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L'utilité chez Hegel et Heidegger

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par Christophe Premat
Université Paris I - Mémoire de philosophie 1998
  

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le statut de l'utilité dans le travail

Le travail est le processus qui permet de différer le besoin en le cultivant et c'est précisément ce besoin cultivé qui est reconnu et présenté à travers un système global. Il faut qu'il se présente dans une conformité à une norme générale qui devient la condition préalable de sa singularisation. Le travail singularise le besoin, il lui donne une forme proprement humaine. Cette singularisation n'est pas immédiate, elle passe par une confrontation nécessaire avec l'Universel existant. Ainsi, l'objet travaillé est nié dans sa singularité d'objet naturel, et c'est le besoin qui se charge d'une valeur singulière. "Par les procédés les plus variés, [le travail] spécifie la matière livrée immédiatement par la nature pour différents buts. Cette élaboration donne au moyen sa valeur et son utilité"85(*). Dans la première phrase, on peut relever les termes "variés", "spécifie" et "différents", qui montrent la richesse du travail, richesse qui est une élaboration infinie. Je peux travailler et utiliser la matière d'autant de manières que je veux c'est-à-dire que j'applique la matière aux buts que je me suis donné : le processus de médiatisation est infini, alors que l'immédiateté est finie puisqu'elle désigne l'ensemble des manifestations extérieures de la matière naturelle.

En outre, un besoin n'est jamais isolé, il a toujours besoin des autres besoins du système : je sélectionne les autres besoins et les convertis en moyens pour satisfaire ce besoin. Le moyen acquiert ainsi une importance : Hegel emploie les termes de "valeur" et d'utilité". Seul l'homme est capable d'attribuer une valeur et une utilité à chaque chose : il lui donne une valeur parce qu'elle peut être utile pour autre chose. Ici apparaît une distinction essentielle que Marx ne manquera pas d'établir dans son ouvrage La Misère de la philosophie : l'utilité ne se réduit pas à l'utile. Marx écrit dans cet ouvrage qui répond aux théories de Proudhon : " Le produit qu'on offre n'est pas l'utile en lui-même. C'est le consommateur qui en constate l'utilité. Et lors même qu'on lui reconnaît la qualité d'être utile, il n'est pas exclusivement l'utile". 86(*) Cette distinction que Marx effectue entre "l'utilité", "l'utile" et la "qualité d'être-utile", est déjà présente chez Hegel même si elle est parfois implicite. L'utile n'est pas une chose, il ne se rassemble pas en une catégorie finie mais il est plutôt une relation. L'utile n'est pas non plus une singularisation ou une qualification car beaucoup de choses sont utiles : la qualité d'être-utile n'est pas non plus assez discriminante même s'il peut y avoir une hiérarchisation entre certains produits suivant leur utilité. Or, quand Marx écrit : "c'est le consommateur qui en constate l'utilité", cela signifie que seul l'utilisateur, celui qui fait usage du produit, peut reconnaître son utilité. D'une certaine façon, l'utilité se manifeste toujours a posteriori, il faut un constat de l'usager, ; elle devient alors une réflexion, elle ne peut être a priori. Nous ne ferons pas un développement sur l'utilité chez Marx mais ce passage permet d'éclairer la théorie hégélienne. D'ailleurs, à la fin du paragraphe 196, Hegel écrit : " L'homme dans sa consommation rencontre surtout des productions humaines et ce sont des efforts qu'il utilise"87(*). Cela signifie que le consommateur en tant qu'il consomme, ne consomme que des produits élaborés pour lui qui ont nécessité un travail, et en consommant, il encourage ce travail, il le fait exister. Il faut penser ici très étroitement la relation concrète qui s'établit entre le travail, la production et l'utilité. La société civile repose sur cet équilibre : le travail produit un résultat qui est directement utile à l'homme en tant que consommateur. La consommation est une utilisation qui motive un échange entre "l'homme dans sa consommation" et l'homme dans sa production parce que si Hegel écrit "l'homme dans sa consommation", c'est qu'il présuppose que l'homme existe aussi en tant qu'être producteur. L'utilité, c'est le fait de travailler pour satisfaire le besoin temporaire et temporel d'un autre, cet autre travaillant lui-même à un autre moment pour satisfaire mes besoins. Il existe une relation d'échange indirect entre les individus sans qu'ils se rencontrent car le consommateur ne "rencontre" que des productions et jamais les producteurs. L'utilité est l'interaction de l'activation de la production et de la consommation, activation qui est infinie, car l'homme peut créer lui-même de nouveaux besoins pour le consommateur.

Aujourd'hui, nous vivons dans la "société de consommation" qui est une généralisation universelle et encore abstraite de cette société civile et on se rend compte que Hegel avait déjà pensé bien avant les relations économiques que pouvaient avoir les individus entre eux : tous les mécanismes de la société de consommation sont déjà inscrits au coeur de la société civile qui est un processus infini de diversification des besoins et des productions et donc de la relation entre "l'homme dans sa consommation" et l'homme dans sa production. L'utilité amène et concrétise ce lien sous forme de richesse. En effet, la spécification des travaux et des productions aboutit à une division des travaux et des revenus. Dans cette division du travail, il sort deux types de richesses, une richesse universelle et une richesse particulière. Le travail produit une accumulation des richesses et il est intéressant d'envisager le statut de l'utilité d'un autre point de vue. Au paragraphe 199, Hegel écrit : "chacun en gagnant produisant et jouissant pour soi, gagne et produit en même temps pour la jouissance des autres". 88(*) La relation d'utilité inclut une dialectique subtile entre les richesses particulières et les richesses universelles, elle est une médiation du particulier par l'universel : chacun peut produire pour soi de manière égoïste et au fond même de cet égoïsme, de cette particularité finie, l'Universel est présent car celui qui produit pour soi, produit pour tous sans s'en rendre compte. L'utilité est l'expression d'une ruse de l'Universel qui est présent au coeur de toutes les particularités. C'est grâce à cette ruse que la société civile maintient son existence. Le "pour-soi" est réversible dans un "pour-un-autre" : l'universel utilise les différentes particularités pour s'accomplir. Il ruse avec la structure d'égoïsme qui est une structure d'enfermement et d'autosuffisance car l'être égoïste, pour n'avoir besoin que de lui, a besoin des autres. L'égoïsme absolu ne peut pas exister, il faut nécessairement une médiation : il faut poser l'autre même si c'est pour le nier, mais on ne peut jamais évacuer cet autre d'emblée. Hegel donne un autre éclairage sur cette ruse que dans la Phénoménologie de l'Esprit par exemple. Cette ruse ne fait qu'ancrer le principe que Hegel a défini au paragraphe 190 à savoir que l'homme est éminemment un "animal social", membre de la société civile. Son besoin constitue son ouverture à l'autre. L'homme hégélien est essentiellement le conditionnement réciproque, en lui, comme "personne concrète", du Soi particulier s'affirmant dans l'extrême de sa subjectivité égoïste, et de son Autre par lui, de ce fait, tout autant affirmé comme puissance objective aliénante du "système de dépendance réciproque" ou de l'interaction de tous les individus. C'est bien l'homme, en son ambiguïté active, qui se réalise dans une telle affirmation corrélative mutuelle du Soi et du moment de l'universel au sein de l'individu social. Celui-ci n'est social que comme individu : la solidarité sociale ne peut mettre en cause fondamentalement l'initiative individuelle. Plus l'individu est égoïste, plus il travaille à sa propre jouissance, plus il s'universalise et travaille pour le bien de l'universel : c'est cette dialectique féconde qui est source d'un véritable progrès. L'utilité n'est pas seulement le lien dialectique en tant que réciprocité d'utilisation, l'un utilisant l'autre mais elle fortifie et conserve le lien existant entre l'universel et le particulier. Si elle conserve ce lien existant entre l'Universel et le particulier, elle absolutise par ailleurs la différence de l'Universel et de la singularité et supprime la possibilité de leur réunion. La singularité ne peut plus se réunir avec l'Universel par la médiation de la particularité, elle est l'Autre absolu de l'Universel. Si le côté positif de l'utilité est l'affirmation de la particularité, son côté négatif est cette séparation.

* 85 Ibid., p.160.

* 86 Karl MARX, La Misère de la Philosophie, 164e volume de La Pléiade, éditions Gallimard, Tours, 1963, p.17.

* 87 G.W.F HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Trad. Franç. André KAAN, éditions Gallimard, Paris, 1940, p.160.

* 88 G.W.F HEGEL, Principes de la philosophie du droit, Trad. Franç. André KAAN, éditions Gallimard, Paris, 1940, p.161.

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