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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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2. La contrainte morale :

Certains comportements ne visent pas à contraindre physiquement l'individu mais à l'inciter, par des pressions morales, à faire ce qu'il n'aurait pas fait sans celles-ci. Le droit positif est sensé protéger la sûreté morale, c'est-à-dire « la tranquillité d'esprit113(*)» d'autrui en réprimant de tels comportements.

Un propagandiste qui userait d'une contrainte, notamment morale, pour obtenir un engagement ou une renonciation ou une remise de biens patrimoniaux se rendrait coupable du délit de l'extorsion visé par les articles 537 et 538 du code pénal. Cependant, pour être constituée, l'infraction de l'extorsion doit réunir trois éléments tenant respectivement à l'intention ayant animé le propagandiste, à l'objet sur lequel porte l'extorsion et aux moyens utilisés par le prédicateur malhonnête.

L'élément intentionnel du délit d'extorsion réside dans « la conscience d'obtenir par la force, la violence ou la contrainte ce qui n'aurait pas pu être obtenu par un accord librement consenti 114(*)». Le mobile de lucre n'est donc pas exigé. C'est ainsi qu'une jurisprudence française a jugé que « la tentative d'extorsion de fonds par contrainte morale n'exigeant pas, pour être constituée, la preuve d'un but de cupidité illégitime de la part des auteurs, sont punissables de ce délit [les auteurs] qui, quel que soit le mobile de solidarité invoqué, ont eu conscience de recevoir de la victime une promesse de remise de fonds qu'ils n'auraient pas pu obtenir par un accord librement consenti 115(*)».

Pour être punissable sur la base de l'extorsion, le propagandiste doit avoir employé la force, la violence ou la contrainte. Si ce n'est que le résultat de promesses fallacieuses ou d'une opération de séduction, l'infraction n'est pas constituée. De ce fait, le simple fait de promettre la rédemption, le paradis sur terre, la guérison, la délivrance des djinns par l'exorcisme ou tout autre bienfait spirituel ne peut suffire à la constitution de l'infraction, tout comme ne peut suffire l'entreprise de séduction à laquelle se livrent très souvent les propagandistes, pour rallier à leur cause les nouveaux adeptes.

Cependant, les violences nécessaires à l'extorsion sont entendues largement ; il peut s'agir de violences physiques ou morales. De même, la notion de contrainte est aussi largement entendue. Elle vise notamment tous les cas dans lesquels le prévenu a profité de l'état de dépendance psychologique de la victime pour lui soutirer une partie de ses biens ou l'inciter à souscrire ou à renoncer à un engagement. Il faut donc, pour apprécier la contrainte, avoir égard, notamment, à l'âge et à la condition physique et intellectuelle de la victime. La chambre criminelle de la cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 30 octobre 1991116(*) au sujet d'un couple de personnes âgées qui avaient été contraintes de remettre l'intégralité de leurs économies à un tiers ayant profité de leur déficience physique et psychique. C'est le cumul de l'âge et des déficiences qui a permis aux juridictions d'admettre plus facilement la contrainte caractérisant l'extorsion.

Dans le domaine strictement religieux, il faut noter la condamnation de la cour d'appel de Lyon qui a déclaré coupable de l'extorsion des adeptes de l'église scientologie qui avaient usé de pressions proches du harcèlement pour forcer les victimes à acheter un électromètre de Hubard indispensable pour suivre les auditions qui allaient en faire de véritables adeptes117(*).

Il est vrai que le Maroc ne connaît pas une telle extension de sectes et du prosélytisme du fait qu'il est sérieusement sanctionné par la loi pénale, mais cela ne décourage pas les propagandistes pour autant. D'ailleurs, l'existence et l'implantation de sectes venues de l'Occident en attestent.

* 113 Ph. Conte, droit pénal spécial, Litec, paris, 1ère éd., 2003, p.277, § 478

* 114 Cass. Crim., 9janvier 1991, bull. n°17

* 115 Paris, chambre acc. 27 mars 1987 ; journ. not 1987, p.1357, comm. E.S. de la Marniere.

* 116 Cass. Crim. 30 octobre 1991, Dr. Pénal, 1997, comm. N°94, obs. M. Véron ; JCP 1997, IV, 1543

* 117 Lyon, 28 juillet 1997, juris-data n° 045013 ; D.1997 I.R . 197 ; Gaz. Pal 8-9 août 1997, somm., 17 ; JCP 1998, II, 10025, note M-R. Renard et sur pourvoi Cass. Crim., 30 juin 1999, D. 2000. juris. 655, note B. Giard.

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