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La justice répressive et la protection de la faune sauvage au Congo et au Cameroun

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par Edson Wencelah TONI KOUMBA
Faculté de Droit et Sciences Économiques de Limoges  - Master2  2016
  

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Chapitre II : Les causes de l'inefficacité de la

réponse pénale face à la criminalité faunique.

Comme nous l'avons examiné dans nos précédents développements, la règle pénale même spéciale, qu'il s'agisse des normes de droit interne ou international, apparaît aujourd'hui comme : « l'arme-remède » contre la criminalité faunique. C'est ce qui justifie, certainement, que la plupart des Etats d'Afrique Centrale, dans le souci d'assurer une protection plus efficace de leurs écosystèmes, ont optés pour une production intensive des normes répressives dans le domaine de la faune sauvage. Ils ont aussi attribués à l'ensemble des acteurs qui concourent à la justice pénale un rôle essentiel dans la répression des infractions fauniques. Mais malgré ces efforts on a enregistré, après plusieurs décennies, des résultats mitigés et parfois même des échecs dans la mise en oeuvre des politiques de protection pénale de la faune sauvage. Cela se traduit par une persistance et même une augmentation du braconnage, du commerce illicites des espèces fauniques menacées d'extinction. On a donc noté la montée d'une criminalité dont les tentacules et les ramifications épousent des formes transnationales échappant ainsi à l'action des juridictions nationales.

Au regard de tout ce qui précède, on arrive à la conclusion suivant laquelle, le problème n'est pas seulement lié à la matière. C'est-à-dire à l'ineffectivité du dispositif répressive contenu dans les textes mis en place par les législateurs. Il est aussi lié aux organes, c'est-à-dire à l'inefficacité de l'action des acteurs pénaux qui interviennent dans la répression des infractions fauniques.

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En effet, la réponse pénale qu'ils apportent aux atteintes commises contre les espèces fauniques, à divers niveaux, se heurte à de nombreuses difficultés dont les causes sont tantôt endogènes à la justice répressive (Section1) tantôt extérieurs ou exogènes à cette justice (Section2).

Section1 : Les causes endogènes à la justice répressive.

L'émergence d'un droit pénal de l'environnement est un moyen, pour les Etats comme le Congo et le Cameroun pour endiguer le péril encouru par les écosystèmes et partant les espèces fauniques. A ce titre, l'action du juge pénal ainsi que celle de l'ensemble des acteurs qui contribuent à l'exercice de la justice répressive est irremplaçable et déterminante. Elle apparaît comme le dernier rempart contre la criminalité faunique. Or, cette justice comporte en son sein des germes qui entraine à une inefficacité de la réponse qu'elle apporte à la délinquance faunique. On parlera de l'absence d'une spécialisation environnementale des acteurs de cette justice (§1) et le manque d'une prise de conscience sur les enjeux de la criminalité internationale en matière faunique (§2).

Paragraphe1 : L'absence d'une spécialisation environnementale des acteurs de la justice répressive.

Qu'il s'agisse du juge pénal, du Procureur de la République ou même de l'officier chargé de constater les infractions fauniques, leur rôle est fortement sollicité comme gardien des normes environnementales sur la faune sauvage. M. ABAUZIT disait du juge pénal que celui-ci joue le « rôle de bon berger pour l'application des lois de protection de l'environnement et si l'administration a parfois la tentation de négliger l'environnement, le juge, lui, se trouve en dernière ligne et ne peut se dérober face à la règle environnementale »137. Or l'efficacité de l'action des acteurs de la justice répressive en matière du contentieux faunique est tributaire de la connaissance qu'ils peuvent avoir de ce domaine. Celui-ci est qualifié par certains auteurs d'un « maquis juridique dont seuls quelques spécialistes savent débrouiller les pistes »138. Aussi, on est juge que de ce qu'on connait et pour mieux statuer sur le contentieux faunique et même pour mieux organiser les poursuites en la matière, il faut des magistrats formés. Or, au Congo et au Cameroun, on note le manque d'une spécialisation des magistrats sur les questions environnementales (A). Ceci est la conséquence directe d'un manque de formation depuis les Ecoles de magistrature ou même de recyclages pour les magistrats en fonction (B).

137 LECUCQ (O) et MALJEAN-DUBOIS (S), op. cit page.19

138 ROBERT (J.H), Droit pénal et environnement, A.J.D.A, 1994. p 583, repris par NERAC-CROISIER (R), Sauvegarde de l'environnement et droit pénal, l'Harmattan 2005, page.35-36.

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A)-Le manque de magistrats spécialisés sur des questions environnementales pouvant être désignés comme référents.

On relèvera successivement l'absence de magistrats spécialisés au niveau des Parquets de la République pour organiser des poursuites contre les infractions fauniques en connaissance de cause (1). Mais surtout au niveau des magistrats du siège qui statut sur la base des textes spéciaux souvent trop techniques et difficile à interpréter, alors qu'ils sont assujettis au principe d'interprétation stricte de la loi pénale, même lorsqu'elle est spéciale (2).

1-Absence de magistrats spécialisés au niveau des Parquets de la République et des Parquet généraux.

Dans une circulaire du 21 avril 2015 relative aux orientations de politique pénale en matière d'atteintes à l'environnement, Madame Christiane TAUBIRA alors, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice en France relevait ce qui suit : « L'efficacité du rôle du parquet passe d'abord par une bonne lisibilité de son organisation et par l'identification des magistrats qui sont en charge des contentieux de l'environnement. Il convient à ce titre qu'un magistrat référent, plus particulièrement chargé du traitement de ce contentieux, soit désigné au sein de chaque parquet et de chaque parquet général, et que son identité soit portée à la connaissance des services concernés dont-il doit être l'interlocuteur privilégié ». En effet, l'efficacité des magistrats dans le rendement du contentieux faunique est assujettie à une spécialisation d'abord et avant tout des magistrats du parquet.

Ceux-ci étant chargés de porter et soutenir l'accusation lors d'un procès. Ils doivent caractériser l'infraction faunique objet de l'accusation, faire la démonstration de la réunion des différents éléments qui le constituent et établir un lien de causalité entre l'acte incriminé et les divers textes légaux qui servent de base juridique. Un tel exercice nécessite une connaissance approfondie des textes spéciaux en matière de l'environnement et de la faune sauvage. Mais aussi une large connaissance du droit de l'environnement. La solution à cette nécessité de spécialisation des magistrats du parquet passe soit la désignation des magistrats référents au sein des parquets de la République et généraux. Cela permet à ces magistrats de s'occuper uniquement du contentieux environnemental en étant en relation étroite avec les administrations en charge des problèmes environnementaux. Ils peuvent ainsi s'occuper aisément des questions relevant de la conservation et la protection de la faune. Ceci à l'avantage de créer plus de fluidité dans les rapports entre administrations et les juridictions répressives. Il peut s'agir aussi de la mise en place au sein des parquets des pôles, constitués de deux ou plusieurs magistrats, substituts du procureur ou avocat généraux. Ces pôles sont chargés des affaires portant sur des infractions environnementales et particulièrement sur des infractions fauniques.

La formule la plus révolutionnaire étant celle adoptée par l'Espagne, en effet en 2006, le législateur espagnol a crée un parquet national spécialisé dans les affaires d'environnement et d'urbanisme.

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Il est composé d'un Procureur général, de trois adjoints, 52 délégués et 97 procureurs spécialisés repartis dans le pays et qui s'appuie sur une unité de police de 18.000 agents. Cette spécialisation du parquet a permis de tripler le nombre des poursuites et de condamnations en matière de criminalité environnementale entre 2006 et 2014139.

Or au Congo et au Cameroun, il manque cette spécialisation des magistrats du parquet sur les questions environnementales. L'option choisie par les lois fauniques consistant en la présence d'un représentant de l'administration en charge de la faune siégeant à la suite du procureur de la république140 entraine à la fois une confusion de rôle. L'administration elle-même est victime dans les procès portant sur les atteintes à la faune. Ensuite, cela peut constituer une violation grave du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires qui est un corollaire du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. En plus, dans la pratique surtout au Congo, la fracture entre les agents de l'administration faunique et la justice est telle qu'il est difficile voir impossible qu'un procureur ou que les avocats du prévenu acceptent une telle entorse aux règles classiques qui régissent le déroulement d'un procès pénal.

Mais à ce manque de spécialisation des magistrats du parquet, il y a une autre cause d'inefficacité de l'action des acteurs judiciaires dans la répression des atteintes à la faune sauvage, c'est le manque de spécialisation des juges du siège.

2-Des juges non spécialisés dans le domaine environnemental confrontés au principe de l'interprétation stricte de la loi pénale spéciale.

Selon PORTALIS : « En matière criminelle, il faut des lois et point de jurisprudence »141. Ces mots coïncidents avec l'obligation légale qui pèse sur le juge répressif d'interpréter strictement la loi pénale même s'il s'agit d'une loi spéciale. Il ne doit pas se livrer l'exercice excessif du pouvoir prétorien. Mais comment interpréter fidèlement un texte lorsqu'on n'a pas la connaissance du domaine sur lequel porte ce texte ? La complexité des textes répressifs relatifs à la faune sauvage a pour conséquence immédiate, une difficulté dans leur compréhension et leur interprétation par le juge pénal. En effet, une fois qu'il sera parvenu à déterminer le texte applicable, il s'efforcera avec délicatesse à l'interpréter, le plus strictement possible, ce qui nécessitera de lui des efforts dans la compréhension. Le manque de spécialisation du juge pénal, l'amènera à demander l'avis d'un expert.

Pour Jérôme LASSERRE CAPDEVILLE : « le juge est réduit au rôle peu séduisant de chambre d'enregistrement des conclusions d'expertises scientifiques. Il ne sera ainsi, au mieux, qu'un coordinateur d'opinions d'experts ».

139 Voir en ce sens, l'article : Créons un Parquet national environnement, sur le site internet : le monde.fr

140 Voir en ce sens les articles 147 al.3 de la loi de 1994 sur le régime des forêts, de la faune et de la pêche au Cameroun et 71 al.2 de la loi n°48/83 du 21 avril 1983 définissant les conditions de la conservation et de l'exploitation de la faune sauvage.

141 PRADEL (J) et DANTI-JUAN (M), Droit pénal spécial, 5ème édition, Paris, CUJAS, p.15

Il conclut en affirmant que : « peu de juriste, et donc de magistrats, étant, à l'heure actuelle, compétents en matière de droit pénal de l'environnement, on peut penser que cela en affaiblit la répression, tout en la rendant arbitraire »142. La difficulté dans l'application et l'interprétation des textes répressifs en matière d'infractions fauniques est telle que le juge devra faire preuve d'ingéniosité pour aller d'un texte à un autre afin de faire assoir le motif de sa condamnation. Ainsi, par exemple pour un délinquant ayant fournis l'arme et les minutions à un chasseur accusé d'abattage d'un éléphant. Le juge répressif congolais partira d'abord : des dispositions des articles 59 et 60 du Code Pénal, pour fixer les éléments caractérisant la complicité. Ensuite cette complicité devant être rattacher à un acte infractionnel principal, il fera recours à l'article 113 al.3 de la loi n°37-2008 du 28 novembre 2008 pour définir l'abattage d'un animal protégé. Encore faut-il qu'il arrive à interpréter ce qu'il faut entendre par « abattre ». Il fera ensuite intervenir l'arrêté n°6075 du 18 mai 1984 déterminant les animaux intégralement et partiellement protégés. Il s'appuiera sans oublié sur l'arrêté n°32/82 du 18 novembre 1991, portant protection absolue de l'éléphant et l'acte 114/91 de la Conférence Nationale Souveraine, portant interdiction de l'abattage des éléphants en République du Congo et ce, sans compter les textes internationaux. Il ressort de cet exemple qu'il faut recourir à plus de cinq (5) textes pour faire assoir les liens de la prévention à l'encontre d'un délinquant poursuivit pour atteinte à la faune.

On comprend donc aisément que l'absence de spécialisation des juges du siège constitue une cause non négligeable de l'inefficacité de la réponse apportée par la justice répressive. Il ne pourrait en être autrement car pour rendre des décisions justes, le juge répressif doit dominer la matière environnementale et le domaine de la faune en particulier. Il en résulte que la spécialisation du juge répressif est le seul gage d'une bonne justice, efficace et rapide. Cependant, cette spécialisation ne doit pas être le fait d'initiative individuelle de chaque magistrat. Elle serait plus efficace, si le droit de l'environnement ainsi que les règles répressives qui concourent à sa protection sont incorporées dans la formation des magistrats depuis les Ecoles de la magistrature. C'est ce qui manque dans le système actuel de formation des magistrats congolais et camerounais.

B)-Le manque de formation au sein des corps de la magistrature sur le droit de l'environnement.

La protection de l'environnement en générale et celle de la faune sauvage en particulier est un domaine spécialisé qui exige une formation spécifique et des habitudes intellectuelles particulières. De même, le droit de l'environnement présente des spécificités et des caractéristiques qui justifient un juge particulier. Or au Congo et au Cameroun, les Ecoles de magistrature n'offrent pas des modules de droit de l'environnement ou de droit pénal de l'environnement dans la formation des auditeurs de justice (1). Il en est de même pour les Ministères de la justice qui offrent rarement des formations aux magistrats en fonction dans le domaine de l'environnement et de la faune sauvage (2).

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142 NERAC-CROISIER (R), op.cit p.40

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1-Manque de module portant sur le droit de l'environnement au sein des Ecoles de Magistrature.

Au Cameroun, c'est le Décret n°2005/154 du 6 mai 2005 portant organisation de l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature. L'article 4 alinéas 1 de ce décret, fixe au nombre des missions de l'Ecole en disposant : « L'E.N.A.M a pour missions : d'assurer la formation initiale des fonctionnaires des services civiles de l'Etat dans les secteurs déterminés par le gouvernement, notamment celle des fonctionnaires des corps de l'Administration générale, des régies financières, des magistrats et des greffiers (...) ». Au Congo, l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature est créée en 1981. Si la formation des auditeurs de justice au Cameroun comporte des sections de spécialisation (judiciaire, administrative et comptes)143 au Congo, cette formation ne comporte qu'une seule filière (judiciaire). Il faut cependant préciser que les juges qui animent les juridictions répressives sont formés dans les filières ou les sections judiciaires et dans leur formation, on note l'absence des modules consacrés au droit de l'environnement ou même au droit pénal de l'environnement.

Outre l'absence de modules consacrés au droit de l'environnement ou au droit pénal de l'environnement dans les Ecoles de formation des magistrats, on note également une rareté des séminaires et de formation des magistrats en fonction.

2-Rareté des séminaires de formation ou de recyclage pour les magistrats en fonction.

Aux termes de l'article 17 du Décret n°95/048 du 8 mars 1995 portant statut de la Magistrature au Cameroun, les magistrats et attachés de justice peuvent être désignés pour suivre un ou plusieurs cycles d'étude au Cameroun ou pour suivre un stage de perfectionnement ou des cycles d'études à l'étranger. La loi n°15-99 du 15 avril 1999 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°023-92 du 20 août 1992 portant statut de la magistrature au Congo, ne prévoit aucune disposition relative à la formation et au recyclage des magistrats en fonctions. Or le droit de l'environnement étant considéré comme un domaine récent et dont le volume du contentieux au pénal ne cesse de prendre des proportions considérables. Il serait donc plus qu'important que les magistrats qui animent les formations juridictionnelles pénales, suivent des formations pour se former et s'informer sur les avancés dans ce domaine. Ces formations conduisent à un perfectionnement et même à la spécialisation des magistrats dans le domaine environnemental. Ces formations qui peuvent être organisées sur place ou même à l'étranger traduisent aussi une volonté pour les Etats de rendre plus efficace la réponse pénale contre la criminalité faunique. Elles traduisent également une coopération et un transfert de connaissance entre les systèmes judiciaires des différents pays qui contribuent à la protection des écosystèmes.

143 Sur la spécialisation s'agissant de la formation dans la division magistrature : l'Arrêté n°0004832 du 10 octobre 2012 portant régime des études et de la scolarité dans la division de la magistrature et des greffes de l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature.

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Mais les autres causes de l'inefficacité de la réponse pénale contre les atteintes à la faune sauvage se traduisent aussi par le manque d'une prise de conscience des enjeux de la criminalité transnationale en matière faunique au sein des juridictions répressives.

Paragraphe2 : Le manque d'une véritable prise de conscience sur les enjeux de la criminalité transnationale en matière faunique au sein des juridictions des deux pays.

Une recherche de modernisation de la réponse pénale par les Etats d'Afrique Centrale à travers les reformes législatives et institutionnelles a été constatée au cours de ces dernières années. Elle ne doit cependant pas se cantonner à la sphère nationale en raison du caractère majoritairement transnationale de la criminalité faunique. Elle doit être aussi marquée par une volonté, pour ces Etats, d'internationaliser cette réponse pénale. D'ailleurs à ce titre, la Déclaration sur la lutte Anti-braconnage en Afrique Centrale reconnaissait que : « le braconnage et le commerce international illégal de l'ivoire et de la faune sauvage portent atteinte à l'environnement, à la paix et à la sécurité des Etats, menacent la vie d'innocents et compromettent la croissance économique des pays »144. Or, après plusieurs décennies, on constate que le processus d'internalisation du système répressif contre la criminalité faunique transnationale reste encore embryonnaire et très lacunaire. On note ainsi, le manque d'effectivité des instruments portant sur l'entraide judiciaire et des difficultés pour les juridictions pénales nationales d'exercer la compétence universelle (A). Mais aussi, une absence d'harmonisation des incriminations et des sanctions relevant de cette criminalité transnationale (B).

A)-Le manque d'effectivité des instruments portant sur l'entraide judiciaire et les difficultés d'exercer la compétence universelle.

En matière pénale, la coopération judiciaire entre les Etats membres d'une organisation sous régionale peut être entendue comme : « l'exécution par l'Etat requis, éventuellement par la coercition, des mesures visant à faciliter la poursuite et la répression des infractions pénales dans l'Etat requérant, à la demande de ce dernier »145. Dans le cadre de la protection pénale des espèces fauniques, cette coopération apparaît comme l'un des moyens les plus efficaces pour la mise en oeuvre d'une réponse pénale, par les juridictions répressives, contre les atteintes à la faune sauvage. Elle ne peut s'exercer que grâce aux respects des accords entre les Etats. Cependant, l'ineffectivité des accords de coopération judiciaire entre les Etats membres de la CEMAC (1). Ainsi que les difficultés pour les juridictions pénales d'exercer leur compétence universelle pour réprimer les délinquants fauniques internationaux peuvent constituer un obstacle à un rendement efficient de l'action de la justice répressive en matière faunique (2).

144 Réunion d'urgence des Ministres de la CEEAC en charge des relations Extérieures, des questions de défenses et de sécurité, de l'intégration régionale et de la protection de la faune sur la mise en oeuvre d'un plan d'extrême urgence sur la lutte anti braconnage dans la zone septentrionale de l'Afrique Centrale du 21 au 23 mars 2013.

145 ZIMMERMANN (R), La coopération judiciaire en matière pénale, 3ème édition LGDJ, Paris 2009, page.5

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1-L'ineffectivité de l'Accord de coopération judiciaire entre les Etats membre de la CEMAC du 28 janvier 2004.

L'accord de coopération judiciaire entre les Etats de la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale a été signé entre ces différents Etats dont le Congo et le Cameroun pour faciliter les relations inter juridictionnelles et garantir l'efficacité dans l'action des juridictions répressives. Ainsi, cet instrument sous régional constitue un moyen de lutte contre la criminalité faunique transnationale. Ainsi, cet accord prévoit des mécanismes qui concourent la répression des délinquants auteurs des infractions transnationales ou ayant, dans sa commission, un élément d'extranéité susceptible d'échapper à la compétence du juge répressif national. En matière de protection pénale des espèces fauniques, ces infractions transnationales ou ayant un élément d'extranéité sont légions. On pourrait citer au nombre de ces infractions, le braconnage et le commerce illicite des espèces sauvages. De nombreux auteurs estiment qu'il existe un lien potentiel entre le braconnage et d'autres activités criminelles organisées au plan international, y compris le terrorisme, la fraude, la corruption, le radicalisme et le crime organisé146.

Ces mécanismes sont entre autre, l'extradition, la commission rogatoire et l'exéquatur. Ainsi donc, l'article 1 de l'accord de coopération judiciaire entre les Etats membres de la CEMAC donne successivement la définition des termes suivants : L'extradition qui s'entend comme : « acte par lequel un Etat requis remet à la disposition d'un Etat requérant , une personne poursuivie, recherchée ou condamnée pour une infraction de droit commun, conformément au présent accord ». La commission rogatoire s'entend : « acte par lequel les autorités judiciaires de l'Etat requérant chargent celles de l'Etat requis d'accomplir des actes de procédures déterminés ou de communiquer des pièces à conviction des dossiers ou documents ». Enfin l'exéquatur s'entend comme : « un acte par lequel, les autorités judiciaires d'un Etat partie, autorise sur leur territoire, l'exécution d'une décision de justice rendue sur le territoire d'un autre Etat partie ». Ainsi donc ces trois mécanismes constituent les piliers d'une coopération judiciaire entre les Etat en matière de répression des infractions fauniques transnationales. Toujours dans le sens de la coopération judiciaire, le 28 janvier 2004, les Etats membres de la CEMAC ont signés un accord d'extradition. Aux termes de l'article 3 de cet accord, les infractions donnant lieu à extradition dispose en son alinéa 1 : « Donneront lieu à extradition, les infractions punies par les lois de la partie requérante et par celle de l'Etat partie où réside l'individu dénommé « partie requise » d'une peine privative de liberté ou d'une mesure de sûreté privative de liberté d'au moins un an (...) ».

Or l'application effective de ces accords entre les Etats membre, reste difficile car, le plus souvent, il n'existe pas une harmonisation des infractions fauniques et des peines entre les Etats membres. De même qu'il existe de nombreuses incompatibilités entre les textes répressifs de droit interne et les accords de coopération judiciaire.

146 Rapport IFAW : La nature du crime, septembre 2013, p.3

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Pour s'ne convaincre, l'article 14 du Code Pénal Camerounais dispose que : « Les sentences pénales prononcées contre quiconque, par des juridictions étrangères, ne produisent d'effet sur le territoire de la République que si :

-Le fait est qualifié crime ou délit de droit commun par la loi pénale de la République ;

-La régularité de la décision, son caractère définitif et sa conformité à l'ordre public de la République sont constatés par la juridiction saisie d'une poursuite à l'encontre de la même personne ou par la Cour d'Appel du lieu de résidence du condamné saisi par le Ministère public »

2-Les difficultés d'exercice de la compétence universelle par les juridictions pénales nationales.

La compétence universelle reconnue à certaines juridictions pénales, est encore qualifiée de principe d'universalité du droit de punir. Elle peut être considérée comme un système de compétence en vertu duquel, un Etat se donne le pouvoir de protéger certaines valeurs fondamentales de la communauté internationale en acceptant de réprimer les agissements des personnes physiques étrangères qui les offenses à l'étranger ou contre des étrangers147. Cependant la grande question que l'on peut se poser est-celle de savoir, si un Etat peut exercer sa compétence universelle pour les infractions relevant de la faune sauvage ? Au Cameroun, le Code Pénal fixe au titre des infractions internationales pouvant donner lieu à la compétence des juridictions répressives même lorsque celles-ci ont été commises à l'étranger. A cet égard, l'article 11 dudit code dispose que : « La loi pénale de la République s'applique au mercenariat, à la discrimination raciale, à la piraterie, au trafic des personnes, à la traite des personnes, à l'esclavage, au trafic des stupéfiants, au trafic des déchets toxiques, au blanchiment capitaux, à la cybercriminalité à la corruption et aux atteintes à la fortune publique commis même en dehors du territoire de la République. Toutefois, aucun étranger ne peut être jugé sur le territoire de la République, pour les faits visé au présent article commis à l'étranger, que s'il a été arrêté sur le territoire de la République et n'a pas été extradé et à condition que la poursuite soit engagée par le Ministère Public ». Bien que les atteintes à la faune relève d'une loi spéciale, il n'en demeure pas moins vrai que ni l'énumération exhaustive donnée par le code pénal, ni les lois fauniques ne précisent clairement une compétence universelle des juridictions pénales camerounaise pour les infractions contre la faune commises à l'étranger.

B)-Absence d'une harmonisation des incriminations et des sanctions relevant de la criminalité faunique transnationale.

La réponse à la délinquance faunique qui pèse sur les Etats d'Afrique Centrale et laisse planer une menace imminente d'extinction des espèces sauvages, passe nécessairement par la mise en place d'un droit commun de la protection pénale de la faune sauvage.

147 DIMUENE PAKU DIASOLWA (S), L'exercice de la compétence universelle en Droit pénal international, Québec Montréal, octobre 2008, p.48

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Or, jusque là, dans chacun de ces Etats, la répression des infractions fauniques reste l'apanage d'une justice répressive. Elle ne se limite qu'aux frontières nationales, sans possibilités de réprimer les infractions transnationales. En ce sens, Mireille DELMAS-MARTY soutient que : « l'absence de traitement commun du phénomène de la criminalité environnementale contribue à l'inefficacité d'un système répressif qui reste identifié à l'Etat, le monopole du droit de punir étant l'emblème de la souveraineté »148. Ainsi donc, l'absence d'une harmonisation des incriminations relevant du droit international de l'environnement (1) et d'une uniformisation des peines (2) peut, aussi constitué une cause d'inefficacité de la réponse apportée par la justice répressive à la criminalité faunique transnationale.

1-Absence d'harmonisation des incriminations à caractère transnationale en matière faunique.

Le phénomène de braconnage et le commerce illicite des espèces sauvages ainsi que les produits qui découlent du trafic d'animaux sauvages, constitue une menace d'ampleur mondiale. Ses effets sont dévastateurs pour la stabilité des écosystèmes et la préservation de biodiversité. Ces infractions constituent également un véritable danger pour la sécurité sous-régionale et mondiale. Cette forme de criminalité alimentée par des réseaux disséminés à travers le monde répond à des demandes diversifiées : vêtements de marque, maroquinerie, bijoux, ornements et parures, animaux de compagnie, médecine. Il en résulte que ce phénomène a donné naissance, à des infractions transnationales du fait de l'éclatement de leurs éléments de rattachement relevant de plusieurs Etats. Ainsi donc, pour une même infraction, on distinguera d'un pays à un autre : le lieu de la commission, celui de la survenance du préjudice environnemental, celui du lieu d'arrestation des auteurs, celui de l'arrestation des complices et commanditaires. D'autres infractions fauniques, relèveront du fait de leur ampleur et leur gravité d'une atteinte à la sûreté de la planète.

Cependant, face à de telles réalités, les Etats d'Afrique Centrale n'ont pas prévus ni dans leur législations internes et dans les instruments sous-régionaux une catégorisation d'incriminations comportant des éléments d'extranéité. Ils n'ont pas aussi prévus des procédures pour permettre aux juridictions pénales nationales de connaitre de telles infractions. L'article 8 du Code Pénal Camerounais est vague lorsqu'il évoque les infractions partiellement ou totalement commise à l'étranger. Il affirme que : « La loi pénale de la République s'applique a)- à toute infraction dont l'un des éléments constitutifs s'est trouvé réaliser en tout ou partie sur son territoire b)- aux infractions d'atteintes à la sûreté de l'Etat, de contrefaçon du sceau de l'Etat ou de monnaie nationale y ayant cours commises même à l'étranger. Toutefois aucun étranger ne peut être jugé par les juridictions de la République en application du paragraphe b), à moins qu'il n'ait été arrêté sur le territoire de la république ou qu'il n'ai été extradé ». De même, son article qui énumère les infractions internationales, outre le trafic des déchets toxiques, ne mentionne aucune infraction contre la nature. Autrement dit, les atteintes à la faune sauvage, même le plus grave comme l'abattage de centaine d'éléphants, ne constituent pas au sens du code pénal camerounais, une infraction internationale.

148 DELMAS-MARTY (M) op.cit, p.365

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Aujourd'hui, certains pays développés conçoivent une possibilité d'harmoniser les crimes environnementaux les plus graves à travers le crime d'écocide. Il s'agit de la même volonté que les Etats ont manifestée au sortir de la seconde guerre mondiale, lorsqu'ils ont institué le crime de génocide. L'écocide est conçu comme des actes visant la destruction de ce qui est nécessaire à l'humanité pour exister. Selon l'article 2 du Projet de la Convention Ecocide, ce crime est entendue comme tout : « acte intentionnel commis dans le cadre d'une action généralisée ou systématique et qui porte atteinte à la sûreté de la planète ». Cependant, peut-on classer certaines atteintes à la faune sauvage comme susceptibles de détruire ce qui est nécessaire à l'humanité ? Selon un rapport IFAW, courant janvier 2012, plusieurs éléphants (entre 300 et 400) ont été abattus dans le Parc Boubanjida au Cameroun149. Au regard de la gravité d'un tel acte et du rôle ou de l'importance des éléphants dans la préservation des écosystèmes, cette infraction pourrait être qualifié d'écocrime.

Mais l'harmonisation des incriminations va de paire avec l'uniformisation des sanctions, ce sont les deux conditions pour arriver à une efficacité de la réponse pénale contre la criminalité internationale.

2 Uniformisation des sanctions pénales.

Par définition, le droit pénal de l'environnement est entendu comme : « l'ensemble des dispositions répressives qui préviennent et sanctionnent la dégradation par l'Homme du milieu physique ou biologique dans lequel il vit ». En matière de protection internationale de la faune sauvage, la sanction pénale a un effet dissuasif et joue donc un rôle essentiel. Elle n'est certes pas le remède miracle qui sauvera les écosystèmes de faune en Afrique Centrale de la menace d'extinction du fait de la criminalité faunique. Mais par elle, les Etats peuvent affirmer que les espèces fauniques sont des constitutions essentielles pour la survie des écosystèmes qui doivent être respectées. L'uniformisation des sanctions portant répression de la faune sauvage traduit une universalisation de la réprobation des atteintes contre la faune surtout celles ayant un caractère transnational.

Or en ce qui concerne les pays d'Afrique Centrale dont le Congo et le Cameroun, la répression des atteintes contre la faune est compartimentée, chacun définit les incriminations et les sanctions applicables. Cela résulte sans nul doute de la compétence pénale territoriale reconnue à chaque Etat. Ce principe exclusif reconnu par le droit international, a pour objet d'affirmer la compétence de l'Etat, de ses juridictions pénales et de ses lois propres à l'égard de tous les actes punissables (y compris les atteintes à la faune sauvage) commis sur son territoire. Il faut cependant préciser que les infractions en matière de la faune sauvage peuvent être commises sur le territoire de plusieurs pays, un acte d'abattage d'éléphant ou de rhinocéros pouvant être étroitement lié au transport clandestin des défenses ou des cornes de ces derniers ainsi qu'à leur commerce.

149 IFAW : Braconnage d'éléphants toujours hors de contrôle à Boubanjida en dépit du déploiement militaire sur la zone.

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En dehors des causes qui sont endogènes acteurs judiciaires (magistrats), on relève aussi des difficultés résultant des rapports entre les tribunaux et les administrations en charge de la constatation de ces infractions ainsi que ceux qui sont liés du manque de moyens matériels pour un rendement efficient dans la lutte contre la criminalité faunique.

Section2 : Les causes exogènes de l'inefficacité d'une réponse pénale à la criminalité faunique.

Au-delà des insuffisances substantielles matérialisées par les difficultés dans l'application des textes en matière faunique, l'inefficacité de l'action des acteurs concourants à la réponse pénale contre la criminalité faunique résulte aussi des causes qui sont indirectes au fonctionnement interne des juridictions répressives congolaise et camerounais. En effet, la prise de conscience par les pouvoirs publics de la menace irréversible d'une détérioration des écosystèmes à travers l'extinction des espèces sauvages appel nécessairement à la modernisation de la qualité d'une réponse pénale apportée au phénomène de la délinquance faunique.

Or, actuellement on remarque qu'au Congo et au Cameroun, il existe encore de nombreux problèmes liés au manque de collaboration entre les acteurs oeuvrant à l'exercice d'une répression contre les atteintes à la faune (§1). Mais également, de graves carences en terme de moyens mis à leur disposition pour aboutir à un rendement efficient dans la lutte contre cette forme de délinquance (§2).

Paragraphe1 : Le manque de collaboration entre les différents acteurs concourants à l'exercice d'une répression contre la criminalité faunique.

Evoquant la nécessité d'une collaboration entre les différents acteurs qui constituent, chacun, un maillon de la chaîne pénale dans l'exercice effective d'une répression contre la criminalité faunique, N. RORET et M. PORRET-BLANC ont estimés qu'il est « indispensable de clarifier et coordonner le rôle de chaque acteur au sein des procédures afin d'en améliorer la lisibilité et d'en garantir l'efficacité »150. Au Congo et au Cameroun, la persistance et voir même l'augmentation des phénomènes de braconnage et du commerce illicite des espèces fauniques sont liés entre autre à un échec dans la coordination entre les différents maillons de la chaîne pénale. Parmi les maux qui minent cette chaîne, on relève une confusion dans le rôle et les limites des prérogatives reconnues à chaque acteur. A ce titre, on parlera des problèmes de conflit de compétences (A). Mais la réponse pénale est aussi inefficace du fait de la relégation des Associations spécialisées dans la protection des espèces fauniques à des rôles passifs, alors qu'elles devaient être considérées comme le fer de lance dans l'oeuvre de répression (B).

150 RORET (N) et PORRET-BLANC (M), op.cit, p.19

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A)-Les problèmes liés à des conflits de compétences entre les différents acteurs oeuvrant pour l'exercice d'une réponse pénale contre les atteintes à la faune sauvage.

L'étude exégétique des lois portant sur la faune sauvage au Congo et au Cameroun, laisse apparaître que les problèmes de conflit de compétence entre les différents acteurs qui concourent à l'action répressive contre les atteintes à la faune, sont liés à une cacophonie rôle que leur reconnait pèle mêle par les textes en matière de faune qui sont illisibles et parfois ambigüe (1). Ils tiennent aussi, à l'absence de coordination et de coopération entre ces différents acteurs dans l'exécution des taches concourant à la répression (2).

1)-Des conflits de compétence liés à une sorte de cacophonie dans la répartition des rôles organisée par les lois fauniques illisibles et ambigües.

Qu'il s'agisse de la loi n°37-2008 du 28 novembre 2008 sur la faune et les aires protégées au Congo ou celle portant sur le régime des forêts, de la faune et de la pêche au Cameroun. Ces textes se caractérisent par une distribution quelque peu confuse des prérogatives et rôles entre les différents acteurs concourants à l'exercice d'une répression efficace contre les atteintes à la faune sauvage. Cette répartition a pour conséquence de créer un effet inverse, car au lieu d'être un apport efficient, elle entraine au contraire une confusion dans l'accomplissement des tâches. D'abord l'article 95 de la loi de 2008 sus évoquée dispose que : « Sans préjudice des pouvoirs de la police judiciaire, la police de la faune et de la chasse est assurée par les services compétents du ministère chargé des eaux et forêts, qui peuvent, en cas de besoin, se faire assister par les chefs du village et les associations locales ouvrant dans ce domaine ». Il crée une concurrence de compétence entre la police judiciaire classique et la police spéciale en charge de la faune et de la chasse. Cette concurrence dans l'exercice des missions de police judiciaire contre les atteintes à la faune sauvage est aussi prévue par l'article 141 alinéa 1 de la loi camerounaise de 1994 en ces termes : « Sans préjudice des prérogatives reconnues au Ministère public et aux officiers de police judiciaire à compétence générale, les agents assermentés des administrations chargées des forêts, de la faune et de la pêche (...) sont chargés de la recherche, de la constatation et des poursuites en répression des infractions commises en matière de forêt, de la faune et de la pêche, selon le cas ». Mais, ces lois ne précisent pas, lesquels des deux polices est privilégiées dans le cas où il y aurait une collusion sur le terrain. Les articles 99 et 100 de la loi faunique congolaise, reconnaissent aux agents du Ministère en charge de la faune des prérogatives très large de la police judiciaire.

Au Cameroun, l'article 147 de la loi faunique, donne compétence aux agents assermentés du Ministère de la faune, concurremment avec la police judiciaire et le ministère public dans la mise en mouvement de l'action public. Ils sont habilités de faire des observations à la suite du ministère publique au cours du procès pénal. Ils peuvent également au même titre que le ministère public ou les huissiers de justice faire citer les délinquants fauniques devant les formations de jugement.

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Cette cacophonie est aussi exprimée à travers l'article 88 de la loi n°96/12 du 5 août 1996 portant loi-cadre relative à la gestion de l'environnement, qui dispose que : « Sans préjudice des prérogatives reconnues au ministère public, aux officiers de police judiciaire à compétence générale, les agents assermentés de l'Administration chargée de l'environnement ou des autres Administrations concernées, notamment ceux des domaines, du cadastre, de l'urbanisme, des travaux publics, des forêts, de la marine marchande, des mines, de l'industrie, du travail et du tourisme sont chargés de la recherche, de la constatation et des poursuites en répression des infractions aux dispositions de la présente loi et de ses textes d'application ». Au regard de ce qui précède, on peut se demander dans toute cette répartition, qui fait quoi et devant quel type d'infraction ?

Il résulte de tout ce qui précède, que les lois fauniques prévoient un panel très varié des taches qui concourent à la répression des infractions fauniques. En partant des constatations, de la recherche des indices et preuves, du déclenchement de l'action public jusqu'à l'aboutissement de la procédure devant le juge pénal et la condamnation. L'efficacité de la réponse pénale dépend également de la coordination et la coopération entre les différents acteurs qui doivent former un système fluide et synchronisé.

2)-Des conflits de compétence liés à l'absence de coordination et de coopération entre les différents acteurs dans l'exécution des tâches relatives à la répression des atteintes fauniques.

Selon un responsable du Projet d'Appui à l'Application de la Loi sur la Faune Sauvage au Congo (PALF) : « La collaboration entre les institutions en charge d'application et d'exécution de la loi faunique (au Congo) est un engrenage mal articulé et rouillé (...) avec un tel engrenage, la loi s'applique certes mais pas de façon effective, efficace dans toute sa teneure »151. Il résulte de cette réflexion que le manque de coordination et de coopération entre acteurs habilités par les lois fauniques pour exécuter une tâche quelconque qui contribue à la répression des infractions peut entamer sérieusement à l'efficacité de la réponse pénale. Par définition, la coordination est l'action d'agencer diverses activités dans le but d'atteindre un résultat escompté. C'est la mise en place par les acteurs institutionnels et non institutionnels d'un ensemble des actes, de manière cohérente, dans le but de traduire les délinquants criminels devant le juge pénal. Quant à la coopération, elle s'entend comme une méthode d'action dans laquelle des acteurs ayant un objectif commun agissent conjointement et collaborent ensemble pour atteindre cet objectif. Le manque de coordination et de coopération entraine donc des conflits de compétence, soit entre les officiers de police judiciaire et les agents du ministère en charge de la faune, ou entre ces derniers et ceux de la douane. Il peut parfois exister des conflits de compétence entre le ministère public et l'administration faunique. Ces conflits alourdissent les procédures, les ralentissent et parfois même les rendent bancales.

151 BENISSON (J), Les difficultés liées à l'application de la loi sur la faune au Congo, Document PALF, 2017, p.22

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Par ailleurs, on peut aussi noter le cloisonnement des services en charge de la répression et ces conflits aboutissent parfois jusqu'à la rétention des informations. Mais ce manque de collaboration se traduit aussi la relégation des associations en charge de la lutte pour la protection de la faune sauvage dans un rôle passif.

B)-La relégation des associations spécialisées dans le domaine de protection de la faune à un rôle passif.

En parlant des évolutions du droit pénal français en matière environnementale, plus précisément de l'action devant le juge pénal des associations de protection de l'environnement, Guillaume ANGELI affirme que : « La où, le droit commun exige un préjudice direct, l'article L.142-2 du Code de l'environnement se satisfera d'un préjudice indirect afin de permettre l'accès à la justice pour les associations de protection de l'environnement palliant ainsi à l'inertie du parquet fréquente en matière de l'environnement »152. Ces avancés notables en droit pénal de l'environnement français ne se répercutent pas en droit interne congolais et camerounais qui, pourtant est souvent la résultante d'un mimétisme juridictionnel.

En effet, au Congo, les associations spécialisées dans la lutte pour la protection de la faune sauvage ont un rôle passif dans la poursuite des infractions fauniques. Elles sont réduites à la simple dénonciation et à la collaboration dans la recherche des auteurs d'infraction à la loi faunique. Dans ce sens, l'article 3 alinéas 2 et 4 dispose que : « Ces associations sont des organes consultatif pour l'élaboration des politiques de gestion de la faune. A ce titre, elles sont chargées, notamment, de :

-collaborer avec les services compétents à la surveillance des animaux sauvages ,
·

-collaborer à la recherche des acteurs d'infraction à la présente loi et à ses textes d'application ,
·

-donner leurs avis sur toute question intéressant la gestion de la faune ».

Alors que l'article 95 de la faunique congolaise parle d'un rôle d'assistance aux cotés de l'administration de la faune dans les missions de la police de la faune et chasse. L'article 3 les relègue aux rôles de consultation et de collaboration. Il s'agit là que des rôles passifs. Ainsi donc elles ne peuvent pas se constituer partie civile. Cette limitation constitue donc une cause d'inefficacité dans l'exercice d'une réponse pénale. En réalité, pour les associations spécialisées dans la protection de la faune sauvage, le but n'est pas tant de recevoir un montant quelconque au titre des dommages et intérêts, mais en ayant accès au juge pénal, elles recherchent l'effet dissuasif de la sanction pénale pour endiguer le phénomène de criminalité faunique. Outre le manque de collaboration entre les différents acteurs qui concourent à l'exercice de la répression des atteintes contre la faune sauvage, au Congo et au Cameroun, on peut aussi relever comme causes exogènes à l'ineffectivité de la réponse pénale, le manque de moyens mis à leur disposition pour un rendement plus efficient.

152ANGELI (G), L'action devant le juge pénal des associations de protection de l'environnement, in Revue Juridique de l'Environnement, le Code français de l'environnement. Numéro spécial 2002. P.7

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Paragraphe2 : Les problèmes liés au manque de moyens affectés aux acteurs pour assurer une répression efficace.

L'exercice de la justice pénale est un système lourd et complexe qui exige des moyens à la fois en termes de ressources humaines, matérielles et financières. En effet, dans un domaine spécifique comme celui de la répression des infractions fauniques, les acteurs judiciaires concourant à cette action doivent bénéficier de diverses ressources pour rendre une justice assez juste et équitable. Or, au Congo et Cameroun tel n'est pas le cas. On relève un manque de moyens tant au niveau des juridictions en charge du contentieux faunique qu'en milieu carcéral (A). Mais, il faut aussi souligner que l'augmentation de la délinquance faunique dans ces pays reste aussi liée au manque de politique de réinsertion des délinquants ayant purgés leur peine, ce qui rend encore plus inefficace la réponse pénale (B).

A)-Le manque de ressources à la disposition de la justice répressive et les difficultés d'organisation du milieu carcéral : autres causes d'inefficacité de la réponse pénale.

La justice répressive, même en matière du contentieux faunique est avant tout une institution publique au service de la société. A cet effet, son rendement efficient peut être entravé par la mauvaise qualité de son service, le manque de ressources et les dysfonctionnements de tout genre (1). Au Congo et au Cameroun le contentieux pénal de la faune, repose sur l'effet de la sanction qui joue un rôle stratégique, surtout lorsqu'elle est privative de liberté. A ce titre, il est donc plus que nécessaire qu'on jette un coup d'oeil à l'univers carcérale qui reçoit le délinquant condamné à payer sa dette à la société pour ses actes réprobatoires (2).

1)-Le manque de ressources à la disposition de la justice répressive : cause majeur de l'inefficacité de la réponse pénale en matière du contentieux faunique.

Dans son ouvrage intitulé : Les Africains et l'institution de la justice. Entre mimétisme et métissage, Etienne LE ROY dépeint un état déplorable des juridictions dans les pays africains. Les juridictions pénales en charge du contentieux faunique au Congo et au Cameroun ne constituent pas une exception à la règle. En effet, il affirme que : « La justice en Afrique est d'un côté une institution héritée de la colonisation, mais sinistrée (corruption, prétoires délabrés, conditions de détention misérable) inadaptés aux réalités des sociétés africaines actuelles »153. Il résulte de cette affirmation, qu'un procès est fait à la justice répressive en charge du contentieux faunique et même aux acteurs qui l'animent. De cet inventaire, on pointe du doigt d'une part : son manque d'indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, l'absence d'impartialité souvent liée à un niveau élevé de corruption qui la gangrène, son éloignement et son inaccessibilité à la population. Mais ces facteurs sont substantiels et insaisissables à l'oeil nu.

153 LE ROY (E), Les Africains et l'institution de la justice. Entre mimétisme et métissage, Paris, Dalloz, 2004, p. 184.

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Ce qui paraît plus criard c'est : sa misère financière, documentaire et matérielle. En effet, dans la plupart des pays d'Afrique noire francophone, le pouvoir exécutif tient du bout de la laisse l'hypothétique pouvoir judiciaire. Aussi, et surtout, la justice répressive est sous un régime de sevrage financière continuel pour atténuer ses ardeurs d'indépendance et d'impartialité.

Selon une formule souvent reprise par les auteurs, la justice en Afrique serait à la fois : « un service public sans service » compte tenu de l'indigence de ses moyens ; « une justice sans juges » en tenant compte du traitement réservé aux magistrats qui les animent ; de « tribunaux sans justiciables » puisqu'ils sont rarement saisis par les justiciables surtout pour des matières aussi complexe que le contentieux faunique154. Il ressort de ces remarques fondées que la justice pénale dans ses pays est dépourvue des moyens matériels pouvant lui permettre d'exécuter à bien sa mission de répression. On peut citer au nombre de ces manquements : l'absence des bibliothèques au sein tribunaux, manque d'infrastructures adéquates, de mobilier de travail descend, de véhicule, de l'outil informatique...

Dans ces conditions, pour les magistrats et autres auxiliaires de justice appelés à oeuvrer pour une justice répressive, travaillent avec des moyens qui remontent des temps de la colonisation. Au Congo, par exemple, on retrouve encore au sein des juridictions répressives des machines à dactylographier servant dans la matérialisation des casiers judiciaires et d'autres actes judiciaires, le pays ne disposant toujours pas d'un fichet pénal numérique. Seuls les magistrats de la Cour Suprême bénéficient des dotations de voiture. Cette absence de moyens mis à la disposition de la justice pénale est, sans nul doute, une cause d'inefficacité dans la réponse apportée à la délinquance faunique. A ces difficultés, il faut ajouter l'état déplorable du système carcéral qui ne favorise pas une répression efficace.

2)-Les difficultés d'organisation du milieu carcéral : une autre cause d'inefficacité de la réponse pénale à la criminalité faunique.

Poursuivant son analyse critique sur l'institution de la justice en Afrique, Etienne LE ROY, considérait l'univers carcéral ou la prison en Afrique comme : « la face maudite de la justice »155. Cette vision est partagée par, Régine NGONO BOUNOUNGOU, lorsqu'elle parle du fonctionnement du milieu carcéral au Cameroun. En effet, pour elle : « Il est difficile de croire au bon fonctionnement des établissements pénitentiaires avec une telle surpopulation écrasante »156. Dans un pays comme dans l'autre, les réalités sans quasi-semblables, l'Administration pénitentiaire reste confrontée à de nombreux problèmes liés entre autre à un déficit chronique en personnel qualifié. Le manque d'agents spécialisés dans le domaine pénitentiaire ou sous-qualification du personnel. Il y a également un manque criard d'infrastructures adaptées aux réalités actuelles.

154 Voir en ce sens, l'extrait de Jean du Bois DE GAUDUSSON et Gérard CONAC, La Justice en Afrique : nouveaux défis, nouveaux acteurs, in La Revue Africaine contemporaine. Edition spéciale 1990, p.14

155 LE ROY (E), op.cit p.206

156 NGONO BOUNOUNGOU (R), La réforme du système pénitentiaire camerounaise : entre héritage colonial et traditions culturelles. Thèse pour obtenir le grade de Doctorat de l'Université de Grenoble, spécialité Administration Publique. Université de Grenoble le 26 juin 2012, p19

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Ce qui a pour conséquence immédiate, la surpopulation de l'univers carcéral avec tous les maux que cela peut entrainer à savoir : les maladies liées à aux conditions d'hygiène et de nutritions, beaucoup de cas de décès, de nombre record d'évasion et plus de radicalisation dans la criminalité.

Or, pour les délinquants fauniques, la tendance est de récidiver, les anciens détenus évadés ou ayant purgé leur peine dans des conditions dégradantes deviennent encore plus actif et plus dangereux. Il faut aussi relever que dans ces pays, peut de subvention et moins de budget sont consacrés à l'amélioration des conditions en milieu carcéral. Ces pays n'ont parfois aucune politique pénitentiaire. Au Cameroun, c'est le Décret n°92-052 du 27 mars 1992 portant régime pénitentiaire qui organise le milieu carcéral. Selon un rapport sur la situation des prisons au Cameroun publié en décembre 2011 : « En effet, le vieillissement des infrastructures, fait de la prison aujourd'hui un monde entièrement à part où les conditions minimales de vie sont difficilement trouvables. De ce point de vue, il est de notoriété que l'infrastructure pénitentiaire camerounaise est fortement dégradée pour la plupart, car constituée de vieux bâtiments datant pour certains de la période coloniale et n'ont pas visiblement de maintenance, encore moins de rénovation depuis de lustres à l'instar des prisons de Bafoussam et de Yoko, créées en 1952 et celle de Douala en 1930 »157. La situation pénitentiaire au Congo n'est différente de celle du Cameroun. Ce qui est essentiel à retenir dans notre étude, c'est que ces problèmes constituent un véritable frein à la lutte contre la délinquance faunique.

A cela, on ajoutera le manque de politique de réinsertion des délinquants qui tombent assez vite dans la récidive, rendant ainsi le cycle de la criminalité plus infernal et plus dangereux pour la survie des espèces.

B)-Le manque d'une politique de réinsertion pour les délinquants fauniques.

Pour le délinquant la réinsertion est souvent considérée comme une seconde chance que lui accorde la société et un moyen d'empêcher celui-ci de retomber dans les mêmes errements. Ainsi, dans le cadre de la protection des espèces fauniques et la lutte contre le braconnage, la réinsertion est l'un des moyens pour éloigner les anciens délinquants de ces pratiques. Il ne peut en être autrement, puisque dans son approche sociologique la répression des contrevenants aux lois fauniques est certes une manifestation, par excellence, de la réprobation sociale. Mais dans la conscience collective, la place accordée à la faune sauvage n'a pas encore atteint une importance telle que ces délinquants mériteraient l'opprobre sans aucune chance d'être réinséré.

Cependant, la réinsertion même pour les délinquants fauniques nécessite la mise en place d'une politique et des moyens financiers affectés. Elle peut consister à des formations professionnelles, l'apprentissage d'un métier, l'incitation à la pratique de l'agriculture ou de l'élevage et pour cela, il faut souvent des fonds de roulement.

157 ACAT-LITORAL : Rapport sur la situation des prisons au Cameroun : « Humanisation des conditions de détentions au Cameroun », Yaoundé décembre 2011, page.7

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Il a été révélé que dans la plupart des cas, en Afrique Centrale, les braconniers et autres auteurs de commerce illicite d'espèces fauniques sont souvent d'ancien membre appartenant à des milices ou même des jeunes désoeuvrés. Leur réinsertion dans la vie professionnelle est donc un moyen efficace d'endiguer les risques de récidive et d'augmentation de cette criminalité. Il résulte de tout ce qui précède que l'efficacité de la réponse pénale contre la criminalité faunique ne se résume pas seulement à la mise en place des incriminations et des sanctions ou même à des textes de lois spéciales. Elle dépend aussi de qualité des acteurs qui animent cette institution. En effet qu'il s'agisse des officiers de police judiciaire à compétence générale ou des agents relevant du ministère en charge de la faune ; des magistrats du parquet ou du siège ainsi que du personnel de l'administration pénitentiaire, tous ces acteurs concourent chacun selon son rôle et ses fonctions à la lutte contre cette forme de criminalité. A cet effet, lois ne doivent pas se limitées à définir les incriminations et sanctions, elles doivent aller plus loin pour déterminer de manière précise les compétences, prérogatives et champ d'intervention de chacun. En tenant compte de la spécificité de la matière, les gouvernements congolais et camerounais devaient promouvoir plus la spécialisation de la justice répressive.

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