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La postérité de l'empereur Tibère (XVIIIème- XXIème siècle)


par Thomas Min-Tung
Université du Havre - Master 2 « Cultures, Espaces et Sociétés Urbaines et Portuaires » 2015
  

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b. La Mort des dieux , ou l'antéchrist représenté

Nous évoquions dans le chapitre sur le rapport à la religion cette oeuvre de Jean de Strada. Construite sous la forme d'une pièce ou d'un livret d'opéra, elle n'était pas destinée à être représentée, et doit être lue comme un roman. Divisée en douze chants958, elle fait office de document sur la morale chrétienne, telle qu'elle doit être conçue selon l'auteur. Chacun de ces chants fait office de conseil, à travers l'exemple d'une Rome pervertie, agissant contre la morale, ou seul un personnage tente de rester digne - la fin du chant étant un monologue du Christ ou d'un Saint, professant la bonne parole. Ainsi « Patrie et art » doit dissuader de la vengeance, même envers le mauvais, car elle entraîne de nouvelles perversions. Les deux personnages principaux, Homunculus et Humanus, sont invités à conspirer contre Tibère pour restaurer la République : le premier, symbole décadent, conçoit le geste comme un amusement, lui ne croyant en rien d'autre qu'en l'hédonisme959, l'autre, bon chrétien, veut renoncer à frapper celui qu'il déteste, sachant que la République est corrompue et que la mort de Tibère favoriserait un autre tyran pour le remplacer. De même, « La famille » présente deux modèles comparés de femmes enceintes, non désireuses d'enfanter : la mauvaise, Aspasie, veut avorter à l'aide d'une potion pour ne pas que son corps soit déformé par la grossesse, la bonne, Fausta, craint de voir son enfant naître dans un monde pervers, mais désire mener la grossesse à terme pour témoigner de son amour maternel au nouveau né.

957. Colerus E., Tiberius auf Capri, Wien und Leipzig, F.G. Spield'sche Verlagsbuchhandlung, 1927, p. 124-125, in. David-de Palacio 2006, p. 111

958. Le passé / Le prêtre / Peuple et pontife / La femme / Patrie et art / La famille / Le suicide / Le sacrifice / l'empereur / Dieu / Les deux prières / L'avenir

959. Strada 1866, p. 134 :

HOMUNCULUS

C'est donc vrai. - Vous croyez aux Brutus, aux Pompées,

Vous croyez à Gracchus, à Lucrèce, aux Romains. -

Je crois à Messaline et crois aux Priapées,

Je crois au grand égout avec ses flots humains. -

Cependant conspirons si cela peut distraire.

290

Les personnages principaux sont des caricatures morales, servant au propos de l'auteur. Humanus est « le héros du drame multiple qui se déroule par l'histoire dans des tragédies successives », « l'humanité dans son continuel besoin de confusion avec l'absolu par la vertu et le bien, le juste et les organisations sociales basées sur les droits éternels des hommes, par le vrai et le savoir, par le beau et le développements artistiques des civilisations », « l'aspiration au progrès moral, intellectuel, social : c'est l'éternel appétit de Dieu, cette vision fixe de l'esprit qui avance dans les temps ». Quant à Homunculus, c'est « l'humanité qui s'embarrasse dans les difficultés de l'oeuvre, subit le joug des milieux corrupteurs ou affaiblissants que les âges traversent, et qui, poursuivi par le sens du divin, s'en écarte de chute en chute, de vice en vice, et se perd dans le suicide ou la dégradation.960» Par leur exemple, l'auteur veut montrer que le christianisme à extirpé le monde de l'égout, là où le paganisme - ou pire, l'athéisme - l'avait laissé. Jean de Strada cherchait alors à faire de ce spectacle terrible « l'accident d'une époque monstrueuse », où régnaient l'impudicité, la luxure, l'obscénité et la dureté de coeur - une doctrine antique qui ne devait pas ressurgir maintenant que l'on croyait en Dieu961. C'est la peur de l'auteur, et son rapport au décadentisme : il craint que l'Homme du XIXe siècle oublie l'existence du Seigneur et que la France, puis le monde, retombe dans les torts du passé.

Tibère est le symbole même de la perversion, ne respectant aucun des douze chants : le passé pervers lui est une bénédiction, ses prêtres sont des impies, son peuple est débauché, il convoite la femme d'autrui, n'a que faire de la patrie, ne respecte pas la famille, pense au suicide, sacrifie l'honneur et les honorables à sa débauche, vit en tyran, ne croît pas en Dieu, ne prie qu'égoïstement et n'a rien à faire dans l'avenir. Aucune rédemption ne doit lui être accordée, et le mépris doit remplacer la haine qu'on lui porte : devant une tel « égout » moral, le bon chrétien ne doit pas ressentir de colère, mais simplement refuser de lui adresser la parole. Il est juste un moment dans l'oeuvre où Tibère a fugacement la vision de sa propre horreur, et où il aurait pu agir pour se faire pardonner - car Dieu est amour : lorsqu'il contemple le corps sans vie de Fausta, la chrétienne qui a préféré se jeter d'une falaise plutôt que de succomber aux avances du bourreau de son mari :

TIBERE

Son peplum en lambeaux montre sa nudité, Jamais les yeux n'ont vu de si pure beauté. Aux rocs ensanglantés, elle pend accroche, Sa molle chevelure à sa tête arrachée

960. Ibid., p. 14

961. Ibid., p. 16-17

291

Mêle son flot d'amour avec le flot amer.
De son sein mutilé le sang coule à la mer.
Elle palpite encore, et sa main qui se dresse
Demande en son remords que la mienne la presse.
Vrai, c'est un beau corps blanc dans ses plus détendus,
Elle aurait dû portant vivre une heure de plus.962

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo