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Etude de l'évolution de l'agglomération de La Paz - El Alto depuis les vingt dernières années


par Florent Demoraes
Université de Savoie
Traductions: Original: fr Source:

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Copyright (c) Florent DEMORAES

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Florent Demoraes juin 1998

ETUDE DE L'EVOLUTION DE L'AGGLOMERATION

DE LA PAZ-EL ALTO DEPUIS LES VINGT DERNIERES

ANNEES, COMPTE TENU DES CONTRAINTES

ENVIRONNEMENTALES DU SITE.

Une péjoration des conditions d'urbanisation ?

Une base de référence: le Plan de Développement Urbain de la Ville de La Paz (1976- 77).

Mémoire de maîtrise de Géographie réalisé sous la direction de Monsieur Robert D'Ercole

2

RESUME

L'objet de cette maîtrise de géographie préparée lors d'un stage de 6 mois à la Universidad Mayor

San Andrés à La Paz, est multiple. Il s'agit tout d'abord de montrer les grandes tendances de

l'évolution de l'agglomération de La Paz et El Alto qui s'est déroulée dans un cadre fragile et érosif

au cours des 20 dernières années. La situation au milieu de la décennie 1970 est connue en détail

notamment grâce au diagnostic qui avait été établi à l'époque dans le cadre de l'élaboration du

schéma directeur de la ville par la Mairie de La Paz en partenariat avec le BRGM. Il s'agit ensuite

de mettre en évidence les décalages en terme d'expansion et de répartition de la croissance urbaine

par rapport aux recommandations formulées dans le plan de 1976. Enfin, et surtout il s'agit de faire

ressortir les implications des décalages notamment l'augmentation des situations à risque.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier plus particulièrement les personnes suivantes pour m'avoir aidé dans la

réalisation de ce mémoire de maîtrise :

Robert D'Ercole, Maître de Conférences à l'Université de Savoie- Technolac, mon directeur de

maîtrise,

Philippe Masure, chercheur au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) de Savoie-

Technolac,

Jean Claude Roux, chercheur de l'Orstom de Montpellier,

Bertha Gozálvez Kreuzer, architecte et enseignante en géographie à l'Université Mayor de San

Andrés (UMSA), La Paz,

Jaime R. Guerra Fernandois, ingénieur et enseignant en géographie à l'Université Mayor de San

Andrés,

Hugo Zapata, directeur de la Faculté des Sciences Géologiques de l'UMSA, (Decano de la Facultad

Ciencias Geológicas)

Jorge Córdova, directeur adjoint de la Faculté des Sciences Géologiques de l'UMSA (vice-decano

de la Facultad Ciencias Geologicas)

Reynaldo Oroz Echain, directeur de l'Institut de Géographie de l'UMSA (Jefe de la Carrera de

Ingeniería Geográfica)

Daniel Dory, directeur du Service à l'Aménagement du Territoire à La Paz (Direccion General de

Ordenamiento Teritorial)

Ismael González, ingénieur du Service à l'Aménagement du Territoire, (Direccion General de

Ordenamiento Teritorial),

Jaime Tinini, Rodriguo Célada, et monsieur Guzmán, ingénieurs du Service de la Cuenca de la

Mairie de La Paz (Direccion de Cuenca-Honorable Alcaldía Municipal de La Paz),

Jaime Ayala et Sara Rivas, architectes et enseignants à l'UMSA,

le personnel de l'Orstom de La Paz,

le Service des Bourses du Conseil Régional de Rhône-Alpes,

Anne-Catherine Madelin, Virginie Baby, Susanne Dieckmann et les étudiants de l'UMSA, Nelson,

Luis, Mauricio, Pati, Milenka, Carlos

mes parents.

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION..............................................................................................................................8

I/ PRESENTATION GENERALE DE L'AGGLOMERATION DE LA PAZ-EL ALTO EN 1976

ET DESCRIPTION DU CADRE PHYSIQUE ENVIRONNANT : L'IDEE D'ELABORATION

D'UN PLAN DE DEVELOPPEMENT URBAIN.............................................................................12

A/ La situation de 1976 selon l'avant-dernier recensement : caractéristiques chiffrées et analyse

cartographique..............................................................................................................................12

1/ Un ensemble urbain connaissant une croissance démographique et une immigration

galopantes depuis les années 50, qui laisse présumer un développement futur exponentiel.....12

2/ Caractéristiques du tissu urbain en 1976 et représentation cartographique...........................14

3/ Les principales fonctions de l'agglomération en 1976...........................................................16

B/ Un site confiné et hétérogène soumis à une érosion active : les prémices d'une évolution

future problématique et toujours plus ségrégative.........................................................................19

1/ Un site contraignant sensible à l'érosion : de fortes pentes et des formations édaphiques

majoritairement meubles...........................................................................................................19

2/ Topographie, altitude et variabilité des conditions climatiques: trois éléments

environnementaux à l'origine d'une ségrégation sociale au sein de la ville...............................22

3/ Une combinaison de facteurs physiques et de facteurs humains à l'origine de situations à

risque (figure 15).......................................................................................................................25

C/ ...d'où l'idée d'élaborer un plan de développement urbain........................................................29

1/ Un contexte de stabilité politique et économique favorable..................................................29

2/ Une volonté d'évaluer les contraintes et les potentialités du milieu naturel afin de réaliser un

outil de référence innovateur en matière de planification urbaine.............................................29

II/ EVOLUTION ET SITUATION ACTUELLE DE L'AGGLOMERATION : DES DECALAGES

PAR RAPPORT AUX PREVISIONS DE 1976?..............................................................................36

A/ Une agglomération, deux municipalités : le nouveau visage de la métropole d'aujourd'hui....36

1/ Un contexte différent.............................................................................................................36

2/ Un poids démographique accru.............................................................................................38

3/...qui s'explique par une immigration soutenue......................................................................39

54/ ...et par un taux d'accroissement naturel élevé......................................................................39

B/ Une économie davantage tertiarisée et dont les composantes diffèrent entre La Paz et El Alto......................................................................................................................................................41

1/ Evolution de la répartition de la population active par types d'activités en 1976 et 1992.....41

2/ La Paz aujourd'hui : une ville de services..............................................................................42

3/ Le cas de El Alto: un secteur secondaire encore important et une économie parallèle très

développée................................................................................................................................44

C/ Extension urbaine et densification accrues ; les répercussions sur le foncier...........................46

1/ Physionomie urbaine actuelle et carte du recensement de 1992...........................................46

2/ Evolution des densités et analyse cartographique comparative.............................................48

3/ Les répercussions sur les prix du foncier...............................................................................52

D/ Une ségrégation sociale très nette dans l'espace : la confirmation des tendances antérieures.55

1/ Une séparation des classes sociales accrue très visible dans le paysage urbain....................55

2/ Un taux d'équipement en services élémentaires très variable: l'exemple de la desserte en

eau: une péjoration de la situation de 1976 ?.............................................................................59

E/ Les décalages par rapport aux directives du Plan de desarrollo Urbano de 1976 : constats et

explications :.................................................................................................................................62

1/ Exemple de décalages............................................................................................................62

2/ Les explications envisagées...................................................................................................65

III/ UNE VULNERABILITE ACCRUE PAR RAPPORT A 1976 : ANALYSE DU PROCESSUS

ET SOLUTIONS ENVISAGEABLES..............................................................................................68

A/ Une urbanisation accrue dans un milieu physique originellement contraignant et de plus en

plus fragilisé par l'homme: l'étude des versants de la Cuenca :.....................................................69

1/ Des versants de plus en plus urbanisés malgré des conditions défavorables aux

implantations humaines.............................................................................................................69

2/ L'impact anthropique sur les versants: une augmentation de la vulnérabilité des biens et des

personnes..................................................................................................................................73

3/ Bilan......................................................................................................................................78

B/ L'urbanisation des fonds de vallée dans la Zona Sur : un risque d'inondation très présent :

l'exemple du bassin versant du Rio Achumani:.............................................................................80

61/ Aperçu général.......................................................................................................................80

2/ L'exemple des quartiers résidentiels implantés dans le lit majeur du Rio Achumani...........83

C/ La recherche de solutions..........................................................................................................94

1/ Les collaborations Mairie-Organismes boliviens-Organismes étrangers..............................94

2/ Les actions entreprises et/ou projetées..................................................................................94

3/ La Loi de Participation Populaire : une amélioration envisageable pour la gestion des

risques ?....................................................................................................................................99

CONCLUSION...............................................................................................................................102

ANNEXES......................................................................................................................................104

GLOSSAIRE..............................................................................................................................105

LISTE DES ABREVIATIONS...................................................................................................106

ADRESSES UTILES...................................................................................................................108

BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................................110

LISTE DES FIGURES................................................................................................................118

7

INTRODUCTION

L'étude de l'évolution de l'agglomération de La Paz-El Alto compte tenu des contraintes

environnementales de son site, est un sujet qui illustre la relation existante entre l'homme et son

milieu et qui associe aussi bien la géographie humaine que la géographie physique. Cette double

analyse s'avère nécessaire pour aborder l'ensemble des facteurs intimement liés qui ont influencé le

développement de cette métropole.

Depuis sa fondation en 1548 par le capitaine Don Alonso de Mendoza, Nuestra Señora de La Paz a

tout d'abord connu une croissance démographique lente jusqu'à la fin de la première moitié du

vingtième siècle. C'est surtout à partir de 1953, suite à la Réforme Agraire, qu'elle s'est accélérée.

En 1985, la crise de l'étain a engendré un autre courant migratoire d'importance qui est venu

accroître sa population. En 1992, l'aggloméra1ion compte 1 118 900 habitants selon l'INE (Institut

National de Statistiques). Elle demeure avec Quito la seule métropole altiplanique dépassant le

million d'individus.

En 1988, l'agglomération se sépare en deux municipalités autonomes, La Paz et El Alto. Cette

dernière située sur l'Altiplano à 4000 mètres d'altitude, n'était, il y a 50 ans, qu'une simple annexe

agricole de La Paz et regroupait environ 10 000 personnes (Baby,1995). En 1992, 405 000

habitants y vivent dans des conditions climatiques particulièrement rudes. La ville basse, se localise

quant à elle, dans le fond d'une dépression (la Cuenca) creusée par érosion régressive par le Rio

Choqueyapu, et correspond au site initial de La Paz. Elle est séparée de la ville haute par un talus

de plus de 400 mètres de dénivelé.

Tout au long du mémoire, nous serons amenés à employer des néologismes qui s'avèrent très

pratiques. Par exemple, les adjectifs alténien, pacéniens, (de El Alto et de La Paz) directement

dérivés de l'espagnol (alteños et paceños) et l'adjectif altiplanique serviront très fréquemment de

qualificatifs. Le nom La Paz sera utilisé uniquement pour faire référence à la municipalité de La

Paz stricto sensu englobant la Cuenca et la Zona Sur (ou El Bajo), partie située dans les vallées

basses Sud, Sud-Est.

L'accroissement démographique élevé a entraîné une consommation croissante d'espaces. Mais le

site présente de nombreuses contraintes et se révèle sensible à l'érosion, surtout dans la Cuenca. Les

implantations humaines se sont alors de plus en plus développées dans des secteurs à risque. En

1976, des équipes boliviennes et françaises telles que le BRGM et le BCEOM (Bureau de

Recherches Géologiques et Minières et Bureau Central d'Etudes pour les Equipements d'Outre

Mer) ont élaboré un schéma directeur ou Plan de Desarrollo Urbano de la Ciudad de La Paz (Plan

de Développement Urbain de la ville de La Paz, PDU) afin, de trouver des solutions face à

l'évolution problématique de la ville.

L'objectif de cette maîtrise est d'essayer de montrer dans quelles mesures les conditions

d'urbanisation ont évolué au sein de l'agglomération au cours des vingt dernières années. Le schéma

directeur a-t-il été suivi ? Existe-t-il des décalages par rapport aux prévisions ? La vulnérabilité des

biens et des personnes s'est elle accrue ? Quelle influence exerce le milieu environnemental sur le

développement de la métropole ? Quels problèmes majeurs connaît aujourd'hui l'agglomération et

quels moyens sont mis en oeuvre pour y remédier ? Quelles solutions sont adoptées pour réduire les

risques ? Qui s'en charge ? 9En première partie, il sera question de présenter les principales caractéristiques de l'agglomération

de 1976 qui serviront de base de référence pour la comparaison avec la situation actuelle et qui

permettront de constater les problèmes de l'époque. Nous analyserons les aspects démographiques

et économiques puis nous détaillerons les contraintes majeures liées au site et à sa fragilité. Nous

verrons aussi qu'il existe en 1976 un phénomène de ségrégation sociale à l'intérieur de

l'agglomération. Enfin, nous étudierons selon quelle logique le schéma directeur a été réalisé et

quelles directives d'évolution il préconisait.

En deuxième partie, nous essaierons de comprendre quelles modifications a connu l'agglomération

au cours des vingt dernières années et quels facteurs ont influé son évolution. Nous mettrons en

évidence l'augmentation de sa population et la tertiarisation de son économie en comparaison avec

les chiffres de 1976. Nous étudierons l'extension de son emprise spatiale corrélativement à la

densification de son centre. Nous nous attacherons également à analyser l'aggravation de la

ségrégation sociale déjà remarquée en 1976. Enfin, nous envisagerons de détailler les différents

décalages qui sont intervenus par rapport aux prévisions du plan.

En dernière partie, nous examinerons l'accentuation de la vulnérabilité des biens et des personnes

au sein de l'agglomération au cours des vingt dernières années. Nous ferons apparaître que

l'homme, de par ses activités, contribue à modifier le milieu physique, originellement fragile, et

multiplie ainsi les situations à risque. Enfin, il sera question de rechercher les diverses solutions

envisageables pour réduire les risques et minimiser les effets dommageables.

Plusieurs difficultés sont apparues lors de la réalisation de ce mémoire. La comparaison des

données du schéma directeur avec les données de l'INE (Institut National de Statistiques) n'a pas

toujours été très évidente, car bien souvent, elles ne font pas référence aux mêmes unités spatiales.

De même, entre les deux recensements (1976 et 1992), les zones recensées ont été modifiées et leur

nombre augmenté. La représentation cartographique comparative doit alors être analysée avec

beaucoup de précautions. Enfin, l'étude des décalages entre les prévisions du plan et la situation

actuelle est loin d'être exhaustive, car le schéma directeur comporte une multitude d'aspects qui

n'ont pas tous été détaillés. L'accent a surtout été mis sur l'augmentation des situations à risque et

de la vulnérabilité.

Figure 1 - Localisation et caractéristiques générales sur la Bolivie

10

Figure 2 - Découpage administratif et données globales

Note : Les mots en espagnol et les abréviations seront explicités en indexe à la fin du mémoire. Les

photos ont été prises par l'auteur sauf quand cela est indiqué.

11

PREMIERE PARTIE

12

I/ PRESENTATION GENERALE DE L'AGGLOMERATION DE LA

PAZ-EL ALTO EN 1976 ET DESCRIPTION DU CADRE

PHYSIQUE ENVIRONNANT : L'IDEE D'ELABORATION D'UN

PLAN DE DEVELOPPEMENT URBAIN

Ce premier chapitre se consacre à l'étude des caractéristiques de l'agglomération en 1976, d'un point

de vue démographique tout d'abord, en abordant les questions d'immigration et de croissance

urbaine, puis d'un point de vue économique, en analysant ses principales fonctions. Dans dans un

deuxième temps, il sera question de définir quels sont les grands traits du cadre physique dans

lequel elle se développe en analysant les problèmes qui lui sont liés et qui sont susceptibles de

contrecarrer la pérennité de son développement. Enfin, il s'agira d'envisager, dans un contexte de

nécessité et de volonté politique, les nouvelles perspectives que le Plan de Développement Urbain

de 1976 apportent (Plan de Desarrollo Urbano, PDU) pour l'aménagement de la ville de La Paz-El

Alto.

A/ La situation de 1976 selon l'avant-dernier recensement :

caractéristiques chiffrées et analyse cartographique

Un des moyens de dresser la situation d'une ville à un moment donné, est de se référer à la base de

données que représente un recensement. La Bolivie en 1976 en a réalisé un afin d'établir le bilan

statistique du pays selon de nouveaux concepts, ce qui représentait une réelle nécessité car le

dernier organisé auparavant, datait de 1950. En combinant les données du Plan de Desarrollo

Urbano de 1976 avec des informations issues de sources diverses, j'ai pu esquisser les grandes

caractéristiques de la ville de l'époque. Les données de l'INE (Instituto Nacional de Estadisticas ;

Institut National de Statistiques) seront largement utilisées, et les publications de A. Franqueville

(1988 et 1990), de Ph. Masure (1978), de A. Navarro (1978), de V. Baby (1995) et de A.-C.

Madelin (1997) viendront en complément.

1/ Un ensemble urbain connaissant une croissance démographique et une

immigration galopantes depuis les années 50, qui laisse présumer un

développement futur exponentiel

En 1976, l'agglomération de La Paz-El Alto ne correspond qu'à une seule municipalité et compte

635 000 habitants dont 539 800, soit 85%, vivent dans la Cuenca (Cuvette), site originel de la ville,

et dans la Zone Sud (Zona Sur), son prolongement dans les vallées Sud (INE) (Figures 3, 4 et 12).

L'ensemble de l'espace urbain couvre une superficie de 5 800 hectares contre 1 850 en 1942 (PDU,

tome 3, p 37), c'est-à-dire 3 fois plus en l'espace de 34 ans, ce qui montre une extension élevée à

l'égal de son accroissement démographique puisqu'en 1950 l'agglomération ne comptait que 267

000 habitants (INE) soit une population multipliée par 2,4 en 26 ans et qui correspond à un taux

d'accroissement annuel de 3,5% pour l'agglomération toute entière (PDU, tome 3, p 39) et de 2,71% pour La Paz, stricto sensu (Cuenca- Zona Sur). Par ailleurs, en 1976 l'agglomération pacénienne (de paceña, de La Paz) représente 44% de la population du département de La Paz contre 31% en 1950 ce qui met en évidence une certaine centralisation départementale de la population au niveau de La Paz.

13

En ce qui concerne El Alto (Le Haut), partie intégrante de la municipalité de La Paz située sur le

rebord de l'Altiplano qui domine la Cuenca, elle comprend 95 450 habitants en 1976 (INE) alors

que sa population n'était estimée, en 1950, qu'à « quelques familles » ou selon d'autres sources qu'à

11 000 personnes (Baby, 1995, p 36). Cela traduit un accroissement démographique exponentiel sur

une période de 26 ans qui s'explique, d'une part par une croissance naturelle élevée, et d'autre part,

par l'immigration massive qu'a connue l'agglomération après la promulgation, le 2 août 1953, de la

Réforme Agraire par le nouveau gouvernement démocratique révolutionnaire de Victor Paz

Estensorro (MNR, Movimiento Nacional Revolucionario). En effet, cette loi instaure le

démantèlement des grandes haciendas, jadis mises en place par la colonisation espagnole, et

l'expropriation des propriétaires dont les terres sont divisées et redistribuées aux paysans devenus

indépendants et détenteurs des parcelles. En neuf ans, l'Etat distribue 134 000 titres de propriété

(Baby, 1995, p 28). Mais bien vite, la croissance démographique élevée des campagnes associée au

maintien des techniques rudimentaires traditionnelles de culture et au morcellement accéléré des

lopins de terre au fil des générations, ne permet plus aux familles de subsister. Avec l'amélioration

et l'extension du réseau de voies de communication rendant l'accès aux villes plus facile, bon

nombre de paysans migrent dans l'espoir de trouver un emploi et une situation meilleure en milieu

urbain. Cet exode rural est à l'origine d'une immigration d'environ 8 000 personnes par an sur

l'ensemble de l'agglomération pacénienne au cours de la période 1950-76 (PDU, tome 3, p 39).

C'est ainsi qu'en 1976, 31% de la population pacénienne est migrante soit 216 000 personnes,

contre 69% native soit 439 000 personnes (PDU, tome 3, p 39).

Figure 3 - Evolution comparée des populations entre 1950 et 1976 (Source : INE)

L'immigration a donc été massive pour l'agglomération pacénienne. On peut donc se demander

quelles en sont les conséquences notamment au niveau de la physionomie du tissu urbain de El

Alto, d'une part, et de La Paz d'autre part ?

14

2/ Caractéristiques du tissu urbain en 1976 et représentation cartographique

L'immigration intense et rapide qui a affecté la métropole a engendré, surtout pour El Alto,

davantage le développement d'urbanisations spontanées et anarchiques, que de zones planifiées.

Ces différents types d'urbanisation se sont développé conjointement le long de la Panaméricaine au

Nord (Figure 4), et plus au sud entre les routes menant à Viacha et à Oruro. Deux axes d'expansion

séparés par les terrains de l'aéroport, se différencient ainsi à El Alto.

L'urbanisation de la Cuenca, quant à elle s'étend sur une superficie de 2 500 hectares sur 2 800

urbanisables, alors que la Zona Sur ne s'étale que sur 700 hectares sur les 2 000 urbanisables (PDU,

tome 3, p 30). L'immigration et la croissance naturelle de la ville ont donc amené à une situation où

la Cuenca est pratiquement urbanisée à 100% puisque seuls 300 hectares peuvent encore y être

urbanisés selon les critères du PDU, alors que la Zona Sur, constituée davantage par la translation

des zones de résidence des classes aisées pacéniennes dans les vallées sud, que par l'immigration,

possède encore des espaces libres importants (1700 hectares selon le PDU).

Figure 4 - Physionomie de la métropole en 1976

15

Figure 5 - Croquis de l'agglomération

La carte des zones recensées de 1976 (Figure 6) constitue une autre source d'informations très

riches et innovatrices, car elle est la première en son genre réalisée en Bolivie. En effet, le

recensement de 1976 se caractérise, non plus seulement par une dimension purement statistique et

traditionnelle classée en domaines généraux (Emploi, Santé,...) appliqués par exemple à un

ensemble urbain ou selon des classes d'âge. Il comporte également une dimension cartographique

puisque pour la première fois l'INE procure des données statistiques propres pour chacun des

secteurs préalablement délimités au sein de la ville. L'avantage d'une telle méthode est qu'elle

permet une approche quantitative et qualitative plus fine et plus poussée et autorise la mise en

évidence des disparités intra-urbaines, bien souvent génératrices de problèmes entre les différentes

zones d'une ville (Voir deuxième partie).

Le recensement de 1976 pour la ville de La Paz comporte donc un ensemble de 90 zones recensées

(Zonas censales) qui sont réparties entre El Alto et La Paz (Cuenca-Zona Sur) avec respectivement

14 et 76 zones (Figure 6). Leurs délimitations ont un caractère géométrique de grandes dimensions

à El Alto, résultat de son mode d'urbanisation rapide le long d'axes, sur une étendue plane (Voir

infra), alors que la Cuenca connaît des zones beaucoup moins régulières dues à la topographie qui a

engendré une urbanisation moins ordonnée. La Zona Sur, quant à elle présente également des zones

vastes et géométriques qui correspondent en fait aux grands bassins-versants et aux lits plus ou

moins rectilignes des cours d'eau.

16

Figure 6 - Découpage du recensement de 1976

Connaissant les principales caractéristiques démographiques (leur représentation cartographique

sera abordée en comparaison à la situation de 1992 en II/C/2) et morphologiques de La Paz, il serait

désormais intéressant d'étudier quels sont ses principaux domaines d'activité.

3/ Les principales fonctions de l'agglomération en 1976

En 1976, La Paz concentre la quasi-intégralité des services du gouvernement central autrefois

localisés à Sucre qui perdit de son importance après le transfert des pouvoirs législatifs et exécutifs

à La Paz en 1899. Sucre reste cependant officiellement la capitale constitutionnelle du pays. La

Paz, avec ses nombreuses représentations diplomatiques et syndicales, est le premier centre

politique du pays et dispose d'une vocation internationale. On y trouve, en effet, de nombreuses

ambassades et organismes étrangers tels que l'Orstom (Institut Français de Recherches

Scientifiques pour le Développement en Coopération) ou la G.T.Z «(deutsche) Gesellchaft

Technische Zusammenarbeit) dans le domaine de la coopération.

De même, c'est en 1976, le centre industriel plus important de Bolivie. L'industrie du textile,

l'industrie chimique et alimentaire ainsi que la fabrication de matériaux de construction constituent

ses activités principales. Ainsi, 25% du PIB de la ville revient au secteur secondaire (PDU, tome 3,

p 20). Les activités industrielles, de logistique et les dépôts sont installées en grande partie à El

Alto qui dispose de terrains vastes et bon marché. Cette dynamique industrielle à l'échelle du pays,

s'est développé, dans un premier temps avec l'accroissement du transport ferroviaire et routier (avec

17la Panaméricaine en direction du Pérou) et, dans un deuxième temps avec l'essor de la fonction

aéroportuaire favorisant ainsi le développement de son commerce extérieur. En outre, l'aéroport de

La Paz garde une importance certaine au niveau national, car il reste la principale porte d'entrée

pour le trafic aérien en Bolivie d'où s'organise une redistribution intérieure.

Comme toutes les métropoles, elle regroupe aussi de multiples activités de services qui s'organisent

autour du centre dans la Cuenca. Le secteur tertiaire est prépondérant puisqu'il représente 60% du

PIB de la ville. De plus ce dernier tend à prendre de plus en plus d'importance du fait de la

métropolisation croissante de La Paz. En ce sens, le domaine des administrations est également très

développé puisqu'il correspond à 15% du PIB de l'agglomération et à 25% des emplois (PDU, tome

3, p 20).

D'une manière générale, la vie économique de La Paz est partagée entre la modernité et la tradition

(Madelin, 1997, p 42). En effet, il existe une branche « traditionnelle » qui regroupe la majorité des

emplois rassemblant les activités artisanales, les activités agricoles, aussi restreintes soient-elles en

milieu urbain, les petits commerces, et les employées de maison (Empleadas). D'autre part, il existe

les activités du « tertiaire moderne » (PDU, tome 3, p 23) qui comportent les activités bancaires,

administratives, et les professions libérales etc...

Enfin, l'économie pacénienne est caractérisée par l'importance des activités informelles qui tendent

à rendre aléatoire et problématique la comptabilisation statistique. La plupart des activités de la

branche « traditionnelle » y est rattachée (marchés, commerces et services de rue comme les cireurs

de chaussures...).

Au regard de cette analyse, il ressort que La Paz possède de nombreuses caractéristiques d'une

métropole (prépondérance du secteur tertiaire...) et dispose d'une influence au niveau national et

dans une moindre mesure, au niveau international. Il est maintenant intéressant de la replacer dans

son contexte physique afin de comprendre (Figure7, 8), en premier lieu, dans quelles mesures son

évolution et son aménagement peuvent en dépendre, puis d'appréhender, comment le milieu

environnemental peut entraîner l'apparition d'une ségrégation au sein de la ville et enfin d'étudier

les interactions et leurs conséquences entre l'homme et son cadre de vie.

18

Figure 7 - Aspect de la ville de La Paz en 1976 (Cuenca), photo extraite du PDU

Figure 8 - Vue de La Paz depuis le versant Ouest en direction de la Zona Sur (PDU)

19

B/ Un site confiné et hétérogène soumis à une érosion active : les

prémices d'une évolution future problématique et toujours plus

ségrégative

1/ Un site contraignant sensible à l'érosion : de fortes pentes et des

formations édaphiques majoritairement meubles

a/ Une topographie accidentée...

Une des caractéristiques majeures du site de La Paz est sa topographie accidentée. En effet, outre

l'omniprésence des pentes fortes, le relief présente bien souvent un aspect déchiqueté. Certains

secteurs de la Cuenca peuvent connaître des pentes allant jusqu'à 70° notamment à Villa Fatima ou

à Alto Obrajes (Gozalvez, 1996). Dans la Zona Sur, apparaissent les structures de relief les plus

lacérées comme l'attestent les nombreuses quebradas (gorges, ravines) et cheminées de fée (Figures

10 et 11).

El Alto quant à elle, ne présente guère de telles contraintes topographiques. Dans son ensemble, la

surface de El Alto est légèrement inclinée du Nord-Est vers le Sud-Ouest et les déclivités ne

dépassent pas localement 10° dans les secteurs de l'aéroport et de Alto Lima (Gozalvez).

b/ ...qui s'explique par des soubassements meubles facilement érodables :

D'un point de vue géologique, trois grandes unités se distinguent (Figure 9) : le soubassement du

socle, les sédiments de l'altiplano et les dépôts contemporains de l'érosion de la vallée de La Paz,

ces deux derniers étant composés de matériaux peu consolidés (Ballivian, 1978 et Malatrait 1983).

On comprend ainsi que l'action de l'érosion ait pris toute son ampleur lors du creusement de la

vallée de La Paz dans les formations de l'altiplano, par le Rio Choqueyapu. Ce dernier, affluent du

Rio Beni, a coupé la Cordillera Real (Cordillère Royale) au Nord par érosion régressive, et ses

alluvions furent transportées jusqu'à la vallée de l'Amazone et l'Atlantique.

Les versants de la cuvette ainsi formée subissent à leur tour les effets des processus

morphogéniques d'autant qu'un réseau de rios (rivières, torrents), affluents du Rio Choqueyapu,

s'est corrélativement mis en place. Aussi, en dénombre-t-on aujourd'hui approximativement 300

(PDU, tome I). L'action combinée des torrents et du ruissellement sur les versants abrupts dont le

sous-sol est composé de formations meubles, est à l'origine de l'intensité du ravinement, de la

déstabilisation et du glissement des terrains ainsi que d'une érosion régressive active. Ceci est

d'autant plus vrai que la dénivellation est souvent grande et que les précipitations sont concentrées

sur une courte période de l'année. Cela favorise, dans un premier temps, l'imbibition des sols et leur

propension à fluer puis, dans un deuxième temps, leur saturation qui inhibe l'infiltration au profit du

ruissellement.

20

Figure 9 - Carte géologique schématique

21

Figure 10 - Exemple de versant ciselé par le ravinement (PDU)

Figure 11 - Cheminées de fée situées au sud de l'agglomération (PDU)

22En effet, sur une moyenne annuelle de 590 mm, 70% des précipitations tombent pendant la saison

des pluies de décembre à mars (d'après les données établies sur une période de 77 ans de 1898 à

1975 par l'observatoire de San Calixto in PDU, tome 2, p F-3).

De surcroît, les précipitations, souvent à caractère orageux, favorisent le déclenchement des crues

car les temps de concentration sont réduits dans des bassins versants escarpés et peu protégés par

leur couverture végétale. Cette dernière demeure clairsemée en raison des pratiques agricoles et de

la déforestation. D'autre part, les conditions climatiques localement rudes, liées à l'altitude, ne

facilitent pas non plus son renouvellement. Ces crues torrentielles sont souvent à l'origine

d'inondations dans les lits majeurs qui, en 1976, s'urbanisent de plus en plus...

Il faut ajouter à cela le rôle non négligeable des eaux souterraines qui contribuent également à

déstabiliser les terrains et à former des affaissements ponctuels.

Il ressort ainsi de ce paragraphe que le site pacénien est un secteur accidenté et peu stabilisé du fait

de ses conditions édaphiques majoritairement meubles, sensibles à l'érosion. Il serait maintenant

intéressant d'étudier de quelle façon les caractéristiques du cadre physique, couplées aux conditions

climatiques particulières de La Paz, ont des répercussions dans la répartition des implantations

humaines.

2/ Topographie, altitude et variabilité des conditions climatiques: trois

éléments environnementaux à l'origine d'une ségrégation sociale au sein de

la ville

Nous l'avons vu, l'agglomération pacénienne est divisée en trois grands sous-ensembles dont les

toponymes reflètent très clairement les données du cadre physique (Figure 12 et 14).

du niveau de la mer.

La Cuenca (Dépression) pour la partie localisée dans la cuvette entre 3400 et 3800m, et dont le centre correspond au foyer initial du peuplement de La Paz à 365Om (Plaza Murillo).

vallées sud en aval du centre historique entre 3200m (Aranjuez) et 3400m (en amont de San

Miguel).

23

Figure 12 - Coupe topographique schématique

Environ 1000 mètres de dénivelée séparent donc le point le plus bas et le point le plus haut de la

ville. On en déduit qu'il existe au sein de l'agglomération des contrastes thermiques importants. En

effet, comme l'illustre la figure 13, un écart de 7°C distingue El Alto de la Zona Sur.

Figure 13 - Températures moyennes annuelles en °C à différentes altitudes

EL ALTOCUENCAEL BAJO5,810,512,7

D'après Schoop, 1981, Ciudades Bolivianas, p 53.

Figure 14 - Carte topographique simplifiée de La Paz

D'autre part, l'intensité du vent n'est pas la même, selon que l'on se trouve à El Alto où les vents

sont particulièrement fréquents, intenses et froids en provenance de l'Altiplano en hiver

principalement, ou que l'on se trouve dans la cuvette ou dans les parties basses de l'agglomération,

davantage abritées.

Enfin, l'altitude, du fait de la faible pression atmosphérique (650 mb à 3600m contre 760 au niveau

de la mer in Malatrait, 1983) et de la raréfaction de l'oxygène, entraîne une limitation des

potentialités physiques de l'homme et l'accélération de son vieillissement surtout au dessus de

4000m.

Cette analyse met en évidence une différenciation des conditions environnementales. Elles

apparaissent globalement beaucoup plus favorables, dans la Zona Sur et, dans la Cuenca, malgré

ses secteurs abrupts, qu'à El Alto davantage caractérisée par la rudesse de son climat que par une

topographie accidentée. Ceci est à l'origine, déjà en 1976, d'une ségrégation sociale au sein de la

ville, les plus défavorisés s'installant souvent dans des zones instables en pente (les versants de la

Cuenca) ou soumises à des conditions climatiques rudes (El Alto), ou pentues et « au vent » (versant

Est de la Cuenca). C'est dans ces secteurs que le prix du foncier est le plus bas. A l'inverse, la classe

aisée s'installe à plus basse altitude, là où le climat est plus clément, sur des terrains relativement

plans dont la valeur foncière est élevée, mais qui peuvent néanmoins présenter des risques comme

nous le verrons par la suite.

En 1976, l'agglomération pacénienne est donc marquée par une ségrégation sociale, qualifiée par

certains au moyen de l'image « Les riches en bas, les pauvres en haut ». Si aucune mesure n'est prise,

cette séparation a toutes les chances de se voir renforcée au cours des années suivantes.

Préalablement abordée, l'action des phénomènes hydro-météorologiques sur le milieu physique est

à l'origine du façonnement du relief. Cette approche n'intègre pas l'homme comme facteur potentiel

de la morphogenèse, or il s'avère très souvent et a fortiori en milieu urbain, qu'il y participe de

façon active, et dans la plupart des cas inconsciemment.

3/ Une combinaison de facteurs physiques et de facteurs humains à l'origine

de situations à risque (figure 15)

Le site pacénien, nous l'avons vu, est particulièrement contraignant pour les implantations

humaines de par sa topographie, ses formations géologiques, et ses conditions climatiques... La

ville n'occupe non plus seulement le site originel abrité composé de dépôts fluvio-glaciaires

structurés et peu inclinés sur les berges du Rio Choqueyapu, mais également des secteurs en pentes,

des secteurs aux sous-sol instables, et des lits majeurs... Cela contribue à accroître les situations à

risque et par là même à augmenter la vulnérabilité des biens et des personnes, dans un contexte de

croissance urbaine à l'origine d'une demande en espace croissante déjà d'actualité en 1976.

Le risque pour l'homme et ses biens peut se définir « comme un danger éventuel, plus ou moins

prévisible, dans une aire non précisément délimitée, d'une durée indéterminée » (Bailly, 1996) ou

encore comme « la probabilité d'occurrence d'un dommage, liée à la conjonction territoriale d'un ou

plusieurs dangers et d'une présence humaine » (Pigeon, 1996).

26Il existe une grande diversité de risques; d'une part les « risques de société » (Bailly, 1996) tels que

les risques d'épidémies, les risques de guerre, les risques sociaux (chômage, ségrégation sociale...)

ou encore les risques technologiques (risque nucléaire, risque d'incendie industriel...). Existent

également des risques qui dépendent de « phénomènes d'origine présumée naturelle » (Pigeon, 1996)

tels que les risques volcaniques, les risques de raz de marée, les risques de cyclones, le risque de

sécheresse... Aussi, dans cette étude sera-t-il uniquement question des risques de ce dernier type et

uniquement de ceux qui affectent plus spécifiquement La Paz, c'est-à-dire, les risques d'inondation,

les risques de glissement de terrain, les risques sismiques.

L'homme peut donc être perçu, en premier lieu comme un élément vulnérable face à des situations

à risque. La vulnérabilité se caractérise par « toute forme de présence humaine menacée par un

danger » (Pigeon, 1996) ou encore comme « la propension d'une société donnée à subir des

dommages en cas de manifestation d'un phénomène naturel ou anthropique » (D'Ercole, 1994). Cette

deuxième définition permet d'introduire l'idée que l'homme, de par ses activités et infrastructures,

engendre indubitablement des modifications dans son environnement et dans la dynamique

naturelle d'évolution de ce dernier. Ces « impacts anthropiques » peuvent être considérés comme des

facteurs de vulnérabilité en eux-mêmes. Leur étude s'avère souvent complexe, du fait de la

multiplicité des éléments qui entrent en ligne de compte.

Dans le cas de La Paz, l'occupation irrationnelle de terrains à forte pente et/ou instables,

l'urbanisation des zones inondables, la déstabilisation de versants par déboisement et par certaines

pratiques agricoles, la modification des écoulements par l'urbanisation et par la construction d'axes

de communication, le sous dimensionnement et/ou l'absence d'entretien des ouvrages de drainage,

les constructions sur remblais et/ou sans fondations profondes... sont autant de facteurs qui tendent

à modifier le milieu physique et les processus de son façonnement et qui tendent à leur tour à

accroître les situations à risque et donc la vulnérabilité des biens et des individus (figure 15).

Concrètement, à La Paz, si les risques de glissement de terrain et d'inondation sont bien présents, le

risque sismique est quant à lui limité (Figure 16). Il n'en demeure cependant pas pour autant

inexistant. En effet, depuis la fondation de La Paz aucun foyer sismique ne s'est situé à moins de 70

km de la ville et aucune secousse dépassant l'intensité V sur l'échelle de Mercalli Modifiée (dont le

maximum est XII) ne s'est produite dans la zone (PDU, tome 1, p B-46). Dernièrement, le 22 mai

1998, un tremblement de terre s'est produit à quelque 400 kilomètres à l'Est de La Paz où il fut

également ressenti puisque l'Observatoire San Calixto de La Paz a enregistré deux secousses à un

quart d'heure d'intervalle, d'une magnitude de 5,9 et 6,8 respectivement (information recueillie sur

le site web de CNN, 22 mai 1998).

Toutefois, et il ne faut pas le négliger, les tremblements de terre de faible intensité, même s'ils

n'engendrent pas de dommages directs sur les établissements humains, peuvent déclencher et

activer des chutes de pierres, des affaissements locaux, des écroulements, des glissements de terrain

qui sont quant à eux susceptibles d'être préjudiciables aux implantations de l'homme et a fortiori

quand celles-ci sont localisées dans des zones présentant originellement un risque.

Enfin, la présence de failles à El Alto, peut, en outre, présenter un risque. Leurs rejeux demeurent

néanmoins très faibles (Ballivián, 1978).

Figure 15 - Interrelations entre implantations humaines / milieu physique de montagne / phénomènes géodynamiques et hydrométéorologiques

Figure 16 - Carte d'aléa sismique à l'échelle nationale

Au regard de cette analyse, il ressort que la vulnérabilité des personnes et de leurs biens au sein de

la ville de La Paz est un fait déjà d'actualité en 1976. Si l'on part du principe que le développement

d'une agglomération passe, entre autre, par la protection de ses structures humaines, économiques et

environnementales, on comprend que les politiques manifestent le désir d'une part de minorer ou

prévenir les risques pour les infrastructures existantes et d'autre part de trouver de nouvelles

alternatives d'expansion avec un minimum de risque. La question qui se pose maintenant est de

savoir grâce à quelles mesures le gouvernement de l'époque s'y est employé.

29C/ ...d'où l'idée d'élaborer un plan de développement urbain

L'objet de ce chapitre est de comprendre quels ont été les objectifs du Plan de Développement

Urbain de la Ville de La Paz de 1976, notamment en ce qui concerne la vulnérabilité et les risques,

et dans un deuxième temps de connaître selon quelle logique, dans quel contexte et à l'aide de quels

moyens techniques, financiers et humains il a été réalisé.

1/ Un contexte de stabilité politique et économique favorable

Depuis 1824, date de son indépendance, la Bolivie a connu pas moins de 300 tentatives de putsch

réussies ou non et quelque 80 présidents ce qui la classe comme étant le pays d'Amérique du Sud le

plus instable politiquement. En 1976-77, Hugo Banzer Suarez est à la présidence depuis 1971. Son

régime dictatorial « assure » une relative stabilité politique et économique qui permet aux pouvoirs

publics de s'intéresser de plus près au problème de la croissance urbaine. « La ville de La Paz ne

possédait alors aucun outil de référence en matière de développement » (Masure, 1996) et seules

existaient « des normes d'un règlement de zonage des sols, lui-même sujet à des changements

périodiques » (Navarro Flores, 1978). Les conditions étaient donc propices à la réalisation d'études

qui visaient à concevoir des instruments de planification adaptés au site particulièrement instable et

contraignant de l'agglomération pacénienne.

2/ Une volonté d'évaluer les contraintes et les potentialités du milieu naturel

afin de réaliser un outil de référence innovateur en matière de planification

urbaine

a/ Les acteurs :

La mairie de l'époque (Honorable Alcaldia Municipal de La Paz), après avoir réalisé un premier

travail intitulé Modelo de Crecimiento Urbano (Modèle de croissance urbaine), avait fait appel à

des organismes étrangers en vue de mettre en oeuvre un plan de développement urbain à moyen et

long terme et d'approfondir certains aspects comme la géologie, les ressources en eaux et en

matériaux de construction, les ressources et contraintes spatiales, les conditions de logement,

l'activité de transport, le secteur industriel, les marchés etc...

Le maire, Mario Mercado Vaca Guzman, tenait plus particulièrement à ce que la planification

autorise une réduction, ou tout au moins une prévention des catastrophes naturelles que subit La

Paz plus spécialement en saison des pluies, de décembre à mars et d'une manière générale tout au

long de l'année. Le mois de janvier 1977 avait été marqué par un glissement de terrain dans le

secteur de Villa Armonia au Sud-Est de Miraflores (pour la localisation, voir Figure 18) qui avait

détruit une dizaine de maisons et coupé une route (Avenida Mejillones). La même année, au mois

de juillet et août, une série de glissements avait affecté la partie médiane de la gorge de Cotahuma,

sur le versant Ouest de la Cuenca, entre Tembladerani et Sopocachi, (Figure 18) mais n'avait pas

occasionné de dommages (PDU, tome 2, D-11).

30C'est ainsi que le B.R.G.M (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), le B.C.E.O.M (Bureau Central pour les Equipements d'Outre-Mer), le S.M.U.H (Secrétariat des Missions d'Urbanisme et d'Habitat) et le bureau bolivien Prudencio Claros y Asociados, furent chargés d'élaborer le Plan de Développement Urbain de La Paz (PDU). b/ Les objectifs et principes de réalisation :

L'objectif général de l'étude consistait donc à réaliser des schémas prospectifs de développement

urbain aux horizons 1990 (moyen terme, soit 15 ans) et 2010 (long terme, soit 30 ans). « Il s'agissait

de partir de perspectives de croissance démographique, économique et spatiale de la ville » (Masure,

1996) qui avaient été calculées en considérant le contexte socio-économique, l'évolution passée de

l'agglomération, puis les contraintes et potentialités environnementales.

C'est donc principalement le concept de « planification environnementale » qui a été suivi dans

l'élaboration du plan. Cette notion peut être définie comme étant la volonté « d'évaluer les

contraintes et potentialités que présente le milieu naturel pour l'aménagement »(Masure, 1996). Les

choix d'aménagement ne sont plus fondés seulement sur des critères économiques à court terme,

mais également sur la considération des coûts (sociaux, financiers, environnementaux) qu'ils

impliquent à moyen et long terme » (Masure, 1996). Ainsi, la volonté de mise en place d'outils

efficaces de gestion du développement urbain ne pouvait être envisagée sans la prise en compte des

caractéristiques physiques du site et notamment son instabilité, « sous peine de voir se multiplier la

dégradation coûteuse des constructions et les phénomènes naturels dangereux » (Masure, 1996).

Aussi, le PDU s'organise-t-il en 8 grandes phases principales (d'après Ph. Masure) :

1 -L'évaluation du cadre géologique,

2 -La définition de conditions climatiques et hydrologiques,

3 -L'étude du milieu écologique,

4 -La réalisation d'un premier niveau de synthèse,

· Evaluation et zonage des risques naturels,

· Evaluation de l'aptitude géotechnique des sols à l'aménagement,

5 -La réalisation d'un demième niveau de synthèse,

6- L'étude de l'organisation de l'espace urbain,

7- La réalisation d'un troisième niveau de synthèse, projet d'organisation environnementale de

l'espace: intégration des données du milieu physique et environnemental et des vocations des zones

élémentaires de la ville à l'aménagement (résidentiel, agricole, industriel, récréatif...),

8 -L'adaptation des plans d'aménagement, sur la base d'une analyse des impacts prévisibles des

projets d'urbanisation; plan d'actions sur le milieu naturel (protection, réhabilitation

environnementales ).

Ces études ont été entreprises par des spécialistes boliviens et français en 1976- 77 et couvrent une

surface de 340 Km carrés. Se distinguent les études écogéologiques menées par 39 spécialistes (378

hommes-mois) et les études urbaines réalisées par 43 spécialistes (280 hommes-mois). Le coût total

de l'opération s'élève à 3,5 millions de dollars américains de 1976. Ces chiffres paraissent

aujourd'hui bien exorbitants.

31

C'est avant tout l'équipe « d'écogéologues » composée de géologues, géomorphologues,

hydrogéologues, géotechniciens, sismologues, hydrologues, etc... du B.R.G.M et les spécialistes de

la mairie qui avaient pour objectif d'analyser les caractéristiques et processus naturels particuliers

au site, puis de « tenter de fixer la morphologie et la rendre plus accueillante, dans la limite des

possibilités techniques et des ressources économiques de la ville » (Masure, 1996). C'est ainsi qu'ont

été entrepris des travaux visant à la réduction de certains risques grâce à des projets spécifiques de

protection (régulation de rios, stabilisation des pentes ) comme l'illustrent, entre autre, les travaux

réalisés en 1977 dans le ravin de Cotahuma, sur le versant Ouest de La Paz. Ces opérations ont

consisté à drainer les talus à l'aide de galeries souterraines en vue de minorer au maximum les

risques de glissement de terrain, les risques d'écroulement et les risques de coulées boueuses qui

menaçaient directement certains quartiers de l'agglomération.

c/ Un exemple de réalisation: la carte de « constructibilité » de La Paz :

La réalisation de la carte d'aptitude à la construction (Figure 18) s'inscrit dans une troisième étape

de l'étude du milieu physique réalisée par les « écogéologues » du B.R.G.M et spécialistes boliviens.

Elle correspond à un document de synthèse qui combine et résume l'étude détaillée des conditions

géologiques et hydrogéologiques du site (première étape), l'évaluation des risques naturels

présentée par la carte d'aléas, et enfin les conditions géotechniques des sols présentées par la carte

géotechnique (seconde étape). Cette adaptation synthétique des informations recueillies

précédemment a servi aux urbanistes pour leurs investigations à propos des potentialités de

développement de la ville.

Cette carte au 1/10 000 présente quatre catégories de secteurs déterminant des conditions

spécifiques d'aménagement. Ces secteurs sont identifiés à l'aide de couleurs :

vert: bonne qualité géotechnique des terrains de fondation. Constructions en hauteur

possibles.

jaune : qualité géotechnique médiocre des terrains de fondation. Constructions basses ou

moyennes.

Figure 17 - Légende de la carte de constructibilité de la Cuenca

33

Figure 18 - Extrait de la carte de constructibilité, secteur de la Cuenca, PDU

Le but de cette première partie a donc été tout d'abord de dresser un diagnostic de la situation de

l'agglomération en 1976 d'un point de vue démographique, social, économique puis

environnemental en abordant les principales caractéristiques topographiques, géologiques,

hydrologiques et climatiques de son site. Cela nous a permis de constater que La Paz en 1976 est

une ville en pleine expansion, caractérisée par une forte croissance démographique, par une

ségrégation socio-économique relativement marquée et par des conditions physiques plutôt

contraignantes pour l'homme dans un cadre où il représente lui-même un élément de perturbation

potentielle pour son milieu. Nous avons pu en second lieu, détailler les notions de risque et

vulnérabilité, particulièrement vérifiées dans le site pacénien, pour enfin envisager l'étude de la

réalisation du Plan de Développement Urbain de la Ville de La Paz (PDU). Ce dernier a été mis en

oeuvre grâce à la collaboration d'équipes françaises et boliviennes en vue de définir des schémas

d'évolution tendancielle en tenant compte des potentialités et des obstacles du milieu physique et

aussi en vue de minorer les risques et la vulnérabilité des biens et des personnes.

Il serait maintenant intéressant de savoir quelles sont vingt ans après les nouvelles caractéristiques

de l'agglomération pacénienne. Les conditions de vie se sont-elles amélioré, la ségrégation socio-

économique s'est-elle réduite, les prévisions du PDU se sont-elles réalisées?

35

DEUXIEME PARTIE

36

II/ EVOLUTION ET SITUATION ACTUELLE DE

L'AGGLOMERATION : DES DECALAGES PAR RAPPORT AUX

PREVISIONS DE 1976?

L'objectif de ce chapitre est d'analyser quelles sont les principales caractéristiques, du point de vue

démographique et économique de l'agglomération d'aujourd'hui et de les comparer avec la situation

de 1976. Il s'agira ensuite, de comprendre quelle a été l'évolution de son emprise spatiale, au cours

des vingt dernières années, puis de confronter l'ampleur de la ségrégation sociale actuelle avec celle

constatée auparavant. Par ailleurs, la métropole d'aujourd'hui, est-elle le reflet des prévisions du

Plan de Développement Urbain ? Les pouvoirs publics ont-ils su suivre ses directives ? Existe-t-il

des décalages ? Si oui, dans quelles proportions ?

A/ Une agglomération, deux municipalités : le nouveau visage de la

métropole d'aujourd'hui

L'utilisation des données du recensement de 1992 s'avère très utile dans la mesure où ce

recensement a été élaboré, grosso modo, selon les mêmes concepts que le précédent de 1976. C'est-

à-dire à l'aide d'une cartographie détaillée divisant le territoire urbain de manière précise en zones

auxquelles est associé un ensemble de données statistiques du type santé, scolarité, emploi,

habitat... Ceci autorise une comparaison avec la cartographie de 1976 bien qu'il faille nuancer, étant

donné que le zonage a été modifié.

1/ Un contexte différent

Avant tout, il est important de noter que le recensement de 1992 a permis de constater un fait

important dans l'histoire de l'évolution urbaine en Bolivie. En effet la population urbaine (vivant

dans des centres de plus de 2000 habitants, selon l'INE) est devenue majoritaire en Bolivie

puisqu'elle représente 58% de la population totale nationale en 1992 contre 42% en 1976.

Toutefois, ce chiffe reste bien faible en regard des taux d'urbanisation des pays voisins (Argentine,

Chili 85% ; Brésil 75% ; Pérou 71 %) (Roux, 1997). Seul le Paraguay compte encore une

population rurale majoritaire (52%).

En 1992, dans le département de La Paz, 63% de la population vit en ville contre 48% en 1976 ce

qui le place comme étant l'un des départements les plus urbanisés de Bolivie.

De même, l'agglomération pacénienne demeure par son poids démographique, la ville la plus

importante du pays. Cependant, bien que sa part dans la population nationale ait augmenté (17,42%

en 1992 contre 13,77% en 1976), elle tend à perdre sa suprématie par rapport à Santa Cruz dans

l'Orient bolivien. Cette dernière rassemblait en 1976 seulement 5,5% de la population du pays mais

10,8% en 1992 avec 697 278 habitants. L'indice de suprématie était proche de 2,5 en 1976 mais il

n'est plus que de 1,5 en 1992. Santa Cruz a connu une croissance démographique (6,42% par an

entre 1976 et 1992) supérieure à celle de l'agglomération pacénienne. Certains la qualifient de

« ville-champignon ».

37

Par ailleurs, en 1985, El Alto est reconnue pour la première fois comme une entité séparée de La

Paz, et est déclarée capitale de la IVème section municipale de La Paz (Baby V.). Ce n'est

cependant que les lois 651 et 1014 du 20 et 26 septembre 1988 qui érigent El Alto au rang de

municipalité autonome dans sa gestion administrative. La ville dispose dès lors d'une mairie

(Honorable Alcaldía Municipal de El Alto) qui se trouve vite confrontée à de nombreux problèmes.

L'imprécision de sa délimitation territoriale, la difficulté de mise à jour de son cadastre sans cesse

modifié (du fait de sa croissance démographique élevée) en sont quelques exemples. La situation

reste ambiguë, car cette autonomie administrative n'est pas accompagnée d'une autonomie

financière. Cette dernière, depuis la loi des municipalités de 1985, n'est réservée qu'aux villes

capitales de département qui, en l'occurrence, reste La Paz (Baby V.).

Néanmoins, la loi 1551 du 20 avril 1994 instaure le nouveau concept de participation populaire

(Ley de Participacion Popular). Cette loi vise à donner une plus large autonomie aux départements,

aux provinces et aux municipalités. Elle est basée sur une redéfinition des limites administratives

nationales, afin d'amorcer une décentralisation des administrations et de la gestion nationale,

excessivement concentrées dans la ville de La Paz. Cette loi ne va pas sans poser problème, plus

particulièrement en ce qui concerne les juridictions et l'attribution des fonctions. Mais dans le cas

de la ville de El Alto elle met en place une plus grande marge de manoeuvre puisque la

municipalité alténienne s'est vue attribuer l'autonomie budgétaire et la gestion des services publics

tels que l'Education et la Santé.

La séparation des deux municipalités, à l'origine de polémiques, semble donc bien être définitive et

renforce la séparation originelle matérialisée par le talus qui lie le rebord de l'Altiplano à la Cuenca.

André Franqueville dans un chapitre intitulé « Villes et réseau urbain de Bolivie » présenté dans les

Cahiers d'Outre-mer commentait en 1990 :

« Parler de deux villes jumelles est un euphémisme, mieux vaudrait parler d'une ville de plus de 1

million d'habitants totalement disloquée, et le point de vue selon lequel la création d'une

municipalité autonome, mais (jusqu'alors) sans ressources, sur El Alto, ne fut pas pour La Paz

qu'une façon élégante de se débarrasser d'un problème économique et social gênant, n'est pas dénué

de tout fondement ».

De même, un article du 11 décembre 1992 d'un quotidien pacénien, El Diario, critiquait: « ...El Alto,

à présent dispose de l'autonomie de gestion faussant totalement l'écosystème et générant des

divisions et un faux régionalisme préjudiciable au développement harmonique de la région » (p19

du mémoire de A.-C. Madelin, 1997).

L'étude comparée des caractéristiques respectives de chacune des deux municipalités s'avère

nécessaire si l'on veut aborder et comprendre de manière globale les principales composantes de

l'agglomération d'aujourd'hui.

38

2/ Un poids démographique accru...

En 1992, l'agglomération compte 1 118 870 habitants contre 635 300 en 1976 (INE) c'est-à-dire

483 600 personnes de plus en 16 ans.

La Paz stricto sensu compte 713 400 habitants en 1992 contre 539 800 en 1976 soit un taux de

croissance démographique annuel de 1,78% au cours de cette période et un accroissement de 32%

de sa population (Figure 19). Quant à El Alto, elle comptait 95 450 habitants en 1976 et 405 500 en

1992 (INE) soit un accroissement de sa population de 325% en 16 ans!

En 1992, elle est classée au quatrième rang du réseau urbain bolivien après La Paz, Santa Cruz et

Cochabamba. El Alto a enregistré entre 1976 et 1992 un taux de croissance démographique

annuelle de l'ordre de 9,23% (INE), taux presque record au niveau national et très élevé dans le

contexte sud-américain. Alors qu'en 1976, El Alto ne représentait que 15% de la population de

l'ensemble urbain, 36% des habitants de l'agglomération en 1992 y vivent. Cela montre

l'importance croissante que tend à prendre la ville altiplanique par rapport à la ville basse.

Si ces taux restaient constants, la population de El Alto doublerait ses effectifs tous les 8 ans, alors

qu'il en faudrait au moins 35 pour La Paz (Madelin A.-C.). D'autre part, la population de El Alto

dépasserait celle de La Paz aux environs de l'an 2002!

Figure 19 - Evolution comparée de la population et de la croissance démographique (Source : INE)

39

3/...qui s'explique par une immigration soutenue...

Les taux de croissance démographique exponentielle sont à mettre tout d'abord en rapport avec

l'immigration massive et inopinée qu'a connu l'agglomération toute entière mais avec une plus

grande ampleur El Alto, dans les années 80. En effet, la Bolivie a connu de grands bouleversements

dans sa structure économique compte tenu de la crise mondiale des années 80 appelée decada

perdida (décennie perdue) en Amérique Latine. Cette crise a été à l'origine d'un autre courant

migratoire d'importance (le premier résultait de la Réforme Agraire en 1953, cf. I/A/1) en direction

de la plupart des grandes villes boliviennes.

« L'effondrement des prêts internationaux au début de la décennie, la hausse des taux d'intérêt de la

dette extérieure, la chute des cours des matières premières minières sur le marché international, et

notamment de l'étain, qui provoque indirectement une baisse des indices de production nationaux,

ont tragiquement affaibli l'économie bolivienne. La production agricole a chuté de 11%, les

exportations de 25% et l'hyperinflation provoquée par la crise a atteint un indice cumulé de

22 000% de 1982 à 1985 » (Baby, 1995).

Face à cette situation de crise, le nouveau gouvernement de Victor Paz Estenssoro, élu au pouvoir

en 1985, décide d'entreprendre un Nuevo Plan Economico (Nouveau Plan économique). Celui-ci

amorce la privatisation des mines nationales entraînant la fermeture de nombreuses mines peu

rentables ou en faillite. C'est ainsi que furent licenciés du jour au lendemain, des milliers de

mineurs qui se virent contraints de migrer en masse avec leur famille en direction des villes, dans

l'espoir d'y retrouver un emploi et une situation meilleure, venant grossir les rangs des migrants

issus de l'exode rural « traditionnel ». Ceux qui migrèrent vers La Paz se sont implantés

principalement à El Alto où les terrains étaient moins chers et où la mairie avait entrepris des séries

d'action comme par exemple la construction du lotissement Villa Adela (El Alto Norte)

spécialement conçu pour eux. Toutefois, comme certains auteurs le soulignent (P. Van Lindert, en

particulier), l'installation des migrants à la périphérie des capitales n'est pas toujours immédiate et

est souvent précédée d'une phase d'installation transitoire dans le centre-ville. En effet, les

nouveaux arrivants sont bien souvent logés temporairement chez un parent installé dans le centre.

En 1992, 42% des alténiens disent être nés hors de la ville contre 24% des pacéniens (INE) et on

estime que 35 000 migrants sont arrivés chaque année dans l'agglomération entre 1976 et 1992

(d'après Dockweiler Cordenas, p 22 du mémoire de A.-C. Madelin, 1997).

D'une manière générale, il apparaît que le peuplement de El Alto résulte beaucoup plus de

l'immigration que le peuplement de La Paz. Ceci est à l'origine de différences notoires entre les

deux sous-ensembles urbains, notamment au niveau de leur comportement démographique.

4/ ...et par un taux d'accroissement naturel élevé

Les taux de natalité et de mortalité bien qu'ils soient d'une manière générale inférieurs aux taux de

1976 n'en restent pas moins élevés et plus particulièrement à El Alto. Ces indices sont des éléments

révélateurs des différences ethniques et sociales qui existent au sein de l'agglomération.

Il est généralement admis que les migrants d'origine rurale, en l'occurrence particulièrement

nombreux à El Alto, ont un comportement nataliste supérieur à celui des citadins. Ils ont tendance à

40garder leur propension à fonder de grandes familles comme dans les milieux paysans traditionnels.

A l'inverse, les citadins adoptent davantage un comportement malthusianiste.

De surcroît, cette idée se vérifie particulièrement bien dans le contexte bolivien dans la mesure où

vient s'y combiner l'origine ethnique hétérogène des habitants. En effet, les immigrés d'origine

rurale venant s'installer dans la métropole altiplanique sont en grande majorité des indiens aymaras

et dans une moindre mesure des indiens quechuas. Ces groupes ethniques sont caractérisés par leur

taux de fécondité traditionnellement élevé. On retrouve d'ailleurs leur trace au travers des langues

parlées. L'aymara est parlée par 60,5% des alténiens et le quechua par 7,5% (INE).

Ainsi, à El Alto, on dénombre en moyenne 5 à 6 enfants par femme contre 5 au niveau national et

contre 3 au niveau de l'agglomération toute entière. Le taux de La Paz beaucoup plus faible vient en

effet minorer le chiffre. Cela s'explique par sa composition ethnique différente, d'une manière

générale moins indigène, bien qu'il faille nuancer, par rapport à celle de El Alto. La population de

La Paz regroupe, certes des indigènes, mais aussi tout un ensemble de communautés blanche et

métissée beaucoup moins procréatrices. Ces derniers correspondent aux descendants d'espagnols,

aux descendants d'espagnols métissés ou encore aux communautés d'européens implantés

récemment (allemands, français pour l'essentiel).

La métropole est donc caractérisée par une natalité beaucoup plus soutenue à El Alto qu'à La Paz.

Cela nous permet de comprendre que 52,2% de la population alténienne a moins de 20 ans! (INE)

ce qui contribue à maintenir sa dynamique démographique naturelle.

Par ailleurs, en 1992, le taux de mortalité et le taux de mortalité infantile (calculé pour ce dernier en

considérant uniquement les nourrissons vivant à la naissance et mourant avant leur premier

anniversaire, selon l'INE) restent élevés puisqu'ils atteignent respectivement 15 pour mille et 59

pour mille à La Paz proprement dite (Madelin, 1997). Ces chiffres sont encore supérieurs à El Alto

mais inférieurs aux chiffres relevés dans les campagnes. Les conditions sanitaires et les

infrastructures de santé sont meilleures en ville, et au niveau de l'agglomération, meilleures à La

Paz.

Entre 1976 et 1992, les taux de natalité et de mortalité ayant baissé surtout pour la ville La Paz

(respectivement 26 pour mille et 15 pour mille), on peut donc en déduire que cette dernière est

passée au deuxième stade de sa transition démographique ce qui n'est pas le cas pour El Alto

(Madelin, 1997).

Même si le taux de croissance migratoire tend à diminuer en direction de El Alto, l'importance de

sa croissance démographique (9,23% par an) est pour l'instant assurée par un accroissement naturel

soutenu. Celui-ci est le résultat de la vitalité nataliste de ses habitants couplée à une baisse de la

mortalité (qui reste malgré tout élevée).

Au terme de ce paragraphe, il ressort que l'agglomération est aujourd'hui divisée en deux sous-

ensembles aux comportements démographiques très distincts. Cela se comprend en analysant

l'origine ethnique des habitants qui les composent. On constate finalement l'importance que tend à

prendre de plus en plus El Alto sur La Paz. Il serait intéressant dorénavant d'étudier quelles sont les

principales caractéristiques économiques de la ville d'aujourd'hui afin de comprendre les

changements qui ont pu se produire depuis 1976, et afin de voir si l'on retrouve également des

disparités majeures entre La Paz et sa voisine altiplanique.

41

B/ Une économie davantage tertiarisée et dont les composantes

diffèrent entre La Paz et El Alto

Le recensement de 1992 fournit des chiffres séparés pour chacune des deux municipalités. Cela

autorise une évaluation plus fine de la situation économique actuelle et surtout cela permet une

comparaison des deux entités de l'agglomération.

1/ Evolution de la répartition de la population active par types d'activités en

1976 et 1992

Dans un premier temps, on constate en 1992, en dépit du fait qu'il existe de légères différences, que

la répartition classique par branches économiques pour les deux sous-ensembles, présente de

nombreuses similitudes. En effet, si le secteur primaire ne représente que 2% de la population

active dans les deux cas (Fig. 20), taux particulièrement faible mais caractéristique dans les villes,

le secteur tertiaire occupe quant à lui, une place importante aussi bien à La Paz, où il regroupe 73%

de la population active, qu'à El alto dans une moindre dimension avec 63% des actifs (INE).

Toutefois, le recensement distingue pour El Alto, 45% des actifs dans le secteur tertiaire et 18%

dans « autres ». Ce dernier chiffre correspond aux personnes recensées ne spécifiant pas la branche

dans laquelle elles travaillent mais dont on peut supposer qu'elles appartiennent au secteur tertiaire

comme le confirment d'autres travaux menés sur l'économie alténienne (Baby, 1995). Le secteur

secondaire rassemble quant à lui 25% de la population active de La Paz contre 31% à El Alto.

Figure 20 - Répartition de la population active en 1992 à La Paz et à El Alto

42

Cette répartition est tout à fait représentative d'une métropole de pays en développement dans la

mesure où le secteur tertiaire occupe une part très importante de la population active alors que le

secteur secondaire demeure faible avec moins de 1/3 des actifs.

En 1976, sur l'ensemble de l'agglomération, 36% des emplois appartenaient au secteur secondaire

et 64% au secteur tertiaire (PDU). Ces chiffres montrent que la tertiarisation de l'économie s'est

confirmée en l'espace de 20 ans. Dans le détail, on remarque qu'aujourd'hui, l'aggloméra1ion

connaît deux entités économiques très distinctes : La Paz et sa soeur altiplanique.

2/ La Paz aujourd'hui : une ville de services

L'étude de la situation de La Paz, met en évidence un affaiblissement de son secteur industriel

pendant la crise des années 80 et un développement de la concurrence. En effet, de nombreuses

industries notamment du textile ont dû déposer leur bilan car des tissus de meilleure qualité et

surtout moins chers, produits entre autre par le Chili voisin, sont arrivés sur le marché. Cela

explique que le paysage urbain soit à présent jalonné de grands établissements manufacturiers ou

industriels à l'abandon, plus particulièrement dans la zone de Vino Tinto en montant vers

Achachicala au Nord de la Cuenca (pour la localisation, voir Figure 33).

Par ailleurs, La Paz avec une population active qui s'élève à 30% de la population totale,

correspond davantage à une ville de services. Les activités du tertiaire se concentrent, de manière

encore plus marquée qu'en 1976, dans le centre de la Cuenca le long d'avenues comme la avenida

Camacho, la avenida Mariscal de Santa Cruz, la avenida ]6 de Julio ou encore dans le Casco

Antiguo (centre ancien intra muros). La Paz est la ville en Bolivie où l'on compte le plus grand

nombre de banques et le plus grand nombre de groupes d'assurance. Elle demeure également,

comme en 1976, le premier centre politique du pays et la ville des ambassades.

La morphologie urbaine centrale est marquée par de nombreux immeubles dépassant souvent les

vingt étages et renforçant son image de Central Business District (Figures 21 et 22). Mais si 73% de

ses actifs travaillent dans le secteur tertiaire, tous ne travaillent pas dans le tertiaire « moderne ». En

effet, quelle ressemblance existe-t-il entre un lustrador (cireur de chaussures) et un avocat ? Ils sont

pourtant classés dans la même branche, d'où l'intérêt de ne pas considérer uniquement l'étude des

trois secteurs d'activité classiques.

Au même titre qu'en 1976, plus de la moitié des pacéniens travaillent encore dans le secteur

d'activités traditionnelles comme l'artisanat, les activités agricoles, les activités d'employées

domestiques (empleadas) et les petits commerces traditionnels en grande majorité tenus par des

femmes (Madelin, 1997).

43

Figure 21 - Aspect de la ville moderne d'aujourd'hui

Figure 22 - Les marchés, une activité traditionnelle omniprésente

44

En outre, la crise des années 80 a contribué à développer l'économie de la cocaïne, dans la mesure

où les boliviens ont du adopté des mesures de survie et ont trouvé dans ce marché une façon

d'augmenter leurs ressources. Comme le souligne Anne Catherine Madelin, ce sujet étant complexe

et délicat, une analyse plus poussée serait nécessaire en vue d'en saisir des éléments

supplémentaires.

Au cours des vingt dernières années, après la crise des années 80, l'économie pacénienne s'est donc

tertiarisée et les activités traditionnelles restent encore bien présentes.

3/ Le cas de El Alto: un secteur secondaire encore important et une

économie parallèle très développée

En ce qui concerne El Alto, bien que la répartition de sa population active dans les grands secteurs

d'activités conventionnels soit assez ressemblante à celle de La Paz, elle n'en demeure pas moins

très différente dans le détail.

En effet, avant tout, 40% de la population est active à El Alto contre seulement 30% à La Paz (est

considéré comme actif, selon l'INE, toute personne âgée de plus de 7 ans ou cherchant un travail).

La différence peut s'expliquer par le fait qu'il y a beaucoup plus de jeunes à El Alto (52,2% des

alténiens ont moins de 20 ans) et que ceux-ci travaillent plus précocement qu'à La Paz. Leur

scolarisation est très réduite voire inexistante devant la nécessité d'aider leurs parents à vivre ou à

survivre.

L'économie alténienne, nous l'avons vu, est dominée par le secteur tertiaire puisqu'il occupe 63%

des effectifs. La première activité de la ville est le commerce qui rassemble 18% des emplois

(INE). Les activités de foire et marché sont omniprésentes dans les rues de El Alto et plus

particulièrement dans le centre La Ceja (pour la localisation, voir Figure 33), à l'Est de la ville au

rebord du talus surplombant La Paz. Deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, a lieu la grande

foire 16 de Julio (du nom du quartier dans lequel elle se déroule), qui s'étend sur des kilomètres et

qui attire des commerçants venus de toute la ville, des alténiens, des pacéniens mais aussi des

personnes originaires des campagnes et villages environnants. Ces foires et marchés sont des lieux

de sociabilité privilégiés et contribuent à animer la vie de la ville.

D'autre part, El Alto regroupe davantage d'industries et d'entreprises artisanales que La Paz. Cette

localisation préférentielle s'explique essentiellement par l'existence de grands espaces bon marché

et par la proximité d'axes de communication dont dispose la ville altiplanique. Mais d'une manière

générale, le secteur secondaire est largement dominé par la construction qui rassemble 1/3 des

emplois du secondaire avec 10% des actifs alténiens (INE). « Les chantiers sont permanents dans la

mesure où la ville est en extension continuelle, mais ce secteur est relativement instable, car les

revenus des travailleurs dépendent des chantiers qui les emploient et de leurs commandes » (Baby,

1995).

45

L'autre caractéristique majeure du secteur secondaire alténien est sa composition poussée en micro-

entreprises dont la plupart sont « invisibles ». Dans une plus grande proportion encore qu'à La Paz,

l'économie informelle est très développée à El Alto comme l'atteste le grand nombre de micro-

entreprises qui sont localisées dans les quartiers d'habitation, dans le logement même des citadins,

sans enseigne donnant sur la rue (Baby,1995). Ces micro-entreprises se caractérisent « par une

rationalité économique où prévaut la subsistance familiale sur celle de l'accumulation » (Baby,

1995). Le niveau de formation y est généralement bas, la productivité y est faible de même que la

rentabilité économique mais elles représentent tout de même une opportunité d'embauche pour les

nouveaux arrivants peu qualifiés qui viennent augmenter chaque année un peu plus la population

alténienne (cf. infra).

« Au niveau spatial, les activités urbaines sont très concentrées dans le secteur de La Ceja, au

détriment des quartiers périphériques où l'on trouve les grandes industries, notamment dans les

quartiers de Alto Lima au Nord et de la zone franche industrielle à l'Ouest » (Baby V.).

Quoiqu'il en soit l'activité parallèle représente indubitablement la véritable dynamique économique

de l'agglomération alténienne. Mais cette situation demeure malgré tout précaire. En effet le taux de

chômage reste élevé puisqu'il est de l'ordre de 12% contre seulement 5% à La Paz. Ce fort taux de

chômage peut s'expliquer, entre autre, par le fait que de nombreux immigrants ne réussissent pas

toujours à trouver du travail. De même, ce sont, selon les sources, entre 80 et 100 000 personnes,

soit ¼ de la population alténienne en 1992, qui descendent quotidiennement travailler à La Paz.

L'intensité de ces mouvements pendulaires montre l'importance de la dépendance de El Alto vis-à-

vis de la ville basse.

Enfin, l'aéroport au cours des « vingt dernières années, a perdu de son poids au niveau national car

celui de Santa Cruz est venu le concurrencer de façon sévère. Ce dernier draine aujourd'hui la

majorité des flux aériens vers la Bolivie aussi bien en ce qui concerne le transport des passagers que

celui du fret. De plus, l'urbanisation alténienne a fini par encercler le site de l'aéroport rendant d'une

part la situation dangereuse et inhibant d'autre part toute potentialité de développement futur.

Au terme de cette analyse il apparaît que, dans le détail, l'aggloméra1ion a connu de nombreuses

modifications dans sa structure économique par rapport à 1976. Il existe aujourd'hui deux entités au

sein de la métropole actuelle bien distinctes de part leurs activités qui reprennent les disparités de

comportement démographique remarquées préalablement entre El Alto et La Paz. Les deux sous-

ensembles sont cependant intimement liés comme l'atteste la vigueur des mouvements pendulaires

visible quotidiennement au départ de El Alto en direction de La Paz. D'autre part, El Alto

représente une réserve d'espaces non négligeable pour les industries pacéniennes. Après avoir

étudié l'agglomération du point de vue de sa démographie et de son économie, l'analyse de sa

dimension spatiale permettrait d'appréhender l'évolution de la trame urbaine depuis 1976.

46

C/ Extension urbaine et densification accrues ; les répercussions sur le

foncier

1/ Physionomie urbaine actuelle et carte du recensement de 1992

En 1992, l'agglomération toute entière couvre 13 000 hectares répartis entre El Alto et La Paz qui

occupent respectivement 6 600 et 6 400 hectares (Baby, 1995). Cette répartition met en évidence

par rapport à 1976, une extension importante de l'agglomération qui ne couvrait alors que 6 000

hectares (PDU), soit une surface urbanisée 2,2 fois plus vaste en l'espace de 16 ans (Figure 23) !

Cet état de fait est bien sûr à mettre en rapport avec l'importante croissance démographique qu'a

connue l'agglomération au cours de cette période. On constate, en outre, que la superficie de El

Alto est supérieure aujourd'hui à celle de La Paz, ce qui n'était pas le cas en 1976 puisque La Paz

occupait environ 3 300 hectares contre 2 700 pour El Alto. Ce devancement s'explique par une

croissance démographique qui a été beaucoup plus élevée à El Alto qu'à La Paz (9,23% contre

1,78% par an). De même cette extension urbaine accrue sur un milieu physique fragile et

contraignant ne doit pas manquer, surtout pour La Paz, de causer aujourd'hui des problèmes.

L'extension s'est déroulée pour La Paz dans la Zona Sur et dans une moindre mesure au Nord dans

la vallée du Rio Achachicala et dans la vallée menant aux Yungas (vallées tropicales humides) en

amont de Villa Fatima (voir carte, page suivante). Les espaces libres en 1976, sur le versant Ouest

de la Cuenca sous le rebord de l'Altiplano, ont été également comblés. L'extension de El Alto quant

à elle, s'est organisée en confirmant les tendances antérieures en direction de l'Ouest, du Nord et du

Sud, le long des principales voies de communication et a fini par encercler l'aéroport.

L'étude de la carte du recensement de 1992 (Figure 24) est intéressante en ce sens qu'elle dénombre

en 1992, 225 zones contre seulement 90 en 1976 (Figure 6). Cela autorise une approche plus

détaillée de l'agglomération dans la mesure où les zones préexistantes ont été divisées (9 seulement

ont été créées). Cette augmentation du nombre de zones recensées s'est avérée nécessaire, car

l'agglomération s'est certes étendue mais également densifiée.

47

Figure 23 - Physionomie de l'agglomération en 1976 et 1996

Figure 24 - Découpage du recensement de 1992 en 225 zones

48

2/ Evolution des densités et analyse cartographique comparative

La densification urbaine procède de plusieurs facteurs. A La Paz, nous l'avons vu, la population a

fortement augmenté au cours des vingt dernières années dans un site confiné aux capacités d'accueil

limitées. La pression démographique a été telle, que chaque espace vide a été urbanisé, sans

d'ailleurs forcément tenir compte de leurs caractéristiques géotechniques.

Parallèlement s'est opéré la « consolidation » des espaces déjà construits par une verticalisation du

bâti afin d'accroître le rapport surface au sol/personnes logées. Le centre de la Cuenca a vu et voit

encore fleurir de multiples immeubles qui dépassent bien souvent 20 étages pour répondre à la

pénurie de logement. Toutefois le loyer des appartements y est très coûteux et par conséquent seule

la population à hauts revenus peut y habiter. De même, la présence de ces édifices en hauteur tend à

détériorer sévèrement le patrimoine architectural de la ville ancienne. Un autre type de

densification plus discret et plus progressif existe également. Il s'agit la plupart du temps d'un

processus individuel qui consiste à ajouter en fonction des besoins et des ressources financières des

familles, d'autres pièces, d'autres étages à la construction initiale. Ces pratiques sont surtout visibles

à El Alto et sur les versants pauvres de la Cuenca.

L'évolution des densités urbaines de La Paz entre 1976 et 1992, a été étudiée par Anne Catherine

Madelin dans son mémoire de maîtrise. Ses cartes, élaborées à partir de photos aériennes,

permettent une analyse détaillée par quartier pour les deux périodes (Figure 25). En ce qui concerne

les densités de El Alto, Virginie Baby dans son mémoire de DEA, a dressé une carte de la situation

de 1992 mais comme elle le souligne, l'INE ne dispose pas de la superficie des zones recensées ce

qui rend le calcul des densités difficile et approximatif. Il en ressort néanmoins que les quartiers les

plus « anciens » à l'Est de l'agglomération sont les plus densément peuplés, car on y dénombre

jusqu'à plus de 240 habitants à l'hectare alors que les quartiers périphériques de l'Ouest, du Nord et

du Sud, plus récemment urbanisés, comptabilisent quant à eux, bien souvent moins de 25 habitants

à l'hectare.

49

Figure 25 - Evolution des densités du bâti entre 1976 et 1992

50

Aujourd'hui, la densité moyenne de l'agglomération est de l'ordre de 86 habitants par hectare. Mais

si l'on compare la densité moyenne des deux municipalités, on constate que bien évidement celle de

La Paz est supérieure avec 111,5 hab./Ha contre 61,5 pour El Alto.

La version 2.0.7 pour Macintosh du logiciel Cabral 1500 inventé par Philippe Waniez, chercheur à

l'Orstom, est innovatrice en ce sens qu'elle permet une représentation des quantités à l'intérieur des

unités spatiales par un semis de points aléatoire. Un point correspond à une valeur choisie

préalablement. C'est la méthode que j'ai retenue pour l'élaboration des deux cartes de la Figure 26

dans la mesure où la représentation classique de la population en cercles proportionnels n'était pas

pertinente. Les populations par zones recensées sont souvent plus ou moins égales et la petitesse

des unités spatiales rendait la lecture de la carte difficile voire impossible. D'autre part le semis de

points aléatoire peut donner une idée des densités par secteur au sein de l'agglomération. Sur la

carte suivante, un point équivaut à 30 individus.

Alors que la carte des zones recensées de 1992 a largement été diffusée par le l'INE, la carte du

recensement de 1976 reste à l'inverse très méconnue et pratiquement inexploitée. Au cours de mes

6 mois de recherche, je ne l'ai rencontrée dans aucun document, dans aucun livre et personne n'en

avait jamais entendu parlé! L'INE m'a finalement révélé son existence et m'en a fourni une copie,

moyennant pécule, dans un format très peu pratique (3 planches de 1m x 1,6m!). D' autre part, alors

que les données statistiques sur l'ensemble de l'agglomération correspondent à 64 zones, la carte en

dénombre 90 ! Il m'a donc fallu pratiquer un réajustement, dans la mesure où certaines données

s'appliquent à plusieurs unités recensées (entre 2 et 5), en divisant alors ces valeurs par le nombre

de zones qui leur est associé.

Le résultat n'est par conséquent qu'une approximation de la réalité et met en évidence les limites du

recensement dès que l'on en exploite les données d' autant que, comme nous l'avons vu, le nombre

et la forme des zones de référence ont changé ce qui complique la comparaIson.

Quoiqu'il en soit, les cartes suivantes permettent de conclure que la trame urbaine s'est

particulièrement densifiée dans les quartiers anciens, alors qu'en même temps son extension

spatiale s'est fortement accrue au cours des vingt dernières années.

51

Figure 26 - Evolution des densités de population entre 1976 et 1992

52

3/ Les répercussions sur les prix du foncier

D'une façon générale, la concentration dans l'espace d'hommes et de leurs infrastructures tend à

faire augmenter les prix du foncier. Ce processus est encore plus vrai à partir du moment où des

actions commerciales de spéculation se mettent en place, aboutissant à la longue à un

surenchérissement des terrains et, la plupart du temps, à des périodes de crises (schéma de la bulle

spéculative). Le cas de La Paz n'échappe pas à la règle. Les valeurs foncières élevées sont

directement imputables à la spéculation. Celle-ci est visible au travers du décalage marqué qui

existe entre les prix cadastraux et les prix pratiqués par les promoteurs et investisseurs

correspondant pour ces derniers, davantage à la loi de l'offre et de la demande.

Il arrive, en cas de forte spéculation, que les prix pratiqués atteignent jusqu'à 4 fois leur valeur

cadastrale (cas de San Jorge). La spéculation est aussi perceptible dans le prix des loyers, souvent

surévalué dans les secteurs densifiés.

La valeur cadastrale d'un terrain définie par la mairie est établie en fonction de ses équipements en

services (adduction d'eau, installation électrique et téléphonique, connexion à un réseau d'égout..)

puis en fonction de sa localisation par rapport au centre-ville et par rapport aux services

commerciaux et administratifs. Son accessibilité entre également en ligne de compte. De même, les

caractéristiques topographiques, climatiques et de constructibilité influence cette valeur. Ceci est

d'autant plus vrai pour la ville de La Paz, dont les caractéristiques environnementales sont très

hétérogènes et contraignantes (voir I/B).

La schématisation cartographique des valeurs cadastrales de La Paz proprement dite, nécessite au

préalable de définir le terme de « macrozone » utilisé par la Direction Générale des Impôts

(Direccion General de Impuestos, qui en distingue trois.

La première correspond aux secteurs de la zone Sud et aux secteurs comme le centre-ville qui

connaissent une densification accrue avec des valeurs cadastrales élevées atteignant jusqu'à 390

USD par mètre carré (valeur d'août 1996). Appartiennent aussi à ce groupe, deux zones isolées au

sud de l'agglomération, la Urbanización del Valle de Aranjuez (B sur la Figure 27) et la

Urbanización Providencia, (Mallasilla) (C sur la Figure 27). Ces dernières correspondent à des

secteurs résidentiels privés, protégés par des enceintes et gardés par des vigiles, où vit la « Haute

Société Pacénienne », dans des villas somptueuses.

La Macrozone 2 est associée à des secteurs dont les valeurs atteignent un maximum de 115 USD

par mètre carré et un minimum de 5,5 USD. Ces secteurs sont majoritairement situés dans une

première couronne extérieure au centre urbain.

Enfin, la dernière macrozone dévoile un ensemble de zones dont la valeur minimale est 4 USD par

mètre carré. Elle correspond aux secteurs non urbanisés alentours où la pression foncière demeure

faible. On la retrouve essentiellement en périphérie Nord, Est et Sud de la ville de La Paz avec

quelques exceptions comme la zone de Callapa (A sur la Figure 27) qui est encerclée par des

secteurs appartenant aux macrozones 1 et 2.

Cette dernière macrozone n'existe pas à l'ouest de la commune de La Paz, car c'est dans ce secteur

de rebord de l' Altiplano que convergent, bien que les pentes soient fortes du côté pacénien,

l'urbanisation de El Alto et celle de La Paz.

53

Figure 27 - Zonage du cadastre

EL

54

En ce qui concerne El Alto, les valeurs cadastrales sont largement inférieures à celles de La Paz, car

la densité urbaine y est moindre. Les prix du cadastre diminuent rapidement depuis La Ceja, le

centre actif, où ils s'élèvent au maximum à 40 USD par mètre carré, vers les périphéries Nord, Sud

et Ouest où les terrains ne valent plus que 2 USD par mètre carré (Gozálvez, 1996).

Il est intéressant de comparer la carte des macrozones cadastrales (Figure 27) avec la carte

topographique (Figure 14) ou avec la carte de constructibilité de La Paz (Figure 18). La première

comparaison montre que les zones à valeurs cadastrales élevées se calquent parfaitement sur les

fonds de vallée. Inversement, les zones des deuxièmes et troisièmes macrozones correspondent aux

parties en pente comme la bordure Ouest de La Paz ou aux secteurs au relief accidenté comme le

secteur de Achocalla au Sud ouest de l'aggloméra1ion (Figure 27). Cette première comparaison

semble logique dans la mesure où les fonds de vallée correspondent généralement à des endroits

disposant d'espaces plus ou moins vastes et plus ou moins plans où l'implantation urbaine s'est

développée en premier lieu et s'y est densifiée (cas du centre colonial).

L'urbanisation des fonds de vallée au Sud et au Sud-Est s'est amorcée lorsque la classe aisée n'a

plus trouvé à proximité du centre que des terrains pentus et instables. Ces fonds de vallée, en dépit

du fait que les prix du foncier y soient élevés, n'en restent pas moins des zones inondables (Valle

Irpavi, Valle Achumani, voir Figure 27). Ce dernier point nous permet maintenant d'introduire la

comparaison avec la carte de constructibilité de La Paz qui va fournir en outre, une explication à la

faible valeur cadastrale des terrains de Callapa (A sur la Figure 27). En effet, nous l'avons souligné

auparavant, ce secteur de la troisième macrozone est encerclé par des secteurs appartenant aux deux

premières zones, de valeurs cadastrales plus fortes. L'observation de cette carte fait remarquer que

cet espace ne permet aucun aménagement possible, d'où la faible valeur du foncier, malgré sa

localisation relativement proche du centre.

En ce qui concerne les deux îlots d'urbanisation Mallasilla et Valle de Aranjuez (B et C sur la

Figure 27), ils correspondent à une exigence d'une partie de la catégorie sociale la plus aisée. Celle-

ci recherche la tranquillité (quartiers éloignés du centre), des conditions climatiques plus favorables

(basse altitude), sans tenir compte des caractéristiques géotechniques peu propices à l'urbanisation.

Ceci sous-entend que des aménagements onéreux ont du être entrepris, et seule la classe aisée

pouvait financer.

Ce dernier point est un élément révélateur en ce sens qu'il permet de mettre en évidence que la terre

est particulièrement prisée dans la ville de La Paz. Cela amène les pacéniens à bâtir de plus en plus

loin du centre surchargé, en négligeant d'ailleurs bien souvent l'aptitude géotechnique des terrains.

Ce processus est bien sûr, directement lié à la densification et à l'extension spatiale accrues qu'a

connues l'agglomération au cours de ces 20 dernières années. D'autre part, l'exemple des quartiers

résidentiels de Mallasilla et del Valle Aranjuez permettent d'évoquer également la ségrégation

sociale qui affecte la ville de La Paz.

Quelle est sa part actuelle dans l'agglomération ? S'est-elle globalement accrue par rapport à 1976

et si oui dans quelle mesure ?

55

D/ Une ségrégation sociale très nette dans l'espace : la confirmation

des tendances antérieures

1/ Une séparation des classes sociales accrue très visible dans le paysage

urbain

Dans le premier chapitre, nous avons remarqué qu'en 1976, il existe déjà à La Paz, des disparités

sociales flagrantes liées aux conditions environnementales. Les populations pauvres s'installent le

plus souvent à El Alto et sur les versants de la Cuenca où les conditions topographiques,

géologiques et climatiques ne sont guère favorables et où le prix du foncier demeure bas. A

l'inverse les habitants aisés s'implantent de préférence dans la Zona Sur où les conditions

environnementales paraissent meilleures (d'après les promoteurs immobiliers...) et où la valeur des

terrains est élevée.

Nous avons vu aussi que l'agglomération de El Alto s'est fortement étendue en direction de l'Ouest,

du Nord et du Sud, et celle de La Paz en direction du Sud et du Sud-Est. Parallèlement, les quartiers

déjà urbanisés se sont notablement densifiés au cours des vingt dernières années. L'étude des

valeurs cadastrales a, en outre, permis de constater qu'il existe des différences spectaculaires en ce

qui concerne le prix du foncier résultant, pour une grande part, de la spéculation immobilière. On

note 2 USD par mètre carré dans la périphérie occidentale alténienne, contre 280 USD pour la

Urbanización Valle de Aranjuez à l'extrême Sud de La Paz (valeurs de 1996). On peut en déduire

que, dans un premier temps, les secteurs d'implantation de la classe aisée et de la classe défavorisée

s'éloignent de plus en plus les uns des autres, et de plus en plus du centre-ville, et que, dans un

deuxième temps, le schéma antérieur, « les riches en bas, les pauvres en haut », se confirme. De

surcroît, l'accès au logement s'avère de plus en plus difficile et problématique pour les nouveaux

arrivants, la plupart originaires du milieu rural pauvre. Bien souvent, ces derniers ont tendance à

s'implanter illégalement.

Par ailleurs, il y a 20 ans, on constatait déjà un certain favoritisme dans le domaine des dépenses

municipales pour la Zona Sur aux dépens de El Alto. Cette dernière fournissait 8% des recettes

fiscales de l'agglomération et ne bénéficiait en retour que de 5% des dépenses alors que les

quartiers résidentiels aisés de El Bajo ne fournissaient que 10% des recettes fiscales mais recevaient

22% des investissements (Baby, 1995). Aujourd'hui, les municipalités de El Alto et de La Paz sont

indépendantes. Mais cette dernière continue à orienter de façon préférentielle ses dépenses vers la

Zona Sur. De même, les opérations municipales (connexion aux services de base du type eau,

électricité...) en faveur de l'intégration et de la revalorisation de certaines banlieues, entraînent

inévitablement une augmentation de la valeur de leurs sols et du prix des locations et anticréticos

(sorte de crédit bail immobilier). Bien souvent, les habitants d'un quartier récemment équipé se

voient dans l'obligation de migrer vers un autre secteur généralement excentré, leurs revenus ne

leur permettant plus de faire face à ces augmentations. Ces constats permettent de souligner le rôle

inattendu et ambigu que peut jouer une mairie dans l'augmentation de la ségrégation à l'intérieur de

sa juridiction.

56Le type d'habitat, au même titre que le lieu d'implantation, est également un élément révélateur vis-

à-vis des inégalités sociales. L'agglomération pacénienne possède des quartiers très distincts les uns

des autres dans lesquels la superficie des propriétés est très variable. Les populations à hauts

revenus sont dans l'ensemble de grandes consommatrices d'espace, alors qu'à l'inverse les

populations défavorisées se voient dans l'obligation de s'entasser. De bas en haut de la ville, on

passe progressivement, des villas somptueuses dans les vallées Sud (Figures 28, 29), aux

immeubles du centre-ville (Figure 21), puis aux maisons en adobe (mélange de glaise et de paille)

et en ladrillos (briques rouges) avec toit de tôle, sur les versants de la Cuenca et à El Alto (Figures

30, 31). Sur les pentes, plus on gagne en altitude et plus les maisons sont rudimentaires et ne

possèdent qu'un rez-de-chaussée, parfois composé d'une seule pièce.

Bien sûr, l'équipement des différents quartiers en services élémentaires (eau, électricité...) n'en

demeure pas moins très inégal.

57

Figure 28 - Calacoto, un quartier résidentiel bourgeois au Sud de La Paz

Figure 29 - Rue pavée, arbres d'ornement et voitures onéreuses, aspect d'une rue de Calacoto

Figure 30 (ci-dessus) - Le versant Ouest de la Cuenca :

au premier plan, des blocs d'adobe, au second plan des constructions dont la

base est en adobe et l'étage en brique rouge, signe d'ascension sociale

Figure 31 (à gauche) - Une ruelle sur le versant Ouest, un secteur défavorisé

2/ Un taux d'équipement en services élémentaires très variable: l'exemple de la desserte en eau: une péjoration de la situation de 1976 ?

D'une manière générale, dans un pays en développement, le taux d'équipement des constructions en

services de base (eau, électricité, égout, et éventuellement téléphone) est fonction de la richesse de

leurs habitants. Que nous enseigne la représentation cartographique, élaborée à titre d'exemple, du

pourcentage de logements équipés en eau courante (amenée par canalisation à l'intérieur ou à

l'extérieur de l'habitation) par quartier en 1976 et en 1992 au niveau de l'agglomération pacénienne

? Vient-elle confirmer ce propos ? Y apporte-t-elle des nuances ? Y a-t-il une réduction des

déséquilibres ?

D'après les données de l'INE, en 1976, 90,2% des logements disposaient de l'eau sur l'ensemble de

l'agglomération. Cette proportion a chuté en 1992 à un taux de 88,3%. Dans le détail, on remarque

qu'une plus grande proportion d'habitations y a aujourd'hui accès à El Alto (85,6% contre 83,6% en

1976) contrairement à La Paz, où elle a diminué (89,8% en 1992 contre 91,3% en 1976).

D'après la figure 32, en 1976, au moins une maison sur deux avait accès à l'eau. En 1992, dans

certains secteurs seulement 10% des habitations sont équipées. On pourrait donc penser que d'après

la représentation cartographique, la situation semble avoir empiré entre les deux dates. Il faut

toutefois prendre garde. En effet, la faiblesse de la dernière valeur s'explique dans la mesure où la

carte du recensement de 1992 autorise une approche beaucoup plus fine de la situation, car elle

possède, comme nous l'avons vu, 225 zones au lieu de 90 en 1976. Ceci permet de déceler

l'existence de secteurs très mal desservis alors qu'en 1976, le découpage en zones beaucoup plus

grandes ne le permettait pas. La comparaison nécessite donc de prendre toutes ses précautions.

L'analyse cartographique révèle qu'en 1976, les secteurs les mieux équipés (où plus de 90% des

habitations dispose de l'eau) se localisent essentiellement dans le centre de la Cuenca, puis dans son

prolongement en direction des vallées Sud et de manière isolée à El Alto. Le fort taux d'équipement

du centre de la Cuenca s'explique par le fait que les quartiers sont pour la plupart déjà anciens et ont

été les premiers reliés au réseau d'eau municipal. Le prolongement Sud-Est est également bien

équipé car il correspond au secteur résidentiel en pleine expansion de la classe aisée qui a des

exigences et qui peut se les offrir.

A priori, de façon surprenante, 5 zones à El Alto connaissent, en 1976, un taux d'équipement

compris entre 90 et 95% et les zones Ciudad Satelite et Villa Los Andes, un taux supérieur à 95%,

bien qu'elles soient récentes et habitées par la classe défavorisée (Figure 32). Leur desserte en eau

très satisfaisante se comprend dans la mesure où elles ne résultent pas d'un développement spontané

et anarchique. Au contraire, elles correspondent à des quartiers planifiés, entrepris par les pouvoirs

publics pour répondre à la pénurie de logements, et conçus avec un réseau d'adduction d'eau.

60

Figure 32 - Disponibilité en eau courante par secteur

61

En 1992, on remarque que le centre de la Cuenca demeure toujours le secteur le mieux équipé. De

même, le quartier de Miraflores situé dans une vallée adjacente à l'Est du centre, et les quartiers de

Calacoto, San Miguel et Achumani dans la Zona Sur, habités par les gens à haut revenus, ont connu

une amélioration notoire de leur desserte en eau (Figure 32). Cependant, certaines maisons

bourgeoises, notamment dans le secteur de Achumani, ne disposent toujours pas de l'eau courante,

et chaque semaine un camion-citerne vient les ravitailler! En effet, l'urbanisation a été extrêmement

rapide et a devancé la viabilisation des parcelles. Ceci reste néanmoins exceptionnel et provisoire.

Le versant abrupt à l'Ouest de la Cuenca reste, quant à lui, dans son ensemble moins bien équipé

que le centre, dans la mesure où il correspond, comme nous l'avons vu, au lieu d'habitation de gens

à bas revenus implantés plus ou moins légalement. Toutefois, les constructions de cette zone sont

davantage approvisionnées qu'en 1976 grâce aux opérations d'intégration et de revalorisation

municipales préalablement étudiées, mais surtout grâce aux captages d'eau et systèmes d'adduction

mis en place par les habitants eux mêmes, regroupés en coopératives, pour palier aux carences du

réseau de la S.A.M.A.P.A (Sociedad Autonoma Municipal para Agua Potable y Alcantarillado :

société autonome municipale pour l'eau potable et le réseau d'égouts).

En ce qui concerne El Alto, la bordure Est, surplombant La Paz, apparaît très bien équipée puisque

au moins 90% des logements y ont l'eau courante, ce qui n'était pas le cas en 1976. Les immenses

terrains de l'aéroport s'avèrent desservis à plus de 90%. En réalité, ils n'abritent qu'un faible nombre

de logements (560) sur lesquels seulement 43 n'ont pas accès à l'eau courante (INE). Les zones

périphériques, surtout à l'Ouest, sont les moins bien alimentées, car l'urbanisation y est très récente,

très peu dense, très excentrée et occupée par les plus défavorisés. Sur l'ensemble de l'agglomération

alténienne, depuis 1976, le nombre de foyers équipés en eau a augmenté aussi bien en valeur

absolue qu'en valeur relative, mais la proportion de logements équipés extérieurement aussi. Ceci

met en avant l'idée que la desserte en services augmente mais elle tend à perdre en qualité. En

outre, certains secteurs équipés ne disposent de l'eau que quelques heures par jours (Baby, 1995).

En résumé, l'agglomération pacénienne révèle des disparités flagrantes en ce qui concerne l'accès à

l'eau, alors que la ressource hydrique abonde avec la proximité de la Cordillera Real, et ce, de

manière encore plus accentuée qu'en 1976. Ces constats confirment l'idée que la ségrégation

augmente à l'intérieur de la métropole. Il serait également intéressant, de cartographier l'équipement

électrique ou téléphonique des logements et leur connexion à un réseau d'égout. Cela permettrait de

souligner aussi les inégalités sociales et les déséquilibres qui affectent l'ensemble urbain. Mais ce

sujet étant un thème d'étude à part entière, nous en resterons à l'exemple de l'équipement en eau.

Les principales composantes démographiques, économiques, spatiales et sociales de la métropole

d'aujourd'hui, nous ont permis de mettre en évidence un certain nombre de problèmes et de

déséquilibres. Cette situation nous amène à penser que l'agglomération a suivi d'autres schémas

d'évolution que ceux proposés par le Plan de Desarrollo Urbano de 1976. Qu'en est-il réellement ?

62

E/ Les décalages par rapport aux directives du Plan de desarrollo Urbano de 1976 : constats et explications :

L'histoire de l'évolution de l'agglomération pacénienne au cours de ces vingt dernières années,

montre que beaucoup de facteurs inopinés sont venus influencer son développement. Ceci permet

d'expliquer l'existence aujourd'hui, de nombreux décalages par rapport aux prévisions formulées

par le Plan de Desarrollo Urbano en 1976. Quelle est l'ampleur des principales déviations visibles

aujourd'hui ? Quelles en sont les causes ?

1/ Exemple de décalages

Rappelons-le, le PDU fut élaboré en 1976-77 par des équipes de spécialistes français et boliviens en

vue d'établir un bilan global de la capitale et de proposer des schémas d'évolution tendancielle à

deux échéances, 1990 et 2010.

Le PDU prévoyait que l'agglomération passerait de 655 000 habitants en 1976 à 1 015 000 en 1990.

En 1992, l'INE recense 1 118 870 individus sur l'ensemble de la métropole. Si les pronostics pour la

première échéance s'avèrent globalement vérifiés au niveau de l'agglomération, dans le détail ils

n'en demeurent pas moins très éloignés de la situation actuelle. En effet, d'après le plan, El Alto

devait comptabiliser 215 000 personnes en 1990. Or, en 1992, cette ville rassemble 405 500

individus, selon l'INE, soit presque le double des prévisions.

D'autres erreurs de calcul concernent également la population de Achocalla, une dépression voisine,

plus au Sud (Figure 33) et la population de Rio Abajo. Le plan estimait respectivement leur

population à 65 000 et 10 000 habitants en 1990. Or, on constate aujourd'hui que ces secteurs n'ont

pas connu le développement escompté. En 1992, la partie en aval des gorges de Aranjuez ne

comprend que 4 670 habitants selon l'INE, répartis entre les quartiers Valle de Aranjuez, Mallasa et

Mallasilla, pour l'essentiel (Figure 33). La population de Achocalla, restée largement rurale, est

estimée à moins de 2 000 personnes (elle ne figure pas dans le recensement de La Paz, ni dans celui

de El Alto et n'apparaît pas non plus comme centre de plus de 2 000 habitants dans la province de

Murillo).

D'autres zones non plus n'ont pas été urbanisées. Alors que le plan prévoyait le développement du

Sud de El Alto, en contournant la dépression de Achocalla, l'urbanisation alténienne s'est surtout

opérée de manière concentrique à partir du centre La Ceja (Figure 33). Les périphéries Nord, Ouest

et Sud se sont développé de manière plus ou moins égale, le long des axes de communication

(Figure 23). L'urbanisation a fini par encercler l'aéroport, alors que le schéma directeur projetait de

le déplacer beaucoup plus à l'extérieur de la ville, sur l'Altiplano (plusieurs sites avaient été

proposés). Il semble qu'il y ait aujourd'hui, peu de chances pour qu'on le change d'emplacement.

Les pouvoirs publics alténiens en manifestent certes l'envie, mais les moyens financiers manquent

d'autant que, comme nous l'avons vu, ce dernier a perdu de son importance au niveau national, au

profit de l'aéroport de Santa Cruz. Cette localisation dans le tissu urbain est dangereuse pour les

habitants qui en plus doivent supporter des nuisances sonores considérables.

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