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La coutume Kongo face aux conflits fonciers.


par Rhéa Mylord voka
Université Kongo - Licence en droit privé et judiciaire 2019
  

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§2. Appropriation du sol

Pour nous permettre de mieux comprendre la question relative à l'appropriation du sol dans la coutume kongo, nous allons commencer par dégager en premier lieu la place du sol en droit écrit (A), avant d'étudier sa conception dans la coutume kongo (B).

A. Par rapport au droit écrit

La propriété est définie comme étant le droit de disposer d'une chose d'une manière absolue et exclusive, sauf les restrictions qui résultent de la loi et des droits réels appartenant à autrui.64

En République démocratique du Congo, la terre n'appartient qu'à l'Etat congolais, et il en est le seul propriétaire d'où les particuliers ne peuvent être que propriétaire des biens mobiliers et immobiliers qui s'y incorpore. 65 L'article 53 énumère tous les différents caractères dont est revêtue la propriété foncière : c'est-à-dire, c'est « un droit exclusif, inaliénable et imprescriptible ».

Pour la doctrine, en l'occurrence les professeurs G. KALAMBAY et V. KANGULUMBA MBAMBI, cette énumération de l'article 53 de la loi foncière semble être incomplète car, elle ne ressort pas toutes les caractéristiques que revêt le sol en République démocratique du Congo. En effet, le professeur KALAMABAY souligne que : « Cette énumération paraît incomplète ; pour la compléter, on doit recourir tant à la Constitution qu'aux travaux préparatoires de la loi foncière. De ces études, il ressort que le droit de l'Etat est un droit universel, absolu, perpétuel et exclusif portant sur le sol, qui est inaliénable et imprescriptible ».66

1. Caractères de la propriété

La doctrine relève quatre caractères de la propriété appartenant à l'Etat. a. Un droit universel

Ce caractère ne résulte pas de la loi, il est plutôt l'oeuvre de la doctrine. Le caractère universel de la propriété foncière congolais découle de la combinaison de l'article 9 de la Constitution du 18 février 2006 et de l'article 53 de la loi foncière. De

64 Article 14 de la loi foncière

65 G. KALAMBAY, op.cit., p. 9

66 G. KALAMBAY, op.cit., p. 58 ; V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit., p. 314

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cette combinaison, on peut déduire que le droit de propriété foncière est universel, et cela à partir des termes utilisés.

b. Un droit exclusif

Il résulte de ce caractère que seul l'Etat est le propriétaire du sol. La loi n'admet pas qu'une personne physique ou morale comme sujet du droit de propriété du sol.67 Cette caractéristique qui est l'émanation de l'article 53 de la loi foncière tend à signifier qu'il n'existe plus désormais d'appropriation privée ou individuelle du sol congolais.68 C'est ainsi, encourt-il cassation, l'arrêt de la cour d'appel qui reconnaît à un particulier le droit de propriété sur une parcelle de la terre faisant l'objet d'un contrat de location conclu avec l'Etat alors que l'article de la loi proclame la propriété du sol en faveur de l'Etat congolais seul.69

c. Un droit absolu

Le caractère absolu du droit de l'Etat sur la propriété foncière dont il est le seul titulaire se dégage de plusieurs dispositions de la loi foncière. En effet, en tant que propriétaire foncier, l'Etat détermine la destination de terres concédées et fait respecter cette destination pendant toute la durée de la jouissance.70De même, cette caractéristique est d'origine doctrinale.

d. Un droit de propriété inaliénable

A ce sujet, le professeur V. KANGULUMBA, éclaircit que l'article 9 alinéa 2 de la loi foncière prévoit que les biens qui n'appartient pas à des particuliers ne sont administrés et ne peuvent être aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leurs sont particulières. Par ailleurs, les biens de l'Etat qui relèvent du domaine public sont hors commerce tant qu'ils ne sont pas régulièrement désaffectés.71 En conséquence, tous les autres biens de l'Etat sont dans le commerce sauf les exceptions établies par la loi.72Quant au sol conclu-il, non parce qu'il appartient à l'Etat, mais de par la loi, est déclaré inaliénable et donc nécessairement hors commerce.73

e. Un droit imprescriptible

Le principe est que ce qui est aliénable est prescriptible et que les choses inaliénables son imprescriptibles, cela ressort même de la lecture de l'article 620 du

67 G. KALAMBAY, op.cit., p. 58 ; V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit., p. 314

68 V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit., p. 315

69 Cour suprême de justice, RC 299, 23 juin 1982, in DIBUNDA KABUINJI MPUMBUAMBUJI, Répertoire général de la jurisprudence de la CSJ, p.108, n°3 cité par V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit., p. 315

70 G. KALAMBAY, op.cit, p. 59

71 Article 10 de la loi Foncière

72 V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit., p. 316

73 Idem

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codes des obligations qui dispose : « On ne peut prescrire le domaine des choses qui ne sont point dans le commerce ». Or le sol est déclaré hors commerce par l'article 53 de la loi foncière, il est donc imprescriptible, c'est-à-dire personne ne peut acquérir une de ses parties par prescription acquisitive et l'Etat ne peut en perdre une partie par une prescription extinctive.

Cette imprescriptibilité est absolue et permanente par la volonté du législateur, car admettre la prescription, c'est accepter indirectement qu'une personne puisse partager avec l'Etat son droit de propriété déclaré exclusif.74

De tout ce qui précède, nous devons retenir que le sol est donc un bien de l'Etat, il fait partie de son patrimoine et ce patrimoine foncier comprend un domaine public et un domaine privé.75

Les terres de domaine foncier public sont constituées de toutes les terres qui sont affectées à un usage ou à un service public. Ces terres sont inconcessibles tant qu'elles ne sont pas régulièrement désaffectées. Et elles sont régies par les dispositions particulières aux biens affectés à un usage ou un service public.76 Par contre toutes les autres terres constituent le domaine privé foncier de l'Etat.77

Ainsi donc, il importe de noter que même les terres coutumières appartiennent également au domaine privé de l'Etat.78Ce sont ces terres qui sont particulièrement concernées par la loi foncière.

Aux termes de l'article 60 de la loi foncière, les terres du domaine privé de l'Etat sont subdivisées d'une part en terres urbaines (A) et d'autre part en terres rurales (B).Les modalités d'accès diffèrent aussi, mais la gestion du domaine privé immobilier et foncier de l'Etat revient au conservateur des titres immobiliers et à certaines autorités bien déterminées : le Ministre des Affaires foncière 79 ; le Gouverneur de province80 ; etc.

74 G. KALAMBAY, op.cit., p. 64

75 Article 54 de la loi foncière

76 Article 55 de la loi foncière

77 Article 56 alinéa 2 de la loi foncière

78 P. DE QUIRINE, Comment procédé pour acheter une parcelle ou louer une maison ?, Kinshasa, CEPAS, 2001, p. 7

79 Article 181 de la loi Foncière

80 Article 183 de la loi Foncière

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2. Accès à la terre urbaine en droit congolais

Par terres urbaines, il faut entendre en vertu de l'article 60 alinéa 1er de la loi foncière, toutes les terres comprises dans les entités administratives déclarées urbaines par les lois ou règlements en vigueur. Il s'agit notamment de l'article 2 de l'ordonnance n°74/148 du 2 juillet 1974 portant mesure d'exécution de la loi foncière et l'article 6 de la loi organique n°08/016 du 07octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales décentralisées et leurs rapports avec l'Etat et les provinces qui définissent ce qu'il faut entendre par ville, c'est-à-dire, tout chef-lieu de province, toute agglomération d'au moins 100.000 habitants disposant des équipements collectifs et des infrastructures économiques et sociales à laquelle un décret du Premier Ministre aura conféré le statut de ville.

a. Procédure d'accès à la terre urbaine

La procédure d'acquisition de la terre en milieu urbain est prévue par la loi foncière en ses articles 63 et suivants. En effet, il est prévu que pour les localités érigées en circonscriptions urbaines, le Président de la République ou son délégué fait dresser un plan parcellaire des terrains à concéder. Lorsque le conservateur des titres immobiliers constate une forte demande des terres, ce dernier ou son adjoint va intéresser l'autorité administrative pour une éventuelle création de lotissement. Sur base du rapport du conservateur des titres immobiliers, le gouverneur de province, dans la province qu'il administre, et, pour la Ville de Kinshasa, le Ministre ayant les Affaires foncières dans ses attributions ou son délégué urbain décide de lotissement.81

1° Le lotissement et la mise de la terre à la disposition du public

Pour être concédées, ces terres doivent être localisées et délimitées selon le plan particulier d'aménagement ou celui du lotissement. Les terres doivent être divisées en parcelles avant d'être distribuées. C'est la procédure de lotissement.

Après l'opération de lotissement, les terrains sont offerts au public par un arrêté du gouverneur de province ou par celui du Ministre ayant les Affaires foncières dans ses attributions, selon qu'on soit dans la province ou dans la ville de Kinshasa.82

Les plans parcellaires peuvent être consultés par quiconque au bureau du Ministère de l'Urbanisme, Ministère des Affaires foncières et à la conservation des titres immobiliers.

81 Article 3 de l'ordonnance loi n° 74/148 du 2 juillet 1974 portant mesure d'exécution de la loi foncière

82 Article 4 de l'ordonnance loi n° 74/148 du 2 juillet 1974 portant mesure d'exécution de la loi foncière

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Cet arrêté à prendre par les autorités ci-haut mentionnées doit indiquer pour chacune des parcelles mise sur le marché, un numéro cadastral, la superficie, la destination et les conditions de mise en valeur.83 Il est interdit en principe à toute personne de morceler une parcelle. Malheureusement, cette pratique prend de plus en plus de l'ampleur dans bien des villes du pays et ceci aux grandes dames des autorités administratives, ce phénomène est communément appelé de demi-parcelle.

En fin de compte, les personnes intéressées peuvent faire leur demande des terrains.84

Une fois le terrain octroyé, la personne doit signer un contrat de location avec l'Etat, lequel détermine les droits et les obligations de chaque partie.

2° Le contrat de location : droits et obligations des parties

Le contrat de location est un contrat synallagmatique par lequel l'Etat s'oblige à faire jouir une personne d'un terrain moyennant un certain prix. Il est régi par les articles 144 à 152 de la loi foncière.

La location ne peut être accordée que pour un terme de trois ans,85 elle est préparatoire à une autre concession. Cette période de trois ans est accordée pour permettre au locataire de mettre en valeur sa parcelle.

L'Etat dispose des droits suivants :

1. Le droit de percevoir la redevance ;

2. Le droit de s'assurer du respect de la destination et de demander la résiliation du contrat en cas de non-respect des obligations par le locataire.

Mais en revanche, dans le contrat de location conclu avec le locataire, l'Etat est tenu à des obligations suivantes :

1. Mettre le fonds à la disposition du locataire ;

2. Assurer au locataire de la jouissance paisible du fonds ;

3. Vérifier la mise en valeur et sa conformité.

En effet, si le locataire réalise la mise en valeur, le service de l'Etat (cadastre) en vérifie la conformité et établit un procès-verbal de mise en valeur. Avec

83 Idem

84 Article 190 de loi foncière

85 Article 144 de la loi foncière

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ce procès-verbal, l'Etat, par l'entremise de son gestionnaire qui est le conservateur des titres immobiliers, signe avec le locataire un contrat de concession qui peut être perpétuel, si le locataire est une personne physique de nationalité congolaise ou ordinaire, si la personne est étrangère ou s'il s'agit d'une personne morale de droit public ou de droit privé.

Pour ce qui est du locataire, la loi lui reconnaît les droits ci-après :

1. Occuper le terrain et ;

2. Jouir paisiblement le fonds en location.

En effet, le locataire doit être considéré comme constructeur de bonne foi. Dans la mesure où il serait évincé, on lui appliquera les prescrits de l'article 23 de la loi foncière.

En revanche, dans les trois ans qui suivent la conclusion du contrat, le locataire est tenu aux trois obligations suivantes :

1. Occupation et mise en valeur ;

2. Respect de la destination ;

3. Paiement d'une redevance ou loyer à l'Etat.86

Ce droit du locataire ne naît véritablement qu'à la fin de l'étape de la concession contrat qui, elle est du régime administratif alors que la concession est du droit civil des biens en ce qu'elle nécessite un certificat d'enregistrement qui est l'acte de naissance du droit sur le fonds.

3. Accès à la terre rurale en droit congolais

La définition des terres rurales nous est donnée à l'article 60 alinéa 2 de la loi foncière. Cet article dispose : « Toutes les autres terres sont rurales. Selon leur vocation, les terres sont destinées à un usager résidentiel, commercial, industriel, agricole ou d'élevage ». Ainsi par terres rurales, il faut entendre toutes les autres terres qui ne sont pas urbaines selon la définition de l'article 60 alinéa 1er de la loi foncière et l'article 2 de l'ordonnance n°74-148 du 2 juillet 1974 portant mesure d'exécution de la loi foncière.87

86 Article 144 et 148 de la loi foncière

87 P. DE QUIRINI, op.cit., p. 11

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a. Procédure d'acquisition des terres rurales

La procédure de l'acquisition des terres rurales est très différente de celle des terres urbaines. En effet, contrairement à la gestion des terres urbaines où l'initiative de lotissement émane de l'autorité administrative, pour les terres rurales, l'initiative d'acquisition vient de quiconque veut faire l'agriculture ou l'élevage.

Dans le souci de sauvegarder le droit foncier des populations locales, toutes les transactions sur les terres rurales sont soumises à une procédure d'enquête préalable prévue par l'article 193 de la loi foncière. Faut-il le noter que cette procédure est d'ordre public et ne peut être dérogée par la volonté des parties. Ce sont les articles 193 à 203 qui prévoient et règlementent cette procédure.88

1° De l'enquête préalable

Toute concession des terres rurales doit être précédée d'une enquête de vacance de terres. Cette enquête a pour but de constater la nature et l'étendue de droits que les tiers pourraient avoir sur les terres demandées en concession.89L'enquête rassure que la terre n'est pas déjà occupée. Elle détermine la taille du terrain, quelles en sont les délimitations. Elle procède à un inventaire du terrain, et de ce qui s'y trouve (bois, forêt, cours d'eau). Elle comprend l'audition des personnes qui ont des réclamations ou des observations à faire.90

L'enquête n'est ouverte qu'à la suite d'un avis favorable de l'administration territoriale compétente. Celle-ci doit être effectuée par un fonctionnaire ou agent à ce commis.91 Ce dernier est tenu à l'établissement d'un procès-verbal à la fin de l'enquête.92

Ledit procès-verbal est transmis au chef de division unique. En cas de satisfaction ; il y ajoute son avis et considérations à l'intention du gouverneur de province. Le gouverneur dispose d'un mois pour examiner le dossier. Si tout est en état, il transmet à son tour le dossier auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance pour son avis.

Au demeurant, si le procureur de la République et le gouverneur sont tous deux d'accord, il y a clôture définitive des opérations d'enquête et le gouverneur

88 Article 193 à 203 de la loi foncière

89 Article 193 de la loi foncière

90 Article 199 de la loi foncière

91 Y. ALONI MUKOKO, op.cit., p. 25

92 Article 195 alinéa 3 de la loi foncière

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de province décide alors de la suite à donner dans les limites de ses compétences. Cette procédure ne peut dépasser quatre mois. A défaut, il est permis au requérant d'introduire un recours s'il n'a pas réussi de suite dans ce délai.93

Le chef de division unique autorise une occupation provisoire par le requérant, si dans le délai de six mois à compter de l'ouverture de la procédure de l'enquête il n'a réussi aucune suite. Néanmoins, avant toute occupation, on doit indemniser tous les ayant droits pour la perte de droits individuels incorporés au sol et la communauté locale pour la cession de droit coutumier d'occupation. Si la procédure de l'enquête préalable est respectée, le requérant signe avec l'Etat congolais un contrat d'occupation provisoire d'une durée de cinq ans renouvelable une fois. Si la terre demandée a une superficie de plus de 10 hectares, Il signera un contrat de location.94

Enfin, l'occupant est tenu de mettre en valeur la terre conformément à sa destination et au contrat agricole signé avec l'Etat. A défaut de mettre en valeur le fonds, l'article 159 permet à l'autorité compétente de résilier le contrat ou de réduire la concession. Mais il importe de signaler que cette conception de la propriété foncière prévue par le droit écrit entre en opposition avec celle de la tradition kongo.

Apres avoir présenté la position du droit écrit au sujet de la terre en République démocratique du Congo, nous pouvons aisément nous appesantir sur la conception de la propriété du sol en droit coutumier.

b. Conception de la propriété foncière kongo

Dans les lignes qui suivent, nous allons voir tour à tour comment la coutume kongo conçoit la notion de la propriété du sol (1), ses modes de gestion de la terre (2) et enfin, ses différents modes d'acquisition (3).

Alors qu'en droit écrit, il est prévu que l'Etat est l'unique propriétaire du sol et du sous-sol congolais,95 en droit coutumier, il ressort des enquêtes menées sur terrain que pour les communautés traditionnelles, la terre est un bien privé du clan dont la propriété lui revient exclusivement.96

93 Article 203 de la loi foncière

94 Art 58 de la loi foncière

95 Article 9 alinéa 1er de la Constitution du 18 février 2006 : « l'Etat exerce sa souveraineté permanente notamment sur le sol et le sous- sol, les eaux et les forêts, sur les espaces aérien, fluvial, lacustre et maritime congolais ainsi que sur la mer territoriale congolaise et sur le plateau continental »

96 C. MACHOZI, J. BORVE, « Guide pratique de résolution et de prévention des conflits », in RESEAU HAKI NA AMANI, septembre 2010, p. 4. Page consultée sur http://WWW.international-Alert.Org le 17 janvier 2020 à 23 :45

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Par bien en droit coutumier, il faut entendre toutes richesses naturelles, corporelles ou incorporelles susceptibles de faire objet de droit au profit de la personne ou de la communauté. Le bien doit remplir ces critères : être à la fois juridique et économique, donc doit avoir une utilité économique et évaluable en argent et constitue alors un élément important du patrimoine de la personne ou de la communauté.97

En droit coutumier, on accorde peu d'importance à la propriété individuelle, car l'homme vit dans la société où il trouve son épanouissement, ses droits et ses obligations. La propriété collective dont le domaine foncier et immobilier occupait une place de choix. D'où la propriété foncière en droit coutumier englobe essentiellement le sol et le sous-sol. Cependant, à la différence de la conception actuelle, 98 en droit coutumier, la propriété mobilière renfermait tous les objets mobiliers, y compris les esclaves.

S'agissant du sol et du sous-sol, dans la société traditionnelle avant la colonisation, l'appropriation des terres se faisait par l'occupation du territoire, d'espace vital par le groupe en migration. Les peuples envahisseurs prenaient les terres fertiles et nécessaires, et encore vacantes, sinon ils signaient de pacte avec les autochtones en vue de la cession d'une partie de leur territoire, et parfois ils prenaient le pouvoir et évinçaient les autochtones par la force.

Le pouvoir colonial dès son occupation, s'est attaqué aux problèmes de terres et s'est investi dans l'organisation foncière en se donnant la plénitude de droit foncier et en limitant le droit des autochtones.

Quant à la chasse, pêche et exploitation de la forêt dans les terres coutumières, elles étaient et sont encore comprises dans l'esprit des populations villageoises dans certaines parties du pays, la propriété commune du clan des vivants et des morts. Elles revêtent un caractère magique et sacré, ainsi tout ce qui s'y pratique doit être minutieusement soigné et contrôlé. Les étrangers devraient préalablement avoir l'autorisation du chef moyennant redevance et tributs, faute de quoi, il n'y a pas de réussite.

Cependant, la loi BAKAJIKA de 1966 qui assurait à la République du Zaïre la plénitude de ses droits de propriété sur son domaine et la pleine souveraineté

97 D. MAKETAMA MALONDA, L'acceptation du droit foncier et les modes d'accès à la terre dans la province du Kongo Central : cas des territoires de Madimba, de Mbanza-Ngungu et de Songololo, Université kongo, Faculté de droit, 2017- 2018, p. 33

98 Article 16 alinéa 3 de la Constitution : Nul ne peut être tenu en esclavage ni dans une condition analogue. Nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

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dans la concession des droits fonciers, forestiers et miniers sur toute l'étendue de son territoire fut abrogée le 31 décembre 1971.

En effet, le 31 décembre 1971, l'Assemblée Nationale adopta une nouvelle disposition à insérer dans la Constitution du 24 juin 1967. L'article 1er de cette disposition était conçu de la manière suivante :

« Il est inséré dans la Constitution un article 14 bis libellé comme suit : "Le sol et le sous-sol zaïrois ainsi que leurs produits naturels appartiennent à l'Etat" ».

La loi fixe les conditions de leurs cession et concession, de leurs reprise et rétrocession. Toutefois, la reprise ou la rétrocession en cas de non mise en valeur ne donne lieu à aucune indemnité.99

Le même jour et sur base de ce nouveau texte constitutionnel, la même Assemblée Nationale vota une nouvelle loi abrogeant la loi dite Bakajika. Cette loi dispose :

- Article 1er : La République du Zaïre reprend la pleine et libre disposition de tous ses droits sur le sol, le sous-sol et les ressources naturelles concédés ou cédés avant le 1er janvier 1972 à des personnes physiques ou morales qui n'en ont pas assuré la mise en valeur ;

- Article 2 : Les certificats d'enregistrement relatifs aux biens concernés à l'article 1er sont annulés ;

- Article 3 : L'ordonnance-loi n°66-343 du 7 juin 1966 est abrogée.100

Quant à la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des suretés telle que modifiée et complétée par la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980 dispose en son article 53 : « Le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l'Etat ».

De tout ce qui précède, il convient de relever que cette loi fait de l'Etat congolais le seul propriétaire du sol et du sous-sol et accorde aux particuliers le droit des concessions perpétuelles et ordinaires.

99 G. KALAMBAY, op.cit., p. 45

100 G. KALAMBAY, op.cit., p. 46

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J° Propriétaire du sol en droit coutumier101

Comme nous l'avons précédemment souligné, la terre en droit coutumier est considérée comme une propriété privée appartenant à un clan ou mieux à une communauté, les membres dudit clan ne disposant que le droit de jouissance collectif et individuel puisque la terre est l'unité territoriale du clan. Elle est la pierre sur laquelle tout un lignage tatoue son histoire et son écriture. C'est pourquoi la terre a une signification culturelle importante pour les communautés rurales, particulièrement les peuples autochtones pour lequel la survivance, et l'identité culturelle sont liées aux relations qu'ils ont avec les territoires ancestraux.102

Il résulte de ce qui précède que le clan et la terre qu'il occupe constituent une chose indivise placée sous la domination et la protection des ancêtres (Bakulu).103

En effet, en coutume kongo, la terre appartient à la collectivité clanique, jamais à un individu, avons-nous dit, pris isolément pas plus au « N'kuluntu » ou le chef de clan, reconnu socialement comme « Mfumu-nsi », c'est-à-dire chef de terre. En d'autres termes, en droit foncier coutumier, la terre est une propriété exclusive au clan et non à un seul individu.104

De même, une même terre ne peut appartenir à deux clans différents. La terre qu'elle soit grande ou petite, n'appartient qu'à un seul clan. Cette conception traditionnelle a été mise en lumière par les tribunaux à mainte reprises quand on juge que : « le fait d'attribuer une terre à deux clans différents est contraire à la coutume locale ».105 Ainsi « dans la coutume kongo au Bas Congo, il n'est pas concevable que deux clans qui coexistent sur une même terre aient les mêmes droits sur celle-ci. Dans pareil cas, l'un d'eux est toujours l'ayant droit coutumier foncier, celui qui a été le premier sur les lieux par rapport à l'autre, celui qui en a reçu la jouissance de premier, notamment comme fils.106

Quant à la terre elle-même, en droit coutumier, précisément en celui de la Province du Kongo central, est appelé le « n'si ». Elle est définie comme un

101 Voir annexes 1

102 S. BENGONO AZELE, Traité élémentaire de droit coutumier du Congo belge, Bruxelles, Larcier, 1954, p. 2

103 P. KAMUNFEKETE LUVUMBU, La dimension patrimoniale de la terre clanique chez les Kongo face au développement urbain du Kongo central : Défis et perspectives d'une inéluctable évolution, in Enjeux patrimoniaux en contexte postcolonial. Patrimoine et développement en République démocratique du Congo, Paris, l'Harmattan, 2017, p. 32

104 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A 859, 26 décembre 1996 in Odon NSUMBU KUBA, op.cit., p. 4

105 V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit., p. 315

106 V. KANGULUMBA MBAMBI, op.cit., p. 314

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ensemble du territoire clanique composé de plusieurs domaines ou « n'luka-n'to ». Cette définition de la terre a le mérite de retenir notre attention car elle met plus l'accent sur le clan pour définir la terre. Il convient de signaler que, le clan est au centre de la terre. C'est pourquoi, affirme-t-on qu'en considération des coutumes congolaises, on s'accorde généralement que la communauté foncière originelle est le clan.107 Cette conception a été confirmée par le Tribunal de Grande instance de Mbanza-Ngungu dans son jugement RA.1142, du 29 juin 1999 dans lequel le Tribunal a décidé que : « dans la coutume kongo chaque clan doit avoir sa propre terre ».108

La terre forme rarement un monobloc. Souvent, les domaines claniques sont dispersés dans la nature, séparés les uns des autres sur plusieurs centaines de mètres.109 C'est cette conception de communauté clanique que le législateur avait adopté lors de l'élaboration de la loi foncière de 1973 quand il parle aux articles 387 et 388 des terres des communautés locales. C'est une manière de préciser que le droit de jouissance de la terre en droit coutumier ne peut appartenir à un seul individu, pris isolément, mais plutôt à une communauté clanique.

En ce qui concerne le clan lui-même, il le définit comme un groupe de personnes ayant des intérêts ou des idées en commun et proche, parfois, de la coterie ou une tribu formée d'un certain nombre de familles.

Toutefois, en ce qui concerne la terre, les idées dominantes sont celles considérant les ancêtres comme véritables propriétaires de la terre au détriment des vivants qui ne sont que gardiens.110

2° Gestion de la terre en droit coutumier

Dans la coutume kongo, c'est le chef de clan, dit aussi chef des terres, qui gère la terre au nom de toute la communauté. Dans la coutume kongo, le chef de clan est investi par sa famille suivant certaines formalités coutumières. Pour son investiture, la participation des ancêtres est indispensable, car, à défaut, le chef serait illégitime et indigne de gérer la communauté.111 Cela s'explique, puisque dans la mesure où le chef du clan n'est qu'un simple gestionnaire foncier du domaine des

107 V. KANGULUMBA MBAMBI, Op.cit., p. 315

108 Tribunal de grande instance de Mbanza-Ngungu, R.A 1142, du 29 juin 1999, in Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.16

109 A. SOHIER, op.cit., p.142

110 A. SOHIER, op.cit., p. 35

111 Chef de groupement de Tshela, A. Mbumba, propos recueillis par nous lors de nos enquêtes

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ancêtres qu'il représente. Et suivant la coutume kongo, le neveu ne peut pas régner pendant que l'oncle est encore en vie.112 Toutefois, soulignons que la loi n°15/015 du 25 août 2015 fixant statut des chefs coutumiers prévoit dans son article 5, six conditions qu'un individu doit remplir pour exercer les fonctions de chef coutumier.113

Le chef de clan ne fait qu'administrer le patrimoine foncier clanique. Il n'a pas de droits supérieurs en ce qui concerne son usage. Ses seuls droits comme celui de tout membre viennent de sa participation au groupe propriétaire.114 C'est pourquoi ses différentes tâches sont bien précisées.

a. Rôles du chef de clan

En droit coutumier, le chef de clan ou des terres, choisi et investi conformément à la coutume locale joue principalement trois rôles : un rôle religieux, un rôle juridique et un rôle de représentation.115

1. Du rôle religieux

Son rôle religieux consiste à procéder aux offrandes nécessaires pour obtenir ou rétablir le droit d'user de la terre par ce qui le désire.

En cette qualité, il entre en contact avec les ancêtres. Il intercède pour les vivants auprès des ancêtres et les ancêtres aux vivants en rapportant leurs instructions. Il joue donc l'intermédiaire entre les vivants et les ancêtres. Il nous a d'ailleurs été confirmé au cours de nos enquêtes à Mbanza-Nsudi, par le chef de groupement Emmanuel LUSONGONIA que par cette qualité de chef religieux, le chef de clan peut même solliciter des ancêtres des conseils sur les questions qu'il ignore à l'exemple de celles liées à la généalogie familiale, des limites des terres, etc.116

112 Tribunal de paix de Mbanza-Ngungu, RC 2130,11octobre 2003 in Odon NSUMBU KABU, op.cit., p.15

113 Article 5 de loi n°15/015 du 25 août 2015 fixant le statut des chefs coutumiers dispose : « Nul ne peut exercer les fonctions de chef coutumier s'il ne remplit pas les conditions suivantes : - être de nationalité congolaise, - être âgé d'au moins 18 ans ; -être ayant droit à la succession ; -être de bonne moralité ; - n'avoir pas fait l'objet d'une condamnation irrévocable à une peine privative de liberté pour une infraction intentionnelle ; - avoir un niveau minimum de formation scolaire ».

114 Chef de village Zamba 2, propos recueillis par nous lors de nos enquêtes.

115 Chef de village Zamba 2, propos recueillis par nous lors de nos enquêtes.

116 J. BABEKI, G. BANUNGU, al, La culture du Kongo central au regard du régime foncier congolais, Séminaire, Université Kongo, Faculté de Droit, 2016 -2017, p. 10 ; Propos recueillis auprès du chef de groupement de Mbanza-Nsundi, lors de nos enquêtes le 12 mai 2020

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2. Du rôle de représentant

Le chef de clan représente son clan à chaque fois que son intervention est nécessaire. Devant les instances judiciaires, devant les autorités étatiques et à chaque fois que le clan doit s'exprimer, il le fait par son intermédiaire. Par conséquent, toute action engagée par le chef du clan au nom de ce dernier, produit des effets juridiques directement sur la communauté qu'il dirige.

Dans la coutume kongo, il a été admis que le chef de clan est le dépositaire du savoir sur l'origine du clan, sa généalogie et lui seul peut décliner cette tradition ou son délégué dûment mandaté.117

3. Du rôle juridique

Le rôle juridique du chef des terres par contre consiste à octroyer le droit d'usage de la terre aux membres du clan et à toute personne qui en fait une demande et de régler les litiges fonciers susceptibles d'y naître.

3. Modes d'acquisition de la terre en droit coutumier

Le chef coutumier assure le bien-être de sa population en distribuant équitablement la terre, la justice et les ressources du clan pour assurer la paix et la tranquillité publique. Pour cela, il possède d'une police, dite police du chef coutumier

Comme nous l'avons dit précédemment, la conception traditionnelle kongo, la terre appartient aux ancêtres. Mais son mode d'acquisition a parfois été pacifique (A) ou violent (B).

Cette acquisition est dite pacifique lorsqu'aucune guerre ou trouble a été à l'origine de son acquisition; par contre, elle sera qualifiée de violent lorsque l'appropriation de la terre se fait par la force.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld