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L'utilité chez Hegel et Heidegger

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par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

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Les limites du développement du machinisme : nécessité d'une maîtrise de l'instrumentalité par l'homme

Si Hegel appréhende les contours de l'utilité d'une manière non négative, il en critique très vite les excès. Il assiste personnellement aux débuts d'une ère du machinisme, où les machines remplacent peu à peu les outils. Or, la machine modifie le rapport de l'homme à la nature qu'avait instauré l'outil car dans l'outil, l'homme reste médiatement en contact avec la nature qu'il travaille, il participe de sa transformation. La machine confisque un certain rapport de l'homme à la nature. "Dans la machine, l'homme supprime même cette activité formelle qui est sienne et fait complètement travailler cette machine pour lui". 71(*) L'homme supprime son activité agissante par laquelle il manifestait son essence (c'est le sens de "qui est sienne") et devient un être passif car il "fait complètement travailler". Dans cette passivité, il transfère les produits de son travail en même temps que son travail à un autre que lui, la machine. Il risque de transférer le contenu culturel à un objet inerte : le risque extrême du machinisme, c'est un processus de réification de la culture. "Mais cette tricherie dont l'homme use face à la nature et par laquelle il s'arrête en deçà de la singularité de la nature se venge contre lui". Hegel parle de "tricherie" et non de ruse car la "tricherie", c'est l'imposture de la ruse, la mystification de la ruse, où le rusé ne voit même pas l'effet rétroactif de sa ruse. L'homme croit qu'avec la machine, il pourra travailler plus efficacement l'objet naturel et c'est pourquoi "il s'arrête en deçà de la singularité de la nature". Dans sa "tricherie", l'homme se fait berner par la nature ; celle-ci "se venge" en accroissant sa dépendance par rapport à elle. "Et par cette manière formelle et trompeuse, dans la mesure où l'individu se soumet la nature, il ne fait qu'accroître sa dépendance vis-à-vis d'elle". 72(*) Plus l'homme veut se soumettre la nature, plus il devient dépendant d'elle et plus il se dédouane du contenu culturel.

La perte de l'instrumentalité constitue une perte de culture et une perte de rapport social. L'évolution peut être retracée de la manière suivante : nous sommes passés de l'outil à l'instrument qui est plus développé que l'outil, à la machine. L'outil reste entaché des besoins primaires de l'homme alors que l'instrument manifeste une plus grande maîtrise. En outre, le développement des machines ne fait pas que menacer la culture mais aussi la société. Alors que les buts du machinisme étaient l'augmentation des biens et des richesses et la socialisation de l'homme, Hegel constate un double échec puisque le monde domine l'homme et son travail est déprécié ainsi que le fondement social. La machine qui en apparence possède plus d'utilité pour l'homme, a en fait moins d'utilité que l'instrumentalité. La machine constitue un appauvrissement de l'instrument et non un enrichissement. L'homme doit toujours rester en contact avec son "moyen-terme" qui ne doit pas être séparé de lui. La machine devient la réification du travail vivant, par lequel l'homme se forme et fonde en même temps le rapport social. Alors que dans le travail qu'il effectuait, l'homme essayait de satisfaire son besoin qui était un besoin universel, le machinisme l'éloigne de cette satisfaction et le renvoie à une singularité du besoin encore plus abstraite et le plonge dans une structure de dépendance par rapport à ce besoin singulier. Le travail de la machine est "une opération éloignée [qui] gêne subitement et rend superflu et inutilisable le travail de toute une classe d'hommes qui, par lui, satisfaisaient leurs besoins". 73(*) Le travail de la machine défait le travail actif qu'avait effectué l'homme pour se forger comme être social et comme être culturel. Le terme "inutilisable" (unbrauchbar) est évocateur : le préfixe allemand Un- invalide complètement ce qui suit. Mais le travail de la machine est non seulement unbrauchbar et "superflu" en ce sens qu'il ne crée plus de rapport social, mais il devient aussi unnützlich, inutile à "toute une classe d'hommes". Le terme unbrauchbar montre l'invalidation du Brauchen, c'est-à-dire de tout ce qui relève de l'organisation du besoin tandis que le terme unnützlich insiste sur le non-rapport établi entre les hommes. Avec le machinisme, on supprime cette "classe d'hommes", on réduit le travail de plusieurs à un travail singulier, sans hommes. Le travail se trouve dépossédé de sa valeur, la hiérarchisation sociale qu'il impliquait est détruite. Il faut que l'homme évite cette "tricherie" ; cette ruse faussée que constitue le développement des machines ; à lui de reprendre les commandes et de réutiliser la nature et non plus de se faire réutiliser par elle ! La "tricherie" doit redevenir ruse, c'est-à-dire que la machine doit redevenir un instrument car c'est l'instrumentalité qui manifeste pleinement la ruse de l'homme par rapport à la nature. Hegel ne plaide pas pour une destruction des machines mais pour une redistribution des rapports entre la machine et les hommes ; il ne faut pas que le tissu social se désagrège.

Il est intéressant, après cette brève étude, de démêler les différences entre Hegel et Heidegger, quant à la conception de la nature. Hegel considère la nature à travers le rapport à l'homme, le travail et la relation dialectique qui commence à s'instaurer entre l'homme et celle-ci. Dans un deuxième temps, la nature est considérée comme l'autre de l'Esprit ; l'esprit est cette entité qui nie totalement son environnement, et la nature constitue le résultat de cette négativité. Hegel appréhende donc la nature du point de vue de l'homme et de l'Esprit tandis que Heidegger l'appréhende du point de vue de la nature, et du point de vue des Grecs. La nature est physis, c'est-à-dire une partie de l'Être qui se dévoile et se voile en même temps. Il conçoit la nature en sa vérité et son essence mais il condamne bien évidemment "l'objectivation technico-scientifique de la nature"74(*). La nature se joue de l'homme mais ce n'est pas l'homme qui se joue de la nature. Heidegger entrevoit les excès d'un comportement aberrant de l'homme, d'un comportement "commettant" où l'homme provoque ostensiblement la nature. Cette pensée développée de la nature se trouve chez le dernier Heidegger car dans Être et Temps, l'ambiguïté reste présente : appréhende-t-il la nature à travers l'usage et la visée d'ustensilité ? En tout cas, l'ouverture du Dasein à l'Être est encore insuffisante. Il s'appuiera par la suite sur la définition d'Héraclite, "la nature aima à se cacher", ce qui prouve qu'il se place exclusivement du point de vue de la physis. Pour Hegel, c'est la relation féconde entre l'Esprit et la nature qui est primordiale et non la nature elle-même. Jamais il ne dissocie l'homme de la nature et ce n'est pas pour autant qu'il les confond.

* 71 G.W.F HEGEL, Prem. phil. de l'Esprit, Trad. Franç. Guy PLANTY-BONJOUR, éditions PUF, coll. Épiméthée, Paris, 1969, p.125.

* 72 Ibid., p.128.

* 73 Ibid., p.128.

* 74 Martin HEIDEGGER, Chemins qui ne mènent nulle part, Trad. Franç. Wolfgang BROKMEIER, éditions Gallimard, coll. TEL, Paris, 1962, p.50.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon