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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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II - Décadence : la beauté dans l'horreur

a. Le mouvement décadent

Vers la fin du XIXe siècle, un courant naissant prend Rome comme modèle954. Ce courant, c'est le décadentisme, prenant forme dans la littérature et dans l'art pictural. Il se développe en France dès la chute du Second Empire, une période de crise politique, d'une transition difficile où nul ne sait quelle réaction avoir. Humiliée par la défaite de 1871, et par le souvenir de la Commune, la France se sent en déclin et retrouve en Rome l'image d'un passé glorieux désormais en péril. Parmi les précurseurs de ce mouvement, qui ne fut jamais adopté en tant que tel (les auteurs ne se réclamaient pas eux-mêmes « décadents », et la décision de leur appartenance au courant était de l'ordre des critiques), on peut citer Charles Baudelaire, dans ses poèmes consacrés au spleen, ou Joris-Karl Huysmans, auteur du roman A rebours.

On ne peut définir aisément le concept de décadence - si ce n'est par le sentiment d'une grandeur déchue. La meilleure évocation semble celle de Gustav Freytag, dans Die verlorene Handschrift,

953. Ibid., p. 113 :

TIBERIUS.

Indeed, I have much happiness in the child. She's as the sunshine to me and the flowers. I sometimes thank this bitter earth for her.

954. On le retrouve parfois nommé « courant fin de siècle », à juste titre

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lorsqu'il dénombre quatre étapes de la décadence : un amour-propre démesuré, la suspicion, la déraison et la débauche. Le personnage décadent passe par ces quatre stades pour s'achever dans l'auto-destruction, physique et morale955. Le concept de décadence renvoie à la Rome antique - elle était soulignée par les satiristes, tel Juvénal, ou les moralistes, comme Caton. Ce qui était la plus grande puissance au monde, un modèle de vertus et de grandeur se désagrège, victime de la perversité, la tyrannie et l'oisiveté. La Rome décadente n'est pas forcément celle qui s'effondre face aux invasions barbares : au contraire, les auteurs présentent davantage une autre période de crise, celle de la transition entre République et principat, le temps des Douze Césars, soit une époque où Rome était une puissance jugée invincible, ou presque. Le propos concerne en réalité les « empereurs fous », essentiellement Caligula, Néron, Domitien et Héliogabale. Par leurs vices, ils condamnent moralement Rome à l'égout, tandis qu'eux-mêmes se salissent et se destinent à une fin affreuse. La décadence appelle à la fin d'une Rome corrompue.

Tibère n'est pas l'empereur préféré des décadents. Là où il est aisé de représenter Néron au cirque ou Héliogabale au bordel, l'image du second prince est plus dissociée de Rome, car il la fuit. En partant à Capri, il n'est plus que le spectateur de ce qui se passe dans la capitale, au contraire de Néron qui y est associé : dans son cas, on peut penser à la scène de l'incendie de Rome. Pour qui veut représenter Rome, il est plus aisé de faire appel aux figures de princes qui y ont régné toute leur vie qu'à celle d'un exilé. Pourtant, le mouvement décadent n'ignore pas Tibère : par son attitude, il s'est rendu aussi destructeur que ses successeurs, voire davantage, puisqu'il a conscience de la portée de ses actes, là où Caligula et Néron ne font qu'agir sans réflexion. Ainsi le représente Richard Voss :

Déjà avant cette prise de conscience il s'était échappé de Rome, comme si cette ville, la plus vénérable et la plus splendide de toutes, était le foyer de cette effroyable épidémie morale qui s'était emparée de l'époque de l'empereur Tibère et l'avait infectée. L'imperator aurait pu anéantir Rome, la livrer aux flammes et la réduire en un monceau de ruines, s'il lui avait semblé important de délivrer la terre de ce grand enfer pestilentiel et doré. Mais dans sa haine du monde, qui était insatiable ; dans son mépris des hommes, qui ne connaissait pas de limites ; dans son furieux désir de vengeance, qui lui semblait la seule chose divine sous le ciel, il bénissait dans son âme Rome, car elle était la source intarissable d'où s'écoulaient toutes les calamités. Avec avidité le globe terrestre aspirait le poison romain, se laissait pénétrer par lui, jusqu'à ce que chaque sillon fût empoisonné.956

Mais Tibère se dissocie également des autres princes décadents par sa propre vision des choses. Si les « empereurs fous » se complaisent dans l'infamie, lui s'oppose à l'image de débauche, ne faisant que subir sa propre nature et éprouvant, même fugacement, une certaine culpabilité. Sa folie semble

955. In. David-de Palacio 2006, p. 223 : L'auteur traduit le chapitre six de l'oeuvre originale sans noter de références aux pages. Il s'agit de l'avant-dernier paragraphe du chapitre.

956. Voss R., Wenn Götter lieben. Erzählung aus der Zeit des Tiberius, 1907, p. 51, in David-de Palacio 2006, p. 110111

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accentuée par le fait que, justement, il soit impuissant face à la décadence et s'enferme dans la nostalgie et des vices plus désespérés que jouissifs. Egmont Colerus présente un Tibère conscient de la destruction du monde romain, voyant en Nerva un des derniers Romains qui, en mourant, amorce

la décadence inexorable de cette puissance ancestrale : Il est Rome, le vieil esprit romain primitif, il en est le symbole. A travers lui les dieux ont voulu nous donner un avertissement, et ils le rappellent à eux, car ils constatent l'inutilité de leurs efforts. Nerva, je t'aime tant, que je te comprends. Car tu es Rome, cette Rome que moi aussi je voulais conserver, et sur laquelle j'échouai. Je te suivrais si volontiers... mais je suis encore nécessaire. Nécessaire aux provinces, aux légions, dans tous les domaines où il y a encore des hommes. Le monde, ce monde mineur et sous tutelle, a encore besoin d'un père...957 .

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus