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L'utilité chez Hegel et Heidegger

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par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

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les complications de l'utilité dans le système des besoins de la société civile : échanges et intérêts

C'est au coeur de la troisième partie qu'Hegel évoque la notion de société civile qu'il a empruntée à l'anglais Ferguson, auteur d'un Essai sur l'histoire de la société civile (publié à Londres en 1766). Hegel traduit l'expression originelle Civil Society par Bürgerliche Gesellschaft, c'est-à-dire littéralement "société bourgeoise". La société civile se confond avec le développement de la société moderne ; en effet, la famille, en tant qu'unité harmonieuse de l'individu avec la tradition est incapable de satisfaire tous les besoins de l'homme et ne peut pas se maintenir en tant qu'unité morale. On entre dans la famille en renonçant à l'individualité, on en sort en tant qu'individu indépendant, mûr, adulte et isolé. La société civile naît d'abord d'une contradiction des intérêts au sein de la famille : ou bien les enfants une fois éduqués se révoltent contre leurs parents et détruisent la famille en tant qu'unité morale ou bien ils réalisent leur égoïsme en dehors du cadre familial. C'est cette deuxième possibilité qui affirme la naissance de cette société civile et qui apparaît comme une association des membres qui sont des individus indépendants dans une universalité formelle. La société civile se fonde sur le but égoïste et est l'organisation d'une dépendance économique entre les différents individus. Hegel appelle le domaine constitué par les actions indépendantes et égoïstes le "système atomistique"(Das System der Atomistik). "Système" signifie ici que les membres de la société civile ainsi formée ne sont pas absolument indépendants les uns des autres, mais seulement relativement. Les individus défendent leurs intérêts propres et l'utilité est conçue comme un rapport social en tant que satisfaction d'une pluralité d'intérêts égoïstes. Elle n'apparaît pas uniquement comme un compromis mais comme un système réel, c'est-à-dire une organisation des échanges libres entre les différents intérêts. Le lien entre utilité, intérêt et échange est ici manifeste car c'est lui qui structure de part en part la société civile. On pourrait dire que la société civile est une communauté des égoïstes qui reste une communauté sans substance c'est-à-dire sans but positif commun tel que l'État par exemple. Elle demeure quand même une société dans la mesure où elle maintient entre les individus un rapport social qui détermine leur existence en référence à des normes collectives. L'Universel n'est qu'un moyen et ce moyen est au service des fins particulières des individus : la société civile, c'est la société de l'utilité instituant l'utilité du rapport social. J'utilise la société pour assouvir mes besoins et l'autre utilise cette même société pour assouvir ses propres besoins, il existe donc comme une circulation de cette utilisation. Une telle société utile est une société individualiste et libérale c'est-à-dire libre-échangiste : elle reconnaît les droits de chaque individu à se procurer des biens matériels. Elle n'est pas non plus un chaos puisqu'elle exige que l'existence universelle et juridique de l'individu soit assurée.

Cette société de l'utilité repose sur des besoins qui se prolongent infiniment ; comme le dit Hegel au paragraphe 183, elle est "d'abord l'État externe, l'État du besoin et de l'entendement". 80(*) Le bien-être des individus dépend du bien-être de la collectivité et le terme "entendement" fait référence aux premières analyses des compositions mécaniques de la société par les économistes du XVIIIe siècle, analyses dont Hegel s'inspire d'ailleurs. Cependant, cette société civile ne fonctionne pas par une utilisation immédiate des besoins, il faut qu'elle passe par une médiatisation de ces besoins et cette médiatisation s'effectue par le travail. "La médiation du besoin et la satisfaction de l'individu par son travail et par le travail et la satisfaction de tous les autres : c'est le système des besoins". 81(*) La société civile est une complication de l'utilité et cette complication se traduit par une systématisation des besoins. Le besoin entre dans un système c'est-à-dire qu'il est socialisé, devient libre en ce sens qu'il ne dépend plus seulement des contraintes de la nature. La nature est incapable de le médiatiser c'est-à-dire d'y introduire cet élément universel, cette réflexion, qui en fait un besoin proprement humain. On peut de ce fait affiner la définition de la société civile : la société civile n'est pas une société de l'utilité immédiate mais une société de l'utilité médiatisée c'est-à-dire de l'utilité humaine. La société civile est "l'État de l'entendement", dans la mesure où ce sera l'entendement lui-même qui découvrira l'universalité et les règles qui régissent la société du travail. Le besoin socialisé n'est plus seulement donné dans sa particularité, mais il est organisé et représenté : entre sa manifestation et son assouvissement s'interpose une médiation, celle du système dans lequel il doit prendre place pour exister comme besoin. Or, pour Hegel, "L'économie politique est la science qui a son point de départ dans ce point de vue et qui a, par suite, à présenter le mouvement et le comportement des masses dans leurs situations et leurs rapports qualitatifs et quantitatifs". 82(*) Hegel montre la constitution de cette nouvelle science et se réfère aux grands économistes tels que Smith, Say, Ricardo. C'est l'entendement qui a inventé l'économie c'est-à-dire que c'est l'entendement qui a réfléchi sur l'élaboration des rapports concrets entre les humains. L'entendement a son utilité dans le fait qu'il est l'analyste et le critique de ces différents rapports. C'est lui qui différencie, c'est lui qui alerte, c'est lui qui pense en termes de rapports. Le paragraphe le plus important est sans aucun doute le paragraphe 190 : Hegel attire notre attention sur ce point essentiel qui est que c'est dans le domaine de l'économie qu'apparaît une différence fondamentale entre l'animal et l'homme. L'animal a peu de besoins et peu de moyens pour les satisfaire alors que les besoins humains et les moyens de les satisfaire sont différenciés : le besoin concret se voit décomposé en ses éléments abstraits par le système de production de la société. Le besoin animal ne peut être qu'immédiat et instinctif, il est fini alors que l'homme possède les moyens de créer d'autres besoins et d'autres satisfactions. L'homme est cet être capable d'inventer ce qui lui est utile, l'utilité peut de ce point de vue être considérée comme une production proprement humaine. "L'état social s'oriente vers la complication indéfinie et la spécification des besoins". 83(*) Ce processus est infini et dans cette "complication", il peut y avoir un raffinement (Die Verfeinerung). Plus les besoins se multiplient, plus ils se raffinent. Le système des besoins est un système produit par l'entendement, il est donc un système fini de différenciations infinies. On ne peut pas, comme le fait Heidegger, ramener constamment l'utilité au niveau des besoins vitaux. Hegel pense de manière radicale le besoin humain comme besoin artificiel complètement différent du besoin naturel. Et en outre, le paragraphe 190 définit pleinement l'humanité de l'homme : " Dans la société civile en général, c'est le Bürger (comme bourgeois), et ici, au point de vue du besoin, c'est la représentation concrète qu'on appelle l'homme". 84(*) Il précise "Bürger (comme bourgeois)" pour qu'on le distingue de Bürger comme citoyen car le terme allemand Bürger a ces deux acceptions différentes. Dans cette définition, l'homme concret est d'abord l'homme économique, c'est-à-dire celui qui médiatise ses besoins. L'homme n'est pas un "animal politique" comme Aristote l'a affirmé mais un animal économique et social. Le bourgeois est l'accomplissement positif de l'homme, car l'homme est cet être social qui cultive ses besoins, bref un individu social besogneux. Le besoin humain, en tant que besoin d'emblée cultivé et fait par l'entendement, n'existe, et dans sa position et dans sa négation, et dans sa détermination et dans sa satisfaction, qu'à travers le travail, négation naturelle d'emblée abstraite de la nature. C'est bien dans cette remarque du paragraphe 190 que l'homme hégélien est défini. Heidegger a ignoré cette réflexion économique, il en reste alors à une vision de l'utilité prise dans une critique de la technique et de la science, c'est-à-dire dans une critique de la techno-science. S'il s'est livré à quelques réflexions politiques quelque fois ambiguës, il ne s'est jamais vraiment intéressé au domaine de l'économie politique. Or, Hegel a défini véritablement l'homme concret, celui qui produit son rapport au monde, celui qui humanise ses besoins en les organisant dans un système. La complication des besoins va dans le sens d'un affinement, elle n'est pas une réplication ou une multiplication indifférenciée des besoins. Heidegger voyait dans l'utilité une indifférenciation naissante, Hegel y voit la possibilité d'une différenciation infinie qui passe par cette complication.

* 80 G.W.F HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Trad. Franç. André KAAN, éditions Gallimard, Paris, 1940, p.153.

* 81 Ibid., p.157.

* 82 Ibid., p.157.

* 83 Ibid., p.160.

* 84 G.W.F HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Trad. Franç. André KAAN, éditions Gallimard, Paris, 1940, p.158.

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