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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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2) La montée en puissance de la presse contestataire

Selon François Bourricaud, la mobilisation politique des années vingt au Pérou, a pour caractéristique majeure qu'elle développe un très net parallélisme avec la prise de conscience idéologique. Il souligne même que « les divers moments de la prise de conscience idéologique correspondent plus ou exactement aux divers moments du processus de mobilisation »36(*). L'évolution de la presse contestataire n'est pas étrangère à cette évolution, sans pour autant y adhérer complètement. Elle reste porteuse d'un message politique, voir pour certains journaux d'une empreinte nationaliste. Mais la presse anti-gouvernementale ne fut pas à proprement parler, un vecteur d'une idéologie définie et pensée dans le cadre d'un parti ou d'une organisation. Elle fut à l'image de la contestation étudiante qu'elle soutenait, une entreprise souterraine, puis publique, qui va évoluer en fonction d'un régime de plus en plus impopulaire. La prise de conscience idéologique que souligne Bourricaud, va se développer ultérieurement, dans les pages de l'Amauta. Reste que la naissance de cette revue, comme le souligne Valcarcel dans ses Mémoires, est largement tributaire d'un éveil journalistique datant de 1919, et des luttes étudiantes qui l'accompagne.

a) Le rôle de la presse dans la Réforme universitaire de 1920

L'explication de la consolidation d'un noyau contestataire à partir de 1919, dans les principales universités péruviennes, peut donner lieu à de multiples interprétations. Nul ne doute pourtant, de l'influence jouée par le mouvement réformiste argentin de 1918 sur l'expérience péruvienne qui vit le jour quelques temps après. Certains, nous le verrons ultérieurement, voient dans cette suite, la manifestation d'un réveil politique continental, voir les origines d'un possible ensemble structurel à l'échelle de l'Amérique du Sud. D'autres se revendiquent pour des questions politique de l'héritage argentin, en s'en présentant comme les garants idéologiques. Hormis quelques allusions chez certains historiens péruviens, la question de l'influence jouée par d'autres facteurs explicatifs sur ce mouvement, semblent avoir été ignorés. Pour Bourricaud au contraire, ce phénomène repose sur des liens sociaux unissant les étudiants37(*), voir sur leur capacité à pouvoir assimiler un discours de nature idéologique. En revanche, ils sont peu à revenir sur le contexte social de l'époque ou à examiner d'éventuels facteurs internes plus locaux qui auraient pu jouer sur la naissance d'une socialisation étudiante.

Le cas de la presse semble pourtant un élément qui nous permet d'éclaircir la montée de la contestation, sans pour autant y voir un lien de cause à effet. La participation de Mariátegui et de Falcón dans les colonnes des journaux Le Temps (El Tiempo) d'abord, puis La Raison (La Razón) ensuite, nous en illustre même certaines de ces composantes, et la rapidité avec laquelle peuvent se constituer des liens de solidarités. La Razón fut l'un des fers de lance de cette contestation, menant directement campagne à faveur de la Réforme péruvienne dans ses colonnes38(*). Elle en fut, à en croire Jorge Basadre, la mèche qui alluma le feu, tant « le mouvement étudiant de la Faculté de Lettres y trouva un écho favorable »40(*). Cette complémentarité était d'ailleurs si grande, que les deux voix « coïncidaient dans l'essentiel »41(*). Les étudiants en effet, retrouvaient dans les mots de ces deux journalistes, des observations et des critiques sur leur quotidien, parfois si difficile. Car comme le dénonçait la Razón et le Tiempo, les contraintes économiques se faisaient de plus en plus pesantes chez les universitaires, au point que certains d'entre eux ne pouvaient plus mener à terme leur formation. Ces contraintes freinaient leur progression académique, les empêchant de respecter l'obligation d'une assiduité obligatoire, ce qui poussa finalement les grands mouvements étudiants à réclamer l'assistance libre aux cours (Asistencia libre)42(*). Ce journal introduisit une sensibilité nouvelle parmi ces étudiants, surtout parmi ceux qui étaient salariés, et confrontés à ces problèmes. Dans son éditorial, Mariategui y critiquait très sévèrement les responsables universitaires, qu'il jugeait responsables de l'échec des étudiants, en raison de leur incapacité à anticiper, pis à faire face aux problèmes causés par l'élargissement du corps des élèves suite à l'exode rural43(*). Dès lors, la lecture de journal devînt un point de ralliement de la lutte pour l'amélioration du statut étudiant. Forts de leur légitimité parmi leurs jeunes lecteurs, les deux journaux insufflèrent un vent nouveau à la campagne contre l'immobilisme dans l'Université, permettant à cette occasion aux dénonciations contre les méfaits du système universitaire, de prendre place dans l'opinion publique péruvienne. Ils donnèrent dans ce sens une voix publique au mouvement réformiste, ce qui se traduisit très rapidement par une pénétration des critiques contre le corps professoral dans les débats politiques, tant ces accusations avaient un large écho dans l'opinion. La lecture des énoncés du mouvement réformiste donnèrent lieu à des débats, à des échanges, et accrurent le dialogue entre les élèves et les responsables du mouvement étudiants. Elle créa même un tel enthousiasme parmi les jeunes, qu'elle brisa les barrières séparant les élèves d'années différentes, au point que comme s'en souvient Basadre, « à peine les articles de La Razón sortis, et ce qui les suivirent plein de franchise, d'honnêteté, de clarté et de grâce, il y eût une réunion chez l'un des plus importants élèves de deuxième année : José Léon Bueno »44(*) . S'y rendirent les plus entreprenants auteurs de cette audacieuse entreprise. », La juxtaposition entre cette presse et certains étudiants devînt telle, que comme s'en souvient Luis Alberto Sanchez dans ses Mémoires, « tous les matins à onze heures, on se réunissait dans la salle de rédaction, à la vue et patience de Mariategui, qui assistaient souriant à nos joyeuses et belliqueuses sessions»45(*).

Le retentissement médiatique dès le début du mouvement fut tel, que progressivement d'autres journaux de diverses sensibilités accrurent le débat autour des revendications étudiantes. Des journaux comme L'Actualité (L'Actualidad), La Cronique (La Crónica), et même le journal de culture très conservatrice, La Presse (La Prensa), prirent part au débat, soulevant parfois des protestations en défense des professeurs ou des soutiens à l'encontre d'intellectuels proches du mouvement réformiste46(*). Les principales demandes de étudiants réformistes (orientation nationaliste des programmes, participation de représentants étudiants au Conseil d'administration de l'Université, renvoi des professeurs jugés inaptes par les élèves, suppression des listes de classes et des récompenses) traversèrent parfois les rédactions des journaux, où commençait déjà à se politiser le débat. La question étudiante servit progressivement à alimenter les prétentions politiques des grands chefs politiques, qui se prononçaient pour ou contre les étudiants, en qui ils voyaient des électeurs potentiels. La presse prit une part importante dans cette politisation, ce qui entraîna des scissions parmi des journaux. Comme par exemple à El Tiempo, qui vit partir Mariategui et Falcón ne supportant pas le virage pro-Leguia de leur journal. Ces départs expliquent la radicalisation de la campagne menée par La Razón, dont la naissance découle justement de cette scission. Libre de toute contrainte éditoriale, Mariátegui et Falcón se livrèrent alors, jusqu'à leur exil forcé à peine un mois après, à travailler à créer les conditions pour la réunification de toutes les tendances réformistes. Cette indissociabilité entre le mouvement réformiste et le journal fait même dire à Luis Alberto Sanchez, que la naissance du journal et celle de la Réforme est double47(*) .

L'expérience de coopération entre La Razon et le mouvement universitaire naissant dura peu. Quelques temps après la parution des premiers numéros, le gouvernement de Leguia décida déporter Falcón et Mariategui en Europe. Coupables de galvaniser les foules à son encontre, le président les expulsa, tout en leur versant une somme pour leur voyage. Ceci va alors provoquer une vive polémique, surtout parmi les proches du second, qui vont crier à la traîtrise. C'est en Europe que Mariategui se nourrit des idées de Sorel, du marxisme, et de l'ouvriérisme européen, ce qui le poussa à son retour à fonder une revue pouvant introduire ces idées au Pérou afin de briser le pouvoir de celui qui l'expulsa en 1919. Pour finir, cet épisode éphémère du début du mouvement réformiste qui dura jusqu'en 1923, marqua la première grande manifestation journalistique contre le pouvoir de Leguia. Elle fut porteuse en cela d'un éveil journalistique qui, quelques années après, se développa davantage en réaction au renforcement de l'autoritarisme dans le pays.

* 36 Bourricaud François, Pouvoir et société dans le Pérou contemporain, Paris, Armand Colin, 1967, Cahiers de la Fondation nationale des Sciences Politiques, n°149, p.4

* 37 « Le seul lien qui les unit--outre l'identité provinciale ou des institutions comme le compadrazco--c'est un ensemble d'orientations plus ou moins vagues. Ces individus mobiles, parce qu'ils ont bénéficié de quelque instruction, sont beaucoup plus ouverts à un endoctrinement idéologique que leurs sucesseurs, les paysans indiens, qui viendront par la suite s'entasser dans des barriadas. », Bourricaud François, Ibid.

* 38 « Le 26 juillet 1919, nous lûmes dans le journal La Razón, que dirigeait José Mariategui et César Falcón, un article sur le mauvais état de l'enseignement à l'Université, suivi d'un descriptif des professeurs de première et deuxième année de Lettres. Il coïncidait avec os propres observations. », 39 Basadre Jorge, La vida y la historia op. cit., p.185

* 40 Basadre Jorge, op. cit., p.185

* 41 Basadre Jorge, op. cit., p.185

* 42 « Asistencia libre, cette revendication visait à soustraire l'étudiant du contrôle d'assiduité. A première vue, elle ne soulevait donc qu'une question mineure de discipline. A y regarder de plus près, elle substituait une image nouvelle à l'image de l'étudiant traditionnel. Si le señorito pouvait passer tout son temps à l'Université, c'est qu'il était déchargé des soucis matériels par les libéralités de sa famille. Le cholo débarqué de sa province doit travailler pour subvenir à son entretien ; aussi attend-il de ses professeurs une préparation surtout professionnelle et il est moins sensible que ses prédécesseurs aux beautés de la culture classique. », Bourricaud François, op. cit.

* 43 « Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'à partir des années 1920, le système éducatif--à la fois secondaire et universitaire--touche une population de plus en plus nombreuse et qu'il devient ainsi un des canaux de circulation et de passage les plus efficaces. Du coup, l'Université entre dans une crise dont elle n'est pas sortie. », Bourricaud François, op. cit.

* 44 Basadre Jorge, op. cit., p.185

* 45 Sanchez Luis Alberto, op. cit., 435p.

* 46 « Le mouvement étudiant de la Faculté de Lettres trouva un écho favorable parmi les journaux La Razón et l'Actualidad. Ce soutien s'exprima aussi par des articles où s'exprimaient des sympathies à faveur du docteur Enrique Paz Soldán, comme ceux parus dans la Chronique (Crónica) du 29 juillet ou encore ceux de Ezequiel Pinillos dans la Prensa. », Basadre Jorge, op. cit., p.187

* 47 « Après s'être séparés du journal El Tiempo, Mariategui, Falcón, et Del Aguila fondèrent la Razón, avec l'aide d'Alfredo Piedra Salcedo, cousin de Leguia, et d'autres amis, parmi lesquels Sebastián Llorente, Balthazar Caravedo dans de modestes installations situés rue Pileta de La Merced, à peine à trente mètres du Jirón de la Unión, Ce fut là où naquit la Réforme universitaire péruvienne, ou du moins où, se consolida et s'orienta le mouvement. », Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op. cit., p.299

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery