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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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d. Tiberius, a drama , ou la compassion

Dans sa pièce de 1894, Francis Adams conte la vie de Tibère en cinq actes, chacun d'entre eux présentant une partie de sa vie. Dans la préface, nous apprenons que l'auteur s'est suicidé avant la parution de son oeuvre : âgé de trente ans, il était atteint d'une maladie héréditaire qui avait tué son jeune frère quelques mois auparavant après une longue agonie. Dans cet état d'esprit, il se posait en

947. Ibid. p. 30

948. Ibid., p. 26-27

283

tragédien, prenant comme modèle Tibère, sans doute inspiré par la lecture de Tacite ou par les premières études de la réhabilitation. Loin de considérer le prince comme un mauvais homme, il en fait un personnage résigné, régnant tout en voulant déraciner la tyrannie aristocratique et aider les populations. C'est à la suite de diverses humiliations et contrariétés qu'il sombre dans le fatalisme et que son règne est perverti. En combattant la tyrannie, il est devenu lui-même tyran, mourant dans l'indignité. Le lecteur est amené à compatir pour le triste Tibère, à travers des répliques émouvantes (telle l'acceptation du divorce d'avec Vipsania).

Dans le premier acte (11 av. J.-C.), Tibère est un homme heureux, fréquentant régulièrement sa famille, marié à une femme qu'il aime et accompagné de son jeune fils. Mais, au nom de la raison d'État, il doit sacrifier son bonheur. Répudiant Vipsania, il doit justifier de son acte à Drusus, enfant insouciant. Dans le second acte (1 av. J.-C.), Tibère part pour Rhodes, excédé par l'attitude de sa femme et, une fois sur place, s'attache à une esclave chanteuse, Électre, qu'il libère de son maître et dont il tombe amoureux. Dans le troisième acte (14), il est entouré d'amis (Séjan, Électre et Artaxerxès) et reçoit la visite de Julie, devenue folle. Alors qu'elle a droit à sa compassion, elle se heurte à Auguste qui se montre odieux avec elle. Le prince meurt, et Tibère lui succède sans envie. Le quatrième acte (31) est consacré à la chute de Séjan. Chaerea montre la perversion de l'empereur, née au fur et à mesure des années qui séparent les deux actes, et celui-ci se présente au procès du favori déchu en lisant des lettres de dénonciation. Séjan est condamné et avoue à sa fille avoir été manipulé, et n'être que l'instrument des tyrans. Enfin, dans le dernier acte (37), Tibère est mourant. Prononçant des condamnations, il ne voit pas Caligula conspirer pour prendre sa place et Thrasylle rendre hommage à son ami d'antan qui, si le malheur ne l'avait accablé, aurait pu être un héros.

Nous nous intéressons ici au troisième acte. Dans celui-ci, Tibère accueille chez lui Scribonia, la mère de Julie. Aimable avec elle, qui ne doit pas craindre de parler devant ceux qui l'écoutent, il apprend de sa bouche que sa seconde femme, répudiée depuis bien longtemps, va au plus mal :

SCRIBONIA.
Je ne le sais !
Oh, pauvre enfant ! Elle a tristement, si tristement changé
Elle est pale, décharnée, et erre comme un fantôme
Entre les pièces à longueur de journées ; et la nuit,
Elle se lève dans son sommeil, regarde la lune
Et bouge les jarres. Je la suis pendant des heures
Je crains qu'elle ne fasse quelque action désespérée.
Parfois, dans sa colère, elle s'écroule, l'écume aux lèvres,

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Les yeux fixes, grinçant des dents
J'essuie l'humidité de ses pauvres lèvres.
De suite, elle joue et parle comme lorsqu'elle était enfant.
Cela me brise le coeur de l'entendre babiller et chanter.
Et, après coucher, elle s'éveille et oublie tout.
Elle est à moitié folle. Tibère, oh Tibère...949

Julie a suivi sa mère, venant d'elle-même se plaindre à Tibère de son sort. Tout comme Scribonia le disait, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même : folle, affaiblie, elle attire la pitié quant à l'horreur de son exil :

JULIE I.
Je suis venue
Tibère pour te toucher quelques mots
Ainsi qu'à mon père. Savais-tu que
J'étais en exil et prisonnière depuis maintenant
Quatorze ans ? Et sais-tu que
J'ai demandé, mendié, sollicité, supplié, prié
Mise à genoux, je me suis humiliée. Oui, c'est moi qui me suis humiliée et qui me suis mise à genoux !
Pour la liberté, et la réponse, la seule réponse
Fut le silence, quatorze ans de silence ! Les prières, les pleurs
Le désespoir, l'abjection, l'agonie - et le silence !
C'est comme cela qu'Auguste et Tibère traitent
Une femme ! Dis-moi, pourquoi me condamnes tu
A une mort à petit feu ? Me crains-tu ?
Que tu dois me haïr !
Ma compagne s'est pendue, et elle a bien fait
Mais je suis restée calme. Regarde, cette main
Elle est comme le squelette qu'est devenu mon corps
Je suis dévorée par la fièvre. Le peu de sang

949. Adams 1894, p. 119 :

SCRIBONIA.

That I know not!

O the poor child ! She is sadly, sadly changed

She is pale, and gaunt, and wanders like a ghost

About the rooms all day ; and in the nights

She rises in her sleep, and peers at the moon.

And moves the jars. I follow her for hours.

I fear lest she may do some desperate thing.

Sometimes in rage she falls, frothing at the mouth.

Staring up with fixed eyes, crunching her teeth.

I weep and wipe the wet from her poor lips.

Anon, she plays and talks as she did as a child.

It breaks my heart to hear her prattle and sing.

Then, when she's slept, she wakes and forgets it all.

She is half mad. Tiberius, O Tiberius . . .

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Resté dans mes veines molles est en feu. La mort noire
La lueur qui me couve en ces horribles nuits.
Personne ne m'embrassera. Qui voudrait étreindre
Ces os avec amour ? Je suis fatiguée.
Mon époux, tu n'as pas besoin d'être jaloux.
Je fus Julie. Maintenant je ne suis rien.
Libère moi. Ma voix est comme
La voix du tombeau, vide et sans vie,
Un cri morne ! Pourquoi dois-je mourir dans cette tombe ?
Libère moi !...950

Alors deux conduites se dessinent à cette annonce. Tibère, représenté comme compatissant, est meurtri par cette vision. Il sait qu'il ne pouvait rien faire pour épargner Julie, la décision étant celle d'Auguste, mais il a des scrupules : en fuyant son inconduite pour s'exiler à Rhodes, il l'a laissée agir dans le vice et s'attirer la condamnation du prince. S'il avait été plus courageux, il aurait supporté ses brimades et Julie aurait échappé à ces tortures. Alors il ne peut rien lui répondre, si ce n'est qu'il regrette sa misère et dire qu'il ne l'a jamais souhaitée951. Auguste, insensible et haïssable,

950. Ibid., p. 121-122 :

JULIA I.

I am come,

Tiberius, to say a few words to you

And to my father. Do you know that I

Have been an exile and a prisoner now

For fourteen years ? And do you know that I

Have asked, have begged, besought, entreated, prayed

Knelt, cringed. Yes, it is I have cringed and knelt !

For freedom, and the answer, the one answer.

Silence, for fourteen years silence ! Prayers, tears.

Despairs, abjections, agonies--and silence !

'Tis thus Augustus and Tiberius treat

A woman ! Say, why do you torture me

To death by fractions of inches ? Do you fear me ?

How you must hate me !

My woman hung herself, and she did well.

But I am somewhat tamed. Look you, this hand

Is like the skeleton's that my body is.

I am devoured with fever. The little blood

Left in my flaccid veins is fire. Dark death

Glowers brooding at me in the horrible nights.

No one would kiss me. Who would let these bones

Clutch them in love's embrace ? I am very weary.

Husband, you have small need of jealousy.

I once was Julia. Now I am no more.

Let me go free. My very voice is like

A voice heard in a tomb, hollow and lifeless,

One dreary wail ! Why must I die in a tomb ?

Let me go free ! . . .

951. Ibid., p. 125 : Julia I.

You answer nothing ?

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insulte sa fille et la maudit. Julie ne peut supporter ce manque d'attention et le peu qui restait de sa santé mentale s'en retrouve brisée : elle est désormais entièrement démente et incapable de redevenir « humaine ». La haine devient la négation de l'humanité :

JULIE I.
Ô, je vous maudis, je vous maudis tous ! Mourrez - périssez - pourrissez
Pourrissez de votre vivant, vous tous,
Comme moi. Mon amère, éternelle malédiction
Sur toi, araignée grise meurtrière, et sur vous tous,
Mouches dans son infâme toile. Pourrissez et périssez,
Avant que les heures tranquilles d'une mort salvatrice
Vous enlèvent le sens du frisson. Hommes et femmes,
Enfants, chaque racine et branche de cet arbre fou,
Flétrissant sous l'autel vengeur du monde
Que vous appelez un trône ! Paralysie, maladie et folie.
Folie, folie, que la folie vous consume
Mon cerveau s'enflamme. Ô, Ô, Ô952

Une fois de plus, le sens tragique veut que la méchanceté ait détruit tout ce qu'il y avait de bon en ce monde. Au théâtre, il n'y a pas de rescapés de la misère humaine : tous sont victimes, de près ou de loin, qu'ils soient d'un naturel bon ou mauvais. Dans la pièce d'Adams, chaque acte est une étape dans la destruction de Tibère, dont le caractère évolue de mal en pis :

- Dans le premier, il est heureux en amour et doit abandonner sa joie par nécessité.

- Dans le second, il est dégoûté par les frasques de son épouse, mais trouve la joie dans le repos.

- Dans le troisième, il est plus soucieux, mais toujours compatissant.

Tiberius.

Nothing. I regret

Your wretchedness. I never wished you wretched. »

952. Ibid. p. 129-130 :

« JULIA I.

O, I curse you, curse you all ! Die - perish - rot-Rot while you yet are living, all of you,

As I have done. My bitter, eternal curse On thee, grey murderous spider, and you all, The flies of his infamous web. Decay and perish, Before the tranquil hours of happy death Remove the shuddering senses. Men and women, Children, each root and twig of the foul tree, Wither upon the world's avenging altar You call a throne ! Palsy, disease, and madness. Madness, madness, madness consume you all ! My brain bursts. O O O »

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- Le quatrième acte le montre plus coléreux, moins digne d'être aimé

- Enfin, le Tibère du dernier acte est odieux : s'il avait été ainsi au début de la pièce, il aurait été tout désigné pour être l'antagoniste incapable de rédemption.

Pourtant, il s'agit toujours du même homme. Mais pour l'auteur de tragédie - qui plus est dans ce cas, où l'auteur est condamné à mourir de sa propre main s'il veut éviter de souffrir le martyre - il n'y a pas d'espoir en ce monde et l'Homme est destiné à vivre dans l'horreur, même si son coeur est naturellement ouvert à l'amour. Au contact de l'esclave Électre, Tibère cherchait la paix des sens mais ne put jamais y accéder :

TIBERE.
En vérité, cet enfant m'apporte tant de bonheur,
Pour moi, elle est comme le soleil et la floraison.
Parfois je remercie cette terre amère de me l'avoir apportée953

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand