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La mise en scène de soi sur Tinder: entre l'originalité et le conformisme


par Geoffrey MILLE
Université de bourgogne - Master 2 Sociologie 2021
  

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V. La construction des profils et la mise en scène de soi sur Tinder

A.Architecture de Tinder

Saisissant l'exhaustivité de la démarche de rencontre, les sites de rencontre ont découpé les différentes tâches assujetties à la rencontre en sous-tâches permettant aux individus d'être dans un état psychologique plus confortable. (Dulaurans, Marczak, 2019). Cet état dit état de « flow» par les psychologues (Csikszentmihaly, dans Ibid.,) est une sorte d'adéquation entre la difficulté d'une tâche et les compétences de l'individu pour parvenir à réaliser un but. Dans l'univers vidéoludique, les « gamers » sont sans cesse accompagnés par cet état. À travers l'augmentation régulière de la difficulté, les joueurs sont entourés d'informations pour répondre à des objectifs clairs segmentés en plusieurs tâches. On retrouve cette perspective dans les sites de rencontre où l'inscription est divisée en des sous-tâches. Pour renforcer la motivation, il existe un « mécanisme d'impersonnalisation » visant à faire croire à un individu qu'il a émis ces mots (Dulaurans, Marczak, 2019). Ce mécanisme prend effet sur Tinder lors des ajouts de photos de profil où l'on lui suggère d'en ajouter davantage pour augmenter ses chances de match. En bref, comme l'indique Gallilo, dans (Collomb et al. 2016), Tinder est avant tout un dispositif qui configure notre attention de manière à ce qu'elle ait davantage tendance à se disséminer qu'à se cristalliser.

On recense une seconde similitude aux jeux vidéo avec un système de classement groupant les utilisateurs selon leur taux de match dans l'optique de les rassembler selon cette variable. Par conséquent, plus le niveau d'attractivité de la personne est élevé, plus elle pourra observer des profils dits « attrayants» et cela équivaut également pour le contraire. Par ailleurs, la valeur des « likes» est aussi attribuée en fonction du niveau d'attractivité du profil. Une personne « likée » aura plus de valeur si l'utilisateur qui la like à un « rating» (classement) plus élevé (Pais dans Collomb et al. 2016).

Selon Calleja (dans Dulaurans, Marczak, 2019), il existe plusieurs dimensions expérientielles définissant le « mécanisme d'implication ». Nous y retrouvons, le ludique, la narration, le social, le geste, l'émotion et l'espace. Premièrement, la dimension ludique des sites de rencontre reprend des caractéristiques du mécanisme compétitif liées aux jeux (Dulaurans, Marczak, 2019). Tout d'abord, la fonctionnalité d'exclusivité des jeux vidéo où lors de l'achat d'un article, le joueur peut débloquer un contenu supplémentaire et en quelque sorte un privilège.

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En comparaison avec des applications comme Tinder, on retrouve des initiations à souscrire à des abonnements avec cette logique de l'appât du gain « Si tu payes, tu auras plus de likes et tu seras plus visible, donc tu auras plus de «matchs » ». La dimension narrative comprend des critères inédits à ces nouveaux marchés de rencontre comme les composantes socioprofessionnelles. Ensuite, nous avons les dimensions sociale et spatiale qui viennent s'inclure dans cette pratique privatisée et dématérialisée. Pour Calleja (dans ibid.), l'émotion est intrinsèquement liée à la dimension spatiale privatisant les rencontres, procurant sans contraintes sociales des effets de socialisation et de développement du soi. C'est finalement par ce geste presque culturel : « le swipe » que va se former toute une kinesthésie habituelle aux applications comme Tinder. Pour Jeanneret (dans Garmon, 2020), ce geste est entré dans notre « mémoire des formes », il fait autant référence dans son sens propre à cette glissée du pouce pour « liker ou non » que dans son sens figuré, à ce « non-amour» décrit par Illouz (2020) caractérisant la difficulté des nouvelles générations à former des relations pérennes. Dès lors « Ce geste serait une nouvelle clé de lecture et d'interprétation du monde, un objet devenu culturel» (Inès Garmon, 2020 : 43). Un utilisateur n'ayant pas payé d'abonnement dispose de « 20 swipes à droite », c'est-à-dire de 20 validations de profils sur lesquelles l'individu accepte la possibilité d'un match.

À travers sa structure et son fonctionnement, Tinder développe une forme de processus de moralisation. Ce concept de Massumi (dans Ibid.) illustre la transformation d'une complexité vers une simplicité réduite en choix binaire et se retrouve sur Tinder où « les complications du désir» (David et Cambre, 2016 : 6) sont réduites à « la simplicité de l'esprit ou du corps» (ibid., : 6). Favorisée par le cadre de Tinder appauvrissant la quantité d'informations, une coopération quasiment mondiale s'est effectuée « en faisant accepter aux utilisateurs la logique binaire et relève un plan de transcendance crée par la molarisation » (Massumi, dans ibid., : 6).

Perçu comme utile pour aller à l'essentiel, il s'agit pour David et Cambre (2016) : « d'une «séparation de la pensée et du corps (transcendance) [...]» (Massumi, dans Ibid., : 6) ». Autrement dit, cette abstraction du corps mobilise un ensemble de dispositifs et techniques qui permet d'évaluer ce « corps marchand» et de tirer à travers ces corps « un système d'identité pour que la grille identitaire s'actualise en images, dans une redescente instantanée du plan de transcendance vers la chair, via un appareil technique ou social ou moyen» (Massumi, dans Ibid., : 6).

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Rejoignant ici l'idée du capital scopique d'Illouz (2020), les photos de profil sont soumises à un traitement marchand. À l'effigie du cadre « pornographique », Tinder crée par son dispositif une quantité d'images incitant avec son mécanisme de « swipe» à aller de profils en profils où plutôt devrions-nous dire, de photos en photos. De manière similaire à la consommation pornographique (Baudry, 2016), l'individu baigne dans un plaisir de « swipe» sans fin, motivé par la trouvaille d'un inattendu. Ipso facto, cela réduit la tendance des individus à jeter un coup d'oeil à la dimension « narrative» des profils, c'est-à-dire, sa description. En sus, l'individu est exposé à un rapport opposé entre la dimension narrative et impressive produite par l'imagerie. Dans l'attente perpétuelle de l'introuvable, l'inattendu à un caractère excitant pour l'individu qui le maintient dans le plaisir visuel immédiat et direct (Baudry, 2016). L'instantanéité de la pulsion scopique associée à la fluidité d'usage et de navigation génère sur Tinder des comportements compulsifs et parfois même addictifs (Rezzoug dans Galligo, 2017) où un éventail d'images de corps sexualisés est exposé et évalué tel une marchandise de consommation (Illouz, 2020).

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery