véritable démarche de réinsertion.

1.4.3 Le réseau social

Les SDF comme tous les acteurs sociaux ont besoin de ressources matérielles et affectives. Pour la plupart d'entre eux, ils font fonctionner un réseau d'entraide extérieur au dispositif d'assistance dans lequel ils négocient, sollicitent, acceptent ou refusent pour assurer leur survie: il peut s'agir de trouver un abri pour la nuit lorsqu'aucune place n'est disponible en foyer d'urgence, de trouver de l'argent ou une activité ponctuelle et rémunérée. Lorsqu'on fait référence aux différents réseaux sociaux d'un SDF (connaissances, familles, pairs), les termes de débrouille, de combine apparaissent aussitôt dans les propos de ces personnes. Généralement, ils parlent de ces activités de survie avec aisance et même fierté car c'est une manière de normaliser une forme d'existence et de se constituer un statut tout en se différenciant de ceux qui ne parviennent pas à se débrouiller et de ceux qui représentent la norme dominatrice (en l'occurrence l'interlocuteur, l'étudiant-chercheur).

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1.4.4 La ressource symbolique

Il s'agit de la valeur attachée à la personne et reconnu par les autres acteurs. Cette valeur peut être le fruit d'une stratégie réussie comme un travail sur une durée ponctuelle qui ouvre des perspectives sur l'ensemble du réseau économique (connaissances, gens du marché par exemple). Cette ressource peut être mobilisée pour entretenir de bons rapports avec les professionnels, mobilisation qui peut amener à faciliter certaines démarches. Elle peut être cependant, comme les autres ressources, limitée dans le temps. Les positions acquises au sein des différentes structures ou auprès des autres SDF peuvent s'estomper pour des raisons multiples et variées, et finalement obliger cette personne à retrouver ses positions antérieures: une image changée auprès des travailleurs sociaux, un retour à la manche, un retour au 115 et à une place d'urgence.

Chacune de ces ressources est plus ou moins mobilisable selon l'individu. Une femme seule avec enfant sera prise en charge plus facilement par un centre d'hébergement de longue durée ou par un centre maternel financé par l'ASE. Dans le contexte de la rue, certains handicaps socio-économiques qui ont conduit dans le passé telle ou telle personne dans l'engrenage de l'exclusion peuvent se transformer paradoxalement en ressources compensatrices. La connaissance de plus en plus affinée des dispositifs au gré des expériences et des parcours de chaque SDF permet la mobilisation selon les situations et les objectifs d'une ressource précise plutôt qu'une autre. Ce qui ressort principalement des entretiens est que ces personnes opèrent des choix, certes limités par les réalités de la rue, indépendants des fonctionnements institutionnels bien que la place occupée par les structures d'accueil est centrale dans leur vie quotidienne. Les interviewés décrivent une organisation de vie sollicitant des ressources, des capacités et même une certaine créativité qui n'a rien à voir avec avec les discours stigmatisés de soumission et d'errance urbaine sans objectifs définis que l'on peut entendre ordinairement.

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1.4.5 L'émergence d'une hypothèse : capacités d'adaptation et de négociation

Les comportements et les mécanismes à l'oeuvre parmi les sans domicile fixe et les travailleurs sociaux me permettent, à ce moment de l'analyse théorique de la problématique, de formuler une hypothèse dont l'objet est centré sur les capacités des bénéficiaires de la prise en charge: la démarche d'insertion des sans domicile fixe s'explique parleurs connaissances de la rue et leurs capacités d'adaptation et de négociation avec les acteurs institutionnels.

Deuxième partie: Les capacités d'adaptation et de négociation des SDF avec le dispositif de prise en charge

2.1 Constitution de l'échantillon de la population d'enquête

La méthode de recherche qualitative convient à une recherche menée auprès d'une population difficile à atteindre comme celle des sans domicile fixe. Elle permet de décrire un contexte social. La constitution de cet échantillon d'usagers et de professionnels a pour but de dégager des paramètres permettant d'objectiver l'hypothèse.

La taille réduite de l'échantillonnage rend compte de la difficulté d'une population qui souffre d'une représentation identitaire négative. Les refus aux entretiens ont été nombreux. Ils sont liés prioritairement à la nature même de l'entretien d'enquête, à la crainte de devoir révéler des pans entiers de l'existence passée et révolue et de l'existence actuelle. C'est aussi l'appréhension de révéler à la lumière de l'expertise scientifique le manque de projection personnelle.

L'échantillon présent n'est donc pas représentatif au sens scientifique du terme. Il ne peut inclure l'ensemble des facteurs sociaux qui rendraient une image conforme des

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réalités de vie des populations SDF. Cependant le choix des personnes répond à l'existence de caractéristiques d'identification suffisamment variées pour tenter d'apporter à l'analyse certains éléments significatifs comme la situation résidentielle ou le temps passé au contact du dispositif d'urgence.

La constitution d'un échantillon d'enquêtés parmi les travailleurs sociaux a pour objectif de rendre compte d'une part de représentations personnelles sur leurs propres pratiques et d'autre part des relations individuelles, du contact prolongé auprès des populations sans domicile fixe.

L'analyse des données recueillies auprès des travailleurs sociaux apporte une source d'informations complémentaires, un enrichissement aux éléments de la première analyse.

J'ai choisi de présenter les caractéristiques des populations enquêtées sous forme de tableau. Ces caractéristiques socio-démographiques sont sélectionnées en fonction des besoins de l'hypothèse.

Caractéristiques socio-démographiques

des personnes sans domicile fixe

Usagers

Eléments d'identification

Usager 1

Usager 2

Usager 3

Sexe

Masculin

Masculin

Masculin

Age

52

37

35

Situation résidentielle

115 (urgence)

Appartement

Foyer AFTAM

Suivi dans le dispositif

d'urgence de Rouen

En cours depuis octobre 2011

De mars 2011

à avril 2012

En cours depuis

juin 2009

Lieu de l'entretien

Centre d'accueil de jour

La Chaloupe

CCAS de Rouen

La Chaloupe

Structures sociales de prise en charge

UTS Germont

Service santé des Cèdres

La Chaloupe

La Chaloupe

UTS Germont

SOHU

UMAPP

La Chaloupe

Informations complémentaires

Expérience professionnelle récente

Problématique d'alcool

Expulsé de son logement en 2010

Touche le RSA

Travail à temps complet non-déclaré

Touche le RSA et l'APL

Problèmes psychiatriques

Touche l'AAH

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Ces trois personnes ont une expérience du dispositif d'urgence suffisamment longue pour servir de témoins. Les structures résidentielles sont variées (115, résidence sociale, logement autonome) mais pas suffisantes: il manque une personne en CHRS. La prise en charge en CHRS permet à la personne de sortir du dispositif d'urgence proprement dit, ce qui rend plus aléatoires les rencontres au CCAS et à La Chaloupe au sein desquels les entretiens ont été menés.

Ces personnes sont essentiellement masculines. Deux femmes ont refusé de passer l'entretien. Toutefois la sur-représentation masculine dans le dispositif d'urgence est une réalité. Ce constat dans l'échantillonnage est donc une carence relative pour l'objectivité

de l'analyse.

Les lieux des entretiens ont un impact dans la relation enquêteur-enquêté. A La Chaloupe, les entretiens se sont déroulés en salle avec une confidentialité non-assurée au maximum. La nature des questions a pu occasionner une gêne à détailler certains éléments de réponse. Les facteurs parasites comme le bruit, les allées et venues, ne favorisent pas des conditions optimales de confort et d'intimité nécessaires pour des entretiens.

Caractéristiques d'identification

des travailleurs sociaux

Travailleurs sociaux

Eléments d'identification

Travailleur social 1

Travailleur social 2

Travailleur social 3

Structure professionnelle

La Chaloupe

Foyer Abbé Bazire

SOHU

Fonction

Responsable

Agent d'accompagnement

Agent social d'accueil

Diplôme

Educateur spécialisé

Moniteur-éducateur

Moniteur-éducateur

Localisation

Rouen Saint-Vivien

Rouen Boulingrin

Rouen rue des Augustins

Missions

Coordination des missions en partenariat avec les structures de la veille sociale;

Responsable d'équipe

Accueil et accompagnement des personnes

Accompagnement

orientation

Instructeur de dossier SIAO

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2.2 Recueil des données

L'entretien semi-directif est la technique de recueil d'informations adopté pour les deux publics de l'échantillonnage. Il permet de centrer le discours autour des thèmes préalablement définis (traitement des données). Il est important d'obtenir le maximum de détails: le choix des mots, leurs sens cachés, les représentations qui en découlent sont difficilement interprétables avec la passation de questionnaires. Dans la mesure où

l'hypothèse fait référence au parcours de rue des SDF, une part importante est apportée à la subjectivité des propos: comment concilient-ils la vie à la rue et la présence dans les structures d'urgence? Quel est le niveau relationnel entretenu avec les professionnels? Quelles sont leurs ressources et leurs marges d'autonomie?.. Ces questions font appel à leurs connaissances pratiques et à leurs capacités d'adaptation. Ces facteurs sont par ailleurs difficilement quantifiables.

L'usage de l'entretien semi-directif nécessite une connaissance préalable du public visé, non seulement dans la sélection des personnes interviewées mais également dans l'interprétation des réponses et dans leur analyse finale. Il dépend aussi de leur volonté à coopérer, ce qui limite leur nombre et l'objectivité des données recueillies.

Chaque entretien a duré entre vingt et trente minutes. Les usagers ont davantage de réticences à répondre aux questions relatives aux travailleurs sociaux puisque ma position m'identifiait comme l'un des leurs. La difficulté réside à encourager ces personnes à s'exprimer, à développer leurs propos tout en restant vigilant à ne pas perdre le fil de l'entretien et à traiter l'ensemble des indicateurs de recherche. (annexes 2 et 3)

Le choix de l'entretien semi-directif pour les travailleurs sociaux est plus contestable puisque la passation d'un questionnaire dans les différentes structures m'aurait permis de recueillir une quantité plus importante de données. Pour la même raison que les bénéficiaires de la prise en charge, ce sont les opinions, les ressentis qui sont privilégiés dans l'exploitation des données. Cette méthode ouvre une réflexion, un questionnement sur leurs environnements professionnels quotidiens. L'entretien permet d'aborder les sujets liés aux axes de recherche et de recueillir toutes les informations susceptibles de comprendre les usages, les pratiques de terrain.

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2.3 Traitement des données

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King