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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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B. atténuationS au principe de la liberté de religion :

Les medias marocains ont souvent parlé de poursuites de marocains musulmans convertis au christianisme ou de persécutions de mouvements évangélistes, ou encore de condamnation pour délit d'apostasie90(*). Ceci est dû à certaines erreurs journalistiques assez communes, vu que les journalistes n'ont pas, en général, des connaissances juridiques suffisantes, ils ont tendance à confondre entre apostasie et prosélytisme.

Mais, il faut avoué également que certains faits justifient la parution de ces articles. En effet, ces faits constituent les atténuations au principe de la liberté de religion. Il faut dire que le principe énoncé par la constitution garantit effectivement une liberté de culte. Toutefois, cette liberté n'est pas absolue d'autant plus que l'ambiguïté qui entoure la notion de liberté de religion dans la législation marocaine - notamment la loi pénale - laisse place à l'interprétation de la loi par le juge.

Or, cette interprétation de la loi, qui peut être parfois erronée, et l'ardeur que l'ordre judiciaire peut montrer dans ses tentatives de condamner les apostats, les propagandistes chrétiens et les sectateurs est probablement liée à l'application de la charia,  cette dernière peut notamment influencer les décisions des juges.

D'ailleurs, on retrouve dans l'histoire et la jurisprudence marocaine des affaires où des marocains ayant renié l'Islam pour d'autres religions ont été poursuivis ou même condamnés.

1. Persécution des chrétiens et des renégats de l'Islam au Maroc :

Le Royaume du Maroc garantit le libre exercice des cultes à tous ; les communautés juives et chrétiennes pratiquent ouvertement leurs cultes. Cependant, certaines restrictions existent notamment à l'encontre des chrétiens. Par ailleurs, plusieurs petites minorités religieuses existent au Maroc et sont tolérées avec des degrés variables de restrictions.

Lors de la 59ème session du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale en Mars 2003, le rapport de la FIDH sur le Maroc et la question Amazigh rapporte que le Maroc, dans son rapport au CERD91(*) ne fait état que de la situation de la communauté juive, dont les membres sont considérés comme des citoyens marocains à part entière. (...)

Cependant, jusqu'en 1998, des convertis au christianisme ont été emprisonnés. Si l'on ne relève pas de telles atteintes depuis 1998, au cours de l'année 2000 et en septembre 2001, plusieurs « missionnaires » chrétiens ont été interrogés par la police. Cependant, les poursuites judiciaires entamées n'ont pas eu de suites. D'autres ont même été expulsés. Il en est ainsi du pasteur sud-américain de l'église protestante de Marrakech Dean Malan qui a été expulsé en Mars 2005, pour absence d'emploi rémunéré, sept autres missionnaires ont été interrogés pendant plusieurs heures avant d'être expulsés en Mai 200492(*).

Par ailleurs, et d'après les informations recueillies par la mission, il semble que les convertis au christianisme et les athées font toujours l'objet d'un ostracisme social au Maroc et risquent d'être poursuivis en justice pour « incitation à quitter l'islam » ou prosélytisme. En effet, la presse nationale et internationale ainsi que divers rapports ont relaté nombre de persécutions ou de restrictions à divers degrés. Parmi les cas les plus connus, on retrouve Mehedi Ksara, un marocain converti au christianisme qui a été emprisonné à Tanger sur la base de l'article 220 du code pénal le 5 août 1995 à l'âge de 88 ans. Ont été emprisonnés avec lui trois jeunes hommes accusés également de prosélytisme, Fouad Jaafar âgé 27, Bel Haj de Mohcen Ibrahim âgés 20 ans et Samir Ben Ali âgé 24 ans. Excepté Samir Ben Ali, chacun des trois était des chrétiens. Samir était un musulman qui avait fait des enquêtes au sujet du christianisme et avait été trouvé en possession d'un nouveau testament. À la différence de Mehedi, aucun d'eux n'a bénéficié d'une représentation légale. Les quatre hommes ont été acquittés par le tribunal de première instance de Tanger sous la pression internationale.

Jamâa Ait Bakrim, berbère originaire du Douar Jouabra (Massa), est un autre exemple illustrant les persécutions. Il a été jugé et condamné le 26 septembre 1995 dans la ville de Goulemine à l'emprisonnement d'une année pour avoir partagé sa foi chrétienne avec d'autres (dossier n°. 919/95). En avril 1996, il a été transféré de la prison à un hôpital psychiatrique d'Inezgane bien qu'il ne présentait aucune instabilité mentale.

Avant d'être totalement libéré le 4 juin 1996, Jamaa ait Bakrim sera de nouveau condamné le 28 décembre 2003, par le tribunal de première instance d'Agadir, à quinze ans de prison cette fois pour prosélytisme - sur la base de l'article 220 - et pour destruction des biens d'autrui - sur la base de l'article 58 - avec cumul d'infractions. Dans les procès verbaux de la gendarmerie comme devant le juge d'instruction, Jamâa n'a, à aucun moment, nié sa foi chrétienne. Il a toutefois démenti avoir perturbé l'ordre public ou détruit les biens de ses voisins. Il a avoué avoir mis le feu à deux poteaux de bois, mais il explique qu'il avait contacté les autorités locales pour débarrasser la voie de ces anciens poteaux électriques hors d'usage depuis longtemps, encombrant le site. Dans l'instruction complémentaire, il dément avoir approché ses voisins « pour ébranler leur foi musulmane ». Il nie aussi avoir « porté atteinte à la personne du Roi » comme inscrit sur le procès verbal de gendarmerie.

Pour lui, les témoignages de ses voisins le mettant en cause sont dus à ses convictions religieuses différentes des leurs. Les juges ont estimé que « le fait que Jamaâ nie les accusations de prosélytisme est en contradiction avec les aveux tenus auparavant lors des procès verbaux préliminaires où il proclamait qu'il était le fils du Christ et qu'il souhaitait que les Marocains deviennent chrétiens... »93(*).

Enfin, pour ne citer que quelques exemples, Mustafa Zemada, âgé de 29 ans, de Casablanca, a été appréhendé le 19 octobre 1993 avec dix-neuf autres ressortissants marocains qui ont été appelés pour avoir reçu de la littérature chrétienne par courrier. Ils ont été forcés par les autorités de signer des déclarations où ils s'engageaient à cesser de recevoir cette littérature. Mustafa Zemada a refusé de signer et de renoncer à sa foi. Le 29 octobre 1993, il a été condamné le tribunal Correctionnel de Casablanca Anfa (dossier n° 8075/93) sur la base des articles 221 et 220 du code pénal en dépit des réclamations de son avocat. Il sera relaxé par la suite, après avoir renoncé à sa foi chrétienne et prononcer devant je juge la « chahada94(*) ».

Les cas des persécutions sont assez nombreux, d'ailleurs dans son dernier classement des pays persécuteurs de chrétiens, publié par l'association Portes ouvertes en 2005, le Maroc y figure en 23ème position, devant l'Algérie, la Mauritanie ou le Koweït.

Aujourd'hui, il est vrai que ces pratiques n'ont plus la même envergure que par le passé, mais les marocains chrétiens se plaignent de ne pouvoir se réunir pour célébrer leurs fêtes ou prier avec leurs coreligionnaires car le principal motif d'interrogatoire de la police a été jusqu'ici la constitution d'association clandestine. Qui dit réunion dit organisation obscure, endoctrinement et prosélytisme aux yeux des autorités. Ces réunions concernent aussi bien les marocains chrétiens, ou athées que les chiites ou bahaïstes, ou toute autre minorité religieuse ou sectaire.

* 90 Exemple « Un Marocain a été condamné à 15 ans de prison pour apostasie après avoir embrassé le christianisme et en avoir fait l'apologie. » par Hicham Houdaïfa, Nadia Hachimi Alaoui et Younès Alami in lejournal-hebdo

* 91 Committee on the Elimination of Racial Discrimination (Comité pour l'élimination de la discrimination raciale)

* 92 Rapport du département américain de 2006 sur la liberté religieuse au Maroc.

* 93 « Des marocains sur le chemin de la croix » le journal hebdo n°190 du 8 au 14 janvier 2005

* 94 Confession de foi musulmane est très brève : á ÇöáóÜåó ÇöáÇóø ááå ãÍãÏ ÑÓæá Çááå, pouvant se traduire par « Je témoigne qu'il n'y a pas de divinités sinon Le Dieu (Allah) et que Mohammad est son messager.

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