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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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2. Répression des sectes au Maroc :

Il est vrai que les sectes au Maroc ne connaissent pas le même essor que celui connu en France ou aux Etats-Unis par exemple, en ce sens que la scientologie reste quasiment absente sur le plan national actuel, bien qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Mais, cela ne veut pas dire qu'il n'en existe pas.

Le code pénal marocain puni « quiconque qui emploie des moyens de séduction dans le but d'ébranler la foi d'un musulman ou de le convertir à une autre religion » chose qui donne un large champ d'application à ce texte. En conséquence, les adeptes d'autres courants religieux, ou de sectes, quand bien même ils relèvent de l'Islam, peuvent tomber sous le coup de cette loi. En effet, les chiites marocains pratiquent leurs rites dans une absolue discrétion. Certes, aucune persécution ni poursuite n'a été enregistrée à leur encontre mais cela est dû principalement à la « Takia95(*) ».

Par ailleurs, le rapport annuel du département d'Etat américain de 2006 sur la liberté de religion au Maroc, souligne qu'en 2005 l'association marocaine Al Ghadir a demandé à être régularisée. Le document précise que cette organisation chiite « n'avait toujours pas reçu de réponse à sa demande de statut officiel. » Le rapport note que c'est la première fois au Maroc qu'une association chiite demande à être reconnue officiellement ».

D'autres courants religieux ou sectes sont plus concernés. Il s'agit par exemple du bahaïsme. Cette secte ou religion - selon qu'il s'agisse de ses détracteurs ou de ses défendeurs - est à l'origine une dissidence de l'islam chiite qui a été fondée en 1863 par Baha Allah. Mais, les bahaïs ne se considèrent pas comme une secte musulmane mais comme les adeptes d'une religion aussi distincte de l'islam que l'est le christianisme du judaïsme.

La population bahaïste marocaine est estimée actuellement à 400 personnes96(*). Elle aurait été sûrement plus importante s'il n'y avait pas eu l'affaire de 1962. En effet, un procès a été ouvert dans la ville de Nador à l'encontre de 13 jeunes marocains originaires des villes marocaines septentrionales et d'un syrien, directeur d'une coopérative artisanale à Fès. Ils ont été accusés d'appartenir à la secte des bahaïstes et poursuivis pour «rébellion, désordre, atteinte à la sécurité publique, constitution d'associations de malfaiteurs et atteinte à la foi religieuse». Le 14 décembre 1962, le tribunal régional de Nador prononce à leur encontre 3 condamnations à mort, 5 aux travaux forcés à perpétuité, une condamnation de 15 ans de travaux forcés et 5 acquittements. Ce procès avait suscité une véritable polémique médiatique. Le seul journal ayant contesté le jugement de cette affaire était le quotidien « Les Phares », fondé par Ahmed Réda Guédira, ministre de l'Intérieur de l'époque, qui se demandait «Au nom de quelle loi les Marocains convertis au bahaïsme étaient-ils poursuivis ?». Les Phares soulignait alors l'inexistence d'une loi marocaine qui punit de mort l'atteinte à la foi religieuse et mettait en avant l'article 6 de la constitution marocaine, qui garantit à tous le libre exercice du culte. Cependant, deux jours avant le verdict, feu Sa Majesté le Roi Hassan II met fin à toute cette polémique et donne son interprétation de cet article en affirmant que le libre exercice des cultes ne signifie pas la liberté d'embrasser n'importe quel culte. En effet, lors d'une conférence de presse le 12 décembre 1962, il déclara que les cultes hébraïque et chrétien peuvent être pratiqués en toute liberté car ce sont des religions admises par l'Islam, «ce qui ne veut pas dire que demain le Maroc, dans son ordre public, acceptera qu'on vienne sur la place publique officier au soleil ou au fétichisme. Il n'est pas dit qu'il acceptera la secte des Bahaïs ou autres sectes qui sont de véritables hérésies ».

Un an après le 3 avril 1963, le jugement de la cour d'appel de Nador sera cassé par un pourvoi en cassation devant la cour suprême. Une fois de plus, en 1987, plusieurs membres de cette même communauté seront accusés et condamnés pour prosélytisme puis relaxés sous la pression internationale97(*).

Le procès des bahaïstes n'est pas un cas isolé, puisque récemment a eu lieu un procès similaire. Il s'agit de celui des quatorze musiciens ou encore de la «secte satanique». Poursuivis et accusés d'appartenir à une « secte satanique », d'« actes pouvant ébranler la foi des musulmans », de « mépris de la religion musulmane », de «complicité et aménagement d'un local pour prostitution» et de « détention d'objets contraires aux bonnes moeurs », les 14 musiciens hard rockers ont été condamnés à des peines lourdes avant d'être graciés par le Roi.

Trois accusés écopent d'un an de prison ferme dont un égyptien qui sera expulsé une fois sa peine purgée, ainsi que des amendes de 500 DH chacun. Quatre d'entre eux on été condamnés à une peine de 6 mois de prison ferme et à des amendes qui varient entre 1200 et 3.000 DH. Quatre autres prévenus se sont vus infliger des peines de réclusion de 3 mois de prison ferme et d'une amende de 1200 DH chacun. Les 3 derniers ont écopé des peines de 2 ou un mois de prison ferme et d'une amende de 1200 DH chacun.

Les objets contraires aux bonnes moeurs en question étaient des squelettes, des crânes, des T-shirts frappés du signe du Pentagone, de cobras et de vipères rouges et «une série de CD diaboliques». Ils ont été présentés aux juges en tant que pièces à conviction98(*).

Par ailleurs, il existe effectivement des sectes telle que la Scientologie, les Témoins de Jéhovah, la Soka Gakkaï et les loges maçonniques ainsi que la secte de la Méditation transcendantale qui ont fait parler d'elles dans la presse nationale99(*). Ce genre de sectes utilisent certaines méthodes susceptibles d'affaiblir l'aptitude analytique, le pouvoir décisionnel et la clarté de compréhension afin de rallier et de garder les adeptes. Ces méthodes peuvent aller même jusqu'à la contrainte, chose qui est réprimée par la loi pénale, et qui par ailleurs, peut produire des effets sur le plan civil.

* 95 Le principe de la « Takia » signifie la crainte de Dieu, mais aussi des ennemis. Les chiites préfèrent exercer clandestinement leur foi pour échapper aux persécutions. Il ne s'agit pas, selon eux, de renier l'islam mais bien de cacher aux autres musulmans leurs propres convictions.

* 96 Selon le 8ème rapport annuel sur la liberté de culte émis par le secrétariat d'Etat américain aux Affaires étrangères couvrant la période allant de juillet 2005 à juillet 2006

* 97 Une communauté très secrète par Majdouline ElAtouabi in Maroc Hebdo International n° 655 du 3 au 9 Juin 2005 p. 34 et 35.

* 98 Affaire des 14 hard rockers par Youssef Chmirou in Maroc Hebdo International - N° 548- Du 7 au 13 mars 2003 p. 8

* 99 La descente aux enfers par Abdellatif El Azizi in Maroc Hebdo International - N° 488 - Du 30 nov. au 6 déc. 2001 p.26 et 27

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