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Prosélytisme et liberté de religion dans le droit privé marocain


par Meriem AZDEM
Université Hassan II - Licence 2007
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Droits de l'homme et libertés fondamentales
   

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2. Un prosélytisme constitutif de génocide :

Des mouvements extrémistes et totalitaires ont engendré en plusieurs lieux et en diverses époques des crimes odieux. Parmi eux, l'exemple du nazisme reste, à ce jour, le plus frappant. Fanatisme, croyance et criminalité ont déterminé l'orientation des génocides commis par le régime hitlérien sur des victimes désignés notamment en fonction de leur appartenance religieuse.

Pour Adolf Hitler, l'inscription de sa croisade guerrière dans une dimension religieuse était devenue une nécessité61(*). Son oeuvre destructrice était basée sur son désir de mener à terme un prosélytisme athée, un prosélytisme antireligieux. Son prosélytisme s'est développé au début essentiellement à l'encontre des juifs62(*). Ceci l'a poussé à planifier des campagnes de destruction massive d'assassinats de millions de juifs dans le monde.

Considérer Hitler comme le plus grand propagandiste religieux peut paraître audacieux car on envisage les génocides de la seconde guerre mondiale comme des génocides exclusivement raciaux. D'ailleurs, Hitler prônait l'eugénique en faveur de la race aryenne63(*). Cependant, il avait stigmatisé les juifs comme appartenant à la race la plus inférieure. Ceci établit un lien indissoluble entre les notions de race et de religion.

L'antisémitisme, base du régime hitlérien repose tant sur le reproche d'une appartenance fantasmée à une « race inférieure » que sur un différent proprement religieux. D'ailleurs, Hitler ne s'est pas contenté d'assassiner les juifs en masse mais a également tenté de démontrer la dangerosité des religions traditionnelles et a combattu les églises auxquelles il s'est heurté en essayant de contrôler la jeunesse.

Afin de définir ces crimes, commis dans l'Allemagne nazie, le mot « génocide » a été créé par le juriste Raphaël Lemkin en 1944, dans son livre Axis Rule in occupied Europe.
La définition juridique de base du génocide est celle donnée par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, dans laquelle l'article 2 stipule que « le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :


· Meurtre de membres du groupe ;


· Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;


· Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;


· Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;


· Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. » 64(*)

Cette convention précise qu'il s'agit d'un crime se distinguant d'une part, par l'intention d'extermination totale d'une population, et d'autre part, par la mise en oeuvre systématique et donc planifiée de cette volonté.

Toutefois, c'est souvent la contestation de l'un de ces éléments qui fait débat pour la reconnaissance officielle d'un crime en tant que génocide.

Néanmoins, et bien que critiquée par la doctrine, l'exigence d'un plan concerté comme élément de la définition du génocide, et plus généralement des crimes contre l'humanité ne fait plus aucun doute. En effet, cette exigence est expressément mentionnée dans le statut du tribunal international de Nuremberg65(*) qui prévoit dans son article 6 la responsabilité des « dirigeants, organisateurs, provocateurs ou complices qui ont pris part à l'élaboration ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot pour commettre l'un des crimes ci-dessus définis » 66(*)

Le second élément repose sur l'exigence d'une atteinte à la condition humaine connexe à une politique d'extermination ou d'hégémonie idéologique. Autrement dit, pour qualifier un crime de crime contre l'humanité il faut que celui-ci suive un plan concerté et qu'il poursuive un but déterminé, à savoir l'extermination partielle ou totale d'un groupe donné.

La définition demeure inchangée à ce jour en droit international. Elle a été reprise à l'identique notamment dans les statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l'Ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, ainsi que dans le statut de la Cour Pénale Internationale, notamment dans l'article 6 du Statut de Rome67(*) adopté le 17 juillet 1998, et l'acte fondateur de la Cour pénale internationale (CPI).

Il ressort de cette définition que, contrairement aux idées reçues, un génocide n'implique pas nécessairement un critère quantitatif. Ainsi, on évalue à environ soixante millions le nombre de morts pendant la seconde guerre mondiale. Parmi ceux-ci, seuls les six millions de juifs, de Tziganes et d'autres minorités sont considérés comme victimes d'un génocide perpétré par les nazis. À l'inverse, des massacres de masse ne constituent pas forcément un génocide.

C'est ainsi que dans l'affaire Paul Touvier68(*), la qualification de crime contre l'humanité a été retenue alors même que la mise en accusation visait l'assassinat de sept otages en raison de leur appartenance raciale et religieuse.

La jurisprudence marocaine est quasiment inexistante en ce domaine. D'ailleurs, les textes de loi pénale ne prévoient pas l'incrimination des crimes contre l'humanité en général. A cet effet, le ministère de la justice a été invité à incorporer dans la législation marocaine les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité69(*).

S'agissant du prosélytisme toutefois, seule l'appartenance à un groupe religieux doit être envisagée. Un tel groupe désireux d'éradiquer tous ses adversaires par la mise en oeuvre d'un plan concerté peut donc être qualifié de crime contre l'humanité, notamment de génocide.

Cela dit, le prosélytisme peut aller de la simple discussion jusqu'au massacre en masse de population. C'est pourquoi la législation se doit de se prémunir en mettant en place tous les moyens afin d'éviter tout abus de prosélytisme. Cependant, de tels dispositifs ne devront pas empiéter la liberté de religion qui est un principe reconnu universellement.

* 61 Voir Adolf Hitler, Mein kampf, p 209 et s

* 62 E. Jackel, Hitler idéologie, Gallimard, 1995

* 63 Les nazis utilisèrent le terme d'« Aryen » pour identifier la race humaine qu'ils considéraient supérieure à toute autre race, la plus pure, la plus noble. Les scientifiques de cette époque utilisaient le terme de race « nordique », dans un contexte où la notion de race humaine n'était pas encore rejetée.

* 64 Ratifiée par le Maroc le24 janvier 1958

* 65 Charte de Londres, 8 août 1945, résolution de l'ONU du 13 février 1946

* 66 Annexe 2

* 67 Signé par le Maroc le 8 septembre 2000

* 68 Cass. Crim. 6 février 1975, Touvier, bull. n°42, D. 1975, p. 386, rapport Chapar et note P. coste-Floret, RSC 1976, p.97,obs. A. Vitu

* 69 Lors des conclusions de la mission d'information et de contacts avec les autorités et la société civile marocaines du 4 au 7 octobre 2005 organisée par la FIDH

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