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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. Le rêve de Caligula, ou un idéaliste conspué

917. Grimal 1992, p. 55-56

918. Ibid., p. 121-122

919. Ibid., p. 147-148

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Dans ce roman historique, écrit en 2005, Maria Grazia Siliato retrace la vie de Caligula, de son enfance à sa mort (le prologue étant son assassinat, la suite un flash-back). La première moitié du récit est consacrée au règne de Tibère. L'auteur prend parti pour certains personnages, et en conspue d'autres :

- Parmi les bons : Germanicus (bon père, sympathique et loyal), Caligula (plus prudent que cruel), Antoine et Cléopâtre (un couple amoureux, passionné par l'Orient), Julie (instrument politique mal-aimée), Agrippine (mère terrifiée qui cherche à se montrer courageuse), Néron (frère jovial), Drusus III (intellectuel renfermé) et Antonia (gentille grand-mère ayant vécu les malheurs et garde ses opinions paisibles)

- Pour les mauvais : Livie (antagoniste principale, surnommée « Noverca » - « marâtre »), Macron (un nouveau Séjan ambitieux, que Caligula perce à jour), Pison (mal-aimable et méprisant), Tibère (persécuteur, mais on apprend vers la fin qu'il était le pantin du Sénat), Auguste (a ruiné la vie de bonté d'Antoine)

D'une manière originale, Caligula est présenté comme un bon prince. Il feint la bêtise pour échapper aux intrigues de cour, tout comme Claude, et dissimule ses pensées (ce qui lui vaut la même antipathie que Tibère). Il n'est en rien un mauvais homme, et on le prend en pitié. Soucieux de rester en vie, il doit retenir ses larmes à l'annonce des morts de ses proches et voit sa première épouse, une jeune fille timide âgée de quinze ans, mourir en couches en même temps que son premier né. Fier de son ascendance, il se passionne pour l'Égypte qu'affectionnait tant Antoine.

Le récit commence par la mort du personnage principal. Voulant régner intelligemment et être digne de ses ancêtres, il se montre trop peu docile envers le Sénat, qui comptait sur sa jeunesse pour le manipuler. Ce sont ces mêmes sénateurs qui se servent du manque d'intelligence de Chaereas pour lui faire croire que son empereur veut lui nuire, le poussant à agir par le complot. Caligula est pris par surprise, mais accepte la mort. Au lieu de mourir indignement, comme le mauvais tyran qu'on représente souvent, il accepte son destin, libéré de sa vie de souffrance :

A la vue de Chaereas, qui se rapprochait rapidement, trop rapidement, et seul, il comprit en un éclair qu'il avait eu beau éventer de nombreuses conjurations, la mort s'était nichée dans sa propre demeure. Il sentit un coup dans le dos, un élancement glacial, et perdit l'équilibre. Le souffle court, il se souvint : « Une lame qui s'enfonce dans les poumons,

c'est un choc, une sensation de froid, pas de douleur... » avait dit son père en Syrie quelques années plus tôt. (...) Il tenta de se frayer un chemin vers l'atrium, d'où, curieusement, ne s'échappait aucun bruit - juste de la lumière. C'est alors que la dague de Julius Lupus s'enfonça en traître dans son estomac. Derrière lui, Chaereas, l'homme avec lequel il avait l'habitude de plaisanter, lui assena un coup si fort que ses genoux cédèrent. Gaius César, le troisième empereur de Rome, s'effondra sur la belle marqueterie de marbre. Dans le choc, son anneau sigillarius, frappé de l'oeil d'Horus,

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qui avait appartenu à un pharaon, se brisa. En vertu d'un étrange mécanisme, un autre conseil de son père jaillit à son
esprit : « Dernière défense, simuler la mort. » Il se figea, mais il mourait vraiment, sous les yeux implacables de ses
assassins. Une pensée l'occupait encore : Il me reste tant de choses à faire. (...) Pour la première fois, en l'espace des
vingt-neuf ans qu'avait duré sa vie, il sut qu'il ne craignait plus rien.920

Un de ses premiers souvenirs d'enfance est celui de sa mère en larmes à l'annonce de la mort de Julie. Il est trop jeune pour comprendre ce qui se passe, mais l'image va le marquer et le petit garçon perd son innocence au contact des adultes, à commencer par l'officier Silius, qui le renseignent sur la vie à Rome, ce que ses parents veulent lui cacher pour qu'il reste le plus longtemps possible un enfant :

L'officier de garde rebroussa chemin sans s'apercevoir que - selon la volonté fatale, peut-être, de ces dieux que
mentionnent souvent les écrivains antiques - la porte du commandement était entrouverte. Voilà pourquoi Gaius vit sa
jeune et magnifique mère surgir derrière le dux Germanicus, ramasser le message et en lire les quelques lignes avant
qu'il l'arrête. Il la surprit en pleurs. En dépit de toutes les règles, l'officier de garde l'observait, lui aussi, à travers la
fente. Et quand la femme releva son beau visage, il découvrit que celui-ci n'exprimait pas le chagrin, mais la rage, le
désespoir, la haine : « Cette maudite vieille, la Noverca, la tuée... Je, je... jure... ». Germanicus la serra aussitôt dans
ses bras, comme chaque fois qu'il devait étouffer ses révoltes. Au bout d'un moment, elle finissait par s'abandonner, et
leur étreinte se changeait en un geste d'amour. Mais, ce jour-là, elle ne cédait pas. Gaius entendit son père lui
murmurer tendrement à l'oreille : « Résigne-toi, « sustine » , supporte. Nous aurons le temps... Allez, sèche tes larmes,
il ne faut pas qu'on raconte que tu pleures.

- Cela fait dix-sept ans qu'on m'a interdit de la voir, dit-elle d'une voix rauque. Elle est morte seule. (...)

Les genoux tremblants, il s'abandonna sur un siège à côté de l'officier et murmura : « J'ai vu ma mère pleurer... Ne le

dis à personne.

- Ta mère Agrippine a plus d'une raison de pleurer ! Sais-tu qu'elle avait trois frères ?

- Ce n'est pas vrai ! On ne m'en avait jamais parlé. Il n'y a personne... Tu as dit « avait » ? Pourquoi ?

Le maître d'armes intervint alors : « Les trois frères de ta mère étaient les seuls héritiers d'Auguste, l'espoir de l'Empire. Eux, pas Tibère. (...) Comme le garçonnet l'observait d'un regard fasciné, Caius Silius reprit son sérieux et dit : « Tu as compris le maniement de la sica. Tu es assez grand maintenant pour savoir que la mort des trois frères de

ta mère a donné l'Empire à Tibère. Mais garde-le pour toi. Gaius pensa qu'il ne devait plus demander à personne
pourquoi sa mère pleurait. Et il sentit que son enfance était terminée921.

Tibère n'est qu'un pantin manipulé par sa mère. C'est Livie, la « Noverca », qui fait office d'antagoniste principal de la première partie du roman. C'est cette femme détestable qui accueille le jeune Gaius quelques années plus tard. Vieillie, elle est pourtant toujours aussi dangereuse. C'est un souvenir du temps passé, un témoignage vivant des bases de la tyrannie, parvenue à son rang par la

920. Siliato 2007, p. 7-9

921. Ibid., p. 17-21

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manipulation :

Un homme a besoin d'une femme à ses côtés pour croire qu'il peut dormir tranquillement », avait dit un jour
Germanicus. Intelligente et glaciale, Livie avait transformé la passion qu'elle avait inspiré à Auguste, l'espace d'une
saison, en le soutien inébranlable de son pouvoir. Elle avait tout accepté : ses liaisons incessantes et notoires avec des
femmes qui étaient aussi ses amies, une vie pliée à ses exigences, le fait d'être devenue sa meilleure alliée aux dépens
de sa féminité. Elle l'avait affranchi des mensonges et de la pudeur qui régissaient les rapports entre époux, pour mieux
conseiller, discuter, insister avec l'apparence d'une asexualité qui lui épargnait les comparaisons, le dégoût et la
répudiation. Elle surveillait comme une sultane les femmes qui pénétraient dans ses appartements d'intellectuel
tourmenté, méprisait en secret ses faiblesses masculines et connaissait le mouvement de ses pensées au point de les
guider, de les manipuler et de les empoisonner à son insu. Elle n'exigeait jamais rien, si bien qu'on la croyait privée de
désirs personnels. Et tout cela parce que, comme l'avait écrit Drusus, elle n'eût rien été sans lui922.

Mais l'intérêt principal de ce roman, c'est la réhabilitation d'un personnage souvent haï. Présenté enfant, à travers ses propres souvenirs, Caligula attire la sympathie et la compassion. C'est le propos suscité par des scènes telles que le récit de l'enfance d'Antonia, mise en parallèle avec celle de son petit-fils923, ou par la mort en couches de la première épouse de Gaius, incapable de donner naissance à leur enfant924. Peu avant de mourir (de causes naturelles), Tibère rentre en contact avec son successeur présumé, percevant en lui un espoir de paix, pensée fugitive qu'il réprime en l'espace d'un instant, brisé par le temps et par son propre malheur :

Un jour où Gaius César le saluait en silence, Tibère s'immobilisa un instant, aussitôt imité par le jeune homme, qui
imagina que l'empereur avait envie de lui parler.
En réalité, Tibère, las de sa vie, pensait que Gaius avait survécu à une expérience bien plus terrible que celle qui avait
consisté à traverser la forêt de Teutoburg en pleine nuit. Des rêves de paix affleuraient à son esprit, les rêves mêmes
qui avait poussé Auguste, dans ses vieux jours, à se rendre sur l'île de Planasie, où était relégué son petit-fils, Agrippa
Postumus, pour l'embrasser et pleurer avec lui. Tibère pensait avec une terreur rétrospective que toute une vie lui avait
été nécessaire pour connaître la féroce stérilité du pouvoir. Il regardait Gaius. Mais celui-ci ne parvenant pas à remuer
les lèvres, il passa son chemin, traînant ses chevilles enflées.925

922. Ibid., p. 153-154

923. Ibid., p. 160-161 :

J'avais six ans de moins que toi quand ma vie fut bouleversée. C'était le troisième jour du triumphus d'Auguste après la conquête de l'Égypte... Les deux adolescents marchaient en tête du cortège, le cou et les poignets attachés par de fines chaînes d'or, leurs longues tuniques de soie frôlant la poussière. C'étaient mon frère et ma soeur, et je les voyais pour la première fois. C'étaient les enfants de mon père et de son amie Cléopâtre, la reine qui avait fait répudier ma mère et qui s'était donné la mort, comme lui. Les deux femmes avaient accouché presque au même moment. Ma mère pleura beaucoup à ma naissance. Et l'on dit que ce fut aussi le cas de l'autre. »

Assis à ses pieds, comme il l'avait été pendant des années devant sa mère, Gaius posa les coudes sur les genoux de la vieille femme. Elle lui caressa les cheveux, souleva son menton et dit « Tu ne crois pas que tout cela était insupportable, pour moi ? Aussi insupportable peut-être que ce que tu vis à présent ? Les esclaves égyptiennes m'apprirent que Marc Antoine priait sa reine de le caresser les derniers temps, quand il était en proie à l'angoisse. Comme ça. »

Ses doigts effectuaient un mouvement circulaire sur les tempes du garçon.

924. Ibid., p. 205 :

« Je l'aurais appelé Antoine César Germanicus », affirma Gaius d'une voix brusque, à la grande surprise de ceux qui l'entouraient. Il se demanda si l'enfant aurait eu le caractère impulsif, sanguin, autodestructeur de Marc Antoine. Ou l'esprit limpide, égal et rassurant de Germanicus.

925. Ibid., p. 210

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Dans ces deux romans, Tibère fait office de figurant, bien qu'il agisse indirectement sur la vie des narrateurs. Toutefois, dans l'un et dans l'autre, il n'est pas forcément un modèle de haine : c'est un mauvais, certes, mais avant tout un homme manipulé, solitaire qui attend avec fatalisme la mort. Autre point commun entre les Mémoires d'Agrippine et le Rêve de Caligula, les narrateurs ont été jugés maléfiques par la postérité et sont ici présentés comme des êtres « humains », avec leurs soucis, leurs pensées,... Et, dans le cadre de notre étude, il est un roman qui suit ce modèle pour Tibère : les Mémoires de Tibère.

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