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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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2. La sanction civile :

Dans l'hypothèse où il a été victime d'une tromperie, d'une machination ou d'un artifice quelconque, le prosélyte repenti peut avoir recours au droit civil, droit des contrats, si contrat il y a - chose extrêmement rare au Maroc - ou droit de la responsabilité délictuelle. En effet, nombre de personnes reviennent de ces marabouts encore plus déséquilibrés qu'ils ne l'étaient et cela est sûrement dû aux conditions dans lesquelles ils sont maintenus, certaines personnes sont même enchaînées. Le droit civil protège ces personnes dans la mesure où il peut leur assurer la réparation des dommages physiques et moraux qu'elles ont subi lors de leur séjour au sein des enceintes de ces marabouts et ce en vertu des articles 77 et 78 du Dahir des Obligations et des Contrats.

Toutefois, la victime devra apporter une triple preuve : celle du dommage subi, celle de la faute, intentionnelle ou non, de l'auteur, en l'occurrence le fqih, taleb ou gourou..., et enfin celle du lien de causalité, c'est-à-dire que le préjudice subi est le fruit direct des agissements fautifs de l'auteur. Cette responsabilité peut être déclenchée au cas où le dommage serait causé par l'un des disciples du fqih ou par son personnel, et ce sur la base de la responsabilité du fait d'autrui selon l'article 85 du Dahir des Obligations et des Contrats.

Dans le cadre des sectes venues de l'Occident, il en est autrement. Ainsi, la méditation transcendantale commence par deux premières conférences qui sont libres et gratuites. Mais comme la personne qui désire apprendre la méditation transcendantale - sachant que ses propagandistes font tout pour qu'il en soit ainsi - doit obligatoirement suivre certaines étapes, les modalités pratiques et le coût sont mentionnés dès la conférence d'introduction. Toutefois, il n'est pas question d'argent dès le début, les nouvelles recrues jouissent d'une longue période de convivialité. Des instants de bonheur où leur argent n'est pas sollicité, ou leurs biens leurs appartiennent encore. En revanche, pour mettre les pieds dans le purgatoire, il faut s'inscrire au stage de la méditation transcendantale, et l'inscription est payée rubis sur ongle. Or, l'aveuglement, l'endoctrinement et l'obéissance constituent des altérations aux capacités de discernement. Et pour faire un acte valable, il faut être saint d'esprit. A défaut, l'acte est considéré comme nul pour défaut du consentement.

La question qui se pose est de savoir si l'on peut assimiler « les convictions religieuses » du prosélyte à de l'insanité d'esprit et ainsi remettre en cause l'acte qu'il aurait consenti suite à ces convictions, qu'il s'agisse d'un contrat d'adhésion, d'un transfert de propriété ou d'une décharge de responsabilité en faveur de la secte en cas de suicide ou de décès par exemple. En effet, le prosélyte, tout en étant capable juridiquement, peut être sous l'emprise d'un trouble mental au moment de la conclusion de l'acte et, ce faisant, être hors d'état de comprendre la portée de son acte. Mais, la jurisprudence française estime que cela n'est pas suffisant pour prononcer la nullité d'un acte dès lors que les facultés intellectuelles de l'individu ne sont pas obérées.

Ainsi un homme qui était entraîné par ses croyances à la pratique de la médecine homéopathique dont il a fait « l'objet incessant de ses pensées, de ses études et de sa correspondance » avec l'un de ses amis, avait fait un testament en faveur de ce dernier. Ce testament fut attaqué par sa famille pour insanité d'esprit du testateur dont les croyances extravagantes en étaient la preuve. La cours d'appel de Limoges109(*) a refusé de prononcer l'annulation du testament aux motifs que, pour apprécier l'existence du consentement libre et éclairé, la loi civile se fonde non « sur l'aspect spéculatif de l'intelligence, mais sur la conduite pratique de la vie, il ne suffit donc pas, pour obtenir l'annulation du testament, de démonter que l'auteur s'est laissé entraîner aux aberrations les plus absurdes, exemple l'étude des sciences occultes, s'il s'est montré capable d'administrer sa fortune ». Cet exemple distingue l'insuffisance de l'intelligence et les aberrations métaphysiques de l'esprit qui peuvent causer un dérangement partiel des idées, mais laissent à la personne toute sa volonté pour passer des actes juridiques conformément à la loi.

L'acte est alors présumé conclu en toute liberté de son auteur. Par contre, il est des cas où la liberté du prosélyte se retrouve tellement réduite qu'il est quasiment sous l'emprise et la domination de son propagandiste. Ce dernier peut user de la contrainte pour mener à terme sa quête de prosélytisme.

* 109 Limoges, 6 février 1889, DP 1890. II. 73, note M. Planiol

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