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Ce que "casseur" veut dire. La figure de l'ennemi dans le discours politique

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par Pierre CHARTIER
Université de Bretagne Occidentale - Master 1 2017
  

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V.1. DÉLIMITATION DU CHAMP NOTIONNEL

a) Les rapports conflictuels

Les discours politiques sur les « casseurs » peuvent s'analyser en terme de conflit. Le problème de ce terme est le nombre de définitions, puisque chaque discipline scientifique circonscrit celui-ci à son champ d'investigation (Fournier et Monroy 1997 : 10). En effet, conflit peut désigner une relation problématique dans une cellule familiale, entre deux personnalités politiques ou entre deux pays. En reprenant à notre compte la définition de M. Monroy et A. Fournier (1997), un conflit désigne :

[...] une situation conflictuelle développée dans le temps moyen ou long terme, supposant des partenaires également actifs, investissant une forte charge affective, visant à déstabiliser, réduire, faire capituler l'adversaire, voire à éliminer du champ. Ces situations impliquent l'allégation de dommages, de griefs, de fautes imputés [sic] à l'adversaire (ibid. : 12-13).

Le conflit semble dominé par l'excès, autant dans les réactions d'un-e acteur/actrice que dans ce qu'il/elle attend de la part de son adversaire (ibid. : 11). Le hasard n'a pas sa place dans une situation conflictuelle (ibid. : 12). De plus, chaque situation est propre à la nature du conflit (personnel, professionnel, politique, économique, etc.), ces caractéristiques générales ne peuvent définir spécifiquement le conflit politique, c'est pourquoi nous devons adapter à notre corpus cette définition « restrictive » (loc. cit.).

b) L'ennemi et l'adversaire

M. Edelman (1991) différencie l'ennemi de l'adversaire en politique en s'appuyant sur la distinction entre l'acceptable et l'inacceptable (1991 : 131), c'est-à-dire entre le légitime et l'illégitime.

Le terme « adversaire » évoque l'univers du jeu dans lequel deux adversaires s'affrontent selon des règles précises et dans un objectif défini. Et « tant que les compétiteurs ne se préoccupent que de découvrir des tactiques victorieuses et de les appliquer, l'opposant reste un adversaire, que les enjeux soient minimes ou considérables » (loc.cit.). Face à un « adversaire », le processus est fondamental : chacun-e cherche à l'emporter sur l'autre à l'aide de tactiques que l'autre cherche à démasquer.

La démarche face à un « ennemi » est inverse, le processus est délaissé « au profit de la caractérisation de l'ennemi » (ibid. : 132). Ainsi, « les ennemis sont caractérisés par un

La dénomination est, selon G. Kleiber, un usage construit, une « association référentielle » reconnue qui se suffit à elle-même. Par exemple, la boucherie est le lieu où

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ou plusieurs traits inhérents qui les marquent au sceau de la malignité, de l'immoralité, de la perversion ou de la pathologie » (loc. cit.). En résumé, la figure de l'ennemi correspond à la somme de traits typiques construits politiquement, le plus puissant étant la dangerosité qui lui est attribuée. En effet, « la caractérisation des opposants comme des ennemis ou des adversaires ne tient pas à des particularités spécifiques ou inhérentes aux individus » (ibid. : 133) mais lorsque la figure de l'ennemi est utilisée comme un outil argumentatif, elle permet d'obtenir un consensus et une légitimité renforcée (1991 : 129). Elle peut aussi former de nouvelles coalitions politiques et renforcer d'anciennes, ce qui, sur un plan politique, est un avantage non-négligeable (ibid. : 133-136).

c) Dénomination et désignation

Doit-on parler de réfugié-e-s, de clandestin-e-s, de sans-papiers, de migrant-e-s, ou d' exilé-e-s ? Comme on le voit, la façon de désigner un objet social est au coeur de tout discours politique et est à l'origine de batailles sémantiques qui n'en finissent plus. Comme nous l'avons déjà expliqué dans notre première partie, la promulgation de la loi « anticasseurs » en 1970 a été l'acte de baptême de « casseurs », ce qui a imposé cette dénomination au détriment de toutes les autres, même « gauchistes » qui était jusqu'alors largement supérieure en fréquence d'utilisation. Aujourd'hui, « gauchistes » est peu usitée, (elle est même complètement absente de notre corpus) d'autant plus depuis que le lexème « ultra-gauche » est apparu.

La dénomination et la désignation représentent un nombre important de théories plus ou moins pertinentes selon les perspectives d'études choisies, c'est pourquoi nous nous contenterons de rappeler quelques définitions nécessaires avant toute utilisation de ces termes.

Comme le rappelle R. Koren, c'est G. Kleiber qui a théorisé, au travers de plusieurs ouvrages, les notions fondatrices de dénomination et désignation :

Les traits intrinsèques justifiant le choix de dénomination seraient « l'institution entre un objet et un signe X d'une association référentielle durable », constante et conventionnelle ( [Kleiber] 1984 : 80 ; 2012 : 46) qui autorise le locuteur à l'employer, sans avoir besoin de « justifier » le lien référentiel ainsi établi (2016 : §10).

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l'on vend et achète de la viande et bien que le lexème ne soit pas sémantiquement évocateur, l'usage a associé « boucherie » et « lieu où l'on achète de la viande ». G. Kleiber parle d'une « qualification n'appartenant pas en propre à l'objet auquel il réfère » (1984 : 80). M.-F. Mortureux nuance cette hypothèse strictement référentielle en considérant la dénomination comme un acte individuel (au sens de causé par un individu) : « nommer une chose, c'est en affirmer l'existence, et c'est parfois [...] l'imposer aux autres, et finalement s'imposer soi-même » (1984 : 104). P. Frath ajoute à cela que la dénomination est « une entité lexicalisée collective » qui indique ce qui existe « pour nous », les locuteurs et locutrices d'une aire linguistique précise (2015 : 43). Cette précision nous semble importante puisqu'elle permet de mettre en lumière l'usage politique de la dénomination. Comme le mentionne R. Koren, l'enjeu de la dénomination est « d'ordre cognitif, culturel et historique » (2015 : §10) et qui, malgré une certaine stabilité, n'est pas exempt de manipulation ou d'évolution sémantique. Nous reprenons à notre compte la définition donnée par G. Delepaut : « On considérera la dénomination comme l'usage de formes lexicales partagées qui, à travers une description normée du monde, et sa fonction essentiellement référentielle, s'avère productrice d'ontologies » (in Cislaru et al. 2007 : 55).

Cependant il faut se garder d'opposer systématiquement dénomination et désignation dans un réflexe d'opposition entre langue et discours. Plusieurs auteur-e-s argumentent en faveur d'une approche interactionnelle des deux concepts puisque « la plus stable des dénominations peut devenir discutable et négociable en discours si le contexte socio-politique s'y prête et le requiert ; elle ne cesse alors de briser le rêve d'avoir « une nomenclature stable ». » (De Chanay 2001 : 185). Derrière chaque désignation et dénomination, ce sont des mécanismes syntaxiques, historiques, culturels et cognitifs qui, ensemble, sont autant de témoignages sur les locuteurs/locutrices car: « Il [l'acte de nomination] permet de penser de ce fait la responsabilité énonciative active du locuteur, que son choix se porte sur une dénomination lexicalisée ou sur une désignation discursive de son cru : il y a acte de nomination, point de vue, dans les deux cas » (Koren 2016 : §13).

Nous entendons désignation comme un processus qui s'inscrit dans la nouveauté, dans la nomination de l'inconnu et n'a pas vocation a être lexicalisée car elle revêtirait un aspect transitoire. C'est pourquoi B. Courbon et C. Martinez parlent de processus

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« éphémère » et donc difficilement régulé « dans l'usage » (2012 : 71-72). C'est le processus à l'oeuvre lorsqu'on désigne une personne par la couleur de ses vêtements (« Jean » devient « le garçon à la veste bleue »).

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille