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Les mythes fondateurs de l'A.P.R.A: Témoignages et production historiographique

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par Daniel Iglesias
Université Paris VII-Denis Diderot - Maîtrise d'Histoire 2004
  

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B) Le temps de la collaboration entre l'Amauta et l'A.P.R.A

1) Une revue politique progressiste

Fondée à Lima en 1926 et fruit de la convergence d'un certain nombre d'intellectuels et d'artistes péruviens57(*), la revue péruvienne Amauta demeure l' une des expériences journalistiques les plus singulières de l'histoire contemporaine péruvienne. Publié et dirigé par le journaliste et essayiste péruvien José Carlos Mariátegui, ce périodique contestataire se présenta dès sa parution comme le signe évocateur d'un renouveau intellectuel, culturel, et politique, pour le Pérou et l'Amérique latine. Se voulant « une tribune ouverte à tous les vents de l'esprit»58(*), il incarnait, selon son directeur, un catalyseur idéologique porteur d'un message et d'un esprit. Il était même selon son directeur, la « voix d'un mouvement et d'une génération »59(*) dont les idées avant-gardistes, qu'elles soient socialistes ou communistes, devaient rapidement créer un phénomène de polarisation et de concentration. Son approche contestataire du régime en place, poussa également ce périodique à faire de la pluralité une de ses lignes directrices, avec aussi bien la publication d'articles nationaux qu'internationaux, et une large palette de sujets allant de la politique à la littérature, passant par les problèmes économiques mondiaux.

a) La recherche de régénérescence par la culture

Dès son premier numéro de septembre 1926, la revue se donna pour objectif, « de soulever, d'éclaircir et de connaître les problèmes péruviens à partir d'une approche doctrinaire et scientifique, tout en plaçant le Pérou dans un panorama mondial »60(*). Son titre symbolisait à cette occasion, la volonté de rendre hommage à la culture incaïque, tout en cherchant à refonder la culture nationale en la rattachant aux autres cultures61(*) . Partant d'un désir d'universalisme culturel62(*), Mariategui et les siens étudièrent tous les grands mouvements avant-gardistes dans le monde, introduisant au Pérou de nombreux textes philosophiques, artistiques, littéraires, et scientifiques. Il plaçait d'ailleurs ce travail d'introduction d'idées dans un pays en proie à l'autoritarisme, comme une mission de rénovation sociale en vue de créer « un Pérou nouveau dans un monde nouveau »63(*). La culture en conséquence était appréhendée non pas comme une regroupement des manifestations de l'esprit, mais plutôt en tant que sphère complémentaire du champ politique et de la lutte en vue de l'amélioration des conditions sociales au Pérou et dans le monde. Cette volonté de faire de la culture l'un des prolongements de l'idéologie sociale défendue par la revue, poussa les collaborateurs d'Amauta à publier des extraits des textes de Marx, de Lénine, de Sorel ou encore à encourager l'introduction dans le pays, de l'art indigéniste émanent de la Révolution mexicaine comme les fresques et de peintures de Diego Rivera. Sachant très bien que leur entreprise ne pouvait rencontrer un écho unanime parmi la population, ils décidèrent de recentrer leur choix d'articles autour d'une ligne directrice de plus en plus revendicatrice contre le régime en place, cherchant non plus à séduire uniquement les classes lettrées, mais surtout à mobiliser les forces qui s'étaient exprimées lors de la Réforme universitaire de 1920 à laquelle ils participèrent pour la plus part. Il s'agissait d'acquérir une nouvelle maturité dans la phase revendicative, en cherchant dans les idées venues d'Europe ou d'Amérique latine (la notion de « race cosmique » de Vasconcelos par exemple), des éléments constitutifs d'un ordre, afin de ne point commettre les mêmes erreurs de la première phase contestataire du début des années vingt. Dès lors la littérature, l'art, la poésie, la peinture, devinrent elles aussi, des signes d'un renouveau intellectuel capable de bâtir une nouvelle unité, et de libérer le peuple du joug de Leguia. Or, des premiers signes d'une nouvelle socialisation politique ou plutôt d'une multiplication des liens et de l'affectivité autour d'une même cause politique, dont la revue encourageait la réussite, commençaient à se manifester dans la société péruvienne. Se basant sur ces premières réussites, Mariátegui ne se privait pas d'insister sur la portée historique de sa revue, en exhibant d'ailleurs le symbolisme de sa fondation, qui pour lui, était un fait historique incontournable64(*).

Vitrine médiatique des progrès du Front des Travailleurs Manuels et Intellectuels péruvien, le périodique était le relais des grands rassemblements partisans du mouvement, qu'elle transformait en lieux de communion culturelle, militante et sportive. Des réunions comme celle la Fête de la Plante65(*), devinrent ainsi des symboles du renouveau syndical et social dans le pays. Cette fête du prolétariat, qui réunissait les délégués des syndicats et membres des Universités Populaires Gonzalez Prada66(*), se posait en chantre des valeurs sociales et de solidarité autour desquelles devait se bâtir le renouveau culturel donc politique La poésie le matin, le sport l'après-midi, puis le cinéma le soir, en étaient l'expression, et le vecteur. Lors de cette manifestation, la culture se chargeait de « revendiquer l'histoire, la littérature, l'art vraiment péruvien, et d'en éliminer tous les éléments étrangers, artificiels et bourgeois. »67(*). Cherchant à briser le monopole culturel exercé par le civilisme et une Université, qui selon Mariátegui, n'avait aucun esprit national68(*), la poésie prit une part importante dans ce dispositif régénérateur. Accueillant un concours de poésie où s'illustrèrent des poétesses comme la future grande dirigeante apriste, Magdal Portal, les organisateurs de la Fête de la Plante donnèrent à la poésie d'avant-garde, le rôle d'ériger l'hymne des Travailleurs. Les jurés en effet, José Carlos Mariátegui, Jorge Basadre, Arturo Sabroso, ne devait point juger les qualités artistiques des textes, mais au contraire y dénicher l'esprit prolétaire qui soit en meilleure adéquation avec les revendications et la nature du Front des Travailleurs Manuels et Intellectuels. Ces manifestations qui avaient lieu dans le quartier ouvrier de Lima de Vitarte, servaient également de tribune pour les idées de l'aprisme naissant. Des lettres de l'exilé Haya de la Torre étaient lues aux assistants, et on en profitait pour manifester du soutien au parti, tout en soulignant l'indissociabilité entre l'évènement en cours et les Universités Populaires Gonzalez Prada. Profitant de la portée sociale de l'évènement, Haya de la Torre affichait la réussite des Universités Gonzalez Prada, dont il en faisait un modèle dans la réalisation d'un « programme de total de rédemption du peuple exploité »69(*). Prolongeant son engagement envers l'Amauta de novembre 1926, il ne se privait pas d'appeler les masses à la mobilisation pour la justice sociale et la liberté. Se dirigeant directement à l'auditoire, et utilisant le « nous », il en appelait même à la lutte commune pour la réalisation d'un idéal duquel il fallait en être le soldat70(*) .

Porteuse d'espoir social, la collaboration entre l'Amauta et l'APRA datait des premiers numéros de la revue. Elle portait en germe une attente ou plutôt un pacte que Haya de la Torre avait proposé à Mariátegui depuis Londres. Dans une lettre envoyée à la Rédaction, et publiée par la revue lors de son quatrième numéro, le fondateur de l'APRA exprimait en effet sa volonté de faire de l'entente entre les deux forces, un vecteur de la régénérescence culturelle pour le pays. Il s'agissait de porter sur le devant de la scène, une idéologie nouvelle et synonyme de justice sociale pour « le Pérou que le civilisme méprise »71(*). Le projet visait à exposer un visage culturel nouveau, plus proche des réalités nationales et des aspirations des masses opprimées. Le rôle de l'Amauta dans cette construction, était de véhiculer les valeurs artistiques et culturelles des provinces péruviennes72(*), et de les sortir de l'ignorance dans laquelle le civilisme les enfermait depuis toujours. Outre son soutien à la Fête de la Plante, Haya de la Torre manifestait également dans ses messages pour Amauta son soutien à la fondation de la revue, à qui il rendait hommage et lui souhaitait de réussir son entreprise culturelle. Dès lors la convergence entre les deux parties se fit quasi-naturellement. L'Amauta publia en priorité les messages politiques de Haya de la Torre et ses textes historiques, ainsi que ceux des apristes comme Luis Heysen ou Antenor Orrego. La revue édita même durant deux ans, tous les textes politiques officiels du parti, et la correspondance de ses principaux membres73(*). Elle reprit surtout la définition active de la culture qu'approuvait le mouvement, en publiant beaucoup de textes de l'un des amis d'enfance de Haya de la Torre, l'universitaire Antenor Orrego. Cette volonté de faire de la culture l'un des points essentiels de sa mission mobilisatrice, vit d'un autre côté le périodique, oeuvrer pour la constitution d'une littérature et d'une culture servant de rempart à la « dictature intellectuelle »74(*), responsable selon lui, d'avoir rendu le continent et le pays inertes face à sa singularité culturelle. La réflexion et la recherche de la singularité culturelle, politique et surtout historique, devînt alors l'un des enjeux majeurs pour cette revue, si ce n'est le principal, si bien qu'Antenor Orrego se demandait : « Quelle culture créera l'Amérique ? »75(*). Présentée comme « une aventure, le grand croche-pied de Colomb, la fille du fortuit et de l'inespéré. »76(*), l'Amérique latine ne pouvait se doter d'un renouveau culturel, qu'en posant au préalable la question de l'héritage et des conséquences de la conquête espagnole. Reprenant le caractère libérateur de la culture que cultivait les apristes, l'Amauta poursuivit son travail de publication en encourageant davantage sur la recherche de constitution d'un front intellectuel en Amérique latine. Cette question, au coeur même du projet apriste de 1926, servit alors à prolonger le travail de présentation d'auteurs et d'intellectuels qui furent mêlés aux principaux mouvements que connaissait le continent sud-américain, comme par exemple, José Vasconcelos pour la Révolution mexicaine ou Palacios pour la Réforme de Córdoba. Partant de l'idée lancée par Edwin Elmore de prolonger « les mots de feu avec lesquels les penseurs d'aujourd'hui sont entrain de défier les détenteurs du pouvoir dans le monde, et qui sont reçus dans les âmes des jeunesses d'Amérique latine comme l'écho d'un battement propre »77(*), les rédacteurs approfondirent dès le quatrième numéro, leur quête de mobilisation sociale en Amérique. Prolongeant dans les faits, l'appel lancé par Haya de la Torre en 1926, Mariategui et les siens multiplièrent les appels à la solidarité et au partage entre les universitaires et les intellectuels latino-américains. Ils approfondirent d'ailleurs l'idée d'intégration continentale que prônait Haya de la Torre, en créant une filiation des grands penseurs de l'intégration où ils placèrent Bolívar, Martí, Gonzalez Prada, Vasconcelos, et bien sûr, le fondateur de l'APRA. Ils rappelèrent alors la grandeur de la pensée unificatrice de Bolivar, saluèrent le courage de Martí, l'intelligence de Vasconcelos, la dimension pérégrine de Gonzalez Prada. Ces quatre hommes furent érigés en hérauts de la cause apriste, car porteurs d'une volonté éternelle de doter le continent de structures politiques capables d'apporter la justice sociale. Quant à Haya de la Torre, il fut exhibé en héritier légitime de ce courant de pensée, voire en porte parole d'un nouveau paradigme, celui qui avait enfin compris, le besoin de s'unir pour se prémunir contre l'impérialisme. Or, le seul moyen de le combattre pour les hommes de l'Amauta, était l'union entre les peuples, la solidarité continentale, la prolétarisation de la culture et, principalement, la culture au service de la justice sociale. Les pays d'Amérique latine devaient, en conséquence, commencer par réagir contre les méfaits de l'esprit colonial sur leur société, en encourageant et en partageant les idées nées dans les mouvements porteurs d'espoir tels que la Révolution mexicaine, la Réforme de Córdoba, et surtout la fondation de l'APRA.

Le rapport entre culture et politique fut une constante dans la revue Amauta. Ce rapport témoignait d'une volonté de changer les esprits avant de changer le politique, surtout à partir de 1928, date à laquelle la revue choisit de s'ériger en porte- parole des luttes de l'Union Latino-américaine78(*). Cette question devînt l'une des principales armes contre le pouvoir en place qui, de son côté, se présentait aussi en rupture avec l'élitisme intellectuel hérité du temps de la colonisation espagnole. Le périodique répondit par conséquent sur le même terrain mais de manière critique. Il choisit de dénoncer les différents régimes successifs, en les accusant d'être tous coupables d'avoir perverti l'identité locale au détriment d'une rationalité européenne incompatible avec la sensibilité latino-américaine. Antenor Orrego fit même de l'antagonisme entre les deux cultures et les deux intellects, l'une des raisons qui expliquaient le mieux « le naufrage des délicatesses et de l'excellence culturelle européenne lors de leur arrivée en Amérique et leur substitution par leur nature la plus monstrueuse »79(*). Soudé autour d'une volonté de tout rebâtir à partir de définitions nouvelles et d'une histoire critique, le nationalisme apriste fut introduit par la publication de tout un ensemble de textes historiques et nationalistes. Ces derniers furent même la manifestation de cette recherche prônée par Orrego, si ce n'en furent les outils. Car, tout comme l'Amérique latine demeurait pour les auteurs une fonte des races et des peuples80(*), elle n'en était pas moins à leurs yeux une terre d'Histoire et un passé.

* 57 Antenor Orrego de Trujillo, l'historien originaire de Tacna Jorge Basadre, des anciens exilés en Europe comme César Falcón, des artistes comme Camilo Blas et José Sabogal, des intellectuels comme Alberto Ulloa Sotomayor, Enrique Bustamente y Ballivián, Hugo Pesce, Alcides Spelucín, Oquendo de Amat, César A. Rodriguez, ainsi qu'une cinquantaine d'écrivains et d'artistes qui y contribuait.

* 58 --«No hace falta aclarar expresamente que Amauta es una tribuna libre abierta a todos los vientos del espíritu», Mariategui José Carlos, Amauta, Année I, n°3, novembre 1926, p.1.

* 59 Ibid, p.1

* 60 Ibid, p.1.

* 61 « Cette revue rattachera d'abord les nouveaux péruviens aux autres peuples latino-américains, et ensuite aux peuples du monde entier. », Ibid, p.1.

* 62 « Tout l'humain est nôtre », Ibid, p.1.

* 63 Mariategui José Carlos, Ibid, p.1.

* 64 « Il faut être très peu perspicace, pour ne pas se rendre compte qu'il naît actuellement au Pérou, une revue historique », Ibid, p.1.

* 65 Fiesta de la Planta. Nom donné en hommage à l'Arbre de la Liberté de la Révolution Française. La plantation d'un arbre en était le signe distinctif.

* 66 Fondées en 1920 par Víctor Raúl Haya de la Torre, sur le modèle des Universités Populaires créées au moment de l'affaire Dreyfus par un ouvrier libertaire, Georges Deherme.

* 67 Haya de la Torre Víctor Raúl, « Nuestro frente intelectual», Amauta, Année I, n°4, décembre 1926, p.3

* 68 « L'éducation nationale, n'a par conséquent, aucun esprit national : elle a plus un esprit colonial et colonisateur... », Mariátegui José Carlos, Siete ensayos interpretación de la realidad peruana, Lima, Empresa Editora Atahualpa, 1977 [1928], p.106

* 69 « La fiesta de la Planta», Amauta, Année II, n°6, février 1927, p.34

* 70 « Pensons en la responsabilité que suppose mener à bien notre programme de revendication, et de liberté face à l'exploitation. Il ne suffit pas de compromettre la justice à notre lutte, il faut en être le soldat, et tout faire pour que le peuple nous suive derrière nos drapeaux », Ibid, p.35

* 71 Víctor Raúl Haya de la Torre, op. cit., p.4

* 72 « Revendiquez ce qu'il y a dans le Pérou populaire, dans le Pérou des producteurs, dans le Pérou des montagnes oubliées. Revendiquez les écrivains et les artistes provinciaux, victimes de tous le mépris du civilisme national », Víctor Raúl Haya de la Torre, op. cit., p.4

* 73 « L'Amauta publia dans ses dix-sept premiers numéros, tous les communiqués, déclarations, votes, et motions de la section parisienne de l'APRA, aux mains de Luis Heysen et Eudocio Ravines », Sanchez Luis Alberto, Testimonio personal. Memorias de un peruano del siglo 20, op. cit., p.306

* 74 Orrego Antenor, Cultura universitaria y cultura popular», Amauta, Année III, n°16, juillet 1928, p. 35

* 75 Orrego Antenor, « El gran destino de América. Qué es América?», Amauta, Année III, n°12, février 1928, p.13-14

* 76 Ibid, p.14

* 77 Elmore Edwin, « La batalla de nuestra generación», Amauta, Année I, n°3, novembre 1926, p.5

* 78 Association politique regroupant les principales figures de la gauche non marxiste latino-américaine qui luttait pour l'instauration d'une nouvelle culture nationaliste à l'échelle du continent.

* 79 Orrego Antenor, op. cit., p.14

* 80 « L'Amérique latine est un noeud. En elle se croise les chemins de toute les races. Elle est la convergence historique de l'Orient et de l'Occident. » Orrego Antenor, op. cit., p.14

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