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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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c. Poison et Volupté , un règne qui va en se dégradant

La même année912, les auteurs publièrent une suite à leur roman en la titrant Poison et Volupté. Ici, le récit va de l'an 16, alors que Tibère a pu témoigner de quelques actions en tant que prince, jusqu'à la mort de Séjan en 31. Antonia et Livilla apportent la vision des femmes de la dynastie sur leur époque. La femme de Drusus II, une fois n'est pas coutume, est présentée comme un bon personnage, oeuvrant pour réconcilier les Juliens et les Claudiens et cherchant un amant qui puisse comprendre ses préoccupations. Hérode Agrippa est également présenté comme un personnage majeur, en tant que précepteur de Caligula et auteur d'une Vie de Germanicus qu'il veut documenter en fréquentant la famille princière. Enfin, l'astrologue Thrasylle lit dans les étoiles qu'un enfant libérateur va venir d'Orient pour guérir le monde malade, s'intéressant à deux jeunes hommes : Simon et Yeshua (Jésus).

Tibère est préoccupé par la relation qu'il entretient avec sa mère qui, depuis son enfance, le traite comme son inférieur. Il se décide enfin à réagir le jour où Livie, durant une dispute, se décide à lui révéler le contenu de lettres injurieuses écrites par Auguste. Choqué, il redevint l'espace d'un instant l'enfant bégayant et vulnérable qu'il était autrefois :

- J'avais gardé pour moi les appréciations que, dans ses lettres, Auguste portait sur ton compte. Je les ai apportées
aujourd'hui car je prévoyais ta conduite. Permets-moi de t'en donner connaissance.

Il la fixa avec plus de curiosité que de colère.

(...)

- Écoute encore ceci, lança Livie, impitoyable : « Je cède à tes supplications et, faute d'une meilleure solution, je vais rappeler Tibère, mais je ne puis te dissimuler ma répugnance. Les dieux fassent que ni toi ni Rome

911. Ibid., p. 432-433

912. Les premières éditions des deux romans datent de 1999.

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n'ayez à m'accuser un jour d'une criminelle faiblesse ! » Voilà ce qu'Auguste pensait de toi ! Tu liras le reste

toi-même !

Elle jeta la liasse sur la surface miroitante de la table. Tibère semblait frappé de la foudre.

(...)

Elle le regarda pour mesurer l'effet de ses coups. Sur la table, près de la pile de parchemins, sa main droite allait et

venait dans un mouvement convulsif. Il semblait avoir perdu l'usage de la parole.

- J'aurais préféré t'épargner ces révélations mais puisque tu cesses de te comporter en fils, je n'ai plus à me

comporter en mère.

Il essaya de former une phrase et, les lèvres tremblantes, ne parvint qu'à hoqueter :

- Co... co... comment oses-tu... trahir la confiance d'un mort ? Jamais... je ne veux plus te voir... jamais plus !913

Plus le temps passe, plus Tibère abandonne ses convictions pour sombrer dans la vice. Incompris, il est empli de contradictions :

Les heures passaient, et il ne donnait pas le moindre signe de fatigue. Le vieillard qui peinait à traverser une pièce
devenait un athlète inlassable dès qu'il s'asseyait à table polie de Cicéron. Le ladre qui vérifiait le moindre compte au
sesterce près était capable d'offrir, dans un élan de compassion, dix millions sur sa cassette à une obscure cité d'Asie
éprouvée par un tremblement de terre ou aux survivants d'un incendie. L'homme sans femme s'entourait de peintures
lascives. Le Grand Pontife attaché aux rites ne croyait pas aux dieux. L'amateur de bons mots faisait étrangler les
mauvais plaisants. Le plus prudent des princes déléguait à un chevalier ambitieux le commandement de la garnison de
Rome et le droit de vie et de mort sur la noblesse. Tel était l'empereur Tibère, pétri de contradictions, maître amer d'un
monde ingrat914.

Alors l'ami des enfants, le prince efficace qu'on attendait pour prendre habilement la succession du prince haïssable devient pire que son prédécesseur, cherchant le plaisir dans la cruauté (il fait notamment violer Agrippine par Ahenobarbus pour humilier la famille). Ceux qui l'aimaient autrefois, Antonia la première, ne reconnaissent plus leur ami et entendent avec horreur ses propos, plus ignobles les uns que les autres. La vie lui a appris une chose : il n'y a que des coupables915.

Comme dans le premier tome, le roman s'achève sur la pensée d'une femme, songeant à l'avenir. Là où les Dames du Palatin finissait sur une note d'espoir, ici c'est une conclusion fataliste, prononcée par la triste Antonia. Avec Tibère va mourir la justice :

Elle se leva et caressa au passage la statuette ailée de Némésis qu'elle avait achetée à prix d'or en Grèce. Selon la
légende, la déesse de la juste colère qu'inspirent les méchants aux êtres bons quitterait le monde le jour où il n'y
resterait plus un seul juste. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Celui qu'elle avait connu, le frère bien-aimé de
son époux, le protecteur vigilant de ses enfants n'était plus du nombre des justes. Sa visite à Capri lui avait révélé que,
tel un tissu précieux trop longtemps trempé dans un bain d'acide, Tibère avait été rongé par le ressentiment et la haine.

913. Ibid., p. 50-52

914. Franceschini 2001, p. 205

915. Ibid., p. 403

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Il n'était plus capable d'écouter, d'aimer, de comprendre qui que ce fût.
Elle revit son regard de bête traquée. La mort ne lui avait jamais fait peur, et il l'avait bravée sur cent champs de
bataille. Que craignait-il donc tant, sinon sa propre déchéance et le destin qu'elle préparait à Rome ? Elle n'en doutait
pas : un jour le pervers succéderait au misanthrope. En regardant le petit port pour quitter l'île, elle avait croisé
Caligula et Macron se promenant côte à côte. Tibère mort, qu'adviendrait-il de Gemellus face à ces deux fauves ? Le
monde qui s'annonçait serait peuplé de méchants, et Némésis n'y aurait plus sa place916.

Le roman historique profite donc d'un récit d'invention pour remplir les vides laissés par l'Histoire. On peut encore plus profiter de cette méthode en ne nous intéressant qu'aux pensées d'un seul personnage historique : rien ne vient le contredire, et le lecteur doit s'identifier à lui en lisant les jugements de cette figure du passé.

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