I.4 Dimension politique de l'économie solidaire
La dimension collaborative de l'économie solidaire se
reflète à travers la notion de propriété : La
propriété collective relevant de la fonction sociale
(Duguit)9 est revendiquée, au détriment de la
traditionnelle propriété privée. La mise en commun par les
ouvriers de leurs forces et outils de travail afin de créer un capital
collectif, permettrait d'équilibrer le rapport de force face au
patronat, disposant des capitaux financiers et unités de production. Les
différentes parties prenantes de cette association sont égaux en
droits comme en devoirs et la propriété a une fonction
éminemment sociale. C'est ce qui définit la théorie de
l'association de production, née en 1831, attribuée à
Buchez.
Les composantes collaboratives du projet solidaire, et de ses
initiatives, sont aussi présentes à travers la notion de capital
social et espace public. Outre la propriété collective de biens
et de moyens de production, une autre forme de capital est
caractéristique des initiatives solidaires : le capital social. Le
concept de capital social, tissé sur la base de relations de
solidarité, à travers des « espaces publics de
proximité », lieu d'échanges, constitue une ressource
essentielle dans l'économie solidaire, à travers notamment les
effets de réseaux qu'ils permettent de développer. Dans sa
thèse, Elisabetta Bucolo expose l'idée suivant laquelle le
capital social joue un rôle majeur dans la généralisation
de l'esprit civique, et le bon fonctionnement des institutions, à
travers l'ensemble de réseaux et de relations entre individus qu'il
9 Duguit L, Les transformations
générales du droit privé depuis le Code Napoléon,
Librairie Felix Alcan , 1912
14
permet de déployer.10 Elle explique
également que la structure qui sous-tend ce capital social est
composée de « relations interpersonnelles »11,
qu'il est lui-même composé d'un sentiment d'«
appartenance, partage de valeurs et de normes et de confiance réciproque
»12. Enfin, le capital social a une dimension «
production de biens »13, en cela qu'il
génère de la « confiance
généralisée »14 au sens de «
civiness »15, le développement de l'esprit
civique.
Cette mise en perspective nous permet également de
mieux appréhender le positionnement des initiatives portées par
la société civile sur le concept de « bien commun ».Le
regroupement de différents acteurs autour d'un référentiel
de valeurs communes sur un même territoire permet de substituer des
logiques de coopération à des logiques de compétition. Ce
qui entraîne une redynamisation des différentes formes
d'organisation du travail, mis au service de l'émancipation individuelle
et collective, ainsi que l'émergence d'une société
véritablement impliquée dans le développement de l'esprit
civique, corrélé au capital social.
L'espace public est ainsi le lieu collaboratif, en tant que
lieu de rencontre et d'expression de la société civile, où
se développe ce capital social.
L'acceptation du terme « espace public » recouvre
des réalités à peu près identiques, suivant les
auteurs qui abordent ce concept : lieu d'expression, de
délibération et de conflictualité constructive
(structuration du dissensus). L'espace public comme lieu de
délibération et de prise de décisions collectives est,
selon Elinor Ostrom16, bien qu'elle ne le désigne pas en ces
termes, lieu de négociation et de résolution de conflits des
communautés qui le constituent.
Cela rejoint la définition d'Habermas de l'espace
public, comme étant « une sphère de personnes
privées rassemblées en un public ». Si l'approche de
celui-ci de
10 BUCOLO E., Associations et coopératives,
hier et aujourd'hui. Un regard sur la Sicile à partir du capital
social, 2011 (p 51-56)
11 Ibid
12 Ibid
13 Ibid
14 Ibid
15 Ibid
16 Economiste ayant reçu en 2009 le prix
Nobel d'économie pour ses travaux portant sur son analyse de la
gouvernance économique et, en particulier, des biens communs.
15
l'espace public est principalement appréhendée
dans sa dimension bourgeoise17, elle prend néanmoins en
compte le morcellement de ces espaces publics, dits « polycentriques
», pouvant entrer en résonnance, mais aussi parfois en conflits,
les uns avec les autres. Ce terme renvoie, d'ailleurs, aux « formes
polycentriques de gouvernance », plébiscitées par
Elinor Ostrom, pour laquelle l'action collective occupe un rôle essentiel
dans la gestion des communs et leur essaimage.
La pluralité et la diversité des espaces
publics, ainsi que leur dimension locale, sont soulignées par d'autres
penseurs. Dewey, pour lequel la défense de la démocratie repose
sur la participation et l'engagement citoyen dans l'espace public, rejoint,
tout comme Fraser, l'idée suivant laquelle la pluralité de
l'espace public, divisé en micro-espaces, sont autant de «
lieux de construction des identités sociales » et de
revendications politiques.
Ces espaces publics de proximité, dans une dynamique de
« voice » suivant le terme d'Hirschman18,
participent activement à la vitalité de la démocratie
participative, tant sur le plan de la participation interne à travers
des dispositifs d'expression directe, que sur celui de la participation externe
par le biais des différentes formes de prises de parole de ces espaces
publics polycentriques dans les débats publics.
17 Nancy Fraser, dans « Repenser la
sphère publique, une contribution à la critique de la
démocratie telle qu'elle existe réellement », souligne
à la fois la vocation profondément discursve et
délibérative de ces espaces, et leurs limites conceptuelles
à la sphère bourgeoise dans lapensée dHabermas
18 « Exit, Voice and Loyalty: Responses to Decline in
Firms, Organizations and States » Albert O. Hirschman
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