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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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1. La sanction pénale :

Certains sectes ou courants se voulant religieux tentent par tous les moyens de rallier des adeptes afin d'en tirer des avantages pécuniaires. Il est, en effet, souvent facile d'exploiter les aspirations spirituelles de l'homme. Le domaine religieux est indéniablement un terrain de prédilection pour les escrocs qui trompent aisément leur prochain en faisant naître en eux l'espérance ou la crainte d'un événement purement chimérique en vue d'obtenir, dans un premier temps, l'adhésion à un groupement et, dans un second temps, la remise des fonds.

Une jurisprudence française récente102(*) démontre que les marchands d'illusions font toujours fortune en exploitant le malheur et la crédulité d'autrui. Les juridictions peuvent sanctionner sur le fondement de l'escroquerie ceux qui se disent détenteurs de messages célestes et qui font ainsi fortune au détriment de leur prochain. C'est ainsi qu'en 1978 le tribunal correctionnel de Paris103(*) déclara coupable trois dirigeants de l'église de scientologie de France pour avoir dissimulé, sous l'apparence d'une association à but non lucratif à vocation religieuse, une véritable « entreprise commerciale » dispensant des promesses de guérison et de vie meilleure. En effet, elle était censée guérir la plupart des maladies grâce à une technique appelée audition qui ressemble de très loin à la psychothérapie104(*).

Le Maroc n'est pas réellement visé par les « escroqueries » des sectes de scientologie, mais les charlatans et les guérisseurs remplacent largement celles-ci. Chérif El Mekki de Skhirat ou encore Hajj Omar de Bouya Omar (village de Alataouiya) en témoignent. Si le premier ne prend pas d'argent liquide, le second exigent un versement liquide comptant avant même que le « patient » ne soit interné105(*). La différence entre le Maroc et la France à ce sujet réside dans le fait que les marocains ne recourent pas à la justice suite aux préjudices subis du fait de ces guérisseurs, charlatans ou vendeurs d'illusions, d'autant plus que les autorités ferment les yeux sur ces pratiques, alors qu'ils peuvent très bien être poursuivis sur la base de l'escroquerie. En effet, l'élément matériel de l'infraction en matière de prosélytisme se caractérise par les agissements du propagandiste accomplis en vue de s'approprier la fortune de l'adepte, tandis que l'élément moral consiste en ce domaine en la connaissance du caractère frauduleux desdits agissements. Quant à l'élément légal, il découle de l'article 540 du code pénal qui définit l'escroquerie comme le fait d'induire astucieusement une personne en erreur par des affirmations fallacieuses, ou par la dissimulation de faits vrais, afin de se procurer ou de procurer à un tiers un profit pécuniaire illégitime, ou le fait d'exploiter astucieusement l'erreur où se trouvait une personne et la déterminer ainsi à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

En matière de prosélytisme, les affirmations fallacieuses peuvent se traduire par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité car il est probablement le moyen le plus commode de réaliser une escroquerie sur le plan religieux. Cet usage constitue en lui-même un artifice c'est-à-dire une ruse, procédé habile mais déloyal106(*), dont peut se servir le propagandiste pour tromper celui dont il veut obtenir un avantage.

Cet artifice ne constitue cependant une infraction que s'il est possible de prouver la fausseté du nom ou de la qualité, ou en général, la fausseté des affirmations utilisées par le propagandiste pour arriver à ses fins. Or, cette vérification n'est pas toujours aisée à établir. Les tribunaux peuvent par exemple condamner celui qui s'est fait remettre des fonds ou valeurs quelconques en usant de la qualité d'imam, de commandeur des croyants ou «aalim107(*)». En revanche, il est beaucoup plus difficile de retenir la fausse qualité à l'encontre de celui qui prétend être un taleb ou fqih108(*) qui aurait entendu des voix de l'au-delà ou qui prétend avoir des pouvoirs surnaturel. Face à de telles hypothèses, le droit se retrouve impuissant puisqu'une qualité non susceptible de vérification, ne peut être qualifiée de fausse.

Pour ce qui est du fait d'exploiter astucieusement l'erreur où se trouvait une personne, la preuve est plus facile à établir d'autant plus que la pratique en est plus courante. C'est ainsi que nombre de personnes recourent au charlatanisme médical ou aux exorcistes alors qu'elles peuvent ne souffrir que de maux bénins qui nécessitent de simples soins médicaux. Ce genre de propagandistes exploitent l'erreur dans laquelle se trouvent ces « patients » du fait de leur désespoir ou de leur ignorance - du pour une majorité à leur analphabétisme - et doivent être punis pour leurs actes. Les victimes peuvent également demander la restitution des sommes versées pour ces soi-disant soins, ainsi que des dommages intérêts en réparation des éventuels préjudices subis.

* 102 A ce sujet regarder E. Michelet, religion et droit pénal, in Mélanges offert à P. Reynaud, p 475

* 103 Trib. Corr. Paris, 14 février 1976, inédit cité par P. Bouzat, RTD com. 1977. 800 et J.-M. Florand, les petites affiches, 17 octobre 1986.

* 104 Sur ce point et sur les possibilités d'engager des poursuites sur la base de l'exercice illégal de la médecine, voir A. Palisson, op. cit. p. 199 et suivants.

* 105 Reportage/enquête Week-end chez les fous de Bouya Omar par Hanane Hachimi in http://www.lereporter.ma/article.php3?id_article=316

* 106 Définition de la « ruse » donnée par le dictionnaire encyclopédique Larousse

* 107 Terme arabe qui signifie savant. Son pluriel est ÚõáóãÇÁ qui se lit ouléma. Le aalim est celui qui détient la science, effectue des recherches dans le domaine de la tradition musulmane, la sunna, mais son savoir peut aller bien au-delà de la connaissance théologique. Généralement indépendant du pouvoir séculier, il est le gardien de la tradition et un homme de référence.

* 108 Voir « croyance et référence, l'utilisation de l'Islam par le fqih et par la suwafa à Kenitra » par Saâdia Radi p 189 à 199

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