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La prière de la via lucis une pédagogie de la foi


par Patricia NOEL-PALLUEL
Institut Catholique de Paris - Diplôme de l'Institut Supérieur de Liturgie 2021
  

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2.1.2. TROISIEME DIMANCHE DE PÂQUES

TROISIEME DIMANCHE DE PÂQUES (Lc 24,13-35) ET 4ème STATION : « Le Ressuscité sur le chemin d'Emmaüs » (Lc 24,13-19. 25-27 / 13-15. 25-27)

« `Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ?' Et, en partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur expliqua, dans toute l'Ecriture, ce qui le concernait » (Lc 24,26-27).

« Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? ». Avec le verset 26 de cette péricope courte de l'apparition aux disciples d'Emmaüs dans l'Evangile selon Saint Luc, nous entrons de plain-pied dans la théologie de la Rédemption. Il s'agit là d'une question rhétorique destinée à faire réfléchir les disciples de Jésus sur le sens véritable du messianisme de Jésus, sur le sens des événements qui viennent d'avoir lieu et plus globalement sur la Révélation de Dieu dans l'Histoire ainsi que sur le dessein salvifique de Dieu pour l'humanité. Jésus ressuscité s'affirme comme étant le Messie que le peuple d'Israël attendait, non pour la gloire du monde mais pour la gloire de Dieu. La souffrance qu'il a vécue semble être le chemin de cette gloire, mais en est-ce la cause ? L'accès à la gloire doit-il nécessairement passer par la souffrance ? La souffrance est-elle une condition sine qua none à la gloire ?

La traduction influence évidemment la compréhension. La TOB traduit : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu'il entrât dans sa gloire ? ». Le fait de ne pas dire souffrir pour entrer dans sa gloire mais souffrir et entrer dans sa gloire permet d'éviter le double écueil de la compréhension doloriste du Mystère pascal et de celui de la compréhension juridique de la théologie de la Rédemption qui fait porter au fils le poids de la Justice de Dieu exigée en substitution de la peine du péché de tous les hommes. La souffrance de la Passion du Christ est liée au péché des hommes et non à la Justice de Dieu. La mort du Christ, Seigneur, descendu aux enfers, a sauvé chacun d'entre nous de la mort éternelle par le don de son Précieux Sang (He 10, 29 ; 13,12.20). C'est la Résurrection du Christ, Seigneur et Rédempteur qui nous a introduits sur le chemin de la vie éternelle qui est le chemin de la sainteté. Il est cependant nécessaire que nous adhérions au salut par la foi en la Résurrection et que nous collaborions à la plénitude de notre salut en suivant le chemin de la sainteté avec le Christ qui nous accompagne tous les jours jusqu'à la fin des temps (Mt 28,19-20). Mais n'anticipons pas sur ce qui sera la Onzième station de la Via Lucis.

La TOB donne à la place du nom de Messie le nom de Christ. Messie vient de l'hébreu massiah qui signifie « l'oint de Dieu », le consacré par Dieu. Dans la tradition juive, on

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oignait les rois et les prophètes. Le peuple d'Israël, à l'époque de Jésus, attendait alors - selon la promesse de Dieu à David donnée par l'intermédiaire du prophète Nathan (2 S 7,14), un messie qui le libérerait de l'occupant romain. Christ vient - via le latin Christus - du grec Kristos qui a la même signification que Messie.

Cette péricope qui représente ici la Quatrième station de la prière de la Via Lucis est celui de Pèlerins en prière, Pour le Jubilé de l'Année Sainte 2000, en adéquation avec le lectionnaire liturgique78. La traduction liturgique du Nouveau Testament est ce qui convient pour la prière de la Via Lucis car cette prière s'inscrit dans une perspective pastorale dont le déroulement de la proposition se déploie entre la Vigile pascale et le dimanche de la Pentecôte. Les péricopes de la prière de la Via Lucis sont en correspondance avec les lectures du Lectionnaire des dimanches et fêtes du Temps pascal. Nous développerons cette comparaison en détail dans la Troisième Partie de notre présentation.

Le voyageur inconnu dont nous savons qu'il s'agit du Ressuscité rejoint sur la route d'Emmaüs deux disciples de Jésus qui tournaient le dos à Jérusalem. Comme ils étaient dans des ressassements morbides, il leur fit une interprétation christologique des Ecritures, la Loi et les Prophètes. Pour Luc, la Ville sainte de Jérusalem est le lieu du salut79. L'inconnu dit clairement que Jésus de Nazareth était le Messie d'Israël et dévoile aux disciples d'Emmaüs le sens de l'intervention de Dieu dans l'Histoire à partir des Ecritures dont il leur la clef interprétative à partir de la personne de ce prophète. Nous dirions aujourd'hui que, dans ce récit, le Ressuscité donna une leçon d'exégèse en utilisant la méthode typologique, la personne de Jésus étant l'antitype de la figure de Moïse et les événements de la Pâque l'accomplissement du dessein eschatologique de Dieu. La question « Ne fallait-il pas ? » introduit l'idée de force majeure. La tournure interro-négative ajoute simplement une note rhétorique à la question.

3EME DIMANCHE DE PÂQUES (Lc 24,13-35) ET 5ème STATION : « Le Ressuscité est reconnu à la fraction du pain » (Lc 24,28-35 / 30-31)

« Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent » (Lc 24,30-31).

78 P. GRUSON, Dir. Les Evangiles, Textes et commentaires, Service Biblique Evangile et Vie, Paris, Bayard, 2001, « Note sur la traduction des Evangiles », 9.

79 https://cours.cath.ch/cours-2-7-emmaus-lc-24-13-35/ (14/03/2021)

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Les disciples d'Emmaüs ont invité l'étranger qui était devenu leur compagnon de chemin à demeurer avec eux pour la nuit et ils partagent le repas avec lui. C'est le Ressuscité, dont nous nous demandons peut-être s'il va enfin être reconnu, qui préside le repas et dit la bénédiction qui revient traditionnellement au maître de maison. Le Seigneur ressuscité fait quatre actions qui sont de prendre le pain, dire la bénédiction, rompre le pain et le donner. C'est à ce moment-là que leurs yeux s'ouvrirent et qu'ils le reconnurent, à la fraction du pain. Le terme n'est pas donné à ce moment-là du récit mais un peu plus loin, lorsque les deux disciples reviennent à Jérusalem pour raconter aux Onze ce qui leur était arrivé (Lc 24,35).

Il s'agit de la bénédiction traditionnelle qui est donnée lors d'un repas juif de fête. L'homme qui préside le rite adresse une louange à Dieu pour le don de la nourriture et c'est seulement après cette bénédiction du Seigneur Dieu que le pain peut être partagé entre les convives. Il n'y a pas ici de bénédiction à propos de la coupe comme dans les récits de l'institution de l'eucharistie, ni de paroles de consécration qui instituent les espèces eucharistiques comme étant le Corps du Christ et le Sang de l'Alliance (Mt 26,26-29 // Mc 14,22-25 // Lc 22, 15-20 // 1 Co 11,23b-26).

Chez Luc, il y a deux coupes dans le récit d'institution de l'eucharistie, une au début et une à la fin du repas (vv.17.20). On ne peut donc pas parler ici, dans le cadre du récit du repas à Emmaüs, d'Eucharistie dans le sens du sacrement de l'Eglise institué par Jésus lors de la dernière Cène car ce sont les paroles particulières de Jésus sur le pain et sur la coupe qui confèrent à la bénédiction traditionnelle son caractère de consécration eucharistique. Il y a néanmoins eucharistie au sens propre car la louange à Dieu à propos du don du pain est une action de grâces.

Luc attend le retour des deux disciples vers les Onze à Jérusalem pour donner à l'eucharistie le nom de fraction du pain qui était le rite identitaire que partageaient les disciples de Jésus dans les maisons, le dimanche. Lors du retour des disciples d'Emmaüs à Jérusalem et de leur réunion aux Onze, il se produit un renversement de situation. Ce sont les Onze et leurs compagnons qui annoncent que le Seigneur est ressuscité et qu'il est apparu à Simon (Lc 24,34). Cette apparition privée n'est pas narrée en détails en Luc. C'est seulement après cette annonce que les disciples d'Emmaüs racontent leur expérience sur la route et comment ils ont reconnu le Seigneur ressuscité à la fraction du pain.

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Le récit de l'apparition aux disciples d'Emmaüs est paradigmatique de la dynamique de la vie chrétienne. Dans les célébrations eucharistiques, la Parole de Dieu vient nous rejoindre dans la Personne du Verbe, incarnée par la proclamation dans la chair ecclésiale qui est le Corps mystique du Christ et interprétée pour notre intelligence par le prêtre qui préside la célébration liturgique et qui exerce son ministère sacerdotal à la manière de Jésus grand prêtre pour l'éternité (He 7,17.21) ; et ce sont les Paroles du Christ qui viennent consacrer les matières eucharistiques et les changer, dans l'Esprit Saint, en le Corps et le Précieux Sang de Notre-Seigneur. La Parole de Dieu demande à être partagée, expliquée, commentée et de nouveau partagée en église, communautairement afin de pouvoir devenir nourriture et pain de vie. La Parole de Dieu doit être reçue en communion en église, comme le pain de l'Eucharistie. Dans le grand récit d'Emmaüs (Lc 24,13-35), la pleine réalisation de l'expérience de l'apparition du Seigneur ressuscité est vécue en église, dans la communauté de Jérusalem une fois tous les disciples réunis partageant chacun son histoire avec les autres. La Parole de Dieu doit être communiée, comme le pain de l'eucharistie, afin de devenir nourriture de vie spirituelle et témoignage de foi.

3EME DIMANCHE DE PÂQUES (Lc 24,35-48) et 6e STATION : « Le Ressuscité se manifeste aux disciples » (Lc 24,36-43 / 36-39)

« Pourquoi êtes-vous bouleversés ? Et pourquoi ces pensées qui surgissent en vous ? Voyez mes mains et mes pieds : c'est bien moi » (Lc 24,38-39)80.

Chez Luc, dans le prolongement du récit de l'apparition aux pèlerins d'Emmaüs et de la reconnaissance du Seigneur à la fraction du pain se trouve le récit de la christophanie aux disciples réunis au Cénacle, en l'absence de Thomas. Les Onze et leurs compagnons viennent de témoigner de l'apparition du Seigneur ressuscité à Simon, alors qu'ils furent rejoints par les deux disciples d'Emmaüs qui eux-mêmes racontèrent leur rencontre avec le Ressuscité. Et il est là, au milieu d'eux, et il leur donne une parole de paix, deux fois. Le Seigneur ressuscité communique à ses disciples la paix messianique, la paix plénière de Dieu (Lc 24,36). Cette péricope courte est le début de la finale de l'Evangile selon Saint Luc qui s'achève à Jérusalem, au Temple, dans une plénitude de joie (24,36-53).

80 https://cours.cath.ch/cours-3-7-apparition-aux-disciples-lc-24-36-49/

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Pour se faire reconnaître de ses proches disciples, Jésus ressuscité doit d'abord leur ôter la peur car ils croient avoir à faire à un fantôme81. Pourquoi Jésus ressuscité porte-t-il toujours les plaies du crucifiement ? Le corps glorifié du Seigneur a atteint son ultime perfection et devrait être intact des atteintes subies lors de sa Passion. Or, les plaies du Crucifié sont des plaies glorieuses car sa souffrance et son obéissance jusqu'à la mort par amour du Père et des hommes sont devenues les signes mêmes de sa gloire. Afin de lever tout à fait les craintes des disciples qu'il ne soit un esprit errant, le Ressuscité doit recourir à plusieurs ressources : montrer ses plaies, les offrir à toucher, et manger du poisson grillé. Pierre en témoigne : « Dieu l'a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d'avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d'entre les morts » (Ac 10,40-41).

Quelle est la matérialité du corps du Christ ressuscité ? Le nom grec de « poisson » est « ICHTUS ». Il s'agit de l'anagramme de Ièsous CHristous, Theou Uios Sôter, Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. Les poissons sont un signe de reconnaissance entre chrétiens en Christ à l'époque des persécutions des premiers siècles. Paul dit que le corps du Ressuscité est un corps spirituel (1 Co 15,44), c'est-à-dire un corps fait de la substance de l'Esprit informé - qui a pris forme - dans un corps humain. Luc insiste sur le fait que les disciples doivent accéder à la reconnaissance du Crucifié ressuscité et sur le fait qu'ils doivent croire à la réalité concrète de son corps physique. Les sentiments des disciples sont un mélange de peur, de doute, d'étonnement et de joie et ils ont une très grande difficulté à accueillir pleinement la bonne nouvelle de la Résurrection, ce qui paraît anachronique avec l'épisode du retour des pèlerins d'Emmaüs au Cénacle et l'annonce par les Onze de l'apparition à Simon (24,33-35).

Peut-être y eut-il, relativement à l'épisode du retour des pèlerins d'Emmaüs au Cénacle, un ajout rédactionnel ? Cependant, le but de la christophanie n'est pas seulement l'édification des disciples sur la résurrection de Jésus mais l'envoi en mission des disciples « à toutes les nations, en commençant par Jérusalem » (Lc 24,47). Pour cela, la mémoire de l'enseignement de Jésus dans son ministère public doit être réveillée chez les disciples afin qu'ils envisagent la perspective du dessein eschatologique de Dieu dans l'histoire.

81 Pour les juifs, le corps et l'âme ou l'esprit sont indissociables et la présence d'un esprit errant est inconcevable, sinon d'une nature démoniaque.

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Donc, le Seigneur ressuscité opère l'ouverture de l'esprit des disciples à l'intelligence des Ecritures, relativement aux trois parties de l'Ancien Testament qui étaient rédigées à l'époque de Jésus : la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes de David (24,44-45). C'est alors que se produit une leçon d'exégèse et de théologie de la Rédemption donnée par le Ressuscité en personne : les souffrances du Messie et sa résurrection des morts - le troisième jour - ont pour but le pardon des péchés de toute l'humanité, par la proclamation de la conversion en son Nom (24,46-47). C'est ainsi que de disciples, les Onze devinrent Apôtres du Christ et témoins de sa Résurrection. Mais avant de partir aux extrémités de la terre, il leur fallait d'abord recevoir une puissance, « une force venue d'en-haut » (24,49) qui n'est pas nommée en tant que l'Esprit Saint dans l'Evangile selon Saint Luc mais qui le sera comme tel dans les Actes des Apôtres (Ac 1,8). L'Evangile selon Saint Luc s'arrête là, juste avant l'Ascension du Seigneur et c'est ainsi, lorsque les disciples de Jésus deviennent les témoins du Ressuscité et qu'ils sont envoyés en mission pour prêcher la conversion par toute la terre, que commencent les Actes des Apôtres.

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3EME DIMANCHE DE PÂQUES (Jn 21,1-19) ET 9ème STATION : « Le Ressuscité se manifeste près du lac de Tibériade » (Jn 21,1-9.13 / 4-6)

« Le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : `C'est le Seigneur !' Jésus s'approche, prend le pain et le leur donne » (Jn 21,7.13).

Le cadre narratif des repas où apparaît le Ressuscité est soit le lieu-même du Cénacle à Jérusalem, soit un autre endroit tel que la maison des disciples d'Emmaüs ou le rivage du lac de Tibériade. Le lac de Tibériade se trouve en Galilée, on l'appelle parfois la mer de Galilée à cause de ses courants. Certains des récits d'apparition du Ressuscité sont situés en Galilée ou font référence à la Galilée qui est la région d'origine des Apôtres et le lieu de la première prédication de Jésus, avec des histoires de sortie en mer et de pêche.

Le schéma Galilée rattache les manifestations pascales à la vie historique de Jésus de Nazareth pour qu'il soit reconnu que le Ressuscité est le Crucifié. D'autres récits d'apparition se situent à Jérusalem car Jérusalem est la Ville sainte, la ville du Temple qui est sur la montagne sainte de Sion. Marc et Matthieu se rattachent à la tradition des récits d'apparition en Galilée, chronologiquement antérieurs aux récits de type Jérusalem. Luc et Jean se rattachent à la tradition des récits d'apparition à Jérusalem. Les deux traditions ont coexisté un temps, cependant la tradition des apparitions à Jérusalem a fini par dominer avec pour raison ou conséquence la tradition du culte au Saint Sépulcre.

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Le schéma Jérusalem rattache les apparitions pascales à l'eschatologie : la Résurrection anticipe la Parousie82. Dans les deux schémas il y a le préalable d'une approche par le Ressuscité, la non reconnaissance initiale, la Parole du Ressuscité qui appelle à croire, puis la reconnaissance comme réponse de foi et l'envoi en mission : [Approche - non reconnaissance - Parole du Ressuscité - Reconnaissance - Envoi].

Ceci constitue une structure en chiasme avec un centre qui est la Parole du Ressuscité. La structure du récit d'apparition est similaire à celle des récits de vocation dans l'Ancien Testament : [Appel à l'initiative de Dieu - Accueil avec résistance / sans résistance - Envoi]. Ainsi, le Ressuscité se manifeste-t-il selon le mode théophanique propre à l'Ancien Testament, avec la même structure dialogique que dans les récits de vocation et avec la même inclusion : [Appel - Envoi].

Chez Luc et Jean, les récits d'apparitions du Ressuscité sont à plusieurs reprises la narration d'un partage de repas ou bien sont situés dans le cadre du Cénacle où fut célébrée l'institution de l'Eucharistie (Lc 24,13-35 ; 36-49 ; Jn 20,24-29 ; Jn 21,7-15). De ces récits d'apparitions lors de repas postpascals, sont issues les péricopes de cinq stations de la prière de la Via Lucis : les Cinquième (Lc 24,30-31), Sixième (Lc 24,38-39), Septième (Jn 20,2223), Huitième (Jn 20,27-28) et Neuvième (Jn 21,7.13) stations. Dans les repas postpascals, il est question de pain et de poissons. De pêcheurs, les Galiléens sont appelés à devenir des pêcheurs d'hommes (Mt 4,18-22 // Mc 1,16-20).

C'est ainsi que l'appel de Simon-Pierre en tant que disciple de Jésus, au moment de la constitution du groupe des Douze, rejoint la confirmation de son appel par le Ressuscité pour être le chef du collège apostolique. La pêche miraculeuse provoquée par la présence du Seigneur ressuscité se mesure au nombre de cent cinquante-trois poissons qui est certainement un chiffre symbolique dans la tradition johannique qui est mêlée de culture hellénistique et de gnose (Jn 21,1-14). Lors des repas postpascals, en même temps qu'il conduit ses disciples à croire avec certitude qu'il est bien le Crucifié, le Seigneur ressuscité rappelle à ses disciples l'institution de l'Eucharistie lors de la dernière Cène. Il faut que nous comprenions bien que nous ne communions pas au corps de Jésus dans sa mort, mais au pain de Vie, au Dieu vivant. Nous avons été baptisés dans sa mort mais nous communions au Seigneur ressuscité.

82 M. DENEKEN, La Foi pascale, Rendre compte de la Résurrection de Jésus aujourd'hui, Paris, Cerf, 1996

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La Passion et la mort de Jésus de Nazareth doivent être interprétés à la lumière de l'Exaltation du Seigneur Jésus à la Résurrection. Pour Luc, c'est la résurrection qui est l'entrée dans la gloire et l'Ascension du Seigneur participe du même mouvement d'Exaltation du Fils par le Père à sa droite dans les cieux. Jésus Seigneur est deux fois glorifié : « Je l'ai glorifié et je le glorifierai encore ». De qui parle la voix de Dieu qui fait écho aux paroles de Jésus : « Père, glorifie ton nom ! » (Jn 12,28) ? Cette voix divine de qui parle-t-elle ? De quel Nom parle-t-elle ? Est-ce le nom du Père que le Père veut glorifier deux fois ? Quel est le Nom au-dessus de tout nom qui doit être deux fois glorifié (Ph 2,9) ? C'est à celui qui s'est abaissé jusqu'à la condition d'esclave en lavant les pieds de ses disciples, à celui qui s'est abaissé à une condition similaire à celle des malfaiteurs en étant pendu avec eux au bois de la croix, à celui qui est descendu dans les régions souterraines infernales où séjournent les morts et qui là - pour nous - « a arrangé les choses83» que Dieu a donné le Nom qui surpasse tous les autres : c'est à Jésus qu'a été donné le Nom imprononçable de SEIGNEUR, KURIOS. Ce Nom correspond non seulement à un titre mais à une dignité insurpassable84.

Dans la chronologie lucanienne, les apparitions du Ressuscité pendant une période de quarante jours à partir de la Pâque constituent la totalité de la manifestation postpascale et la plénitude de la révélation sur la résurrection du Christ. Le Ressuscité s'est manifesté à différentes personnes particulières, des individus (Marie-Madeleine, les disciples d'Emmaüs, Thomas, Simon), ou des groupes (les Onze, les Sept), en différents endroits (près du tombeau à l'extérieur de Jérusalem, au Cénacle à Jérusalem, au lac de Tibériade en Galilée, sur une montagne), à différents moments (le matin de la Pâque, le soir du même jour) et parfois à différents endroits en même temps (à Emmaüs et à Jérusalem).

Le chiffre lucanien de quarante jours d'apparitions postpascales avant l'effusion de l'Esprit Saint sur l'Eglise (Ac 2,1-4) peut être mis en inclusion avec le chiffre des quarante jours qui précèdent le début du ministère public de Jésus en Galilée, où Jésus est poussé au désert par l'Esprit Saint (Lc 4,1-13), ce que nous pouvons schématiser de cette manière :

[(ES, 40 jours, Ministère public) - (Passion-mort - Exaltation, 40 jours, ES)].

83 J. GALOT, S. J., La descente du Christ aux enfers, Nouvelle Revue Théologique, 83, N° 5, 1961, « Il s'agit de la 4e formule de Sirmium (Mansi, Concil., III, 265). Elle porte la mention : « il est descendu aux enfers (littéralement : aux régions en-dessous de la terre) et là il a arrangé les choses » https://www.nrt.be/en/articles/la-descente-du-christ-aux-enfers-1822 (25/03/2021)

84 TOB, Ph 2,9, note u), 2860.

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Dans cette structure en chiasme, l'action de l'Esprit-Saint au moment de l'Incarnation constitue une inclusion avec l'action de l'Esprit-Saint au moment de la Pentecôte ; les quarante jours au désert avant le début du ministère public de Jésus sont parallèles avec les quarante jours d'apparitions du Ressuscité ; la partie centrale est composée par le Ministère public en vis-à-vis avec la Passion, la mort et la Résurrection-Ascension ou Exaltation du Seigneur.

Ainsi, Luc met-il en évidence que la Résurrection est la partie finale du ministère public de Jésus et que ce ministère n'est accompli totalement que lorsque les jours de la Résurrection sont achevés et que l'Eglise est constituée. Cette structure met également en avant que l'acte de création de l'Eglise, en tant que Corps mystique du Christ, émane de l'effusion de l'Esprit Saint. Ainsi que le corps de chair du Fils a été conçu de l'Esprit Saint et de Marie, le Corps du Christ qui est l'Eglise a été conçu de l'Esprit Saint.

En ressuscitant, le Seigneur accomplit son ministère en plénitude, dans la puissance de l'Esprit Saint. Pour Luc - qui est issu du paganisme - dont les références narratives dans les Actes des Apôtres sont les fêtes juives de la Pâque et de la Pentecôte, ou fête des Tentes, la totalité du mystère pascal se déploie sur cinquante jours. La fête de Pentecôte est par définition le cinquantième jour après la fête de la Pâque juive. C'est l'horizon eschatologique de la Pâque dans la perspective lucanienne. Nous avons conservé, dans le culte chrétien, cette temporalité de cinquante jours entre le Dimanche de Pâques et le dimanche de la solennité de Pentecôte : c'est la période liturgique du Temps pascal.

Ce qui est demandé d'abord aux disciples de Jésus, c'est qu'ils reconnaissent leur Maître en la personne du Ressuscité. Le message que le Ressuscité tente de faire passer aux disciples tout en se référant aux Ecritures, est un message christologique : Jésus Christ est le centre de l'Histoire et sa venue est l'accomplissement eschatologique du salut qui inaugure la fin des temps. Faire de ses disciples de véritables apôtres qui soient des témoins du Ressuscité dans une Eglise ordonnée et hiérarchisée, tel est l'aboutissement postpascal de la mission terrestre du Christ Seigneur. La mission universelle qu'il leur a confiée au-delà du terme de sa vie terrestre85 ne pourra être accomplie qu'après l'effusion de l'Esprit Saint qui eut lieu selon Saint Jean à la Résurrection et selon l'Auteur des Actes à la Pentecôte.

85 https://cours.cath.ch/cours-6-7-ascension-lc-2450-53-et-ac-12-9-11/ (24/03/2021)

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3EME DIMANCHE DE PÂQUES (Jn 21,1-19) ET 10ème STATION : « Le Ressuscité fait de Pierre le pasteur de l'Eglise » (Jn 21,15-17 / 17)

« Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? Il lui répond : `Oui, Seigneur, je t'aime, tu le sais.' Jésus lui dit : `Sois le berger de mes agneaux' » (Jn 21,15).

Aux apôtres du Christ sont confiés les pouvoirs de pardonner les péchés ou de ne pas les pardonner, au nom de l'Eglise (Jn 20,22-23) et c'est Simon-Pierre qui est responsable du collège apostolique. Son service de pasteur du troupeau du Christ repose-t-il sur une condition unique préalable qui serait d'aimer Jésus ? La question de l'Amour semble bien être au centre des récits de la Résurrection. « Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? » (Jn 21,1518). En (Jn 21,15-17), Jésus ressuscité appelle par trois fois « Simon, fils de Jean » pour lui demander quel degré d'amour il lui porte, entre philéa et agapê. C'est dans le Lectionnaire du Temps pascal de l'année C que la Liturgie de la Parole offre ce récit, propre à Jean, de l'apparition du Ressuscité au bord du lac de Tibériade (Jn 21,1-19).

La question de l'amour porté à Jésus sera posée à Simon par trois fois avant que ne lui soit confiée la mission de conduire le troupeau des brebis du Seigneur. Est-ce dans une apparition postpascale que se fait le transfert d'autorité du Maître sur le groupe des Onze vers Simon-Pierre sur le collège apostolique qui va devenir l'Eglise de Jérusalem ? Lorsque, dans l'Evangile selon Saint Jean, le Seigneur ressuscité pose à trois reprises la question « M'aimes-tu ? » à Pierre, il le fait en lui donnant son nom d'origine, Simon Bar Yona, ou Simon fils de Jonas-Jean. Il ne l'appelle plus Pierre, alors que Pierre était le nom nouveau que Jésus lui avait décerné lors de l'appel initial pour la constitution du groupe des Douze. Selon Jean, c'est au moment de l'appel que Simon reçoit le nom de Pierre ou Céphas en grec. Céphas signifie en grec la tête. Chez Jean, Simon-Pierre fait partie avec son frère André du premier binôme de disciples appelés (Jn 1,40-42). Le nom de disciple que Jésus attribue à Simon a, en grec, la signification de chef. En langue française, le nom de Pierre fait davantage penser à la dalle de fondation d'une maison qu'à la tête d'un corps, image à laquelle renvoie le nom de Képha ou Céphas.

Jésus résidait à Capharnaüm chez la belle-mère de Simon-Pierre qu'il soigna lorsqu'elle fut malade (Mt 8,14 // Mc 1,29 // Lc 4,38). Chez Matthieu, Simon Bar Jona se vit décerner le nom nouveau de Pierre et la promesse qu'il sera la pierre de fondation de l'Eglise après qu'il eût confessé sa foi en Jésus, Christ et Fils du Dieu vivant (Mt 16,16-19). Dans les versets 18 et 19, Matthieu associe la fondation de l'Eglise terrestre sur la personne de Pierre avec la remise des clefs du Royaume et de celles des portes des prisons de l'Hadès.

75

C'est au nom de l'Eglise dont Pierre sera le chef sur la terre que les péchés seront soit pardonnés, soit maintenus.

Pourquoi l'amour du Seigneur est-il nécessaire pour conduire le troupeau de ses brebis à paître ? Le Seigneur Jésus est un pasteur d'âmes, le bon berger qui va chercher la brebis égarée (Lc 15,3-7) et tel doit être le Pasteur de l'Eglise qui doit en même temps prendre soin du troupeau entier et de chacune de ses brebis. Comment cela serait-il possible sinon en hiérarchisant et en organisant la communauté des disciples ? La responsabilité de paître les brebis du Seigneur consistera pour Simon-Pierre à conduire le troupeau à travers les chemins des montagnes terrestres jusqu'à sa destination finale, les verts pâturages du Royaume, et de veiller ainsi que le faisait Jésus et ainsi qu'il a veillé à ce que cela soit fait jusqu'après sa mort à ce qu'aucune d'elles ne se perde en route. La question par trois fois itérée à propos de l'amour de Simon envers Jésus peut être mise en parallèle avec le triple reniement au moment de l'arrestation de Jésus (Mt 26,33-35 // Mc 14,29-31 // Lc 22,33-34). En Luc, au moment où il lui prédit son apostasie, Jésus dit à Pierre qu'il a particulièrement prié pour lui afin qu'il affermisse ses frères dans la foi (Lc 22,31-34).

Pourquoi les femmes furent-elles les premières à bénéficier des apparitions du Ressuscité ? C'est parce que l'amour fait intrinsèquement partie de la nature constitutive de la femme, à la fois en sa fibre amoureuse et en sa fibre maternelle. Quand commence l'Eglise ? Est-ce au pied de la Croix glorieuse que naît l'Eglise, quand Jésus confie à sa Très Sainte Mère le disciple bien-aimé pour qu'elle devienne sa mère et devienne ainsi la Mère de tous les disciples bien-aimés, la Mère de l'Eglise ? Est-ce à la Croix que, Jésus ayant remis l'esprit, l'Eglise mariale et filiale fut baptisée dans l'Esprit Saint jailli de son côté ouvert ? Ou est-ce à la Pentecôte, cinquante jours et quelques années après la Pâque de Jésus, que la Pâque juive trouva son accomplissement en la fête chrétienne de Pâques ?

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera